vendredi 9 décembre 2011 par Claude Worms
"Debajo del romero" : un CD Picap 911049 (2011)
"Las voces que no callaron" : un livre + CD Atrapasueños (2011)
Nous nous souvenons d’ avoir lu, sous la plume toujours pertinente de Norberto Torres, une distinction entre "flamencos" et "músicos flamencos". Traduisons. Pour les premiers, le flamenco fait partie d’ un héritage socio-culturel, d’ une manière d’ être au monde liés à l’ appartenance à un terroir, un village, un quartier, une famille, une condition sociale… Pour les seconds, il s’ agit d’ un choix professionnel : s’ exprimer au moyen d’ un langage musical, qui pourrait être aussi bien le jazz, le rock, la musique "classique"… Pour éclairante qu’ elle soit, une catégorisation est toujours réductrice, et les frontières sont évidemment moins tranchées (où classer Antonio Chacón, pour nous en tenir à un seul exemple ?). L’ approche réflexive et technique d’ un art n’ empêche nullement la sensibilité (elle serait même plutôt une condition nécessaire, sinon suffisante, à son expression). A l’ inverse, transformer une expérience vitale en musique suppose évidemment un minimum de distanciation. D’ ailleurs, les meilleurs artistes actuels incarnant le flamenco "mode de vie" défendent des options esthétiques conscientes (voir, entre autres, la dynastie Peña de Lebrija / Utrera, et, singulièrement, Pedro Bacán).
Quoiqu’ il en soit, la plupart des jeunes artistes sont effectivement des "musiciens de flamenco". Ils ont vécu (heureusement pour eux) une enfance confortable, et sont souvent bacheliers et détenteurs de divers titres universitaires : on ne saurait attendre d’ eux qu’ ils s’ identifient à El Tenazas, dont la vie fut sans doute surtout une lutte pour la survie, un sort qui se prolongea pour la majorité de ses collègues (malheureusement pour eux) jusque fort avant dans le XX siècle. Jesús Corbacho est donc un "musicien de flamenco", et l’ un des meilleurs pour ce qui concerne le cante, comme l’ atteste "Debajo del romero", son premier et remarquable enregistrement. Nous n’ avions plus entendu depuis longtemps un disque de cante d’ une telle intelligence musicale, et en même temps d’ une telle intensité.
Il nous rappelle le choc qu’ avait constitué le premier album d’ Enrique Morente, non bien sûr dans le style vocal, mais dans l’ esprit : la curiosité encyclopédique pour les cantes rares (ici, dès les Fandangos de Huelva qui ouvrent le programme, la citation subtile des désinences du Fandango de San Bartolomé - Tharsis, ou encore le choix des modèles mélodiques de la série de Soleares de Triana) ; le même respect pour le répertoire (qu’ il s’ agisse de la Siguiriya ou de la Milonga) et donc le même souci de ne jamais en faire trop (les Siguiriyas de Tío José de Paula et Curro Durse) ; la même tension intérieure (la Malagueña de Chacón, d’ ailleurs dédiée à la mémoire d’ Enrique Morente, qui retient la leçon de ses interprétations de celles de La Peñaranda et de El Gayarrito) ; la même maturité technique, au service de l’ expression d’ une personnalité artistique singulière immédiatement identifiable. Ajoutons aussi la probité, assez rare ces temps-ci : Jesús Corbacho a la délicatesse de ne pas revendiquer la paternité de cantes et de letras traditionnels : "Popular", indique le livret pour la plupart des pièces du programme, à l’ exception justifiée des Fandangos de Huelva, des Bulerías, des Tangos (en coopération avec le guitariste Juan Requena, et de la Milonga (texte et musique du cantaor David Lagos).
"Populaire", mais pas impersonnel, tant les interprétations de Jesús Corbacho sont autant d’ appropriations, sinon de recréations, sans doute longuement méditées. L’ impressionnante technique du cantaor sert toujours une intentionnalité musicale et / ou expressive, et n’ est jamais prétexte à démonstration gratuite. Outre la parfaite justesse de l’ intonation et de la mise en place (qui vont de soi à ce niveau), nous en retiendrons trois, d’ ailleurs complémentaires :
_ d’ abord, la longueur de souffle et la maîtrise de la respiration, qui permettent non seulement un parfait legato entre les différents motifs de chaque "tercio", mais aussi de réduire au maximum les temps de repos entre les tercios (par exemple, entre le premier et le deuxième de la Malagueña de Chacón), voire les cantes successifs. Le résultat en est d’ abord la parfaite lisibilité de chaque modèle mélodique, et, à plus grande échelle, une construction particulièrement cohérente des séries de cantes (les Soleares de Triana ; les Cantiñas, sous le patronage de La Niña de los Peines, qui procédait d’ ailleurs souvent de la même manière, avec en introduction la Cantiña de La Juanaca).
_ d’ autre part, le délié, la variété et la vélocité de l’ ornementation, qui enrichissent avec un bon goût digne du meilleur chant baroque (que les intégristes se rassurent, il s’ agit bien de mélismes authentiquement flamencos) les mélodies de la Zambra et de la Milonga, dont la version est ici à la hauteur de celle de la Vidalita par Mayte Martín. Surtout, la précision du dosage des ornements et de leur durée laisse toujours à l’ artiste la faculté de relancer la dynamique du phrasé, par quelques accentuations décisives, sur les transitions entre "tercios" ou sur les fins de phrase (encore faut-il, là encore, posséder la technique adéquate), là où tant de cantaores "tombent à plat", faute d’ une conception globale de leur discours musical.
_ enfin, un usage très original du vibrato, dont le cantaor varie imperceptiblement et continûment la fréquence et l’ amplitude, en particulier pour accroître l’ impact rythmique de ses entrées (écoutez, entre autres, son entame des Bulerías).
L’ ensemble donne aux cantes de Jesús Corbacho une intensité et une urgence exceptionnelles, par la solidité et l’ implacable logique de leur construction, et non par des démonstrations de puissance vocale, même s’ il sait aussi utiliser les contrastes dynamiques et le "messa di voce" de manière nettement plus subtile, comme vecteur de l’ émotion.
On en trouvera encore une parfaite illustration dans la Guajira, qui nous fait passer insensiblement du lyrisme de Cayetano Muriel à une scansion nettement afro-cubaine.
L’ intelligence du musicien s’ étendant aussi au choix de ses partenaires, l’ album nous permet de retrouver avec plaisir, entre autres, les guitaristes Juan Requena, Oscar Lagos et Manuel Parrilla (ce dernier beaucoup trop rare au disque à notre goût) ; les percussionnistes Israel "Katumba", Manuel Muñoz "El Pájaro" et Ramón "Porrina" (uniquement pour les Fandangos de Huelva, la Guajira, les Tangos et les Bulerías, pour lesquels ils ont effectivement une réelle justification musicale) ; le contrebassiste Yelsi Heredía et le joueur de tres cubano "Caliche" (pour la Guajira - même remarque que précédemment) ; le violoniste Bernardo Parrilla (pour quelques surlignages mélodiques aussi dynamiques que fugaces dans les Fandangos de Huelva) ; et le pianiste Pablo Suárez, qui assume seul l’ accompagnement de la Zambra, avec juste ce qu’ il faut de délicatesse pour le chant de Jesús Corbacho, et d’ emphase ponctuelle pour ne pas déroger aux canons du genre.
Qu’ écrire de plus ? "Debajo del romero" est un album très important, que vous ne devez manquer sous aucun prétexte.
Commençons par remercier Juan Pinilla de son heureuse initiative, un hommage aux "voix qui ne se sont pas tues" (" voces que no callaron"), dont on parle bien peu actuellement, et qu’ on entend encore moins. Il s’ agit naturellement des cantaores qui contribuèrent dans les années 1970, par leurs concerts et leurs disques, à achever le franquisme moribond. Mais le projet est plus vaste, en ce qu’ il s’ intéresse aussi aux vicissitudes subies par les artistes pendant le II République, la Guerre Civile et la dictature, et, plus généralement, au contenu socio – politique de nombre de letras traditionnelles.
L’ auteur part du principe que tout art authentiquement populaire reflète toujours, consciemment ou non, la condition sociale du milieu dans lequel il est né, a fortiori la culture musicale du peuple andalou, consciencieusement écrasé pendant le XIX et une bonne partie du XX siècles (période de la création puis du développement de l’ art flamenco) par la structure latifundiaire de la propriété foncière et le chômage endémique qu’ elle entretenait à dessein par l’ entremise des gérants de propriétaires résidant prudemment à Madrid ou à Séville, la hiérarchie catholique et le pouvoir d’ Etat et ses instruments (armée, Garde Civile…).
Cette thématique est largement exposée dans un livret de 140 pages, écrit par Juan Pinilla, qui regroupe utilement des informations jusqu’ à présent fragmentaires, glanées dans divers ouvrages, notamment mais non exclusivement "Andalucia. Su comunismo libertario y su cante jondo" (Carlos et Pedro Caba), "Pensamiento político en el cante flamenco" (José Luis Ortiz Nuevo) et "Una historia del Flamenco" (José Manuel Gamboa). L’ auteur nous annonce d’ ailleurs que cette compilation n’ est que l’ ébauche d’ une enquête de plus grande envergure à laquelle il travaille actuellement, ce dont nous nous réjouissons à l’ avance. Ajoutons que l’ objet livre - disque est de surcroît très beau (maquette de Pepa Flores), avec notamment une superbe galerie d’ hommages à Angelillo, Chato de las Ventas, El Corruco de Algeciras, Manuel Gerena, Guerrita, Paco Moyano, La Niña de los Peines, Manuel Vallejo et Juan Pinilla, que nous devons au grand talent du peintre et dessinateur Vázquez de Sola. Les textes des différents cantes sont évidemment reproduits intégralement.
Les chapitres consacrés à l’ engagement républicain de certains artistes, à leurs stratégies de survie (ou à leur mort…) pendant la Guerre Civile et la dictature, et au flamenco "engagé" des années 1970 – 1980 sont particulièrement instructifs. Parmi les républicains déclarés, Chato de Las Ventas fut exécuté par les cliques fascistes, victime de sa notoriété et de ses "Fandangos Republicanos" , "Chaconcito" disparut mystérieusement sans laisser de trace… Beaucoup choisirent l’ exil, par conviction (Angelillo, cantaor très populaire de l’ "Ópera flamenca" et syndicaliste à la CNT, ou Miguel de Molina, étoile de la Copla, qui cumulait malencontreusement homosexualité et convictions "izquierdistas"), ou par simple prudence (Carmen Amaya, La Argentinita, Sabicas, Estebán de Sanlúcar, José Greco, El Pena Hijo, Niño de Utrera, Carlos Montoya, Mario Escudero…). Il suffisait d’ avoir participé à des galas de soutient à la cause républicaine ou aux soldats engagés sur les fronts contre les troupes franquistes, fascistes et nazies (Pepe Marchena, Canalejas de Puerto Real, Estebán de Sanlúcar, Chiquito de Triana, Antonio Izquierdo, Antonio de Sanlúcar, Miguel Fernández "El Tomate", Niño de Almería, La Niña de los Peines, Manuel Vallejo, José Cepero, El Cojo de Málaga, Guerrita, Fanegas, Manuel Ávila…) pour être menacé de prison (dans le meilleur des cas) par les "vainqueurs". La plupart de ces artistes choisirent de se faire oublier dans les premières années de l’ après guerre, et leur carrière connut une éclipse prolongée, volontaire ou non. Certains s’ appliquèrent à se montrer plus inoffensifs pour le nouveau régime : La Niña de los Peines changea les "Banderas republicanas" du pont de Triana en "Banderas gitanas" (Tangos), tandis que Juan Valderrama persistait à chanter son hymne à l’ "Emigrante" (jusque devant Franco…), en espérant que les censeurs y verraient un chant patriotique, et non une critique indirecte de la répression et de la politique économique désastreuse du régime (ce qui arriva effectivement, la stupidité s’ avérant parfois salvatrice).
Mais pour l’ essentiel, les textes retenus pour l’ enregistrement appartiennent à la période du flamenco "engagé". Le chapitre "Transition et aube de la démocratie" retrace l’ œuvre pionnière d’ Antonio Gades et de Salvador Távora (La Cuadra), poursuivie par Mario Maya, pour les spectacles scéniques, et s’ intéresse ensuite aux cantaores qui mirent en musique les poètes interdits (dont évidemment Federico García Lorca, Rafael Alberti et Miguel Hernández), les textes contemporains de Juan de Loxa, José Guardia Rodríguez, Curro Albayzin, et surtout Francisco Moreno Galván (assurément le plus prolixe, et à notre avis le plus talentueux) ou leur propres letras : Enrique Morente, Diego Clavel, Miguel Vargas, Manuel de Paula, El Lebrijano, Miguel López, El Cabrero, Ramón Benitez "Chato de Utrera", Manuel Jménez Rejano, le groupe de Sevillanas "Gente del Pueblo", Antonio Cuevas "El Piki" (mort dans un mystérieux "accident de la circulation" à Madrid en 1980 – il avait 35 ans), et surtout José Menese (pour ses interprétations des textes de Moreno Galván), et les "cantautores flamencos" Manuel Gerena, Paco Moyano et Luis Marín. Tous connurent la censure et la prison (plus de 300 fois dans le cas de Manuel Gerena !), certains la torture (Paco Moyano). Un au moins y laissa sa vie : Luis Marín fut "accidentellement" renversé et tué à Madrid, en pleine Castellana, en 1977, par une voiture dont on ne retrouva jamais le conducteur. L’ enquête (si l’ on peut dire) fut opportunément close et l’ affaire rapidement classée (une mort qui rappelle étrangement celle d’ El Piki…). Nous reviendrons d’ ailleurs prochainement, dans notre rubrique "Archives sonores", sur les enregistrements de Paco Moyano et Luis Marín, qui, symptomatiquement, n’ ont pas connu les honneurs de la réédition, sauf partiellement dans une anthologie de la série "Cultura Jonda", grâce, comme toujours, à José Manuel Gamboa (Volume 15, "El compromiso" - Fonomusic).
Attardons – nous un instant sur la reprise, par Juan Pinilla, des "Coplas de don Manue" écrites et enregistrées "por Tangos del Titi" par Paco Moyano en 1978 (LP "Yo os canto", CFE ES 34128 – Juan Pinilla a d’ ailleurs eu la délicatesse d’ inviter pour l’ occasion le guitariste Paco Cortés, qui accompagnait déjà Paco Moyano en 1978). Il s’ agit à notre avis d’ un remarquable exemple de concision et de lucidité politique, en forme de constat sans fioriture d’ une situation, fréquent dans les letras traditionnelles. (cf : "Galerie sonore")
"¿ Digame usted don Manuel
Qué aprendió en la Gran Bretaña
Que el capital en España
Confia tanto en usted ?"
Estribillo
"¡ Hay que ver, quién te ha visto
Y quién te ve !
¡ Quién no viera pa no verte
Quién no viera don Manuel !
.........
"En un país liberal
Yo me dediqué a pensar
Qué es lo que había que cambiar
Para que no cambiara nada."
..........
"Mira que me hace a mí gracia
Esto no hay quién lo entienda
Que ahora nos venga esta menda
Con cuentos de democracia."
...........
"Que no nos vengan ahora
Con cuentos de democracia
Que ya no engañan a nadie
Después de tanta matanza."
Avec la permission de nos lecteurs, nous nous permettrons quelques commentaires malveillants. "Pa que no cambiara na" : quand Paco Moyano enregistre les "Coplas de don Manue", rien ne semble vraiment changer, au moins sur le plan politique. Les "vainqueurs" continuent à parader depuis leur outre - tombe du Valle de los Caídos (quand ils n’ ont pas le mauvais goût d’ avoir survécu et de continuer à sévir, comme M. Fraga), alors que les "vaincus" pourrissent toujours anonymement dans les fosses communes (la loi dite "de mémoire historique" a timidement changé la donne depuis quelques années, mais au vu du résultat des dernières élections législatives espagnoles, on peut parier sans risque que l’ amnésie historique va reprendre du poil de la bête). Avec en prime la croustillante facétie d’ un roi, ex protégé de Franco, promu au rang de sauveur puis de garant de la démocratie (pas de la République tout de même, il faut savoir dire stop).
Mais les choses sérieuses restant ce qu’ elles sont (le partage du gâteau), c’ est surtout sur les plans économique et social qu’ on s’ évertua à ne rien changer. "Que aprendió en la Gran Bretania". L’ école de Chicago et Milton Friedman, via la London School of Economics, et après quelques travaux pratiques confiés à d’ enthousiastes laborantins (Mme Thatcher, MM Pinochet, Reagan, Bush, Mulroney...) fit des adeptes dans notre belle Europe. Ce à quoi l’ Espagne n’ échappa pas, la "science" économique ayant ceci de particulier que, dans certains cas, l’ échec retentissant et répété de l’ expérimentation ne remet pas outre mesure en cause la validation des hypothèses théoriques, pourvu que le tiroir - caisse soit préservé. De bulles en "subprimes", de prêts à taux variable en "petits boulots", de privatisation en déréglementation, la misère et le chômage sévissent aujourd’ hui comme au beau temps d’ avant la "transition", et pas seulement en Espagne.
"Cuentos de democracia" / "Despues de tanta matanza". Une variante soft (pas tant que ça) et technologique, pour tout dire moderne, semble en passe de reprendre le flambeau du fascisme historiquement estampillé. Dans le rôle du parti unique, les "marchés", financiers et autres, qui ont ceci de bon qu’ ils sont anonymes (difficile de mener une grève générale contre les marchés, et encore plus de les pendre, surtout à l’ heure des transferts financiers informatiques automatisés). Dans celui de la trique, de l’ huile de ricin, ou de la terreur d’ Etat, au gré des changements de distribution, la peur du chômage, de la dette, des agences de notation (ça vient de sortir)... On m’ objectera sans doute que le fascisme historique fut une idéologie sauvagement et massivement assassine. Certes. Mais certaines idéologies économiques tuent aussi, de manière il est vrai moins salissante, mais efficacement et massivement. Non seulement dans notre florissante Europe (il suffit de visiter les abords du périphérique parisien ou des M30, 40, 50.. madrilènes), mais aussi, et pour l’ instant surtout, en Afrique, en Asie, en Amérique latine... Enfin, logiquement (cf : ci-dessus), la propagande n’ est plus d’ Etat, mais de Marché. L’ information a enfin été émancipée de la tutelle de l’ Etat, et doit son indépendance à son rachat par ces héros de la liberté de pensée que sont MM Bouyghes, Dassault, Lagardère... et leurs compères espagnols (sans oublier les "experts" en tout genre, grassement stipendiés par Tele Madrid, Inter Economía, TF1, Antenne 2, LCI... Ecourtons une liste aussi interminable que navrante). Nos attentionnés informateurs professionnels semblent adeptes des bonnes vieilles méthodes de la psychiatrie XIX siècle, telles que l’ aspersion d’ eau glacée et l’ électrochoc. Avec une inventivité et une dextérité qui forcent l’ admiration, de fraude aux arrêts de maladie en travailleurs clandestins sans papiers, de multirécidivistes en roms détrousseurs, de trou de la Sécurité Sociale en déficit (toujours abyssal) et triple A, de téléphériques en panne en virus de la grippe, il s’ agit de prévenir les accès de folie subite des électeurs tentés de ne pas voter comme il faut (le référendum français de 2005), ou de se montrer récalcitrants au parcours touristique et électoral auquel ils sont périodiquement conviés, de Scylla (MM Chirac, Sarkozy, Aznar, Rajoy...) en Charybde (MM Jospin, Hollande, Zapatero...) - cela dit, même s’ ils ne divergent, pour ce qui importe vraiment, que sur la manière d’ achever la bête, nous persistons à préférer les adeptes de l’ anesthésie progressive (les seconds) à ceux de l’ amputation rapide (les premiers). Dans les cas extrêmes, le menu peuple peut même aller jusqu’ à refuser opiniâtrement de se laisser faire les poches, et à le faire savoir dans la rue (en Grèce, en Espagne - merci à "Los indignados"...). Ce type de risque n’ est jamais à écarter, d’ autant moins que l’ arrogance des "vainqueurs" les pousse toujours immanquablement à en faire trop, selon l’ immortel aphorisme d’ Audiard : "les c..., ça ose tout. C’ est même à ça qu’ on les reconnaît". Les truands aussi. Certains même, sans doute par perfectionnisme et conscience professionnelle, "relèvent à la fois des deux catégories, véritable prodige", comme dirait Brassens.
Angelillo par Vázquez de Sola
On nous pardonnera cette légère digression, à notre avis utile, car destinée non seulement à établir l’ irresponsabilité frondeuse (et vice versa) du chroniqueur, mais surtout à souligner l’ actualité de textes qui revivent grâce au travail de Juan Pinilla. On peut d’ ailleurs s’ interroger sur l’ absence, parmi les jeunes cantaores, d’ émules des Menese, Gerena, Moyano, Marín...
Et la musique dans tout ça ? Rassurez - vous, "elle se porte à merveille". Juan Pinilla est un excellent cantaor, et ce deuxième album est à la hauteur du premier (cf : cette même rubrique). On retiendra en particulier la Cartagenera (adaptation d’ un fameux Taranto de Manuel Gerena : "Vergüenza tiene de darte / Si eres patrón de estas tierras / Que esté tan alta la hierba / Y el pueblo muerto de hambre / O las labras o las dejas") ; une extraordinaire Temporera personnelle, suivie de la Debla, version Tomás Pavón (adaptation par le cantaor de textes de Nietszche) ; la belle série de Fandangos de El Corruco de Algeciras, Macandé et Manuel Vallejo (textes républicains anonymes) ; les Siguiriyas de El Nitri et El Marrurro, et la Cabal de Silverio Franconetti, ensemble très "maireniste" (textes de José Heredia Maya, Francisco Moreno Galván et anonyme pour la Cabal - "Abrasé la tierra, que no quiero vivir...") ; et les Peteneras (textes de Ché Guevara et Luis Marín). Mais les Bulerías (textes de Gregorio Marañón, Edgard Allan Poe et Franz Grillparzer), les Mirabrás (anonymes, le fameux "A mí qué me importa que un rey me culpe...", naturellement), et surtout les Tanguillos gaditans et très carnavalesques (pour une adaptation de citations de Groucho Marx, c’ est bien le moins) valent aussi largement le détour.
A l’ exception des Tangos (guitare : Paco Cortés), des Siguiriyas (guitare : Rafael Rodríguez) et de la Temporera suivie de la Debla (a capella), tous les cantes sont accompagnés par Josele de la Rosa, que nous confessons ne pas connaître, mais qui gagne à être connu : un jeu sobre, musical, et très attentif au cantaor.
Chacun à leur manière, ces deux disques vous rendront plus intelligent. Pour nous, ils compteront parmi les rares albums récents de cante que nous réécouterons souvent par plaisir, et non par simple devoir professionnel.
Claude Worms
Galerie sonore
Jesús Corbacho : "Mala gitana" (Soleares de Triana) - guitare : Manuel Parrilla
Juan Pinilla : "Don Manuel" (Tangos del Titi) - guitare : Paco Cortés
Paco Moyano : "Coplas de don Manue" (Tangos del Titi - extrait du LP "Yo os canto", CFE ES-34128, 1978) - guitare : Pedro Escalona & Paco Cortés
Merci au Chroniqueur (qui mérite bien sa majuscule) de nous offrir de telles digressions si justes tant au niveau du fond que de la forme !
On en redemanderait si le coeur du sujet n’était pas si sombre...
Merci
Merci pour ce post et la qualité des images. Des blogs comme celui-ci, avec une telle qualité rédactionnelle sont vraiment rares.
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