"Ecoute" : un film de Anne Grange et Miroslav Sebestik

dimanche 30 septembre 2007 par Claude Worms

DVD : JBA Production / Arte Vidéo

Toute musique ne prend sens que par le travail d’écoute de l’auditeur. Que se passe-t-il quand nous écoutons ? Comment interviennent notre histoire personnelle, notre environnement culturel… ? Ce documentaire exceptionnel de Miroslav Sebestik ne prétend pas épuiser cette problématique, mais en multiplier les approches au travers des interventions toujours passionnantes et parfois polémiques de compositeurs, interprètes, pédagogues, musicologues, psychologues, sociologues, psychologues, preneurs de son… Loin de toute pédanterie, les propos des uns et des autres sont accessibles à tous les amateurs de musique de bonne volonté. Il s’agit d’autre part d’une véritable œuvre cinématographique : photo et bande son de grande qualité, montage très créatif… Plutôt que de nous livrer à une exégèse fastidieuse, nous préférons laisser la parole à quelques protagonistes. Les propos qui suivent ont été choisis parce qu’ils entrent particulièrement en résonance avec notre expérience du flamenco, mais d’autres, tout aussi stimulant, portent sur la musique "classique", le jazz, la musique contemporaine, les musiques de tradition orale, le rock… Il n’y a pas que le flamenco qui puisse enrichir votre vie…

1) L’écoute et la culture

"Un enfant est exposé à une musique dans sa culture, et réussit à comprendre la nature de cette musique, à attendre que ça se passe d’une certaine manière ou d’une autre. Donc, il y a une sorte d’acquisition complètement automatique par la simple exposition à un environnement sonore qui est structuré. Et cette structure est très complexe." (Stephen Mc Adams. Psychologue). "Un enfant pratique sa langue avant de l’étudier. On possède une langue, et c’est seulement après qu’on apprend à la lire, à l’écrire, qu’on apprend sa grammaire. Je pense qu’il faudrait rigoureusement quelque chose de parallèle en musique." (Angélique Fulin. Pédagogue). "La musique est structurée. En comprenant au fur et à mesure la structure, ça donne lieu à des attentes, qui vont réaliser la partie de la structure qui n’est pas encore jouée. Cela veut dire qu’on a des connaissances, qu’on appelle en psychologie connaissances abstraites, sur les systèmes musicaux, sur les formes qu’on rencontre habituellement…" (Stephen Mc Adams). "C’est à partir de la langue maternelle que nous avons acquise depuis l’enfance (…) que nous sommes capables de sentir les nouveautés. Quand cette langue de base est complètement balayée, et qu’on entre dans une musique construite tout autrement, les innovations ne sont plus des innovations, tout est gris ." (Robert Frances. Psychologue).

"On a une sorte de sculpture, on enlève les chose qu’on ne comprend pas, on forme les choses qu’on comprend selon notre expérience, et ça créée un objet qui a un sens, même si cet objet-là n’existe pas." (Stephen Mc Adams). "On en veut toujours plus dans cette écoute. Cette exigence conduit à de plus en plus d’efforts, avec cette sensation très désagréable, qui est qu’ on a l’impression de rater d’avantage chaque jour quelque chose, qu’on n’a pas été assez ouvert, assez disponible pour quelque chose qui a échappé, et qui a échappé définitivement." (Michel Fano. Cinéaste et compositeur). "Cette technique vocale, ou disons cette esthétique musicale, ne se pratique pas en Occident, si ce n’est dans le flamenco. Par conséquent, il n’est pas étonnant que ce type de monde se soit fabriqué dans un petit contexte géographique, dans un lieu déterminé qui est le sud de l’Andalousie. Il n’est pas étonnant que le reste du public, qui a une écoute très occidentale, ne puisse comprendre quand on produit ou reproduit une musique pour laquelle manquent des formules, ou une "oreille", ou une écoute orientale." (Pedro Bacán. Guitariste et compositeur).

2) L’ethnomusicologue

"(…) or, ils ne l’expliquent pas (leur musique), ils la jouent." (Vincent Dehoux. Ethnomusicologue). "Ils disent : "quand on chante bien, ça sort". Si je suis musicologue, il faut au moins que j’entende comme eux, parce que sinon, je ne fais pas mon métier (…). Et c’est donc une affaire qui a été conduite en collaboration avec les chanteurs. Ce sont eux qui dirigent la problématique, moi, je ne fais que suivre. Et de proche en proche, comme ça, on épouse un peu leur esthétique. Et puis, pour ça aussi il y a d’autres astuces : par exemple, il faut chanter avec eux, il faut vivre avec eux, il faut comprendre ce qui se passe.(…) L’écoute musicale, dans notre cas, se nourrit de l’expérience des autres. (…).
Quelquefois, ils ont une expression qui me plait bien. Ils disent : "la musique est trop belle". Et il faut vraiment prendre le mot au pied de la lettre. Pour eux, elle est presque dangereuse tellement elle est belle. Elle vous dépasse
littéralement, elle vous fait mal." (Bernard Lortat-Jacob. Ethnomusicologue.
A propos de choristes sardes).

3) La voix et l’instrument

"(…) Ce qui est l’élément chantant, c’est le parcours de Do à La. C’est ça qui représente l’intervalle sonore, et non pas simplement les points de départ et d’arrivée. Et c’est dans cet intervalle-là que se situe l’émotion musicale." (Chris Patet. Pianiste et pédagogue). "(…) la durée essentielle, c’est-à-dire celle du souffle, de la respiration, de la parole, du discours , bref, c’est le temps humain. Un temps humain qui s’étale sur une certaine durée qui est peut-être, d’une certaine manière, la durée de la vie. Bref, la voix est l’expression de la continuité mélodique aussi, sur le plan musical." (Philippe Manoury. Compositeur). "On est là, et puis on va travailler seulement sur l’énergie du dialogue, du rapport public / chanteuse. Et c’est là où se passe la chose la plus physique qui soit, c’est - à -dire que ce sont des entrailles qui s’adressent aux entrailles du public. C’est vraiment du théâtre à l’état pur.(…) Les mots ridiculisent tout ça. Communication bien sûr, communication intime… tout ce qu’on voudra… C’est tellement érotique. C’est très émouvant (…) Les choses reviennent tellement, et souvent dans les silences, c’est vrai …" (Claudine Le Coz. Soprano. A propos d’une répétition d’un lied
d’ Hugo Wolf).

"Le chanteur ne s’entend pas, ce qui est une différence notable entre le travail du chanteur et le travail du pianiste, ou de tout autre instrumentiste. Et donc, il sollicite constamment une oreille extérieure, que ce soit conscient ou non. C’est effectivement ce qui rend nos rôles assez dissymétriques. (…) Au moment du concert (…), c’est un jeu de va-et-vient qui produit d’ailleurs, sur un plan strictement technique, certains petits décalages que j’assume tout à fait dans un concert parce que c’est peut-être le prix pour que soudain quelque chose arrive."(Serge Cyferstein. Pianiste. A propos d’une répétition
d’un lied d’ Hugo Wolf). "Très souvent, il rate une note. La façon dont il va immédiatement exploiter cette "fausse" note, qui va devenir une sorte de base à un parcours encore inattendu, est absolument…" (Michel Fano. A propos de Thelonious Monk). "Il y a un geste visuel qui renseigne inconsciemment l’auditeur sur une certaine qualité du discours qui va suivre." (Philippe Manoury). "Je ne veux pas savoir ce que je vais faire. Je saute sur scène et je joue. Bien sûr, j’aime connaître la forme de la musique que je joue.(…) J’offre au public ce que vaut ma vie, mon expérience." (Johnny Griffin. Saxophoniste et compositeur).

Claude Worms





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