Claude Worms : "8 pièces pour guitare flamenca. Hommage à José Peña"

jeudi 27 décembre 2012 par Louis-Julien Nicolaou

100 pages / texte bilingue français et espagnol / solfège et tablature / CD - éditions Combre, 2012

Claude Worms n’ est plus à présenter, il est le principal initiateur et animateur de Flamencoweb.fr et son érudition, sa générosité et ses talents de pédagogue vous sont certainement bien connus. C’ est avec la même admiration que nous ont déjà inspirée ses articles, chroniques, relevés de tablatures et recueils divers – eh oui, cet homme fait beaucoup pour le flamenco – que nous avons abordé les partitions de ces huit pièces composées par lui. D’ emblée, nous avons été frappé par la grande clarté, la cohérence de cette musique. Tout ce que l’ introduction promet est fidèlement respecté. Ainsi chaque portée de ce recueil porte-t-elle la marque des intentions pédagogiques et esthétiques de son auteur. Soucieux d’ ouverture, Claude Worms a opté pour une écriture permettant à des guitaristes non-initiés au flamenco d’ aborder ces huit pièces. Par conséquent, les séquences de rasgueados et d’alzapúa sont très réduites, et le trémolo négligé, au profit d’ une technique essentiellement caractérisée par les arpèges et le jeu au pouce. Cette restriction n’ entame pas pour autant le caractère flamenco d’ une musique qui évoque souvent celle du regretté Pedro Bacán ou de José Luis Montón, non seulement par ses arpèges, mais aussi par l’ harmonie qu’ elle privilégie. Par ailleurs, en choisissant de découper nettement les compositions en un certain nombre de falsetas, Claude Worms a offert au guitariste la possibilité de piocher les séquences qui lui sembleront utiles pour les incorporer ensuite à d’ autres séquences, geste couramment pratiqué par les flamenquistes.

Une autre cohérence est à l’ œuvre, celle qui rattache la partie au tout. En effet, la musique ici transcrite témoigne d’ un effort de synthèse qui nous paraît tout à fait caractéristique de la flamencologie (on n’ ignore pas que le mot le fait sourire) telle que l’ entend Claude Worms. A la fois sophistiquées et abordables, naturelles aux doigts et demandant une grande précision rythmique, les falsetas convoquent subtilement un réseau assez large de références (de Sabicas à Paco de Lucía en passant par Serranito, Enrique de Melchor, Rafael Riqueni et bien d’ autres) tout en produisant une musique neuve. Dans la conclusion de la première falseta por Soleá, Claude Worms emprunte par exemple une suite harmonique à Sabicas (Sol M/D – Do6 – Fa7-5dim – Mi) et un arpège en triolets dont il modifie quelques notes, assez peu pour que la référence soit clairement rappelée, et suffisamment pour que cette conclusion se fonde harmonieusement dans l’ensemble de la Soleá.

Partout, le respect de la tradition se conjugue à la finesse mélodique et à l’ exploration de sonorités délicates. Le choix des palos en témoigne, la virtuosité rythmique est moins à l’ honneur que l’ harmonie et la mélodie. Ni Tangos ni Bulerías ici, mais huit pièces évolutives privilégiant des formes libres aux conclusions rythmées, parfois inattendues, comme ces Granaínas qui s’achèvent en Fandangos de Huelva tout en conservant l’ harmonie en Si, ou encore cette Soleá démarrée por arriba et qui se poursuit en Soleá por Bulería exécutée por medio. Dans ce dernier cas, le changement de tonalité s’ amorce naturellement, grâce à une progression harmonique ingénieuse (La7/Sib – Rém – Sol – Do – Lam – Ré7/Fa # – Do7/Sol – Fa /La – Sib, puis la cadence ordinaire de la Soleá por medio : Do – Sib – La). Plus originale encore est la suite de palos peu courants intitulée Norteñas, dans laquelle s’enchaînent Mariana, Farruca et Garrotín, ces deux derniers rassemblés par l’ origine extra-andalouse qui leur est commune. Sur un compás de Tiento, ce long morceau évolue harmonieusement, passant d’ une tonalité de Mi mineur à une tonalité de La Majeur, une nouvelle fois sans le moindre heurt. La Farruca, toute en majesté, dissonances déchirantes et brefs éclairs d’ espoir, est d’ une grande beauté. Enfin, la conclusion de cette brillante composition est des plus énigmatiques : l’ arpège de La mineur, en soit inattendu puisque la tonalité du Garrotín est majeure, reste irrésolu, en suspens sur une septième majeure a priori incongrue, mais porteuse d’ assez de mystère pour donner aussitôt envie de reprendre ces Norteñas à leur commencement.

Plus conventionnelle en apparence, la Malagueña progresse, comme le veut la tradition, vers un compás de Verdiales. Mais son harmonie est loin de suivre les sentiers battus. Dès les premiers arpèges, des dissonances inhabituelles viennent caresser l’ oreille, résultat d’ accords enrichis de septièmes et neuvièmes majeures ainsi que de quartes et quintes augmentées : Ré9M7 – Do9M7 – Sib9 – Lam4+ – La4+/Si – Do9 – Do95+/La – Rém (une fois encore, on notera une référence discrète, l’accord de Lam4+ ne pouvant qu’ évoquer celui arpégé par Manolo Sanlúcar en introduction de sa merveilleuse Rondeña, Oración). Ce n’ est que bien tardivement, et brièvement, que surgira la cadence obligatoire, Lam – Sol – Fa – Mi. Encore est-elle subvertie par un long appui sur un Fam9, quand un Fa majeur était attendu. Plus loin, à la troisième falseta, une rupture tonale se produit brusquement, avec un passage en La majeur assez déconcertant (on se croirait alors parti en Guajira) qui prélude à une alternance basses-aigus caractéristique de la Malagueña, elle-même préparant le passage en Verdiales.

De même, que la Malagueña, l’ Alegría suit un schéma « à l’ancienne », avec un silencio en mode mineur précédant une escobilla. Par contre, la Guajira comprend une longue introduction en Petenera, ce qui n’ a rien d’ obligatoire et semble simplement répondre à l’ inspiration du compositeur. Là encore, le passage d’ une tonalité de la mineur (Petenera) à une tonalité de La Majeur (Guajira) et l’ abandon d’un style quasi-libre pour un rythme à trois temps s’ effectuent néanmoins d’ une manière toute naturelle. Enfin, les deux dernières pièces, Taranta / Taranto et Sevillanas s’ inscrivent plus nettement dans des formes canoniques.

A travers ces brefs éléments d’ analyses, on aura compris que, selon Claude Worms, un professeur digne de ce nom n’ a pas seulement pour tâche d’ enseigner à ses élèves la technique, les rythmes et les sentiments des différentes formes flamencas. Il se doit encore, et peut-être est-ce là l’ essentiel, de montrer la voie, de se constituer en exemple. La tradition flamenca exige de l’ interprète la connaissance et le strict respect des palos, mais elle lui impose également de se montrer novateur. Quelle que soit la discipline qu’il aura choisie, un artiste flamenco complet devra toujours être tourné vers ces deux directions, le passé (la tradition) et l’ avenir (l’ expérience). C’ est précisément ce qui est accompli ici avec autant d’ humilité que de panache.

Louis Julien Nicolaou

Galerie sonore

Claude Worms : Soleá / Soleá por Bulería


Soleá / Soleá por Bulería




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