Diego del Gastor / Mario Escudero / José Luis Montón

mercredi 3 décembre 2008 par Louis-Julien Nicolaou

Mario Escudero : "Gloria de la guitarra flamenca" - Editorial Acordes Concert, 2008

Diego del Gastor : "Etude de style" - Editions Play-Music Publishing, 2008

José Luis Montón : "Maestros contemporáneos de la guitarra flamenca, vol. 2" - Editions Combre, 2008

Véritable rayon de soleil andalou que ces trois nouveaux cahiers de partitions. Ils nous arrivent par ces tristes journées d’automne où, plus que jamais, dans nos pluvieuses contrées, on peut être tenté de trouver incongrue l’idée de jouer de la guitare flamenca. A ceux que cette idée effleurerait, on ne saurait donc trop recommander l’inscription de ces recueils sur les listes de Noël. Il faut dire que l’infatigable Claude Worms nous a particulièrement gâté en s’attelant à transcrire au plus près la musique de trois guitaristes à la fois indispensables et mal connus de ce côté-ci des Pyrénées. Chacun d’eux possédant un style absolument singulier, il y en a pour tous les goûts, mais aussi, et c’est probablement là que réside le principal intérêt de la quasi simultanéité de ces publications, pour tous les niveaux.

Génie inclassable, Diego del Gastor fut l’inventeur de son propre style, qui repose essentiellement sur une conception monodique de la musique flamenca, un jeu presque limité au pouce et une science sûre du compás. Le recueil qui lui est consacré est assurément celui qui conviendra le mieux aux

guitaristes les moins expérimentés, non que la musique de Diego soit simple à comprendre ou à restituer, mais elle n’impose pas de difficultés techniques particulières et ne repose pas sur une harmonie complexe. Le choix de l’illustrer par une succession de falsetas généralement courtes est très judicieux et parfaitement cohérent. En effet, à la différence de Sabicas ou de Mario Escudero, Diego del Gastor a moins cherché à composer des pièces musicales formant une totalité qu’à se spécialiser dans l’accompagnement du cante. C’est donc dans la concentration de la falseta « de transition » que son art est le mieux exposé. Là s’y expriment pleinement sa malice, sa façon inimitable de modeler les tempi selon son inspiration et de faire tourner sur plusieurs mesures et en jouant avec les décalages d’accents, une mélodie réduite à quelques notes.

Inutile de chercher dans ce recueil une grande variété de palos. Diego del Gastor ayant surtout brillé dans les styles les plus fondamentaux, on trouvera ici transcrites des falsetas por Soleá, Siguiriya, Alegría et Bulería. Il s’agira donc de (re)venir à la tradition, mais à une tradition exploitée d’une façon très originale, ce qui, pour ceux qui penseraient avoir fait le tour de la question (mais qui oserait le prétendre ?), se révélera certainement une expérience jubilatoire.

On ajoutera qu’en complément au CD contenant l’intégralité des falsetas transcrites, les explications limpides fournies par Claude Worms constituent une aide précieuse. Des formules telles que « contrôle mélodique du compás » sont ainsi utiles pour bien comprendre la singularité du jeu de Diego del Gastor. Au final, il est évident que ce recueil exceptionnel mérite de conquérir un public très large.

Le livre de partitions consacré à Mario Escudero s’adresse à des guitaristes au niveau plus élevé. Impossible en effet de s’attaquer à des compositions comme « Fiesta de Cádiz », « La Palmera » ou « La grupa de mi

jaca » sans posséder une technique solide. On recommandera donc d’aborder en un premier temps la Taranta ou la Rondeña, très inspirée de celle de Ramón Montoya. Ces deux compositions sont d’ailleurs superbes et mettent en valeur la richesse mélodique et une certaine douceur d’attaque assez rare chez les guitaristes flamencos. Escudero compte en effet parmi les rares solistes qui ont su allier la virtuosité à la rondeur du son et respecter la tradition sans renoncer à l’enrichir mélodiquement et harmoniquement. En ceci, probablement n’est-il comparable qu’à Sabicas, son illustre contemporain. Avec ce dernier, Escudero a d’ailleurs enregistré plusieurs disques, aujourd’hui introuvables en France, tout comme l’ensemble de sa discographie. On ne saurait donc trop se réjouir de la parution de ce recueil et du disque qui l’accompagne. Ils permettent notamment de découvrir l’enregistrement original d’ « Impetu », la fameuse Bulería reprise par Paco de Lucía sur « La fabulosa guitarra » et, plus récemment, par Gerardo Nuñez. Ce chef d’œuvre, qu’il faut ranger aux côtés de la « Guajira de Lucía » ou des « Panaderos flamencos » d’Estebán de Sanlúcar, est à la fois un morceau d’étude absolument essentiel et une composition magnifique, dans laquelle Escudero se réapproprie certains motifs de Manuel de Falla et prouve que le flamenco peut largement rivaliser avec la musique classique et produire des œuvres dignes des « Recuerdos de la Alhambra », « Asturias » et autres « Caprice arabe »
.
A l’inverse du livre consacré à Diego del Gastor, on trouve dans ce recueil une grande variété de styles et des compositions transcrites dans leur intégralité. Le programme, qui ravira tout guitariste cherchant à enrichir son répertoire, est parfaitement équilibré entre palos légers et palos plus jondos : Alegría, Granaína, Guajira, Rondeña, Rumba, Soleá, Zapateado, Taranta et Bulería. Les transcriptions, comme toujours impeccables, sont particulièrement bien présentées. Ainsi, le choix de répartir les portées le plus souvent possible en quatre groupes par pages (au lieu de cinq, comme le font systématiquement les Editions Combre et les Editions Play Music) rend la lecture facile et agréable. Et si l’on peut regretter l’absence de notes explicatives sur le jeu d’Escudero et sur ses principaux procédés compositionnels, une émouvante interview du maestro à la fin du disque donne encore plus de prix à ce recueil.

Mieux connue que celles de Diego del Gastor et de Mario Escudero, la musique de José Luis Montón n’avait pourtant jamais été transcrite. Ce recueil rend donc justice à un grand guitariste en proposant un choix très étendu de ses compositions. Le style de Montón est particulier et peut dérouter. Ayant

un jeu très propre, une technique et un compás infaillibles, il lui arrive de manquer de feu et de verser dans des suites d’accords jazzy un peu faciles arrangés à la sauce « world music ». Ce travers est fréquent en flamenco et résulte souvent de compromis avec les maisons de disques, mais en ce qui concerne José Luis Montón, c’est plutôt une affaire de goût. Il reste que l’essentiel de son apport au flamenco n’est pas là mais dans sa capacité à tourner autour d’un palo ou d’un compás d’une manière très savante et délicate. Alors que certains, comme Diego del Gastor s’inscrivent résolument dans le palo et tire le maximum de musique possible de motifs extrêmement réduits, Montón suit une direction exactement inverse, il s’écarte, il bifurque tout en laissant toujours le schéma traditionnel vibrer à la limite de sa musique. Une telle stratégie est hautement risquée et témoigne d’une profondeur artistique rare. Elle peut donner naissance à des compositions exceptionnelles, comme « Nubes », cette Farruca que le guitariste interprète souvent en concert et qui semble lui être particulièrement chère. Les audaces harmoniques et le privilège accordé aux « sonidos negros » sont une autre constante chez Montón. Ils s’illustrent ici dans des pièces comme la Minera « Pequeñas memorias » ou la Soleá « Tío Miguel ». Certains morceaux rythmés comme la Bulería « Firuleta » sont également d’un grand intérêt, même si ce n’est peut-être pas là que le guitariste se révèle le plus original. Enfin, la transcription de thèmes comme « Aroma » ou « Manantial », qui ne peuvent être rattachés à des palos connus, constituent de beaux morceaux de concert.

Au final, ce recueil comble de manière magistrale le vide en matière de transcription qui affectait jusqu’alors la musique de José Luis Montón. En présentant quinze titres tirés des cinq albums enregistrés par le guitariste, il offre un panorama étendu et varié de son œuvre. Si l’on regrettera une nouvelle fois l’absence de table des matières qui rendrait l’accès aux partitions beaucoup plus facile, on appréciera la qualité des notes expliquant les principales caractéristiques du style de Montón et des pages consacrées à sa biographie et à sa discographie.

Trois recueils, trois guitaristes majeurs, trois registres totalement différents et requérant des niveaux techniques différents, franchement, pouvait-on rêver d’un meilleur moyen de quitter notre grisaille septentrionale pour nous évader vers la terre promise andalouse ?

Louis-Julien Nicolaou





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