vendredi 19 octobre 2007 par Claude Worms
Biographies de deux maîtres du cante
La biographie et l’ oeuvre de Tomás Pavón (1893 - 1952) et de Manuel Fernández Moreno "Sernita de Jerez" (1921 - 1971) ont de nombreux points communs : disparition prématurée ; reconnaissance tardive, voire posthume, hors un cercle restreint de professionnels et d’amateurs éclairés ; style sobre et d’une grande musicalité ; timbre vocal clair et tessiture étendue ; phrasés très lisibles et fondés sur une maîtrise de la respiration exceptionnelle ; encyclopédisme...
On notera cependant quelques différences marquantes. Si leur discographie est également (et scandaleusement) réduite, c’ est, dans le cas de Tomás Pavón, la conséquence de l’ aversion qu ’il entretenait pour les studios d’ enregistrement, comme d’ ailleurs pour les spectacles publics ( auxquels il préférait nettement les réunions privées en petit comité). La carrière de Sernita s’ est au contraire totalement identifiée aux tournées avec des troupes de baile renommées (essentiellement celles de "Susana y José", puis d’ Antonio el Bailarín), et avec les tablaos madrilènes (le "Duende" notamment). Si les producteurs de l’ époque se soucièrent peu de l’ enregistrer, c’ est que sa voix et son répertoire semblaient trop différents des stéréotypes qui définissaient, pensait-on, le "cante jerezano". Outre les cantes habituels du lieu (Siguiriyas, Soleares, Bulerías, Soleá por Bulería...), Sernita interprétait avec une égale virtuosité les "cantes de Cádiz" transmis par Aurelio Sellés (Alegrías, Malagueña del Mellizo), la Serrana, la Caña, le Polo, la Taranta, les Fandangos de Frasquito Yerbabuena..., bref, un répertoire peu familier de ses collègues jérézans (à l’exception, bien sûr, d’ Antonio Chacón, et d’ artistes atypiques tels "Cobitos", Luisa Raquejo, ou, actuellement, Manolo Simón). Le style de Tomás Pavón était au contraire en parfaite adéquation avec celui de l’ école sévillane.
José Manuel Gamboa se penche sur le "cas Sernita" avec son talent coutumier. Après "Una historia del flamenco" (Espasa Calpe/ 2005), d’ écriture très cinématographique (flashbacks et gros-plans compris), cette biographie est construite sur la transcription de témoignages croisés de parents (notamment le guitariste Curro de Jerez, fils de Sernita) et de collègues (entre autres Chano Lobato), ponctués en "voix off" par les commentaires érudits de l’auteur. Si les témoignages ne vont pas sans redites, leur rythme ravira les lecteurs familiers des interminables tertulias andalouses. Comme d’ habitude, José Manuel Gamboa s’attarde à juste titre dans ses commentaires sur les conditions socio-économiques de la production flamenca. On appréciera ainsi particulièrement les informations sur l’ apprentissage de la guitare (Curro de Jerez), la vie quotidienne dans les troupes de baile et les tablaos des années 1950 / 1960, les séances d’ enregistrement (en particulier celles du mythique "Canta Jerez"), la sujétion aux caprices des notables payant plus ou moins généreusement les artistes convoqués à leurs fêtes privées...
L’ ouvrage est complété par un CD comportant des photographies en montage vidéo, et surtout sept cantes inédits (format Mp3) enregistrés à Zurich en 1957 au domicile de Susana et Antonio Robledo (guitare : Paco Hernández) : témoignages d’ autant plus précieux que la discographie de Sernita est malheureusement dispersée sur divers CDs anthologiques : "Denominación de origen" (Hispavox, collection "Quejío" : Soleá por Bulería et Saeta) ; "Canta Jerez" (EMI, collection "Historia del flamenco" : Cabales, un seul cante, mais un chef d’oeuvre) ; et "Grabaciones históricas. vol. 45" (Universal). Seule exception à cette situation, l’ album indispensable consacré à Sernita par "El flamenco Vive" (El Flamenco Vive),compilé d’ ailleurs par José Manuel Gamboa. Signalons enfin aux heureux acquéreurs de ces enregistrements qu’ ils trouveront dans le livre les textes des coplas et des analyses de tous les cantes de Sernita.
Spécialiste des biographies d’ artistes sévillans (on lira notamment, du même
auteur, de très intéressants ouvrages sur La Niña de los Peines et Manuel Vallejo), Manuel Bohórquez Casado consacre à Tomás Pavón un livre divisé en deux parties. La partie biographique est un développement du chapitre concernant le cantaor inclus dans "La Niña de los Peines en la Casa de los Pavón" (Signatura Ediciones / 2000). La seconde partie est une analyse très précise de la totalité des cantes enregistrés par Tomás Pavón, complétée par les textes des coplas. On saura gré à l’ éditeur d’ avoir inclus dans l’ ouvrage un CD reprenant la discographie intégrale du cantaor, préférable à l’ album édité jadis par Planet Records (car plus complète, et avec une remastérisation de meilleure qualité).
A l’audition du CD, on ne peut que partager le jugement de l’ auteur : "Nunca en tan poca pizarra se había hecho tanto" (mais cette opinion vaudrait aussi pour Aurelio Sellés, La Repompa, El Perrate, El Viejo Agujetas, El Borrico, El Chaqueta, Bernardo el de los Lobitos..., et, malheuresement, "un largo etcetera").
José Manuel Gamboa : "Sernita de Jerez : vamos a acordarnos !"
Manuel Bohórquez Casado : "Tomás Pavón : el Príncipe de la Alameda"
Edición Pozo Nuevo
Claude Worms
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