En 1861, soit vingt ans avant l’ouverture du Café de Silverio à Séville, la Guía del viajero en Málaga de Benito Vila recommande le Café del Sevillano, situé en plein centre de la ville rue des Siete Revueltas. Il figure dans les éditions postérieures jusqu’en 1882. Comme la plupart des Cafés cantantes de l’époque, il ne programme pas exclusivement des spectacles de flamenco, mais Juan Breva y fait ses débuts en 1865. Suivront Antonio Chacón, El Maestro Ojana, El Canario, La Macarrona, El Raspao, etc...
Café de la Loba, plaza de la Constitución
... Plaza de la Contitución, le Café de la Loba, un restaurant ouvert dans les années 1830, présente un cuadro de baile à partir de 1877. Dès lors, de nombreux Cafés cantantes plus ou moins durables s’établissent autour de la place ou dans les rues avoisinantes. Les artistes prestigieux qui s’y produisent attestent leur renommée : Café de Chinitas (El Canario, Manuel Torres, Fernando "el de Triana", La Rubia, Pastora Pavón "Niña de los Peines", Cojo de Málaga, Antonio Chacón, Juan Breva) ; Café de España (Diego "el Perote", María "la Chilanga", Anilla "la de Ronda", Paca Aguilera, Cojo de Málaga, El Pena, Pastora Pavón, Fernando "el de Triana") ; Café sin Techo (la légende prétend que la première "Llave de oro del Cante" y ait été décernée à Tomás Vargas "el Nitri") ; Café de la Marina (Pastora Pavón) ; Café del Siglo (El Canario, El Canario "Chico "). Quelques autres établissements de moindre importance pour notre propos complètent une liste (Café del Turco, Café Universal, Café Suizo, Café de La Unión) qui démontre que Málaga fut dès le seconde moitié du XIXe siècle, derrière Séville, la deuxième capitale andalouse du cante professionnel.
En 1900, la ville comptait officiellement 130109 habitants, précédée de peu par Séville (148315) et loin devant Grenade (75900), Cadix (69382), Jerez (63473) et La Línea de la Concepción (31862). Surtout, elle fut à l’époque le deuxième centre industriel de l’Espagne, d’abord avec des usines métallurgiques, puis textiles (coton, lin et chanvre). La croissance industrielle, dominée par trois entrepreneurs (Manuel Domingo Larios y Larios, marquis de Larios, Manuel Agustín Heredia et Jorge Loring), est dynamisée par l’essor de l’activité portuaire et l’ouverture en 1865 de la ligne de chemin de fer qui relie Málaga à Cordoue, et de là au réseau ferroviaire espagnol. Logiquement, les syndicats sont plus puissants que partout ailleurs en Andalousie et les luttes sociales plus fréquentes, souvent menées par les ouvrières des usines textiles — la plus marquante est sans doute la grève générale de janvier 1918 initiée par des journalières agricoles et suivie par les dockers, les employés des transports, les maçons, les charpentiers, les typographes, les maréchaux-ferrants, et les ouvrières et ouvriers des usines. Des entreprises familiales de transformation des productions agricoles, parfois de taille industrielle (sucre), forment avec des commerces florissants un tissu économique dynamique. Aussi les Cafés cantantes du centre de la ville peuvent-ils compter sur un public aisé, ce qui explique leurs installations souvent luxueuses et de généreux cachets aptes à attirer les vedettes du moment.
Plus à l’ouest, le quartier littoral de La Caleta accueille des ventas (ou "ventorillos"), établissements plus modestes, accessibles au public populaire. Certains, tels la Venta de la Trini, la Venta de Guijarro ou la Venta de Joselito, n’avaient cependant rien à envier aux Cafés cantantes quant à la qualité des cantaores qui s’y produisaient. Ils attiraient des artistes de passage en quête d’un cante plus "authentique" (Isaac Albéniz, Arthur Rubinstein, Julián Gayarre, etc.). Un siècle plus tard, tourisme aidant, ce sont les tablaos de la Costa del Sol qui rivalisent avec, cette fois, ceux de Madrid et de Barcelone. Là encore, leurs affiches font rêver. Il nous suffira d’évoquer la Gran Taberna Gitana (Málaga, fondée en 1963) et El Jaleo (Torremolinos, fondée en 1965). Les mêmes artistes ont souvent été programmés par l’un et l’autre : La Repompa, La Cañeta, Juana "la del Pipa", Porrinas de Badajoz, El Chaqueta, Terremoto, Fosforito, El Lebrijano, Camarón de La Isla, El Turronero, El Tiriri, Pepe Palanca, Miguel de los Reyes, Pepe Aznalcollar (chant) ; Manuela Carrasco, Mariquilla, El Farruco, El Güito, Manolete, El Carrete, Pepito Vargas, El Duende (danse) ; Juan Habichuela, Juan "el Africano", Paco del Gastor, Tomatito (guitare), etc. À la Pagoda Gitana de Marbella, dirigée par le cantaor Roque Montoya "Jarrito", on pouvait écouter Bambino, Gaspar de Utrera, José Mercé, El Indio Gitano et Rancapino. Bref, de quoi relativiser la réputation des tablaos qui ne seraient que les antres mercantiles du flamenco "pour touristes".
Venta Alegre / panda de verdiales "Los Calderones", 1946
1] Fandangos "abandolaos" et malagueñas
Le territoire flamenco rattaché à Málaga s’étend d’est en ouest sur le littoral de Vélez-Málaga à Estepona. Entre ces deux pôles, une zone montagneuse, fragment de la cordillère Penibétique, décrit un arc de cercle intérieur est -ouest de l’Axarquía à la vallée du Guadalhorce en passant par les Montes de Málaga et la Serranía de Ronda. On chercherait en vain un village de cette région qui ne possède pas sa propre variété de fandango. Tous sont des airs à danser dont la cellule rythmique immuable, identique à celle de la plupart des seguidillas et autres boleros, est un groupe de quatre mesures à 3/4 nommé "abandolao" dans la nomenclature flamenca. Les intermèdes instrumentaux sont en mode flamenco (mode de Mi à tierce instable, mineure ou majeure), les mélodies chantées modulant presque toujours à la tonalité relative majeure (Do majeur). Les plus connus sont les verdiales, initialement liés aux fêtes du solstice d’hiver qui clôt les campagnes de récolte des olives — le terme "verdeo" désigne la récolte des olives avant qu’elles ne soient totalement mûres, pour leur consommation et non pour la fabrication de l’huile. Actuellement, les fiestas de verdiales font l’objet d’une promotion touristique et animent les villages dès la fin de l’été. Les ensembles de verdiales (pandas) comptent de dix à vingt participants, danseuses, danseurs, chanteuses, chanteurs et instrumentistes (violon, guitares, parfois laúd, tambours sur cadre et crotales et sonnailles). Selon le tempo, la taille et la puissance des tambours, les figures rythmiques jouées par les crotales, le rôle plus ou moins prépondérant du violon et le tempo, on distingue trois styles principaux : estilo de los Montes, de Almogía et de Comares. Ce dernier se distingue nettement par une plus grande complexité des intermèdes instrumentaux, avec un jeu contrapunctique entre la guitare et le laúd — seules les pandas estilo Comares comportent cet instrument. Bien qu’ils soient liés à d’autres fêtes du calendrier agricole et/ou liturgiques, de nombreux autres fandangos folkloriques notables s’apparentent aux verdiales par leur structure et leur accompagnement instrumental — notamment ceux de Gaucín, Casares et Álora.
Panda de Benagalbón, Panda "Raíces de Almogía", Isabel Marín Ranea : verdiales, estilos Montes, Almogía et Comares
Verdiales, estilos Montes, Almogía et Comares
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Asociación folklórica cultural Juan Navarro Castillo del Águila, panda casareña et Ana Pineda, Antonio de Canillas : fandangos de Gaucín, Casares et Álora
Fandangos de Gaucín, Casares et Álora
Antonio de Canillas/Sabor a Málaga (2014)
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La Jimena : fandangos de Coín
La Jimena : fandangos de Coín
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Juan Breva
C’est à partir de ce répertoire folklorique qu’ont été élaborés des cantes destinés à être écoutés, et non à accompagner la danse. Une fois de plus, Serafín Estébanez Calderón "el Solitario" nous livre de précieuses informations sur ce processus dans ses Escenas andaluzas (1846) :
"Parmi les choses qu’elle (une gitane nommée La Dolores — NDR) a chantées, deux surtout ont été louées. L’une était la malagueña dans le style de La Jabera [...] Tous ceux qui avaient entendu La Jabera lui ont fait un triomphe. Ils disaient et assuraient que ce qu’avait chanté la jeune gitane n’était pas la malagueña de cette célèbre chanteuse, mais bien quelque chose de nouveau avec d’autres intonations, une chute différente et de plus grande difficulté et qu’en l’honneur de qui l’avait chantée avec une telle grâce, on aurait pu la nommer la Dolora. La copla commençait par une entame à la malaguène très liée et de grand style puis, après une relance sur les désinences du Polo Tobalo avec beaucoup de profondeur et une grande puissance de poitrine, concluait par un retour à l’intonation initiale par un mouvement ascendant : c’était quelque chose qui stupéfiait le public à chaque fois qu’il l’écoutait." — extrait de Asemblea general de los Caballeros y Damas de Triana, y toma de hábito en la Orden de cierta rubia bailadora (traduction de l’auteur).
Au milieu du XIXe siècle, la malagueña est donc un palo nettement individualisé, reconnaissable au moins par une entame spécifique commune à tous les cantes qui lui sont rattachés, dont le caractère générique peut être induit par l’expression "a lo malagueño" ("à la malaguène"). Parmi ces cantes, quelques-uns sont des compositions vocales indépendantes de l’accompagnement de la danse, identifiées par le nom de leur créatrice — ici La Dolores et La Jabera (il est impossible de savoir s’il s’agit d’un cante identique à celui que nous connaissons actuellement comme étant la jabera). Des connaisseurs friands de nouveautés sont capables d’en juger l’interprétation, essentiellement selon des critères de virtuosité vocale (longueur de souffle, puissance de l’émission, soutien des notes) qui impliquent une certaine professionnalisation. La nouvelle malagueña de La Dolores emprunte des traits à un autre cante, en l’occurrence au polo attribué à un certain "Tobalo" — ce type d’hybridation est en effet l’un des principaux procédés de la composition de cantes originaux. Même si la biographie de ce Tobalo reste obscure, les spécialistes s’accordent à situer sa naissance, peut-être entre 1758 et 1768, à Ronda. La ville semble effectivement avoir exercé un rôle important dans la configuration des premiers cantes abandolaos. Telles que nous les connaissons aujourd’hui, les rondeñas et la jabera partagent avec le polo une entame sur le sixième degré du mode flamenco sur Mi (note Do) qui souligne la modulation à la tonalité majeure relative, souvent suivie d’un mouvement de tierce ascendant, en notes conjointes ou non. Cette hypothèse est corroborée par le fait que le cantaor El Mochuelo ait enregistré en 1914 une jabera dont la letra est actuellement associée au polo : "A mí me pueden mandar / a servir a Dios y al Rey / pero dejar a tu persona / no lo manda la Ley").
Quoi qu’il en soit, le processus d’évolution et de différenciation des cantes abandolaos et des malagueñas à partir des verdiales et/ou d’autres fandangos folkloriques locaux est identique à celui des autres cantes ad.lib (ou "libres") : complexification du dessin mélodique, extension de l’ambitus et ornementation mélismatique — le tout impliquant un ralentissement du tempo, jusqu’au récitatif ou à l’arioso. Les premiers en date conservent cependant le rythme abandolao : pour le territoire flamenco malaguène, les rondeñas, la jabera et le cante de jabegote (du nom d’une barque de pêche locale, la jábega), peu distinct des rondeñas si ce n’est par le large saut d’intervalle ascendant de sa quatrième période mélodique (quatrième "tercio"). C’est le cas aussi des premiers cantes por malagueña désignés comme tels, des créations de Antonio Ortega Escalona "Juan Breva" (Vélez-Málaga, 1848 – Málaga, 1918). Juan Breva est incontestablement le premier grand créateur de malagueñas, mais il fut aussi l’un des cantaores les plus importants de son époque, réputé notamment pour ses soleares (dont l’une, personnelle, inspirée des soleares de Triana), ses peteneras (l’un des jalons de l’évolution des peteneras de baile aux peteneras "modernes" de José Rodríguez "Medina el Viejo" et Pastora Pavón "Niña de los Peines") et ses guajiras. Bon guitariste, il s’accompagnait lui-même, souvent en compagnie d’un partenaire virtuose qui jouait les falsetas et des contrechants, Paco "el de Lucena" et Ramón Montoya entre autres. Nous pouvons à coup sûr lui attribuer trois cantes, qu’il a d’ailleurs enregistrés lui-même en 1910, alors que ses facultés vocales étaient déjà très diminuées. Ses malagueñas restent totalement cadrées sur le rythme abandolao, et continuent d’ailleurs à être interprétées de cette manière, souvent en conclusion d’une série de malagueñas ad lib.
El Mochuelo / Manuel López : jabera, rondeña et polo
El Mochuelo : jabera, rondeña et polo
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Antonio de Canillas / Vicente "el Granaíno" / Juan Solano : rondeñas et cante de jabegote
Antonio de Canillas : rondeñas et cante de jabegote
Antonio de Canillas/El Canario Más Sonoro, Vol. 1 (2006)
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Juan Villodres / Antonio Vargas : jaberas
Juan Villodres : jaberas
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Juan Breva / Ramón Montoya : malagueñas personnelles
Juan Breva : malagueñas personnelles
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Paca Aguilera / La Trini
La génération suivante est marquée par les créations de Juan de los Reyes Osuna "El Canario" (Álora,1855 – Séville,1885) et de Trinidad Navarro Carrillo "La Trini" (Málaga, 1866 – Antequera, 1930 ?). Leurs compositions ont connu un tel succès que la malagueña est devenue dans les années 1880 – 1910 l’un des palos les plus appréciés et les plus enregistrés ; à tel point que nombre de soprano lyriques ("tiples") intégrèrent des malagueñas dans leurs programmes de concert, souvent avec accompagnement de piano — Elena Fons, Luz García Senra, Pura Martínez, Rosario Soler, etc. Si des malagueñas originales ont été créées hors du territoire flamenco malaguène (par Enrique "el Mellizo", Francisco Lema "Fosforito" et Antonio Chacón pour les plus connues), la majorité reste cependant une spécialité locale. Dans une nomenclature pléthorique et controversée, nous nous en tiendrons aux attributions les plus vraisemblables. Mais la rareté des informations biographiques que nous possédons montre à quel point elles restent douteuses : La Chirlanga (Málaga ? - ?), Antonio Ojana Cerón "Maestro Ojana" (Málaga ? - ?), Baldomero Pacheco (Málaga ? - ?), Juan de la Fuensanta Trujillo Gómez "el Perote" (Álora, 1864 - ?), Diego Beigveder Morilla "el Pijín", ou "el Perote" (Álora 1886 - ?), Cipriano Díaz Ramírez "Cipriano Pitana" (Cártama ? - ?), Joaquín Aranda Hidalgo "el Tabaco" (Álora, 1868 - ?) et José Beltrán Ortega "Niño de Vélez" (Vélez-Málaga, 1906 – 1976). Seuls Diego « el Pijín » et Niño de Vélez ont enregistré leur propre malagueña. Pour toutes les autres, il faut utiliser des sources de seconde main, les plus fiables — dans les limites de la transmission orale — étant les enregistrements de contemporains de ces créateurs présumés, qui ont pu les côtoyer dans tel ou tel Café cantante : Francisca Aguilera Domínguez "Paca Aguilera" (disciple directe de La Trini, Ronda 1877 – Madrid, 1913), Sebastián Muñoz Beigveder "el Pena" (Álora, 1876 – Málaga, 1956) et, dans une moindre mesure, Antonio Pozo Rodríguez "el Mochuelo" (Sevilla, 1871 - ?). On notera que dans ces enregistrements anciens, les falsetas et l’accompagnement de guitare restent marqués par le rythme abandolao originel, avec un rubato de plus en plus marqué.
Sebastián "el Pena" / Joaquín "hijo del Ciego" : malagueñas de El Canario
Sebastián "el Pena" : malagueñas del Canario
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Paca Aguilera / Román García : malagueñas de La Trini et malagueña personnelle
Paca Aguilera : malagueñas de La Trini et malagueña personnelle
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Antonio de Álora / Antonio de Almería : malagueña de La Chilanga
Antonio de Álora : malagueña de La Chilanga
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Manuel Vallejo / Miguel Borrull : malagueña de El Maestro Ojana
Manuel Vallejo : malagueña del Maestro Ojana
Manuel Vallejo/Obra Completa, Vol. 3 (2011)
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Sebastián "el Pena" / Joaquín "hijo del Ciego" : malagueña de Baldomero Pacheco
Sebastián "el Pena" : malagueña de Baldomero Pacheco
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Sebastián "el Pena" / Joaquín "hijo del Ciego" : malagueña de Diego "el Perote"
Sebastián "el Pena" : malagueña de Diego "el Perote"
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Diego "el Pijín" / Antonio Arenas : malagueña personnelle
Diego "el Pijín" : malagueña personnelle
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Antonio de Canillas / Manolo Sanlúcar : malagueña de Cipriano Pitana
Antonio de Canillas : malagueña de Cipriano Pitana
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Sebastián "el Pena" / Joaquín "hijo del Ciego" : malagueña de El Tabaco
Sebastián "el Pena" : malagueña del Tabaco
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Niño de Vélez / Eugenio González : malagueña personnelle
Niño de Vélez : malagueña personnelle
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Barrio del Perchel
2] Bulerías et tangos de Málaga
Le foisonnement des cantes abandolaos et des malagueñas dans toute la province de Málaga, et non seulement dans sa capitale (Vélez-Málaga, Ronda et Álora notamment), ne doit pas faire oublier les « cantes festeros » autochtones (tangos et bulerías) créés ou modifiés par les artistes gitans des quartiers de El Perchel (calle La Puente), La Cruz Verde (calle Los Negros) La Trinidad et El Molinillo : depuis la fin du XIXe siècle, Alfonso Pérez "El Porrilla", Antonio Fernández Cortés "El Montiño", Joaquín Vargas Soto "Cojo de Málaga" (Málaga, 1880 – Barcelone, 1940) et sa fille Francisca Vargas Gómez "la Paca" (La Línea de la Concepción, ca. 1900 - ?), Dolores Campos Heredia "La Pirula" (Málaga, 1915 – 1948), Miguel Quesada Falcón "Miguel de los Reyes" (Málaga, 1923 – 1999), Gabriel Campos Torres "el Tiriri" (Málaga, 1931 – 2015), Teresa Sánchez Campos "la Cañeta" (Málaga, 1936), Enriqueta de la Santissima Trinidad de los Reyes Porras "la Repompa" (Málaga, 1937 – 1959), Ángel Lavat Campos "Pepito Vargas" (Málaga, 1939 -2015), Rafaela de los Reyes Porras "la Repompilla" (Málaga, 1949), etc. On notera que ces patronymes soulignent le rôle déterminant des dynasties artistiques Soto, Vargas, Porras et Campos dans l’élaboration et la transmission de ce répertoire. D’autre part, de nombreux liens familiaux les unissent à d’autres lignées gitanes du Sacromonte (Grenade) et de La Línea de la Concepción (par exemple, Antonio "el Chaqueta", qui vécut calle La Puente était un neveu de El Montiño), ce qui explique pour partie le style de leurs bulerías et de leurs tangos.
El Cojo de Málaga avec Miguel López Triguero "Niño de Málaga"
El Cojo de Málaga, qui peut être considéré comme le patriarche de cette saga artistique, est à tous égards un cas singulier. Il fut l’un des grands cantaores-compositeurs de la première moitié du XXe siècle et forma avec Miguel Borrull un duo aussi célèbre que ceux formés par Antonio Chacón et Ramón Montoya ou par Pastora Pavón "Niña de los Peines" et Luis Molina. Il a enregistré en quelques années, de 1921 à 1929, quelques 134 faces de 78 tours (nous consacrons un autre chapitre à sa discographie). Curieusement, on y trouve peu de malagueñas, mais un grand nombre de cantes de mina, dont des compositions personnelles (cartagenera, levantica, murciana, taranta et taranto), peut-être parce qu’il commença sa carrière professionnelle dans les Cafés cantantes de Linares. De son répertoire encyclopédique, les générations postérieures d’artistes gitans malaguènes ont surtout perpétué les cantes festeros. C’est le cas notamment de La Pirula, qui n’a malheureusement jamais enregistré, mais dont nous connaissons les cantes par les disques de sa sœur cadette, La Repompa, et de sa fille, La Cañeta. Ainsi, un remate por bulería ("¿ Que quiere el pollo ... ?)", enregistré par El Cojo de Málaga en 1923 puis totalement disparu de la discographie flamenca, réapparaît inopinément dans une bulería de La Repompa en 1959. De même, on trouve dans la discographie de Miguel de los Reyes et de La Repompa le même cante por bulería issu d’une bulería por soleá attribuée à María "la Moreno" ("Dinero, dinero, dinero...") avec, au début de chaque tercio, des inflexions ascendantes identiques à celles des versions de El Cojo de Málaga et de Antonio "El Chaqueta". On notera enfin de nombreuses similitudes entre les répertoires festeros de La Pirula, La Repompa et La Cañeta d’une part, et ceux de cantaores "étrangers" d’autre part — et non des moindres : Porrina de Badajoz, Antonio Mairena, La Paquera, Fosforito, Camarón, El Lebrijano, etc. Dans le réseau inextricable des influences croisées, il serait illusoire de prétendre déterminer une quelconque antériorité indiscutable, mais il est évident que la veine "festera gitana" de Málaga s’est diffusée bien au-delà des cercles locaux.
La Repompa
Cojo de Málaga / Miguel Borrull : cartagenera, levantica, murciana, taranta et taranto
Cojo de Málaga : cartagenera, levantica, murciana, taranta et taranto
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Cojo de Málaga / Miguel Borrull : bulerías (1921 et 1923)
Cojo de Málaga : bulerías 1 (1921 et 1923)
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Cojo de Málaga / Miguel Borrull : bulerías (1924 et 1927)
Cojo de Málaga : bulerías 2 (1924 et 1927)
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Cojo de Málaga / Miguel Borrull : tangos-tientos et tangos "cubanos"
Cojo de Málaga : tangos-tientos et tangos "cubanos"
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Cojo de Málaga / Miguel Borrull : bulerías por soleá
Cojo de Málaga : bulerías por soleá
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Miguel de los Reyes / Antonio Martín Perea et Juan Doblones : bulerías
Miguel de los Reyes : bulerías
Miguel De Los Reyes Y Su Conjunto/Vintage Flamenco Rumba Nº6 - EPs Collectors (1958)
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Miguel de los Reyes / Antonio Martín Perea et Juan Doblones : tangos
Miguel de los Reyes : tangos
Miguel de los Reyes/Noches Bonitas de España (2015)
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La Repompa / Paco Aguilera : bulerías
La Repompa : bulerías
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La Repompa / Paco Aguilera : tangos
La Repompa : tangos
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La Cañeta / Chaparro de Málaga : soleares
La Cañeta : soleares
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La Cañeta / Chaparro de Málaga et Juani Santiago : bulerías
La Cañeta : bulerías
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El Chino
José Manuel Ruiz Rosa "el Chino" (Málaga, 1953 – Benalmádena, 1997), né lui aussi calle La Puente, a hérité ces cantes. Mais il fut, comme ses contemporains Enrique Morente et Camarón de la Isla, l’un des artistes flamencos les plus novateurs de sa génération. Son père adoptif, Juan "el Africano", lui ayant enseigné la guitare, il exerce indifféremment les métiers de cantaor et tocaor. Il est aussi compositeur et/ou parolier pour lui-même ou pour des collègues et amis, parmi lesquels Paco de Lucía et Camarón qui pensa le choisir comme guitariste avant d’opter pour Tomatito. Àprès avoir vainement tenté sa chance à Madrid, il fonde le groupe de rumba Arte 4, dans le style alors en vogue de Caño Roto, puis passe neuf ans au Vénézuéla, sans plus de succès. De retour en Espagne en 1987, il s’établit à Linares, toujours aussi obscur, mais remporte à la surprise générale le prix "Enrique el Mellizo" lors du Concurso Nacional de Arte Flamenco de Cordoue en 1995. C’est sans doute ce qui persuade Frédéric Deval de l’inviter l’année suivante à enregistrer pour le label Auvidis un disque magnifique, "Vieja letanía, entre cante traditionnel et compositions originales — avec rien moins que Chaparro de Málaga, Juan Carlos Romero, José Antonio Rodríguez et Vicente Amigo (guitare), Remedios Amaya (chant) et Manolo Soler (percussions).
El Chino / Arte 4 : "Romper las cadenas" (rumba)
El Chino / Arte 4 : "Romper las cadenas"
Arte 4/Sol de Cada Mañana (2015)
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El Chino / José Antonio Rodríguez : soleares percheleras
El Chino : soleares percheleras
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El Chino / José Antonio Rodríguez : cantiñas personnelles
El Chino : cantiñas
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de gauche à droite : El Piyayo, La Pirula et le journaliste Enrique Varela
3] Autres cantes
Bien que gaditan, Gabriel Díaz Fernández "Macandé" (Cadix, 1897 – 1947) a longuement séjourné à Málaga (barrio del Perchel), si bien que son fandango et son pregón font partie du patrimoine flamenco de la ville (cf. les versions de Ángel Luiggi Miranda "Ángel de Álora" ; Málaga, 1917 – 1992). D’autres bons spécialistes de fandangos ont créé leur propre cante, dont Francisco Doncel Quirós "Niño de la Rosa Fina de Casares" (Casares, 1896 – 1981), l’un des rares cantaores ayant également enregistré la praviana, et Miguel Fernández Fernández "el Galleta" (Málaga, 1923 – 2000). María Martínez Cardo "La Faraona" (Málaga, 1915 – 1995), autre grande cantaora gitane du Perchel qui participa à d’innombrables tournées de compagnies dont les têtes d’affiche se nommaient La Niña de los Peines, Manuel Vallejo, Pepe Marchena, Antonio "el Sevillano", etc., fut une grande spécialiste des saetas de Málaga. Miguel Ternero Rodríguez "Niño de las Moras" (Málaga, 1886 -1970), expert ès malagueñas, nous a légué un pregón ("del Zápico", ou "de las moras") récemment redécouvert par de jeunes cantaores en quête de cantes oubliés.
Nous avons déjà évoqué le polo de Ronda et les peteneras et la soleá de Juan Breva. Cette dernière est la seule contribution de Málaga au répertoire de ce palo. De même, la cabal de Sebastián "el Pena", enregistrée par son fils José Muñoz Martín "Pena hijo" (Málaga 1900 – Mendoza, 1971) est l’unique création por siguiriya malaguène. Mais le personnage "flamenco" le plus inclassable et emblématique de Málaga est sans conteste Rafael Flores Nieto "el Piyayo" (Málaga, 1855 – 1940 — un autre artiste du Perchel...), à tel point que le réalisateur Luis Lucia lui consacra un "biopic" tourné en 1956. Mobilisé lors de la guerre d’indépendance de Cuba, il en ramena des airs folkloriques qu’il adapta au compás de tango en leur adjoignant ses propres et succulentes letras. Les cantes del Piyayo, avant de devenir l’un des vecteurs favoris des letras de protesta des années 1970 (José Menese, Manuel Gerena, entre autres), permirent tout juste à leur auteur de survivre tant bien que mal. Il les chantait inlassablement dans les ventas et les ferias, en échange de nourriture, de boissons, de savon ou d’un mouchoir... Manuel Soto Fernández "Manolillo el Herraor" (Málaga, 1900 – 1980), qui fut son ami, en a enregistré les versions les plus fiables.
D’autres cantaores malagueños de moindre réputation méritent cependant d’être écoutés : Juan Gambero Martín "Juan de la Loma" (Mijas, 1913 – Fuengirola, 1983), Agustín Nuñez Fernández "Agustín el Gitano" (Estepona, 1920 – Málaga, 1991), Agustín Escalera Grez "Agustín de las Flores" (Málaga, 1920 – 1984), José Rico Jiménez "Pepe de la Isla" (Coín, 1926 – Málaga, 1987), Antonio Jiménez González "Antonio de Canillas" (Canillas, 1929 – Málaga, 2018), Juan Villodres Contreras "Juan Villodres" (Málaga, 1937 – 2005), Carlos Alba Bermúdez "Carlos Alba" (Málaga, 1941 – 2002) et, surtout, Sebastián Heredia Santiago "Cancanilla de Marbella" (Marbella, 1951) et Juan Hatero Cabello "Juan Casillas" (Cuevas de San Marcos, 1955 - Antequera, 1994).
Ángel de Álora / Melchor de Marchena : fandangos de Macandé
Ángel de Álora : fandangos de Macandé
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Niño de la Rosa Fina de Casares / Antonio Moreno : praviana
Niño de la Rosa Fina de Casares : praviana
Niño de la Rosafina de Casares/Soy de Pravia (Praviana) (1932)
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El Galleta / Félix de Utrera : fandangos personnels
El Galleta : fandangos
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La Faraona : saetas
La Faraona : saetas
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Niño de las Moras : pregón del Zápico
Niño de las Moras : prégón del Zápico
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Antonio de Canillas / Paco Soler : polo de Ronda (ou de Tobalo)
Antonio de Canillas : polo de Ronda
Antonio de Canillas/El Canario Más Sonoro, Vol. 1 (2006)
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Juan Breva / Ramón Montoya : petenera et soleá personnelles
Juan Breva : petenera et soleá
Juan Breva/Grandes Clásicos del Cante Flamenco, Vol. 26 : Ases del Cante Malagueño (2001)
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El Pena "hijo" / Manolo de Badajoz : cabal de SEbastián "el Pena"
El Pena "hijo" : cabal del Pena
José Muñoz "El Pena (hijo)"/Los Pena : Viejas Voces Flamencas de Málaga (2005)
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Cancanilla de Marbella / Antonio Moya : bulerías por soleá
Cancanilla de Marbella : bulerías por soleá
Cancanilla de Málaga/Entre Viejos Zarzales (2013)
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Juan Casillas / Enrique Campos : liviana, serrana et siguiriya de Máría Borrico
Juan Casillas : liviana, serrana et siguiriya de María Borrico
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Rosi Campos
Rocío Bazán
Épilogue
Pour les dernières générations, malgré quelques cantaores de talent, ce sont surtout les cantaoras qui assurent dignement la pérennité du cante malegueño : d’une part José Parra (Málaga, 1972), Francisco Javier Sánchez Bandera "Bonela hijo" (Málaga, 1974), Luis Perdiguero (Málaga, 1979) et Juan Francisco Ríos Cabrillana (El Burgo, 1987) ; d’autre part Antonia de la Cruz Contreras "Antonia Contreras" (Málaga, 1963), Virginia Gámez (Málaga, 1979) et Rosi Navarro "la Divi" (Málaga, 1981). Cependant, les deux plus remarquables sont à notre avis Rosario Campos Jaime "Rosi Campos" (Periana, 1972) et Rocío Bazán (Estepona, 1977). Nous ne pouvons que regretter que personne à ce jour n’ait eu l’heureuse idée de leur offrir des conditions d’enregistrement dignes de leur grand talent.
Luis Perdiguero / Antonio Carrión : tientos
Luis Perdiguero : tientos
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Antonia Contreras / Juan Ramón Caro : granaínas
Antonia Contreras : granaínas
Antonia Contreras/La Voz Vivida (2017)
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Virginia Gámez / Juan Ramón Caro : rondeñas
Virginia Gámez : rondeñas
Virginia Gámez/Soñé (2015)
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Rosi Campos / Manuel Fernández "Perole" : siguiriyas
Rosi Campos : siguiriyas
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Rocío Bazán / Manuel Herrera : soleares
Rocío Bazán : soleares
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Rocío Bazán / Manuel Herrera : malagueñas de La Trini et de Juan Breva
Rocío Bazán : malagueñas de La Trini et Juan Breva
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Prenons congé des cantaoras et cantaores malagueños avec "Adiós Málaga", le bel hommage d’Enrique Morente qui conclut ce qui fut malheureusement sont dernier album en studio ("Pablo de Málaga", 2008).
Enrique Morente : "Adiós Málaga"
Enrique Morente : "Adiós Málaga"
Morente/Pablo De Málaga (2008)
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Claude Worms
Bibliographie
ARRABAL GRANADOS, Juan Gonzalo, Mis teorías sobre “El Piyayo”. Apuntes para una biografía, Málaga, Excmo. Ayuntamiento de Málaga, 2015.
MÁRMOL, Francis et ROJI DOÑA, Paco, Carrete. Al compás de la vida. Aventuras y desventuras de un bailaor diferente, Málaga, autoédition, 2010.
MARTÍN SALAZAR, Jorge, Las malagueñas y los cantes de su entorno, Motril, Guadalfeo, 1998.
ORTEGA CASTEJÓN, José Francisco, SOLER GUEVARA, Luis, RUIZ GARCÍA, Rafael et GÓMEZ ALARCÓN, Antonio, Malagueñas, creadores y estilos, Murcia et Málaga, Universidad de Murcia et Universidad de Málaga, 2019.
PENDÓN MUÑOZ, Salvador, Paco de Maroto. Raza de fiestero, Málaga, Federación Provincial "Junta de Alcaldes" de Pandas de Verdiales / Fundación Málaga, 2014.
RIOJA, Eusebio et ZAAFRA, David, El Café de la Loba. Los Cafés cantantes y las ventas de la Caleta de Málaga. Una aproximación a su historia y a su ambiante, Málaga, autoédition, 2005.
ROJI DOÑA, Paco, SOLER DÍAZ, Ramón et FERNÁNDEZ, Paco, La Repompa de Málaga, Málaga, autoédition, 2012.
ROJI DOÑA, Paco et SOLER DÍAZ, Ramón, La Cañeta de Málaga, José Salazar, La Pirula, Málaga, autoédition, 2013.
ROJO GUERRERO, Gonzalo, Joaquín José Vargas Soto “El Cojo de Málaga”, Estepona, Diputación Provincial de Málaga, 1994.
ROJO GUERRERO, Gonzalo, Mujeres malagueñas en el Flamenco, Sevilla, Ediciones Giralda, 2004.
ROJO GUERRERO, Gonzalo, Juan Breva : vida y obra, Málaga, Fundación Unicaja, 2015.
VARGAS, Paco, El flamenco en Málaga. Historia y actualidad de sus cantes y sus artistas, Sevilla, Almuzara, 2010.
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