lundi 8 octobre 2007 par Claude Worms
Comme son nom l’indique, la Soleá por Bulería est une forme dérivée du vaste groupe des Soleares : le cycle métrico - rythmique, comme la forme littéraire des coplas, sont identiques (cf : article de Louis-Julien Nicolaou dans le n° 3 de Flamenco Magazine). Le tempo de la Soleá por Bulería est cependant plus rapide que celui de la Soleá, et il est systématiquement constant, alors que les interprétations des Soleares sont fréquemment marquées par un rubato plus ou moins prononcé.
Comme souvent dans la nomenclature flamenca, la terminologie désignant cette forme est multiple et ambiguë. La distinction subtile entre Soleá por Bulería et Bulería por Soleá relève de la querelle sur le sexe des anges : il suffira, pour s’en convaincre, de confronter les explications alambiquées des "flamencologues" avec les cantes de référence, dont les profils mélodiques et l’interprétation demeurent désespérément identiques ( par exemple, dans les deux Cds de Fernanda et Bernarda de Utrera avec Paco del Gastor, collection Ocora / Radio France). Les cantaores de Jerez utilisent communément l’expression "Bulerías pa’ escuchar" (Agujetas notamment), et les enregistrements anciens nomment souvent ces cantes Bulerías ( Juan Mojama, Tomás Pavón, José Cepero, Niño de Gloria, Cojo de Málaga…).
De fait, les mêmes cantes, et les mêmes coplas, deviennent des Soleares, Soleares por Bulería, ou Bulerías, selon le tempo, et les phrasés des cantaores insistant plus ou moins sur les appuis sur le douzième temps du compás. Les Bulerías "En la iglesia mayor de Sevilla", de Juan Mojama, en sont un bon exemple : Ramón Montoya y hésite en permanence pour l’accompagnement entre "toque por Soleá" et "toque por Bulería" ("al golpe"). De même, les cantaores traditionnels de Jerez (El Borrico, El Sordera…), et de la zone Utrera / Lebrija (La Fernanda, La Bernarda, Pepa de Benito, El Perrate, El Lebrijano…) utilisent couramment les mêmes cantes pour les Soleares, Soleares por Bulerías, et Bulerías : question de tempo et de "swing".
Il existe cependant quelques profils mélodiques caractéristiques : la plupart sont issus de "Soleares cortas" (ou "Solearillas") de Jerez (Curro Frijones ; Niño de Gloria et sa sœur, La Pompi ; María la Moreno…), ou, plus rarement, de Triana (Rafael el Tuerto, José Iyanda…).On attribue aussi communément un autre cante plus rare au cantaor de Jerez "Carapiera" : il s’agit d’un brillant "cambio" (modulation vers la tonalité homonyme majeure, La Majeur, par l’accord de dominante E7) qui nous a été transmis par quelques enregistrements d’ Agujetas "El Viejo" et de son fils, Manuel Agujetas. C’est sans doute la raison pour laquelle les meilleurs spécialistes du genre restent les cantaores de Jerez (cf : discographie).
Dès les origines de la discographie flamenca, les guitaristes ont accompagné les cantes "por Soleá" en mode flamenco de Mi ("por arriba"), ou de La ("por medio"), selon la tessiture des chanteurs. De même, les Soleares por Bulerías peuvent être accompagnées "por arriba", ou "por medio". Pour l’accompagnement, il n’existe donc aucun mode de référence permettant de distinguer la Soleá de la Soleá por Bulería. Par contre, pour les solos, l’habitude est de sous-titrer "Soleá" les "toques por arriba", et "Soleá por Bulería" les "toques por medio". Ajoutons que les guitaristes contemporains composent fréquemment des Soleares por Bulería sur d’autres modes, en particulier les modes flamencos de Do# et de Ré# : dans ce cas, la dénomination fait référence à la rapidité et à la régularité du tempo.
Comme toujours, le mode "por medio" donne au jeu des guitaristes une couleur nettement plus modale que le "mode "por arriba", parce qu’il est basé essentiellement (surtout pour les compás en rasgueados), sur les accords des deux premiers degrés : A Maj. (9b), et Bb Maj. (ce dernier pouvant être brièvement transformé en C79, par une modification des basses : Do et Mi) : cf. ex. n° 1.
Pour les "llamadas", les "remates", et les falsetas les moins développées, la plupart des clichés traditionnels des Soleares "por arriba" peuvent être directement transposés "por medio". Il suffit pour cela de passer des sixième, cinquième et quatrième cordes ; aux cinquième, quatrième et troisième cordes : on obtient ainsi une transposition à la quarte supérieure, donc de Mi à La. L’exemple n° 2 donne une idée de ce procédé de transposition "automatique", en "alzapúa : sur une pédale d’harmonie (respectivement F Maj., et Bb Maj.), les mélodies dans les basses esquissent deux séquences harmonique identiques ( F - G - C7 - F - E ; puis
Bb - C - F7 - Bb - A ).
Les guitaristes du début du XXème siècle se contentaient le plus souvent, pour les falsetas, de courts traits mélodiques en première position, sur un compás, en technique de pouce buté, ou en picado : Miguel Borrúll, Ramón Montoya, Manolo de Badajoz, Niño Ricardo, Luis Molina… Ce dernier se démarque cependant nettement de ses confrères par son originalité : il évite soigneusement les gammes par degrés conjoints, et utilise abondamment les chromatismes et les notes répétées. Ses "cierres" sur l’accord du premier degré prolongent couramment la mélodie : ex. n° 3, falseta pour un cante de La Niña de Los Peines. On notera aussi que pour les "llamadas", la coutume de l’époque était de jouer sur le troisième temps du compás, non l’accord du deuxième degré (Bb Maj.), mais celui du quatrième degré (D min.).
L’ exemple n° 4 donne un bon aperçu du style très dynamique des guitaristes de Jerez pour la Soleá por Bulería. Comme pour les Bulerías, la falseta est construite sur la transposition systématique de courts thèmes mélodiques : le premier en arpèges et picado (accords de A7, Bb7, et C7), le second en technique de pouce buté (Gmin7, F7) : falseta de Paco Cepero, pour un cante de Manuel Soto "El Sordera" (cf : discographie).
I
Que yo te había querido sin darmé cuenta,
Te quisé sin darmé cuenta,
Ahora que olvidarte yo quiero, compañera mía,
Que trabajito me cuesta.
II
Que yo tenía un reloj marcado,
Yo tengo un reloj marcado,
En los huesos de mi cuerpo, gitana malina,
Del tormento que m’ has dado.
III
Que Díos te va a mandar a tí el castigo,
Porque tu te lo mereces,
Que tu me andabas culpando,
Y yo culpita no tengo,
De que de tí hablé la gente.
IV
Gitana,
A tí te faltan tres cuarterones
Para llegar a mi romana.
V
Mi nombre nunca lo mientes,
Te haces cuenta de que yo me he muerto,
Mi nombre nunca lo mientes,
Porque ni vivo, ni muerto,
Mis ojitos quieren verte.
A) Enregistrements historiques :
Juan Mojama : "Esencia flamenca" Sonyfolk 20171
José Cepero : "El poeta del cante" Sonyfolk 20142
Niño de Gloria : "Figuras del cante jondo" Planet Records P 503 CD
Tomás Pavón : "Figuras del cante Jondo" Planet Records P 506 CD
Antonio "El Chaqueta" : "Pasión por el cante" www.elflamencovive.es
B) Enregistrements récents :
El Sernita : "Denominación de origen : Jerez" Série "Quejío"
Hispavox 7243 4 94158 2 9
(excellente anthologie du cante de Jerez, avec, à notre avis, la meilleure version de Soleá por Bulería. Cf : ci-dessus, les trois premières
coplas).
El Sordera : BMG / El Flamenco Vive 7432 1681 082
El Borrico : "Grands cantaores du flamenco, vol. 12" :
Le Chant du Monde LDX 274928
Agujetas : "El rey del cante gitano" BOA 30002001
Fernanda et Bernarda de Utrera : "Cultura jonda, vol. 7" Fonomusic CD 1395
El Lebrijano : "Con la colaboración especial de Paco de Lucía" Polydor 529176 2
Camarón : "Te lo dice el Camarón" multiples rééditions CD Universal
Claude Worms
Illustrations
Logo : Luisa Ramos Antúnez "La Pompi"
Par ordre d’ apparition dans l’ article :
Manuel Morao, l’un des maîtres du "toque jerezano"
Manuel Fernández Moreno "El Sernita", avec Pepe "Habichuela"
Manuel Soto Monge "Sordera"
Galerie sonore
Soleá por Bulería del Gloria : Manuel Romero Pantoja "Romerito" (cante)
Manolo Sanlúcar (guitare)
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