"[...] On ne peut ignorer que l’objet de cette étude est précisément l’étroite coexistence contrainte, souvent dans des conditions de vie infrahumaines, des personnes qui ont conservé le plus fidèlement la mémoire collective d’une tradition musicale. Les interviewés racontent des histoires bouleversantes d’un esprit communautaire peu habituel dans la vie urbaine normale, même si l’on tient compte de la solidarité qui existait déjà depuis des décennies dans les quartiers de Jerez en particulier." (Estela Zatania — traduction de l’auteur de cet article)
1] Cortijos, gañanías et transmission orale
L’indispensable travail de terrain d’Estela Zatania, "Flamencos de Gañanías", permet de mieux comprendre l’importance de Lebrija et Utrera dans l’histoire de cante, sans commune mesure avec leur poids économique et démographique. En 1920, Utrera et Lebrija comptaient respectivement 21316 et 12012 habitants. En 1970, leur population était passée à 35775 et 21712 habitants — ce demi-siècle est la période de plus fort emploi de main d’œuvre saisonnière par les grands domaines agricoles (cortijos) de la région. Une centaine de ces cortijos étaient situés la zone du Bas Guadalquivir qui s’étend du nord au sud sur une trentaine de kilomètres, de Lebrija à Jerez. Logiquement, ils recrutaient donc surtout des ouvriers et ouvrières agricoles, majoritairement de familles gitanes, dans ces deux villes — pour Jerez, du quartier de Santiago, les gitans du quartier San Miguel étant plus fréquemment maréchaux-ferrants, bouchers ou pêcheurs. Le trajet du domicile à Lebrija ou Jerez jusqu’aux lieux de travail, quinze, vingt voire quarante kilomètres, s’effectuait à pied. Les journaliers d’Utrera étaient donc moins nombreux : la ville étant située à cinquante kilomètres au nord de Lebrija, il fallait d’abord prendre le train, puis achever le voyage à pied.
Les tâches s’enchaînaient en fonction du calendrier agricole, du début de l’automne à l’été : cueillette des olives, vendanges, récoltes des agrumes d’hiver et des betteraves, cueillette du coton et des fruits et enfin moisson. Les grands domaines pouvaient employer soixante ou soixante-dix familles, donc jusqu’à deux cents ou trois cents personnes qui étaient logés au plus proche des champs cultivés dans des baraquements collectifs, les "gañanías". Du fait des distances, les journaliers ne pouvaient rentrer chez eux que rarement — les fins de semaines pour les plus chanceux, parfois seulement deux ou trois fois par an pour la feria, pour Noël ou la Semaine Sainte — et pratiquaient une sorte de nomadisme local quasi permanent. : "[...] jusqu’à dix mois dans les champs sans revenir à la maison, sauf pour la feria." (Manuel Valencia Vargas "el Caneco") — — toutes les citations sont extraites du livre d’Estela Zatania (cf. bibliographie). Les salaires pour des journées de travail "de sol a sol" (du lever au coucher du soleil) dépassaient rarement le seuil de la stricte survie. Les repas, du petit déjeuner au dîner, consistaient systématiquement en soupe froide (gazpacho), pain et pois chiches ou fèves ; les tomates et autres légumes étaient rares, les œufs et la viande des chimères. Ils étaient servis collectivement dans une grande marmite, les journaliers y plongeant à tour de rôle leur cuillère : nourriture du bétail, ou presque. Ajoutons la promiscuité permanente, l’absence d’hygiène et de soins, l’humidité l’hiver et la chaleur étouffante l’été dans des baraques de bois et de tôle au sol de terre battue : Estela Zatania n’exagère nullement en qualifiant ces conditions de vie et de travail d’ "infrahumaines". La surabondance de main d’œuvre et donc le chômage endémique assuraient à eux seuls la discipline, ou plutôt la soumission au propriétaire "señorito"). Souvent absentéiste, celui-ci déléguait son autorité à un intendant ("aperador") qui planifiait le travail, supervisait son exécution en parcourant la propriété à cheval et distribuait les salaires. Il choisissait les chefs d’équipe ("manijeros de cuadrillas") qui recrutaient les ouvriers agricoles, les réveillaient le matin, leur distribuaient les tâches du jour et décidaient des pauses pour les repas. Seuls responsables en contact permanent avec les jornaleros qu’ils connaissaient personnellement, souvent médiateurs entre eux et le propriétaire ou son intendant, parfois militants et éducateurs politiques (cf. Antonio Gutiérrez "Tío los Hierros"), ils étaient en général obéis et respectés : être soi-même manijero ou en compter un dans sa famille était considéré comme un honneur. Le faible coût de la main d’œuvre retardant la mécanisation, ce type d’exploitation — dans tous les sens du terme — perdura jusque dans les années 1960-1970.
Cuadrillas du manijero Antonio Gutiérrez Tío los Hierros
Concernant les relations entre journaliers gitans et payos, les témoignages recueillis par Estela Zatania sont contradictoires. Certains évoquent, sinon une hostilité, du moins une méfiance réciproques. Les uns et les autres auraient travaillé dans des cuadrillas différentes et évité autant que possible de se fréquenter. D’autres au contraire font état d’un quotidien convivial. Tous en tout cas soulignent que pour survivre dans de telles conditions et préserver sa dignité, l’entr’aide solidaire et les fêtes étaient indispensables pour tous. Contrairement à l’idée très répandue selon laquelle les fêtes auraient été réservées aux jours chômés pour cause d’intempéries, la plupart des témoins se souviennent de fêtes quasi quotidiennes, après la journée de travail. Malgré l’épuisement, elles étaient des exutoires nécessaires pour resserrer les liens dans le groupe en affirmant l’appartenance à une identité culturelle commune, pour apaiser les tensions inévitables et pour échapper à la soumission aux señoritos. Quel que soit leur âge, toutes et tous y participaient par le chant et par la danse — pas de guitare, l’idée même de posséder un objet si luxueux est jugée comique par les protagonistes et donc : "les gens ne savaient chanter accompagnés par une guitare". (Manuela Moreno Cardenas). C’est dire que l’on privilégie les palos festeros, tangos et surtout bulerías, même s’il arrivait que l’on y écoute des soleares, des siguiriyas, parfois des tonás et des fandangos. Le peu de valeur que les intéressés eux-mêmes accordent à ces répertoires montre à quel point ils font partie de la vie quotidienne. Personne ne s’avise de revendiquer la qualité d’artiste : "On chantait surtout por bulería, por siguiriya, por soleá, des fandangos comme on les chante ici, de la campagne, pas comme ceux de Marchena et de ces gens-là. Marchena était un phénomène, il nous enchantait, mais nous ne chantions pas des choses à lui, mais à nous." (Enrique Soto Monge "Tío Enrique Sordera").
Selon Estela Zatania elle-même :
" Dans les entretiens que j’ai réalisés pour mon livre, les plus anciens... Tío Paulera, Enrique Soto Sordera, Manuela Carrasco (la tante de Periquín), María Bala, Tío Rincones des Zambos, etc. tous ont déclaré clairement que ce qu’ils chantaient entre eux n’avait pas d’intérêt hors de leur cercle intime ; eux-mêmes adoraient Marchena et les voix douces : ’pour nous, c’étaient eux les vrais artistes’, m’a dit Gaspar de Perrate."
Il arrivait que des fêtes soient organisées à la demande des patrons : personne n’était payé, mais on y gagnait au moins de ne pas travailler et de manger et boire un peu moins mal : "Les señoritos ne se comportaient pas très bien, vraiment pas bien." (Enrique Soto Monge "Tío Enrique Sordera").
Les gañanías sont donc aussi des conservatoires du cante :
"À la Zangarriana (l’un des plus grand cortijos de la région — NDR), il n’y avait que des gens de Jerez, de Lebrija et d’Utrera, en gros vingt ou trente familles de chaque lieu, gitans et gachós (non-gitans — NDR) ; dans les champs nous ne formions qu’une seule famille. Il y avait là El Mono de Jerez et sa famille, la famille de El Pipa, José Mercé encore enfant, Miguel Funi, Curro Malena, Manuel de Paula ; et El Chozas !" (Ana Peña Vargas). "À l’époque tout le monde se traitait d’égal à égal, que l’on soit de Jerez, de Lebrija ou d’Utrera, tous gitans ; et ça nous plaisait d’écouter ce que chantaient les autres, même si ensuite tu le chantais à ta manière." (Francisca Peña Fernández "Frasquita").
Le cortijo "La Zangarriana" est très proche de Lebrija, et donc plus accessible aux journaliers d’Utrera. Il est l’exemple type, mais évidemment pas unique d’un lieu de transmission orale intergénérationnelle et interterritoriale plus qu’intrafamiliale. En schématisant quelque peu, écrivons que les gens de Jerez y apportent leur répertoire propre et ceux d’Utrera les versions locales des répertoires de Triana et d’Alcalá de Guadaira dont la ville est plus proche (avec éventuellement leurs variantes de Morón de la Frontera) ; Lebrija est le carrefour où ces cantes sont échangés, modifiés et reconfigurés — essentiellement des soleares et des siguiriyas. Il s’agit là du procédé de composition habituel des cantes flamencos, mais il est particulièrement pratiqué par les chanteurs-compositeurs de Lebrija et Utrera pour deux raisons :
• d’une part, parce que, contrairement à ceux de Jerez, les cantaores professionnels y sont rares avant la seconde moitié du XXe siècle. Les chanteurs spontanés-occasionnels des gañanías sont beaucoup moins enclins à standardiser leurs versions personnelles que des professionnels aguerris. De fait, et quoi que l’on pense de ses postulats théoriques effectivement discutables, nous devons à Antonio Mairena la "découverte", à partir des années 1960, de certains artistes majeurs de ce territoire, qui furent et restèrent longtemps ouvriers agricoles ou qui combinèrent cet emploi avec celui de cantaores intermittents. Trente ans plus tard, les spectacles conçus par le guitariste Pedro Bacán (Lebrija, 1951 – 1997) visaient à recréer la spontanéité et le rituel des fêtes familiales qu’il avait vécues dans son enfance et donc à amener les artistes à oublier le public en recréant "leur maison". Inés Bacán, Pepa de Benito et José Valencia (à l’époque "Joselito de Lebrija") ont fait leurs débuts sur scène dans le plus célèbre, intitulé "El clan gitano de los Pininis" (création au théâtre Dejazet, Paris, le 26 janvier 1989).
• d’autre part, du fait de liens multiples entre les familles gitanes de Lebrija et Utrera — et fréquemment de Jerez — dont les membres sont répartis entre les deux villes et ont souvent vécu alternativement dans l’une et l’autre (cf. ci-dessous). Sans entrer dans le labyrinthe des arbres généalogiques, il suffira de remarquer que quelques patronymes sont communs à ceux à la plupart des artistes locaux : Vargas, Peña, Fernández, Carrasco, Valencia, Soto, etc. Fondée par Fernando Peña Soto "Pinini" (Lebrija, 1863 – Utrera, 1932), installé encore enfant à Utrera, la dynastie Peña / Pinini à laquelle nous devons un nombre considérable d’éminents artistes en descendance directe ou par alliances avec d’autres familles, en est un cas d’école — actuellement sur quatre générations depuis les enfants du patriarche, María Peña, Benito Peña Vargas "Chachi" et Fernanda "la del Pinini" qui, par son mariage avec Juan Peña "Funi", renoua les liens familiaux entre les deux villes : Juan José Vargas Vargas "el Chozas" (Lebrija, 1903 – 1974), Sebastián Peña Peña "Bastián Bacán" (Lebrija, 1911 – 2005) et son frère Diego "Lagaña", José Fernández Granados "el Perrate" (Utrera, 1915 – Dos Hermanas, 1992), María Fernández Granados "la Perrata" (Utrera, 1922 – Lebrija, 2005), Fernanda Jiménez Peña "Fernanda de Utrera" (Utrera, 1923 – 2006), Josefa Loreto Peña "Pepa de Utrera" (Utrera, 1926 – 2009), Bernarda Jiménez Peña "Bernarda de Utrera" (Utrera, 1927 – 2009), Antonio Peña Otero "el Cuchara" (Utrera, 1930), Josefa Peña Reyes "Pepa de Benito" (Utrera,1937 – Séville,2016), Miguel Peña Vargas "el Funi" (Lebrija, 1939), Pedro Peña Fernández (Lebrija, 1939 – Séville, 2016), Miguel Vargas Jiménez "Bambino" (Utrera, 1940 – 1999), Juan Peña Fernández "el Lebrijano" (Lebrija, 1941 – Séville, 2016), Manuel Mancheno Peña "el Turronero" (Vejer de la Frontera, 1947 – Séville, 2006), Ana Peña Vargas "Ana Peña" (Utrera, 1950), Inés Peña Peña "Inés Bacán" (Lebrija, 1952), etc — liste loin d’être exhaustive et limitée aux cantaoras et cantaores. Très majoritairement issus de quelques familles gitanes, les cantaoras et cantaores de Lebrija et Utrera sont donc indissociables, même si l’on peut déceler marginalement quelques traits distinctifs. Par exemple, selon Juana Amaya Vargas "Juana Vargas" : "[...] ici à Lebrija, nous chantons les fandangos por bulería, mais à Utrera, ce sont des fandangos por soleá".
Dans ces conditions, l’efficience des nomenclatures érudites consistant à identifier les cantes par le nom de leur créateur présumé doit être relativisée, même si elles restent utiles pour la clarté du propos. D’autant qu’il faut ajouter à ces influences croisées les modifications, volontaires ou non, inhérentes à la transmission orale. Beaucoup de cantes sont construits par hybridation, collages, etc. de motifs issus de modèles mélodiques antérieurs, qui eux-mêmes... Les tercios peuvent être allongés ou écourtés, répétés ou non ; ils peuvent être chantés sur le souffle ou morcelés par des micro-césures expressives ; leur amplitude mélodique peut être élargie ou resserrée ; le placement des letras dans le compás peut être modifié, sans compter l’usage d’incises formulaires et de "ayeos" internes. En l’absence de critères objectifs universellement reconnus par les "flamencologues", chacun jugera dès lors comme il l’entend que tel ou tel cante est une création, une recréation ou une simple variante — et si le chauvinisme local s’en mêle... Répétons que ces remarques peuvent être faites à propos de l’ensemble du répertoire du cante flamenco tel que nous le connaissons aujourd’hui. Mais elles sont logiquement d’autant plus pertinentes que les échanges de répertoires sont nombreux sur une longue durée, ce qui est le cas à Lebrija et Utrera. Un seul exemple suffira à illustrer nos observations. Fernanda de Utrera est considérée à juste titre comme l’une des plus grandes interprètes de la soleá de l’histoire du cante. Certaines des soleares de son répertoire sont attribuées à Merced "la Serneta". Or, Pastora Pavón "Niña de los Peines", qui a eu maintes fois l’occasion d’écouter cette dernière, a décrit sa voix comme étant "de caramelo gitano". Elle a effectivement enregistré ses cantes sans aspérités vocales et en liant certains de leurs tercios sur le souffle. On ne sait dans quelle mesure ces versions sont fidèles à leurs modèles. Ce qui est certain en tout cas, c’est que quiconque a entendu La Fernanda chanter les soleares de La Serneta pourra légitimement douter que ses interprétations se rapprochent des compositions originales, que nous ne connaissons d’ailleurs pas puisque La Serneta n’a jamais enregistré. Ne serait-ce que parce que le timbre de La Fernanda était fort distant de ce que pourrait être "una voz de caramelo", et parce qu’elle avait su transformer une tessiture et une longueur de souffle limitées en d’extraordinaires outils expressifs : phrasés haletants parcourus de « quiebros » dramatiques que l’on imagine sans peine fort éloignés de l’art de La Serneta, du moins tel que l’a décrit Pastora Pavón. Deux approches esthétiques différentes, voire opposées, pour les mêmes cantes : doit-on encore considérer les versions de La Fernanda comme des variantes des soleares de la Serneta, ou les qualifier en tant que soleares de La Fernanda ? Personnellement, nous opterions pour la deuxième solution.
Pastora Pavón "Niña de los Peines" / Melchor de Marchena / Ramón Montoya : soleares de La Serneta
Fernande de Utrera / Paco del Gastor / Enrique de Melchor : versions personnelles de soleares de La Serneta
La Fernanda / La Serneta
2] Interprètes-créateurs et répertoires
Les palos caractéristiques du cante de Lebrija et Utrera peuvent paraître de prime abord relativement peu nombreux : bulerías, fandangos (por soleá ou por bulería), siguiriyas et soleares essentiellement, auxquels s’ajoutent deux cantiñas locales, des martinetes et tonás et des tangos et tientos. Les palos caractéristiques du cante de Lebrija et Utrera peuvent paraître de prime abord relativement peu nombreux : bulerías, fandangos (por soleá ou por bulería), siguiriyas et soleares essentiellement, auxquels s’ajoutent deux cantiñas locales, des martinetes et tonás et des tangos et tientos. Mais cette liste relativement restreinte ne doit pas occulter la profusion et l’originalité des réalisations des cantes "classiques" qui résultent d’un style local et plus encore de styles personnels. De sorte que ce que nous avons écrit de La Fernanda peut être plus ou moins appliqué à tous les artistes de Lebrija et Utrera et que ce territoire est sans doute celui pour lequel la distinction entre cantes et interprétations est la moins opérante : toutes et tous sont indissociablement interprètes et créateurs. Aussi nous attacherons nous plus à ce qui appartient en propre à chacun d’entre eux qu’aux nomenclatures canoniques. Cette observation résulte vraisemblablement de la survivance d’une conception du cante liée à sa pratique dans les gañanías. Quelques caractéristiques génériques peuvent être induites par l’habitude de chanter sans guitare : la fréquence inhabituelle des micro-intervalles non tempérés dans l’exécution des lignes mélodiques, qui tendent à disparaître avec l’accompagnement harmonique ; l’attaque des notes clés des modèles mélodiques légèrement inférieure à leur intonation exacte, suivie d’un portamento ascendant (trait particulièrement net à Utrera) ; une perception du rythme propre au chant a cappella, non contrainte par les accentuations de la guitare, que l’on trouve par exemple dans les soleares "al golpe" — une spécialité de la dynastie Bacán depuis le patriarche, Bastián — ou dans certains types de bulerías locales : il s’agit d’une manière de phraser que les jazzmen décrivent par la formule "jouer au fond du temps", légèrement en retard par rapport à la pulsation, qui donne l’impression d’un ralentissement du tempo (l’expression "al golpe" renvoie certes au chant a cappella, mais ce feeling rythmique persiste dans les duos chant / guitare). D’autre part, nous avons noté que jusque dans les années 1960 – 1970, les journaliers-musiciens-danseurs des gañanías étaient pour la plupart amateurs et que la professionnalisation n’était véritablement intervenue qu’au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Les cantaoras et cantaores de Lebrija et Utrera héritiers de cette tradition sont donc moins enclins que d’autres au formatage induit par la nécessité de répéter inlassablement le ou les mêmes programmes — il va de soi que le mot "formatage" n’est ici en rien péjoratif. Enfin, à Lebrija et Utrera plus qu’ailleurs, à l’exception de Jerez, le cante demeure encore actuellement consubstantiel à la vie quotidienne, ce qui induit une totale et bienfaisante indifférence à toute préoccupation académique — mais non à la préservation de l’ "héritage" conçue comme un état d’esprit respectueux plutôt que comme l’obligation de copier étroitement de quelconques modèles.
El Perrate avec Diego del Gastor / Bastián Bacán
Le premier cantaor professionnel de Lebrija mentionné par les historiens du flamenco est Diego Sebastián Mercedes Fernández Flores Diego "el Lebrijano" (Lebrija, 1847 – début du XXe siècle), dont on ne sait rien sinon que son style semble paradoxalement avoir été lié aux cantaores de Los Puertos, notamment à celui de Tomás "el Nitri". On lui attribue une siguiriya, ou liviana. Aucun autre cante por siguiriya n’est originaire de Lebrija ou d’Utrera. Les cantaores de ces deux villes brillent par-contre par leurs versions des siguiriyas de Jerez et de Los Puertos.
Antonio Mairena / Menchor de Marchena : liviana (Diego "el Lebrijano")
Juan Peña "el Lebrijano" / Pedro Peña : siguiriyas de Tomás “el Nitri"
Bastián Bacán / Pedro Bacán : siguiriyas
Perrate de Utrera / Eduardo de la Malena : siguiriyas
Viennent ensuite deux cantaoras-compositrices à qui nous devons un grand nombre de cantes por soleá : María Amaya Heredia "la Andonda" (Morón de la Frontera, 1831 ou Ronda 1847 ? - ?, 1891) et María de las Mercedes Fernández Vargas "La Serneta" (Jerez, 1840, Utrera, 1912). Les deux ont longuement vécu à Utrera où leurs soleares font partie intégrante du patrimoine flamenco. C’est à partir de ces soleares que Juan José Vargas Vargas "Juaniquí" (Lebrija, 1903 – 1974) a créé ses propres soleares, piliers du répertoire local pour ce palo. Juaniquí se refusa obstinément à devenir professionnel et à plus forte raison à enregistrer, préférant rester jornalero et manijero. Il vécut dans une cabane à El Cuervo, village situé à quelques kilomètres au sud de Lebrija : une sorte d’ermite que l’on visitait assidûment pour recevoir son magistère — à commencer par Antonio Mairena. S’ajoutent à ce cœur de répertoire des soleares de Alcalá, particulièrement chères à la dynastie des Perrate (Joaquín "el de la Paula" et Agustín Talega), de Jerez (Antonio Frijones) et un cante de Paquirri, utilisé fréquemment par La Fernanda pour conclure ses séries de soleares. Les créations de El Chozas sont inclassables, tant elles amalgament de manière aléatoire, selon l’inspiration du moment et sur ses propres letras, des traits caractéristiques des soleares de Lebrija, Utrera et Jerez, voire Cadix.
Fernanda de Utrera / Diego del Gastor / Paco del Gastor / Eduardo de la Malena : versions personnelles de soleares de Antonio Frijones, Joaquín de la Paula, La Andonda et Paquirri
Juan Peña "el Lebrijano" / Manolo Sanlúcar : soleares (Juaniquí)
Manuel de Angustias / Eduardo de la Malena : soleares
Perrate de Utrera / Pedro Peña : soleares
El Chozas / Manuel Morao et Juan Moreno : soleares personnelles
Bastián Bacán : soleares "al golpe"
Inés Bacán / Pedro Bacán : fandangos por soleá
L’adage bien connu selon lequel "todo se puede meter por bulería" ("on peut tout faire ‘entrer’ dans le compás de la bulería") pourrait être érigé en devise flamenca de Lebrija et Utrera, tout autant que de Jerez. Les bulerías de El Chozas sont plus imprévisibles encore que ses soleares. Celles attribuées à Antonia Vargas Flores "Antonia Pozo" (Lebrija, 1909 – Utrera ?, 2008 ?) ne dépassèrent guère les limites de sa ville natale jusqu’à ce qu’elles soient popularisées par un enregistrement d’Antonio Mairena (album Cantes de Antonio Mairena, 1958). Quelle qu’en ait été la popularité locale, il est toutefois exclu qu’Antonia Pozo en ait été véritablement la créatrice puisque Pastora Pavón "Niña de los Peines" les avaient enregistrées dès 1913, avec notamment un pregón de frutas à fonction d’estribillo. Les cuplés ou canciones, fandangos et romances por bulería figurent également au répertoire de tous les artistes des deux villes — au même titre que ses rumbas, ses cuplés valurent aux disques de Miguel Vargas Jiménez "Bambino" les honneurs des premiers juke boxes apparus en Espagne.
Pastora Pavón "Niña de los Peines" / Luis Molina — Manuel de Paula / Manuel de Palma et Manolo Franco : bulerías attribuées à Antonia Pozo
El Chozas / José Cala "el Poeta" : bulerías personnelles
El Cuchara / Paco Jarana, Niño José Manuel et Fernando "Mae" : bulerías
Bambino / Juan Maya "Marote", Enrique Escudero et Paco del Gastor : canción por bulería
Bernarda de Utrera / Antonio Moya : bolero por bulería (Antonio Machín)
Curro Malena / Antonio Carrión et Manuel Silveria : romance por bulería
Pepa de Benito / Antonio Moya : alboreá et romance por bulería
Bernarda de Utrera
Inés Bacán
El Pinini exerça quelque temps sa profession de boucher à Cadix. Il semble qu’il en soit revenu avec un goût prononcé pour les cantiñas, dont il a créé une variété personnelle souvent associé à la romera, dont elle est proche, et / ou à la section modulante des mirabrás. Les cantiñas del Pinini ont été transmises aux générations postérieures par sa fille, Fernanda "la del Pinini" — le petit-fils de cette dernière, Miguel "el Funi", a d’ailleurs titré explicitement "cantiñas de Fernanda ‘La Pinini’" sa propre version enregistrée en 2007 (album "El Funi. Aires gitanos"). La cantiña de María del Rosario Torres Vidal, "Rosario la del Colorao" (Utrera, 1869 – Cabeza de Sanjuán, 1942) est le seul autre apport notable de Lebrija et Utrera au répertoire de ce palo. Il n’existe pas véritablement de tientos ni de tangos spécifiques à ces deux villes, mais on peut créditer Gaspar Fernández Fernández "Gaspar de Utrera" (Utrera, 1932 – 2008) d’une intéressante variante des tientos dont l’avant-dernier tercio module brièvement à la tonalité homonyme majeure du mode flamenco sur La, par l’accord de E7/B, avant la cadence conclusive Bb – A. Enfin, pour compléter ce panorama, nous n’aurons garde d’oublier les savoureuses sevillanas corraleras de Lebrija.
Miguel "el Funi"/ Ethan Margolis "el Izan" : cantiñas de Fernanda "La Pinini"
La Perrata de Utrera / Manolo Sanlúcar et Pedro Peña : cantiñas de Utrera
Carmen Linares / Vicente Amigo : cantiña de Rosario "la del Colorao"
Gaspar de Utrera / Antonio Moya : tientos
Las corraleras de Lebrija — La Perrata de Utrera / Pedro Peña : sevillanas corraleras
El Lebrijano
3] Juan Peña "el Lebrijano" et Manuel de Paula
Nous devons à Lebrija deux maîtres qui ont marqué l’histoire du cante dans la seconde moitié du XXe siècle. L’influence stylistique de Juan Peña "el Lebrijano" sur les générations postérieures est comparable à celle d’Enrique Morente ou de Camarón de La Isla. Son abondante discographie permet de suivre son évolution stylistique. Le programme de ses deux premiers albums est concentré sur les formes a compás, qui resteront son répertoire de prédilection jusqu’à la fin de sa carrière : soleares, soleares por bulería, fandangos por soleá, alegrías et cantiñas, bulerías, siguiriyas, tientos et tangos — à quoi il convient d’ajouter des martinetes et des tonás. Il y concilie son héritage familial avec l’influence de ses deux grands maîtres, Pastora Pavón "Niña de los Peines" (qui est aussi sa marraine) et Antonio Mairena. Malgré un parti pris de stricte orthodoxie, le cantaor y fait déjà preuve d’un phrasé très personnel, par le placement des césures et de vertigineux décalages rythmiques — écoutez par exemple le quatrième cante de la série des tangos enregistrés avec Paco de Lucía et Ramón de Algeciras. Ce swing incomparable a sans doute ravi Paco de Lucía. Tout au long de sa carrière, El Lebrijano sera d’ailleurs accompagné, au disque et / ou sur scène, par des musiciens exceptionnels : de Niño Ricardo à Paco Jarana, en passant par Paco de Lucía, Pedro Peña, Melchor de Marchena, Juan Habichuela, Manolo Sanlúcar, Pedro Bacán, Enrique de Melchor, Paco Cepero, Antonio Moya, etc.
Les années 1970 sont marquées par une floraison discographique miraculeuse : dix albums, tous de haut niveau, entre 1969 et 1978 (nous leur avons déjà fait référence plusieurs fois). El Lebrijano y privilégie les chants familiaux — nous lui devons aussi les débuts en studio de sa mère, María "la Perrata", en studio. Le titre du disque enregistré en 1974, "Arte de mi tierra", est de ce point de vue emblématique. Si El Lebrijano réussit à imposer au grand public un répertoire resté jusqu’alors confidentiel, c’est qu’il sait le rendre accessible sans l’édulcorer. Outre sa maîtrise du compás, dont il joue avec une virtuosité éblouissante, il sculpte les lignes mélodiques par des attaques de notes d’une précision et d’un tranchant imparables, une ornementation aussi originale que parcimonieuse, et surtout les reliefs dynamiques que lui permettent un soutien et une puissance vocales sans pareil. Un art musical radieux, même dans les formes les plus dramatiques, une présence scénique à l’avenant... et quelques hits, dont une version por bulería de la "Tarara ", devenue un classique du genre.
Au début des années 1980, El Lebrijano est donc en pleine possession d’une esthétique du cante et d’un style vocal auxquels il restera définitivement fidèle : "Cante se escribe con L" (titre d’un album enregistré pour Belter en 1978). Il l’applique désormais à des projets discographiques ambitieux, des sortes de "concept albums" ou d’ "oratorios flamencos", qui font souvent postérieurement l’objet de réalisations scéniques. Il lui faut pour cela un compositeur capable de concevoir des partitions d’envergure, qu’il trouve en Manolo Sanlúcar. Il est révélateur que l’ébauche de ces projets, encore modeste, soit née de la première collaboration entre les deux artistes ("La palabra de Dios a un gitano", 1972). Le titre annonce la thématique des suivants : la chronique des persécutions subies par les gitans ("Persecución", 1976, marqué par la composition d’un nouveau cante, "de galeras", malheureusement resté sans réelle postérité)), interprétée à la lumière des évangiles ("Ven y sígueme", 1982), ou encore par un jeu de symboliques en miroir entre la Passion du Christ et celle des gitans ("Lágrimas de cera", 1999). Seul échappe à ce fil d’Ariane une œuvre de circonstance, ("¡Tierra !", 1989), conçue pour le cinq-centième anniversaire de la "découverte" des Amériques. Enfin, le dialogue musical entre le flamenco et la musique arabo-andalouse aura été le dernier grand projet de Juan Peña "el Lebrijano". Il l’a mené pendant trente ans avec constance et dévouement au fil de quatre albums, dont le dernier qu’il ait enregistré ("Dos orillas" — 2014), précédé par "Encuentros" (1985), "Casablanca" (1998) et "Puertas abiertas" (2005).
Juan Peña "el Lebrijano" / Paco de Lucía et Ramón de Algeciras :tangos
Juan Peña "el Lebrijano" / Manolo Sanlúcar et Pedro Peña : "Oda de Elio Antonio de Lebrija" (tangos personnels)
Juan Peña "el Lebrijano" / Enrique de Melchor et Pedro Peña : cante de galeras
Juan Peña "el Lebrijano" / Paco Cepero et Orquesta Andalusi de Tanger : "Desafio"
Manuel de Paula
Manuel Valencia Carrasco "Manuel de Paula" (Lebrija, 1956) appartient à la dernière génération qui ait connu la dureté du travail dans les gañanías, à laquelle il a échappé grâce à une carrière précoce d’enfant prodige — il obtient le prix du cante por siguiriya du festival de Mairena del Alcor en 1971. Il avait été à bonne école, avec sa grand-mère Josefa Peña Flores "la Rumbilla", sa grand-tante Antonia Pozo et, par l’entremise de Pedro Bacán, Fernanda "la del Pinini". Ce prix lui vaut de signer un contrat avec le label RCA, pour lequel il enregistre trois disques : "El cante grande de un niño gitano" (1972, avec les guitaristes Melchor de Marchena et Pedro Bacán), "Fiesta gitana" (1974, avec Parrilla de Jerez) et "Así canta hoy Manuel de Paula" (1976, avec Enrique de Melchor et Manzanita). Parallèlement, l’imprésario Jesús Antonio Pulpón l’introduit dans le circuit très fermé des grands festivals andalous, à commencer par La Caracolá de Lebrija dès 1972. C’est cependant son engagement dans la compagnie de Mario Maya qui s’avère décisif pour sa carrière comme pour son œuvre. Alliés à ses souvenirs d’enfance dans les gañanías, les spectacles de Mario Maya auxquels il participe (notamment "¡ Ay ! jondo y lo que queda por cantar", 1977) lui inspirent deux disques dont les titres sont sans équivoque : "Campo joven" (1975) et "Romance de Manuel Justicia" (premier double LP en forme de "concept album" de la discographie flamenca, 1976). Il est ainsi l’un des rares cantaores de Lebrija et Utrera à avoir chanté avec constance des letras de protesta — seul Manuel Mancheno Peña "el Turronero" l’avait précédé dans cette voie, mais il l’abandonna rapidement (album "Cantes viejos Temas nuevos", 1973). Á partir de 1993, Manuel de Paula met à profit l’expérience de la scène qu’il a acquise auprès de Mario Maya pour concevoir ses propres spectacles : "Chachpén" (1993), "Majarí Calí" (1998), "Fiesta en el patio de La Rumbilla" (2000), "Como oro en paño" (2007) et "An ca’ Paula" (2010). Il ne manque pas d’y associer de jeunes cantaores, entre autres José Valencia dont il restera longtemps le principal mentor. Il perpétue ainsi la transmission orale du cante dont il a bénéficié dans son enfance. Il l’enseigne encore actuellement.
El Turronero / Paco Cepero : tientos
Manuel De Paula / Pedro Bacán : bulerías personnelles
Manuel De Paula / Pedro Bacán et Pedro Peña : soleares
Manuel de Paula / Pedro Bacán : tientos et tangos
Tomás de Perrate
4] Tomás de Perrate et José Valencia
La transmission orale familiale-territoriale reste bien vivante à Lebrija et Utrera, comme le démontrent les œuvres, déjà fondamentales pour le cante du XXIe siècle, de Tomás de Perrate et de José Valencia. Ces deux cantaores-compositeurs, dans des styles certes différents, fondent sur leur héritage — qu’ils perpétuent respectueusement — des projets musicaux innovants. Tomás Fernández Soto "Tomás de Perrate" (Utrera, 1964), d’abord batteur et à l’occasion guitariste de rock, le fils de El Perrate a tardé à se consacrer au cante, dont il n’a fait sa profession qu’au début des années 2000. Dès ses premiers concerts et un premier album sous son nom ("Perraterías", 2005), il allie des versions magistrales du répertoire familial ( bulerías canoniques avec les cuplés de rigueur ; soleares de La Serneta, La Andonda, Juaniquí, Joaquín "el de la Paula", Agustín Talega ; siguiriyas de Tomás "el Nitri", Joaquín La Cherna, Tío José de Paula, Juanichi "el Manijero") à des pièces originales, bulerías "cubaines" de son cru ("Compay Diego", ou le jumelage entre Cuba et Morón de la Frontera) ou tangos del Piyayo accompagnés par un groupe de rock sur un riff façon ZZ Top. Les trois opus suivants accentuent encore les oppositions apparentes pour mieux démontrer qu’elles n’existent que dans les oukases de puristes obtus : "Infundio", avec le guitariste Rycardo Moreno (2011) et, surtout, "Tres golpes" (2022) et "Jolifanto" (2024). Sur des arrangements électroniques de Raúl Refree, une partie du programme de "Tres golpes" explore les antécédents baroques du flamenco en une alliance multiséculaire entre les musiques savantes-populaires du XVIIe siècle, le cante et la musique contemporaine : "Un sarao de la chacona" de Juan de Arañes ; "Yo soy la locura", une folia de Henry Le Bailly ; "No hay que decir el primor", une jácara anonyme. Avec "Jolifanto", Tomás de Perrate entend prouver que le cante le plus orthodoxe n’est nullement incompatible avec le rock progressif ou le free jazz — en l’occurrence, les arrangements du duo catalan ZA.
Tomás de Perrate / Antonio Moya : "Compay Diego" (bulerías personnelles)
Tomás de Perrate / Rycardo Moreno : soleares
Tomás de Perrate / Raúl Refree : "Yo soy la locura" (folia — Henry Le Bailly)
José Valencia
José Antonio Valencia Vargas "José Valencia" (Barcelone, 1975 — il réside depuis 1983 à Lebrija dont sa famille est originaire) possède l’une des voix les plus brillantes du cante contemporain, qu’il met avec une véhémence expressive incomparable au service de sa connaissance encyclopédique du répertoire de Lebrija — il la doit à l’enseignement de Pedro Peña et de Manuel de Paula, son oncle. Ce dernier se définissait lui-même comme un "cantaor de raíz, pero un poco vanguardista". José Valencia a hérité non seulement ses cantes mais aussi cette conception de son art. Les programmes de ses concerts et / ou de ses disques alternent effectivement le cante "historiquement informé" et des compositions originales. Dans la première catégorie figurent notamment un hommage à Juan Peña "el Lebrijano" ("De Sevilla a Cádiz (1969 – 2016)", 2016) et "Estudio sobre los cantes de Lebrija" (2024), dont le titre se passe de commentaires. Dans la lignée d’Enrique Morente, José Valencia pratique d’autre part un avant-gardisme bien tempéré en composant des cantes originaux, toujours strictement conformes aux codes de tel ou tel palo, sur des textes d’auteurs classiques de la littérature espagnole. Sa première œuvre en la matière était une anthologie de "Rimas" de Gustavo Adolfo Bécquer ("La alta torre", 2020). Le choix de l’humaniste et grammairien Elio Antonio de Nebrija (Lebrija, 1444 – Alcalá de Henares, 1522) était nettement plus aventureux, même si Juan Peña "el Lebrijano" avait déjà adapté por tango la traduction d’ extraits du poème "Salutatio ad patriam" en 1974. Il en est résulté "Nebrissensis" (2022), une cantate pour voix soliste, deux guitares (Juan Requena et Pedro María Peña) et percussions (Manuel Masaedo). Un chef d’œuvre d’autant plus remarquable que deux pièces sont des diptyques latin (adaptation des textes originaux a compás) / espagnol : pregón et nana, petenera et tangos.
José Valencia / Manuel Parrilla : siguiriyas et cabal
José Valencia / Juan Requena : "La alta torre. Rima XLI" (Bécquer) (tarantas personnelles)
José Valencia / Juan Requena et Pedro María Peña : extrait de "Nebrissensis" (tangos personnels)
Surtout à Utrera, leurs contemporains restent fondamentalement attachés aux traditions musicales des familles cantaoras gitanes auxquelles ils appartiennent, même si l’on peut trouver dans leurs discographies des emprunts ponctuels à l’instrumentarium du flamenco actuel (piano, violon, violoncelle, contrebasse, guitare basse, percussions, etc.) : Luis Nuñez Peña "Luis el Marquesito" (Utrera, 1973), María del Carmen Romero Peña "Mari Peña" (Utrera, 1974), Antonio María Perez Peña "Niko" (Utrera, 1975), Jesús Romero Peña "Jesús de la Frasquita" (Utrera, 1978), etc.
Nous prendrons congé de Lebrija et Utrera par l’hommage de Diego Carrasco aux flamencos de gañanía :
Diego Carrasco : "Vida y gloria del gitano"
Claude Worms
Bibliographie
BRYANT, Tony, Flamenco, herencia del tiempo, Createspace Independent Publishing Platform, 2015.
FRAYSSINET SAVY, Corinne, De l’inventaire du patrimoine musical familial gitan au discours patrimonial institutionnel sur le flamenco des années 1960 aux années 2000, Actes du colloque international du CIRIEF, Ethnopôle — CIRDOC-InOC, LAHIC en partenariat avec le MuCEM, 2021. https://hal.science/hal-03260341/document
PEÑA FERNÁNDEZ, Pedro, Los gitanos flamencos, Sevilla, Almuzara, 2013 — traduction en français par LEBLON, Bernard, Les gitans flamencos, Paris, L’Harmattan, 2015.
ZATANIA, Estela, Flamencos de Gañanía. Una mirada al flamenco en los cortijos históricos del bajo Guadalquivir, Sevilla, Ediciones Giralda, 2007.
Site réalisé avec SPIP 4.4.4 + ALTERNATIVES
Mesure d'audience ROI statistique webanalytics par