samedi 23 novembre 2024 par Claude Worms
Israel Fernández : "Por amor al cante" — un CD Universal Music, 2024.
"Yo voy a cantar a la afición desde el amor, la devoción que tengo al flamenco desde que nací, chiquitito. Son cosas que se nace con ellas y después se mejoran. Y yo voy a cantar con toda mi nobleza, admiración y cariño a ustedes, con toda la humildad y el respeto.. Cette annonce liminaire d’Israel Fernández affiche péremptoirement le propos de son sixième album, enregistré effectivement "Por amor al cante". Après un première période de collaboration avec les guitaristes et producteurs de Caño Roto ("Naranjas sobre la nieve", 2008 ; "Con hilo de oro fino", 2014 ; "Universo Pastora", 2018) et un duo avec Diego del Morao conçu non sans arrières-pensées médiatiques Universal ("Amor", 2020 ; "Pura sangre", 2023), il est donc enfin parvenu à imposer au label un projet auquel il tenait depuis longtemps, un disque live avec le guitariste Antonio "el Relojero", guitariste vétéran à peu près inconnu — sauf des aficionados des peñas de la région madrilène. Son style s’avère idéal pour un retour aux sources sans palmas, chœurs ou électronique : Niño Ricardo, embrouillaminis d’arpèges compris, pour les palos "libres" (cantes de minas, granaínas, fandangos) et langage musical standard des années 1920-1950 (Miguel Borrull, Manolo de Badajoz, Niño Pérez, Antonio Moreno, Paco Aguilera, Melchor de Marchena, etc.) pour les palos a compás (soleares et siguiriyas).
Les deux musiciens ont entrepris une tournée dans diverses peñas, dont tous les concerts ont été enregistrés et dont ils ont sélectionné les meilleures performances. Qu’ils n’y aient trouvé matière qu’à cinq séries de cantes pour une durée d’à peine une demi-heure ne laisse cependant pas d’inquiéter quant à la solidité et à l’éventuelle pérennité du projet. D’autant qu’il faut en retrancher un "intermedio", dialogue au cours duquel ils nous narrent les circonstances de leur rencontre, Antonio "el Relojero" nous rappelant à cette occasion qu’il y eut plusieurs "Canarios" dans l’histoire du cante, dont un natif de sa ville natale, Colmenar — pour divertissant qu’il soit, nous ne sommes pas sûr que les heureux acquéreurs de l’album l’écoutent plusieurs fois...
Parti comme nombre de ses collègues d’une imitation passablement stérile de Camarón, le style d’Israel Fernández a progressivement évolué vers une sorte d’OVNI (Objet Vocal Non Identifié) que nous nous hasarderons à décrire comme une synthèse personnelle du timbre de Porrina de Badajoz, de la profusion ornementale de Pepe Marchena et de la ductilité mélodique du cante sevillano. Nous ne pouvons que nous en réjouir, mais regrettons une fois de plus des choix de registres exagérément aigus qui mettent parfois en péril l’assise, la densité et la conduite vocales, notamment pour les soleares et les deux siguiriyas — ces dernières por medio avec capodastre à la septième case ! (El Viejo de La Isla, version Pastora Pavón "Niña de los Peines" / El Planeta). Ajoutons cependant que ces réserves ne s’appliquent pas aux granaínas, et moins encore aux cantes de minas et aux fandangos (cf. la miraculeuse délicatesse du saut d’intervalle descendant et de la liaison entre les quatrième et cinquième tercios du deuxième fandango).
Pour Israel Fernández, le cante n’est pas seulement un métier. Son afición est évidente et se traduit notamment par l’originalité du choix des letras, certes traditionnelles mais rarement chantées, sans nul doute sélectionnées au fil d’écoutes de sources discographiques anciennes. Outre les siguiriyas déjà mentionnées :
• "La señorita — "De quien será este pajarito..." : nous ne connaissons qu’un enregistrement de cette letra, sur une taranta attribuée à Basilio (par Pepe "el Culata" et Melchor de Marchena, 1984) / "Una mariposa clama..." : cartagenera de El Niño de San Roque, deux enregistrements de cette letra (par El Mochuelo et La Rubia Santisteban, tous deux avec Joaquín "Hijo del Ciego", respectivement 1910 et 1911) / "Hablé con la emperatriz..." : letra un peu plus fréquentée, enregistrée notamment par Pastora Pavón "Niña de Los Peines" (1912, avec Ramón Montoya).
• "En ti me ponía a pensar" — voyage por soleá en six cantes de Triana à Cádiz, essentiellement, sauf mention différente, "por" Antonio Mairena. "En ti me ponía a pensar..." : Noriega / " Yo te quiero más que a Dios..." : La Andonda / "Hasta la pared de enfrente..." : El Mellizo / "Me da miedo de quererte..." : El Mellizo (version par El Sernita et Manuel Moreno, 1959) / "Por Dios que esto es matarme... : Paquirri / "Ya sale la luna llena..." : El Mellizo (version par Cayetano Muriel "Niño de Cabra" et Enrique López, 1906).
• "De cuestiones del querer" — media granaína de Antonio Chacón (version par Pastora Pavón "Niña de los Peines" et Ramón Montoya, 1929) / "Donde yo me pueda ir..." : granaína de Manuel Vallejo ( versions par Manuel Vallejo et Miguel Borrull,1929 ; par Pepe Aznalcollar et Niño Ricardo, 1928).
• "Yo voy a perder el sentío" — deux fandangos de Manuel Vega "el Carbonerillo". "Con las lágrimas se van..." (version par El Carbonerillo et Niño Ricardo, 1929) / "Mira si es grande la pena..." (version par El Carbonerillo et Miguel Borrull, 1930)
Comme les précédents disques d’Israel Fernández, "Por amor al cante" nous laisse perplexe, entre irritation et admiration. Perplexe mais séduit.
Claude Worms
Photo : Laura León / Archivo fotográfico Bienal de Flamenco
Galerie sonore :
"En ti me ponía a pensar" : soleares de Triana et Cádiz — chant : Israel Fernández / guitare : Antonio "el Relojero".
"Cuando me siento a la mesa..." (soleá de Noriega) — chant : Antonio Mairena / guitare : Melchor de Marchena ((1974).
"Te quiero más que a Dios..." (soleá de La Andonda) — chant : Antonio Mairena / guitare : Melchor de Marchena ((1974).
"Hasta la fe del bautismo" (soleá del Mellizo, modèle mélodique identique à "Hasta la pared de enfrente...") — chant : Pastora Pavón "Niña de los Peines" / guitare : Niño Ricardo (1927).
"Me da miedo de quererte..." (soleá del Mellizo) — chant : El Sernita / guitare : Manuel Moreno (1959).
"Por Dios, que eso es matarme..." (soleá de Paquirri) — chant : Antonio Mairena / guitare : Melchor de Marchena (1972).
"Ya sale la luna llena... " (soleá del Mellizo) — chant : Cayetano Muriel "Niño de Cabra" / guitare : Enrique López (1906).
"La señorita" : taranta de Basilio, cartagenera de El Niño de San Roque et taranto de El Pajarito — chant : Israel Fernández / guitare : Antonio "el Relojero".
"De quien será este pajarito..." (taranta de Basilio) — chant : Pepe "el Culata" / guitare : Melchor de Marchena (1984).
"Una mariposa clama..." (cartagenera de El Niño de San Roque) — chant : El Mochuelo / guitare : Joaquín "hijo del Ciego" (1910).
"Hablé con la emperatriz..." (taranto de El Pajarito) — chant : Pastora Pavón "Niña de los Peines" / guitare : Luis Molina (1912).
"Yo voy a perder el sentío" (fandangos de Manuel Vega "el Carbonerillo") — chant : Israel Fernández / guitare : Antonio "el Relojero".
"Con las lágrimas se van..." (fandango 1) — chant : Manuel Vega "el Carbonerillo" / guitare : Niño Ricardo (1929).
"Mira si es grande la pena..." (fandango 2) — chant : Manuel Vega "el Carbonerillo" / guitare : Miguel Borrull (1930).
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