mercredi 17 janvier 2018 par Claude Worms , Maguy Naïmi , René Robert
Israel Galván : "La Fiesta" / David Carpio : "Solos" / La Fabi / Luis Moneo et Antonio Reyes / Mari Peña : "Mi Tierra" / Rafael Riqueni : "Parque de María Luisa" / David Coria : "Encuentro" / Pepe de Pura.
Israel Galván : "La Fiesta"
Théâtre Bernadette Lafont – vendredi 19 janvier 2018
Conception, direction artistique et chorégraphie : Israel Galván
Appareil dramaturgique : Pedro G. Romero
Création lumières : Carlos Marquerie
Co-direction musicale : Israel Galván et Niño de Elche
Collaboration à la mise en scène : Patricia Caballero et Carlos Marquerie
Assistante à la mise en scène : Balbina Parra
Scénographie : Pablo Pujol
Création sonore : Pedro León
Costumes : Peggy Housset
Coordination artistique : Carole Fierz
Avec : Israel Galván (danse), Bobote (danse et palmas), Eloisa Cantón (violon), Emilio Caracafé (guitare), Ramón Martínez (danse), Niño de Elche (chant), Alejandro Rojas-Marcos (clavier), Alia Sellami (chant) et Uchi (chant).
NB : nous avons attribué à chaque artiste sa discipline fondamentale, mais dans ce spectacle, toutes et tous sont tour à tour, à des degrés divers, danseurs, acteurs et musiciens (instruments et chant).
¿Qué hacer con unos cantaores (Niño de Elche y La Uchi) que no pueden cantar y un(a) bailaor(a) (Israel Galván) que no llega a bailar ?... un espectáculo titulado “La Fiesta”. Que faire, qu’écrire ? Pour rendre compte avec un tant soit peu de justesse des télescopages spatio-temporels de “La Fiesta”, il nous faudrait la virtuosité d’écriture sonore des lettristes ou de l’Oulipo. Ne pouvant malheureusement faire appel ni à Isidore Isou ni à Raymond Queneau, nous nous contenterons de télescoper les notes en espagnol de Maguy Naîmi avec les nôtres, en français.
Tandis qu’on échange sur scène quelques considérations désabusées sur la vie comme elle va, ou comme elle ne va pas (interprétation libre de borborygmes indistincts, mais por bulería “a medio compás”, naturellement), Israel Galván llega bajando por la sala del teatro, arrastrándose por el suelo con una flor en el pelo y tarda bastante en incorporarse. Anda a gatas, baila en el suelo, remedando a las bailaoras con sus vestidos de faralaes, taconea tirado en el suelo con la punta de los pies, hasta llegar a ponerse de rodillas y a sentarse. Il ne parviendra à danser debout que beaucoup plus tard, à la fin du premier tiers du spectacle. La fiesta est d’abord vue à la hauteur des yeux d’un enfant, qui tente de s’y immiscer tant bien que mal, sans que l’on puisse décider si ses efforts pour atteindre la position verticale échouent systématiquement par impuissance ou si, tel Oskar (“Le tambour” - Günter Grass et Volker Schlöndorff), il a délibérément décidé de s’abstenir de grandir dans le monde des "grands", décidément infréquentable.
Résigné, ou ayant finalement réussi à se faire remarquer des adultes, Galván incarne dès lors, debout, la fiesta dans tous ses états : fêtes de famille ou de quartier, fête entre artistes après le travail (tablaos, festivals…), feria et ambiance de kermesse, Semaine Sainte culminant en bacchanale païenne, carnaval… et même agapes rituelles des supporters dans les stades de football. Todos los artistas son del Betis, dont Ramón Martínez et Bobote portent les couleurs sur scène : le club, traditionnellement “prolétaire”, est opposé symboliquement de génération en génération au plus “aristocratique” Sevilla Fútbal Club (équivalent sévillan des derbys madrilènes Atlético – Real). Parece que Israel se ha inspirado en los cuadros de Goya que representan a unos locos en sus manicomios para la mayor parte de su espectáculo y la mantilla negra con la que se cubre la cabeza al final nos recuerda también otros cuadros goyescos. Cada personaje presente en el escenario parece encerrado en su propia locura. En une scène saisissante précédée d’une farruca déjantée (Caracafé à la guitare électrique agessivement amplifiée), la tête de Niño de Elche est emprisonnée dans l’écorce d’une citrouille que les deux danseurs et Bobote bastonnent vigoureusement avant de tenter de la cimenter hermétiquement. Car “La Fiesta” est aussi une mise en scène de Bourdieu et Foucault. Durante todo el espectáculo los cantaores se valdrán de onomatopeyas, de gritos, hipidos, gemidos y risas, de las técnicas de Beatbox, creando un universo sonoro extraño, y a veces agobiante : faute de pouvoir verbaliser leurs émotions parce qu’on les a méthodiquement privés de la parole, les plus humbles les expriment éloquemment par leurs gestes, leurs postures, leurs déambulations et leur voix. La máxima expresión de la impotencia del cantaor a emitir un cante, et de l’ensemble des protagonistes à s’exprimer clairement, es la escena en la que Niño de Elche se encuentra estreñido en la taza del váter intentando sacar la voz – un scène qui aurait réjouit Almodóvar, dont on retrouve d’ailleurs le goût pour le kitsch goguenard dans la mise en scène. Par exemple dans la scène finale, au cours de laquelle Alia Sellami (nous semble-t’il) est attachée dans un cadre-vitrine illuminé, de ceux dans lesquelles on expose les vierges (Nuestra Señora de…) avant la Semaine Sainte ou pendant le Rocío – lointain écho à un tableau vivant précédent, en forme de Pietà (Caracafé agenouillé au chevet d’une “Dolorosa”). Lorsqu’enfin elle parvient à se libérer, Bobote et Ramón Martínez prennent sa place en vitrine et dansent une sevillana…
Otra referencia a la pintura española es la guitarra picassiana en la que Caracafé tocará unos acordes eléctricos : à la manière de la peinture cubiste, le spectacle déploie les formes musicales et chorégraphiques dans le temps et dans l’espace scéniques : dissociations puis superpositions des parties binaires et ternaires des compases, arabesques flamencas des bras sur postures hip-hop, taconeos sur gestuelle “contemporaine”… La polyphonie bruitiste est transfigurée en musique par l’injection d’objets sonores extraits de tout l’environnement musical disponible : des bribes de standards jazzys de Broadway, d’acrobaties vocales façon Berio, de mélopées sépharades (Alia Sellami), d’airs à danser vernaculaires, de chants liturgiques diffusés off (ne dit-on pas qu’Enrique El Mellizo composa ses cantes en s’inspirant de ce qu’il entendait à la messe ?), de chants diphoniques…etc. pour les voix ; orgue positif médiéval, claviers électroniques à couleurs de célesta, d’orgue de Barbarie ou d’”ambient music” (Alejando Rojas-Marcos), violon (Eloisa Cantón), guitares et percussions pour les instruments – tout objet présent sur scène est d’ailleurs susceptible de se métamorphoser en improbable instrument. Dans un tel chaos savamment ordonné, la danse fait feu de tout bois : baile flamenco, break dance, danse contemporaine et danse classique se fondent miraculeusement dans la géométrie mouvante de la scénographie. Et quel que soit le genre musical ou chorégraphique du moment, presque tout est rythmé a compás ; le flamenco reste la pièce maîtresse du décor musical, même si les palos ne se dégagent d’abord de leur gangue sonore qu’implicitement, parfois douloureusement, souvent en explosions jubilatoires, toujours incomplètement : bulerías, tonás, debla, alegría (réduite à un fragment du “ti ri ti trán”), farruca, fandangos, tangos, siguiriyas, sevillanas…etc.
La fête est un révélateur d’histoires enchevêtrées. Celles d’Israel Galván d’abord, de sa vie comme de son œuvre. Les souvenirs des fiestas de son enfance (la première partie, cf. ci-dessus), dont il comprenait mal les codes : entre rires et peurs (de la violence latente, des bagarres et des gens ivres), mort de sommeil mais contraint de rester éveillé pour le moment où ses parents le feront “sortir” pour danser et ramasser quelques pièces. Les ferias, leurs tréteaux et leur sono (on pense parfois aux chansons de Kiko Veneno – “‘Los managers”, “En un Mercedes blanco”, “Los delicuentes”, “Farmacia de guardia”, “Joselito”…etc.) : des enfants tentent de s’emparer d’un micro qui les surplombent et entonnent brièvement un chant avant d’être sévèrement rabroués (Caracafé por toná, Bobote por debla, Uchi por “Tiri ti trán”, Niño de Elche por martinete – “Que se ponga en mi lugar…” résume on ne peut mieux la situation) ; plus tard, Niño de Elche tente vainement de vendre des billets de loterie dans l’indifférence générale – la loterie est en Andalousie un sport national (on y vend la “Lotería de Navidad” dès l’été). L’histoire sociale aussi : ce n’est pas par hasard que le spectacle revient parfois sur des pièces antérieures d’Israel Galván, notamment “El final de este estado de cosa, redux" (2009) et “Lo real” (2012). L’ histoire du flamenco enfin : en la última parte, como en las películas mudas, todo se pulveriza. Se hace saltar por los aires piezas metálicas colocadas en las tarimas, y se hace vibrar a Caracafé y a la cantaora La Uchi hasta tirarlos al suelo y destruir la tarima. Israel se vale del bastón y de zapatos de mujer para taconear pero todo está amplificado al máximo. Le flamenco explose dans un fracas métallique avant de renaître sous nos yeux en une démonstration éblouissante : le taconeo d’Israel Galván commence por tango, puis passe en fondus-enchaînés imperceptibles à la siguiriya et enfin aux sevillanas – le rallentando du râclement des semelles et du balancement du corps se superpose progressivement aux rasgueados de Caracafé, faux évidemment (pour “La Fiesta”, Caracafé aura donc aussi appris à jouer faux…).
C’est que l’art d’Israel Galván est aussi cinématographique : on y trouve l’onirisme tendre de Fellini, la rage iconoclaste de Pasolini et les mécaniques méthodiquement destructrices d’Harold Lloyd et de Buster Keaton – et même, pour certaines séquences au ralenti, de profil, ces courts métrages “sportifs” des débuts du muet qui servaient à décomposer les mouvements des athlètes.
Sans doute Israel Galván fait-il trop confiance aux capacités de perception visuelle et auditive du modeste spectateur (nous y compris). Trop de tout, tout le temps et partout : ce qui nous a semblé long, dans la partie centrale du spectacle, est peut-être l’effet de notre saturation. “La Fiesta” est une fête andalouse, qui ignore les clivages de classe et de génération. Chacun y amène et y partage ce qu’il a et ce qu’il est (et même, une légère ébriété aidant, ce qu’il ne savait pas qu’il était). La meilleure manière d’appréhender cette œuvre serait certainement de se faufiler sur scène et d’y participer, mais sans trop chercher à comprendre.
Maguy Naïmi et Claude Worms
Photos : Jean-Louis Duzert / Festival Flamenco de Nîmes
David Carpio : "Solos"
Théâtre Bernadette Lafont – jeudi 18 janvier 2018
Chant : David Carpio
Danse : Manuel Liñán
Guitare : Manuel Valencia
Contrebasse : Pablo Martín Caminero
19h30 - la salle de l’Odéon est encore vide, mais pas la scène : le contrebassiste Pablo Martín Caminero y joue la Première Suite pour violoncelle de Bach, histoire de s’échauffer un peu… Heureux prélude pour un spectacle de musique flamenca en forme de "Suite à quatre voix esgales", celles de David Carpio (chant), Manuel Valencia (guitare), Pablo Martín… et Manuel Liñán (danse). Ne nous étonnons pas qu’un bailaor incarne l’une des voix d’une œuvre polyphonique : Manuel Liñán est autant musicien que danseur, à tel point que pour décrire les chorégraphies de "Sinergia", que nous avons vues au Festival de Toulouse en mars dernier, nous n’avions eu d’autre choix que de citer l’ "Art poétique" de Verlaine ("De la musique avant toute chose…") en fil conducteur de notre critique. Dès son entrée pour le premier tableau (soleares – cf. ci-dessous), il suffisait de suivre les arabesques de ses bras pour entendre un cante, tandis que la légèreté frémissante du taconeo l’accompagnait tel des arpèges – le tout dans un étroit cercle de lumière dessiné par une douche. Son duo a capella avec David Carpio sur une longue série de cantes a palo seco (carcelera, tonás et martinetes), alternant épisodes ad lib. et séquences a compás de siguiriya, est à lui seul un sommet d’émotion plastique et musicale.
Nous avions assisté à la création de "Solos" il y a trois ans, au Festival Flamenco de Jerez. Si la conception globale du spectacle n’a pas substantiellement changé, le découpage des tableaux a été modifié et les quelques temps morts et redondances éliminés. La sobre géométrie dessinée par les seules lumières, jouant sur le contraste entres les diagonales de quatre douches qui enferment les artistes ("Solo") et les lignes droites longitudinales qui les réunissent ("Solos") contribue également à un rythme scénique qui jamais ne nous laisse de répit – l’heure annoncée par la fiche technique aura semblé passer en quelques minutes. D’autant que les quatre artistes ont à cœur de ne jamais rompre la continuité de la partition musicale et visuelle qu’ils ont rigoureusement composée : assis dans la pénombre (quatre chaises perpendiculaires à la salle, côté cour), parfaitement immobiles, ils n’en sortent lentement que pour tenir leurs parties, puis y retournent à la fin de chaque "mouvement" de l’œuvre, sans le moindre début de salut, quelque soit la chaleur des applaudissements.
"Solos" est donc conçu comme une partition musicale et visuelle, dont l’écriture spatiale et sonore, justement parce qu’elle est précisément pensée et préméditée, donne aux quatre artistes une totale liberté d’interprétation – celle de ce soir fut en tout point exemplaire par son fini technique comme par son engagement. Une nouvelle preuve, si nécessaire, de l’absurdité d’une doxa malheureusement trop répandue parmi les aficionados, qui voudrait que le "montage" tue l’émotion et l’authenticité. Autant prétendre qu’aucune interprétation d’une œuvre "classique" ne peut toucher la sensibilité des auditeurs : une partition écrite, et pire encore, des chefs d’orchestre qui s’obstinent à multiplier les répétitions avant l’exécution publique. A en croire ces pseudo "puristes", aucune symphonie de Mahler n’aurait résisté à un tel traitement. Pour quelle raison obscure interdirait-on aux artistes de flamenco, cette autre musique savante, d’être intelligents et professionnels comme leurs collègues d’autres genres musicaux ?
Même si chacun des protagonistes du spectacle dispose effectivement de brèves occasion de s’exprimer en "solo", l’essentiel du propos musical et chorégraphique repose sur des dialogues à géométrie variable, à deux, trois ou quatre, dont la succession très solidement construite est soulignée par la scénographie. Ainsi, une suite de soleares encadre symétriquement le reste du programme. Elle présente successivement les quatre artistes au début : chant a capella / première falseta (contrebasse) et duo chant - contrebasse pour le deuxième cante, transformé en trio par l’entrée de Manuel Liñán (El Morcilla – la letra, reprise à la fin du spectacle, pourrait à elle seule en résumer la thématique : "No me duele que te vayas, me duele verte marchar como una persona extraña a la que no supe cuidar") / deuxième falseta (guitare) puis quatuor pour le troisième cante / escobilla accompagnée par les deux instruments à cordes qui inversent d’abord leurs rôles (mélodie pour la contrebasse ; accompagnement en arpèges pour la guitare), avant de se fondre en vigoureux rasgueados pendant l’accelerando, en un savoureux contraste de registres / le tempo ralentit progressivement pour la coda, qui laisse finalement à nu la voix du cantaor. Le scénario est repris à l’inverse à la fin du concert, sur les mêmes cantes, pour la sortie des musiciens. Aussi simple qu’efficace… encore fallait-il y penser.
Tout dans ce spectacle témoigne d’une hauteur d’inspiration sans faille, à commencer par le deuxième tableau, une suite de vaste ampleur initiée par une belle introduction ad lib. de Pablo Martín. Plus encore que ses introductions en solo (malagueña, bulería), ce sont d’ailleurs les accompagnements de Pablo Martín qui nous ont séduit, à commencer par ses magnifiques réponses au chant, et ses figurations par des traits en pizzicati fulgurants des rasgueados en technique d’"abanico" qui accompagnent habituellement le dernier tercio, pour la malagueña-granaína d’ Aurelio Sellès. Après l’entrée le la guitare pour la falseta intermédiaire, accompagnée à l’archet par la contrebasse, le diptyque traditionnel fut complété par la malagueña "doble" del Mellizo, autre grand moment de chant de la soirée. Après une habile transition en arpèges de Manuel Valencia, nous avons particulièrement admiré la variété des arrangements de la série des tientos et tangos astucieusement inversée, à la fois quant au tempo (décroissant, des tangos aux tientos) et quant au plan modal (tonalités homonymes mineure, puis majeure, et finalement modulation vers le mode flamenco homonyme – et non l’inverse, comme de coutume) : cantes del Piyayo / tangos de Triana (avec le célèbre mais finalement peu fréquent "trabalengua" du répertoire de Pepe de La Matrona, et sa redoutable conclusion ascendante modulant du majeur au modal homonyme) / tangos de Jerez / tangos de Cádiz / tientos, construits comme un puzzle par un montage en continuité de courts extraits de divers cantes (entre autres de Frijones, pour rester à Jerez, et de Cádiz). La cohérence musicale du choix des cantes constituant d’amples suites étant l’une des qualités constantes du spectacle, on retrouvera le même montage-puzzle pour la coda des soleares concluant le spectacle. Nous parlons ici de spectacle, car la fluidité et la variété de la mise en place du cantaor étaient magnifiquement mises en valeur par les contrechants et les diminutions rythmiques du taconeo de Manuel Liñan, et par ses commentaires et ses réponses gestuelles, en particulier dans les tangos de Triana en duo.
Les cordes vocales de David Carpio venant d’être mises à rude épreuve, une minera en solo de Manuel Valencia, suivie d’un fandango vivifié par les élégants contrechants de la contrebasse, lui donnèrent quelques minutes de répit – et à nous le plaisir d’écouter une composition instrumentale de grande qualité, tant par sa fluidité mélodique que par son harmonisation.
En format traditionnel (chant – guitare), les siguiriyas ont préludé dignement à la série encyclopédique de "cantes a palo seco" (carcelera, tonás et martinete) qui allait suivre. L’accompagnement et les falsetas de Manuel Valencia, "puro Jerez" (pour les motifs mélodiques et leur placement dans le compás, comme pour les remates vertigineux en alzapúa "à l’ancienne" – Manuel et Juan Morao, Parrilla de Jerez…), étaient à la hauteur du chant de David Carpio, notamment de ses versions de la sigiuiriya de Frijones ("Santolio le den…" ) et d’une Cabal del Fillo. Les tonás et martinetes en duo chant – danse constituaient un autre morceau de bravoure du programme, tant d’un point de vue vocal et chorégraphique que pour la mise en scène – alternance de cantes et de commentaires dansés d’abord, puis interventions du danseur sur le corps et la voix même du cantaor, qu’il finit par actionner comme un pantin – les letras, poignantes, évoquent la violence raciste institutionnelle, la prison et la solitude, avant le remate proclamant "Que grande es la libertad", en lieu et place du traditionnel "Y si no es verdad…".
Avant le retour aux soleares, et après ces pics d’intensité, les bulerías de Jerez ont été d’autant plus les bienvenues qu’elles ont été courtes, sans la moindre facilité "grand public", et propulsées par le swing d’une walking bass de Pablo Martín entrecoupée de contrechants sur les cierres des cantes.
"Solos" marquera sans doute durablement l’évolution des spectacles flamencos contemporains : une œuvre d’une telle densité qu’il est indispensable de l’écouter et de la voir plusieurs fois – ce que nous ne manquerons pas de faire à la première occasion.
Claude Worms
Photos : Jean-Louis Duzert / Festival Flamenco de Nîmes
La Fabi : concert acoustique
Institut Emmanuel d’Alzon – samedi 20 janvier 2018
Chant : Fabiola Pérez "La Fabi"
Guitare : Antonio Moya
Comme le veut la tradition, le Festival Flamenco de Nîmes nous a offert pour le concert acoustique de clôture de sa vingt-huitième édition une belle découverte (du moins pour nous), celle de Fabiola Pérez "La Fabi", une cantaora de fort tempérament qui nous a rappelé par instants les grandes heures de María Vargas (tientos et tangos, tous extremeños, hommage à Camarón inclus – "Y ya pa’ qué los quería…") et surtout de La Cañeta de Málaga dans ses alegrías classiques, ses bulerías por soleá jérézanes et ses bulerías finales, dont les intermèdes dansés étaient aussi savoureusement dévastateurs que les cantes – on aura noté au passage un clin d’œil bien en situation à Pansequito ("Cuando me mentan a Francia / me acuerdo de tu presencia / porque de Francisca a Francia / va poca la diferencia").
Photo : Juan Sampedro Roma. JPG
Seule ombre au tableau, la présence pour la plupart des cantes de trois palmeros, non crédités sur la fiche technique : pour un concert acoustique, c’est au moins un de trop, d’autant que l’un d’entre eux s’avéra intempestivement véhément. Contrainte de forcer sa voix sur les "cierres", La Fabi nous priva alors de la richesse de nuances dont elle fit preuve dans les stricts duos voix-guitares. Ces derniers restent pour nous les moments les plus mémorables du récital, qui commença précisément par deux beaux cantes de minas, judicieusement choisis : murciana de Pencho Cros et levantica del Cojo de Málaga. Avant les bulerías, trois fandangos dédiés à Mari Peña renouèrent avec cette finesse d’expression – tous trois du fond commun du Campo de Gibraltar (Chato Méndez, El Rubio de La Linea…, comme Antonio Reyes le mercredi précédent), via Camarón et Rancapino. Surtout, les siguiriyas, qui conviennent particulièrement bien à son timbre vocal (voz "afillá", pour complaire aux spécialistes), marquèrent le sommet du concert : Paco La Luz / Diego el Marruro (les fameux "ayes" intermédiaires, sur le souffle, plantés avec précision et une puissance terrifiante au cœur mélodique des tercios) / cante de cierre de Juanichi el Manijero, cher à Tía Anica la Piriñaca, dans une interprétation que nous n’oublierons pas de sitôt.
Antonio Moya eut quelque peine à se mettre en train ("los nervios"…), mais entra rapidement dans le vif du sujet (dès la deuxième série de cantes, les alegrías) et fut remarquable, tant pour l’accompagnement que pour les falsetas, dans les bulerías por soleá (belles démonstrations de "toque a cuerda pela’"), les siguiriyas (avec citation de Pedro Bacán) et, comme toujours serions-nous tenté d’écrire, les bulerías (avec quelques détours par Morón). Une composition personnelle (un triptyque abandolao" / malagueña / "abandolao") nous permit également de goûter son toucher et son inspiration mélodique.
Salle comble et public enthousiaste : décidément, le cante fait recette au Festival Flamenco de Nîmes.
Claude Worms
Luis Moneo et Antonio Reyes : récital de cante
Théâtre Bernadette Lafont – mercredi 17 janvier 2018
Chant : Luis Moneo Lara et Antonio Reyes Montoya
Guitare : Juan Manuel Moneo Carrasco et Diego Amaya González
Palmas : Manuel Moneo Carrasco et Antonio José Sánchez Núñez
A l’inverse du baile et du toque, qui tendent actuellement vers des langages unifiés dont chaque artiste s’approprie les éléments en fonction de ses options esthétiques, le cante préserve encore de véritables styles locaux, qui tiennent moins au répertoire qu’à une certaine manière d’appréhender l’ornementation, la dynamique, le rythme et, plus globalement, le temps musical. C’est ainsi qu’à quelques dizaines de kilomètres de distance, les cantaore(a)s d’Utrera, de Jerez et de Cádiz persistent à donner des mêmes "palos", et souvent des mêmes modèles mélodiques, des versions immédiatement localisables géographiquement et aussi distinctes qu’également délectables. Le public du Théâtre Bernadette Lafont aura pu le vérifier au cours des soirées des 16 et 17 janvier, en comparant par exemple les alegrías et cantiñas selon Mari Peña, Luis Moneo et Antonio Reyes.
Peut-être parce qu’il resta longtemps dans l’ombre de ses prestigieux frères Manuel Moneo et Juan Moneo "El Torta", Luis Moneo s’est d’abord consacré à la guitare, avant d’opter tardivement pour le chant, la cinquantaine passée. Une voix limitée en tessiture et une gestion du souffle perfectible, mais une connaissance profondément vécue du répertoire familial et "micro-local" (le quartier de La Plazuela de Jerez) associée à un louable désir de progresser alors que nombre de ses collègues se contentent volontiers de revendiquer leur arbre généalogique sans se soucier outre mesure de la musique qu’ils produisent : de quoi assurer une belle leçon de cante jerezano, avec dignité et sans esbroufe.
Nous avions écouté Luis Moneo à Jerez en février dernier, déjà accompagné par son fils Juan Manuel, et avons donc pu mesurer la différence de qualité entre les deux récitals. A l’évidence, le cantaor s’est attaché à transformer son manque de longueur de souffle en ressource rythmique, notamment pour dynamiser la fin des estribillos, et parfois la coda entière des cantes, par un subtil jeu de répétitions d’une même cellule syntaxique et mélodique, articulées à contretemps autour de brefs silences. Effet garanti : la voix rebondit inopinément là où nous attendions la fin d’un cante, non seulement dans les alegrías et romera et les bulerías (de La Plazuela, sans concession à la copla por bulería), mais aussi dans les soleares et même dans la malagueña-granaína (José Cepero) suivie classiquement par la malagueña "doble" del Mellizo (dans ce cas, le fractionnement de la ligne mélodique remplace l’ornementation défaillante, aux mêmes fins expressives). D’autre part, si Luis Moneo n’a rien gagné dans l’aigu de son registre, toujours très tendu, il a par contre acquis une belle amplitude dans les graves, à la fois suaves et sonores : cf. par exemple, les tercios les plus sobres de la siguiriya de Tomás El Nitri, ("Al moro me voy…"), suivie d’un modèle mélodique de Paco La Luz et d’un cante de "cierre" de Curro Dulce. Enfin, après des classiques de Joaquin el de La Paula et de La Serneta, la tension croissante de la deuxième partie de la suite de soleares fut un modèle de construction par la logique de son plan modal / tonal : soleá de Frijones (mode flamenco) / soleá de Carapiera (modulation à la tonalité homonyme majeure) / cante de "cierre" ("Yo no me monto en el tren…") popularisé par Antonio Mairena (modulation à la tonalité mineure homonyme).
Dès ses deux premières séries de cantes, Antonio Reyes afficha crânement les sources de son style : la luxuriance vocale de Manolo Caracol d’abord (canción-zambra chantée ad lib.) ; l’élégance de Manolo Vargas jointe à la virtuosité rythmique et à l’aisance vocale souveraine de Camarón (première période) pour des alegrías classiques avec interpolations de cantiñas ("del Contrabandista" et de Córdoba) – c’était déjà magnifique, et rien dans le récital ne vint démentir cette première impression.
"Crânement", parce que prétendre assumer l’héritage de ces maîtres sans démériter, et sans pour autant abdiquer sa propre personnalité, suppose des moyens vocaux, et surtout musicaux, hors du commun. Antonio Reyes dispose d’un timbre d’une rare séduction (quelque part entre le jeune Camarón et Arcángel), d’une intonation impeccable qui lui permet d’oser les combinaisons les plus subtiles de portamentos et de glissandos, et d’une longueur de souffle apparemment inépuisable (il faudrait cette fois évoquer le jeune Pansequito) propice à d’improbables liaisons entre les tercios - qu’il sait par ailleurs justifier musicalement par une mise en place créative et un placement et un dosage très précis des accentuations.
D’où la nécessité de tempos beaucoup plus lents que d’usage, sauf à Cádiz précisément (les alegrías, les bulerías, les tientos et les tangos notamment), qui permettent d’ouvrager les phrasés à loisir ; d’où également les longues pauses entre chaque cante, pendant lesquelles le cantaor semble composer en temps réel la partition mentale de celui qui va suivre. Comme tous les grands artistes de Cádiz et des ports de la baie (Aurelio Sellés, Pericón, Manolo Vargas, La Perla, Chato de La Isla, Chano Lobato, Rancapino, Pansequito, Camarón, Mariana Cornejo et tant d’autres), Antonio Reyes "entre" la letra dans le compás où il veut, et sans doute rarement au même endroit. Mais il résout toujours le dernier tercio avec une précision implacable, après maints détours rythmiques intermédiaires dans lesquels tout musicien moins doué se perdrait irrémédiablement – s’ils nous semblent d’abord capricieux, nous percevons à la fin du cante qu’ils étaient en fait les composantes d’une rigoureuse conception rythmique à grande échelle.
En d’autres termes, sans presque en changer une note et avec une ornementation minimaliste, par les seuls moyens du phrasé (agogique comprise) et de la dynamique, le chanteur-compositeur parvient à rendre proprement inouïs des cantes que tout aficionado croit connaître par cœur – une qualité rare que nous avions déjà eu l’occasion de souligner à propos d’Alfredo Tejada, dans un style par ailleurs très différent. C’est aussi ce qui lui permet de fondre en suites cohérentes des compositions apparemment incompatibles (de Chacón à Camarón pour les tientos, par exemple). Un art de funambule, ou encore une manière impalpable de caresser la mélodie, à la manière du "temple" d’une véronique ou d’une naturelle – ce qui n’empêche pas non plus Antonio Reyes d’entrer vaillamment "a matar" quand c’est nécessaire (dans les siguiriyas notamment).
A un tel artiste, il faut un accompagnateur qui ne se soucie guère de répéter certaines falsetas, et encore moins de démontrer sa virtuosité. Il faut par contre un guitariste en réelle empathie avec le chanteur, qui sache attendre patiemment que son interlocuteur ait terminé chacune de ses composition en temps réel sans le distraire par des relances acrobatiques, et épouser exactement - voire devancer - le moindre rubato, le plus infime silence, ou des nuances à la limite de l’audible (ppp, pour le moins). Diego Amaya aura été parfait tout au long du récital, comme d’ailleurs Manuel Moneo et Antonio José Sánchez qui surent adapter leurs palmas aux styles pourtant opposés des deux cantaores.
Nous nous contenterons donc de rappeler en conclusion le programme d’un récital sans failles : canción-zambra (Manolo Caracol) / alegrías classiques et cantiñas del Contrabandista et de Córdoba / tientos et tangos (ces derniers, pour l’essentiel, dans le style de Camarón) / soleares (Joaquin de La Paula, soleares-bulerías "cortas" de Tomás Pavón, La Andonda, El Morcilla) / siguiriyas (Manuel Molina, El Loco Mateo, "cierre" de Curro Dulce) / bulerías (elles aussi dans le style de Camarón) / en bis, trois fandangos, d’abord du fond commun de Cádiz et los Puertos (Chato Méndez, Macandé, El Rubio de La Línea…), et del Gloria pour conclure.
Nous espérons que le Festival Flamenco de Nîmes persistera encore longtemps à nous offrir des concerts de cante de cette qualité, malgré le risque évident en termes de fréquentation. La salle était tout de même presque pleine, et le public aussi averti que respectueux - la constance d’un travail éducatif à long terme finit toujours par payer.
Claude Worms
Photos : Jean-Louis Duzert / Festival Flamenco de Nîmes
Mari Peña : "Mi tierra"
Théâtre Bernadette Lafont - mardi 16 janvier 2018
Chant : Mari Peña
Guitare : Antonio Moya
Danse : Carmen Ledesma
Violon : Faiçal Kourrich
Piano : Pedro Ricardo Miño
Percussions : Paco Vega
Palmas, danse et chœurs : Rocío del Turronero et Juan Amaya
Comme son titre le laisse entendre, "Mi Tierra" est un spectacle dédié aux deux facettes stylistiques du cante d’Utrera et Lebrija : le répertoire flamenco proprement dit d’une part, dans la lignée de La Perrata, Fernanda et Bernarda de Utrera, Pepa de Benito, Inés Bacán, El Lebrijano, Miguel Funi...etc. ; l’appropriation par les artistes du crû de chansons de provenances diverses, initiée naguère par Bambino, d’autre part (copla, tango argentin - et, pour ce concert comme pour le programme du disque de même titre, une composition originale de Paco Cepero).
On ne s’étonnera pas que nous ayons nettement préféré la composante traditionnellement flamenca du concert, d’autant que la voix de Mari Peña ne nous semble pas vraiment adaptée à la chansonnette, malgré des interprétations résolument expressionnistes (un peu outrées parfois) et des arrangements tentant d’injecter un peu de "flamencura" à des mélodies venues d’ailleurs et parfois bien inoffensives (Antonio Moya, guitare et Paco Vega, percussions). Pour lancer ce volet central du concert, Pedro Ricardo Miño (piano) avait commencé par une composition soliste : introduction por granaína avec une jolie figuration d’un trémolo de guitare, suivie d’une bulería, dont l’intermède apaisé conduisait insensiblement à un final plus dynamique, enchaînant diverses citations de chanson (dont un dispensable "Ne me quitte pas") jusqu’à une coda por Cádiz (estribillo de La Perla). L’articulation rythmique était trop souvent brouillée par un usage excessif de la pédale de résonance, qui mettait aussi la voix à rude épreuve lors des accompagnements. Les tientos y résistèrent cependant par leur vigueur rythmique, et le pianiste s’y montra plus inspiré pour une longue et délicate "falseta" à mi-parcours.
Rassurons-nous, il y eu ce soir beaucoup de cante et de toque de qualité, à commencer par une belle série de martinetes et tonás, dont la "toná grande" diffusée par Antonio Mairena et son premier tercio initié par un saut d’intervalle particulièrement épineux, parfaitement négocié par la cantaora. Même si leur attribution canonique renvoie à Alcalá et Triana (Joaquin el de La Paula, La Andonda, José Yllanda), les quatre soleares chantées par Mari Peña ont acquis à Utrera et Lebrija des profils mélodiques et rythmiques spécifiques immédiatement identifiables. En bonne héritière de ses glorieux prédécesseurs, elle excelle à les rendre d’une manière aussi idiomatique qu’inimitable : attaques des notes-clés légèrement "par en-dessous" suivies de portamentos pour atteindre l’intonation "juste" ; peu d’ornementation mais de longues périodes sur le souffle ; usage des silences pour tendre à l’extrême le rejet des dernières syllabes des tercios conclusifs... Pour mieux ancrer encore cette série de soleares dans la "tierra", un bel accelerando d’Antonio Moya conduisit aux bulerías "al golpe" (ou bulerías por soleá, comme l’on voudra) chères aux artistes d’Utrera - le tout dédié à Patrick Bellito, en hommage plus que mérité. On en retiendra également une mise en place personnelle et efficace de la soleá de La Perla de Triana ("Yo quiero ir a las minas de Egipto...") : cette composition semble très tendance ces derniers temps, mais elle fait partie du patrimoine d’Utrera et Lebrija depuis fort longtemps (rappelons la version de Manuel de Paula sur l’album "... de Azabache" de 1986).
Le choix des fandangos por soleá a bien mis en valeur la puissance des aigus de Mari Peña, notamment l’une des fandangos d’El Gloria et un "Jugando al mismo juego" qui nous rappela l’enregistrement historique de La Fernanda avec Juan Maya "Marote". Après une très belle introduction d’Antonio Moya, les cantiñas ne s’écartèrent guère du modèle "de la casa", celui des Pininis - nous ne nous en plaindrons pas, l’interprétation de la cantaora et l’accompagnement du guitariste étant parfaitement adéquats à l’esprit de ces compositions. Après des romances obsessionnels à souhait (les boucles mélodiques du violoniste Faiçal Kourrich associées aux désinences répétitives des cantes, inspirées des bulerías d’Antonia Pozo), le spectacle ne pouvait naturellement s’achever que sur des bulerías locales, lancées en chœur par l’estribillo de l’alboreá et par l’indispensable "Yo vengo de Utrera".
Nous devons deux moments de grâce à Carmen Ledesma, por cantiñas et por bulerías. Pour vous en donner une idée : il lui suffit de deux légères et suaves rotations de poignet pour dessiner fugacement mais très précisément un compás entier de bulería.
Claude Worms
Photos : Jean-Louis Duzert / Festival Flamenco de Nîmes
Le point de vue de René Robert : deux journées flamencas au Festival de Nîmes
Pepe de Pura : récital de cante / David Coria : "Encuentro" / Remedios Malvárez : "Alalá" / "Pasionaria" / Rafael Riqueni : "Parque de María Luisa" / Jean-Louis Duzert : exposition (photographies)
Ce lundi 13 janvier Nîmes affichait dans la journée une douceur printanière, soleil au rendez-vous et, vers 17 heures, un public nombreux patientait à l’entrée de l’institut Emmanuel d’Alzon.
Le récital acoustique place le chant flamenco dans une ambiance d’origine. Pepe de Pura, dont tous les inconditionnels des spectacles d’Eva Yerbabuena apprécient le soutien à la danse de ses interventions, venait se produire "pa’lante" ("devant"). Dans le début de ses cantes la voix un peu faible s’est trouvée couverte par le jeu sonore du jeune guitariste Juan Campallo. L’accord s’est imposé par la suite et nous avons apprécié, entre autres, des tientos intéressants et des siguiriyas d’émotion véritable. Bon accueil du public pour ce début soliste.
Le soir, le théâtre Bernadette Lafont accueillait David Coria avec "Encuentro. Ce jeune danseur avait réuni une troupe d’artistes de grande qualité : danseuses et danseur, musiciens, Antonio Campos et El Londro au chant, l’ensemble fonctionnant parfaitement.
David Coria, a soulevé le public dans ses différentes apparitions par la perfection de sa technique, son zapateado foudroyant et sa présence quasi continuelle sur scène.
Certains arguments du spectacle peuvent être discutables, mais le public était venu pour voir danser et, de ce point de vue, les duos David Coria – Ana Morales ont la vertu de mettre tout le monde d’accord. Longs applaudissements du public.
Le mardi 14 janvier a été une journée de magnifiques découvertes.
Tout d’abord le film "Alalá" (joie en caló ), documentaire de Remedios Malvárez sur les idées et le travail extrêmement généreux d’Emilio Caracafé. Les résultats obtenus auprès des enfants de Las Tres Mil, auxquels Emilio transmet le respect des autres, l’utilité du travail … et le plaisir du flamenco, pour qu’ils puissent entrer dans la vie avec une formation et, éventuellement devenir des artistes. Dans l’ambiance des Tres Mil, le flamenco est toujours présent, en particulier chez les gitans. Après les démonstrations de Caracafé, voir le flamenco irradier chez des bouts-de-choux, dont certains sont déjà artistes ; voir par ailleurs des artistes confirmés venir montrer quelques aspects de leur art, et déclencher des enthousiasmes chez ces enfants, cela fait de belles images, lesquelles ont fait verser des larmes au public présent.
Un film beau, sensible, généreux, traversé par les nombreux passages de Caracafé et sa guitare, qu’il serait bon de montrer dans nos écoles.
L’après-midi "Pasionaria" à l’Odéon. Le public nîmois connaît "Dame la Mano" de Gregorio Ibor Sánchez et Clara Tudela. Associés au pianiste Rafaël Lemonnier, ils nous ont présenté des chants et des textes de l’Espagne en lutte. Artistes engagés, convaincants, avec la comédienne Julie Pouillon, le contrebassiste Pedro Martinez et Xavier Desandre Navarre aux percussions, ils formaient un très bel ensemble. Les spectateurs nîmois, et les autres, leur ont réservé un accueil enthousiaste.
Le soir, au théâtre Bernadette Lafont, Rafael Riqueni présentait "Parque de María Luisa". Disons d’entrée qu’il y a les guitares flamencas et la guitare de Riqueni. Car cette sonorité n’appartient qu’à lui. Douceur de moments d’une subtilité incroyable d’une part, et force et clarté d’autre part. Il faut l ‘écouter et c’est presque au delà du flamenco : de la musique simplement.
Il a joué en compagnie de Gretchen Talbot au violoncelle, apportant les appuis sonores de ce magnifique instrument, et des guitaristes Juan Campallo et Paco Roldán. Javier Barón, danseur invité, a dû déployer tout son métier pour se couler dans le compás du maître. Longue ovation debout à ce grand musicien.
Je ne peux terminer ces quelques souvenirs de Nîmes sans vous parler de l’exposition du confrère "Loulou Duzert". Exposition réellement magnifique, par la qualité des tirages noirs et blancs et la précision du numérique, mais aussi par le choix des formats et des photographies.
Avant tout, Loulou a su capter non seulement des moments décisifs (sa longue carrière à Sud-Ouest a conforté cette qualité réflexe), mais l’essence même des artistes flamencos, ces petits détails, ces expressions qui cernent une personnalité et l’appréhendent.
Regardez les photos de groupes, dans lesquelles chaque personnage tient son rôle (pas d’absents ou de dormeurs). Et si vous ne voyez pas que les danseuses et danseurs vont bouger : voyez un ophtalmo. Si vous n’êtes pas sur le point d’entendre chanter : consultez un oto-rhino, mais surtout, restez à regarder ces images !
René Robert
Photos : Jean-Louis Duzert / Festival Flamenco de Nîmes
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