Manolo Simón : "Entre los juncos del río" / Marina Heredia : "Marina"

mardi 8 juin 2010 par Claude Worms

Manuel Simón : 1 CD Discos Rocío SA 01677 (2010)

Marina Heredia : 1 CD Universal 0602527386747 (2010)

Nos lecteurs assidus connaissent déjà Manuel Simón, dont nous avons chroniqué le précédent enregistrement (Háblame) dans la même rubrique. Nous ne reviendrons donc pas ici sur sa biographie, ni sur son oeuvre discographique. Soulignons cependant une évidence, dont les médias spécialisés ne semblent pas s’ être encore avisés (à l’ exception notable de notre collègue Jondoweb) : à 57 ans, Manolo Simón est l’ un des grands cantaores contemporains. Au fil de disques dont la qualité ne se dément pas, il nous livre dans un regrettable anonymat ce qui pourrait devenir une anthologie encyclopédique du cante traditionnel.

C’ est que le répertoire de ce jérézan excède de loin les quelques formes habituellement fréquentées par ses compatriotes. Le programme de "Entre los juncos del río" est à cet égard des plus éloquent : pas moins de quatorze plages, pour une durée de 77’39... (on nous pardonnera ces détails triviaux, compte tenu du prix des précieuses galettes couramment pratiqué par les multinationales, pour une durée standard qui excède rarement la demi-heure). Pour les hommages à Jerez, on y trouvera des bulerías fougueuses, des siguiriyas d’ une intensité impressionnante (surtout pour le cambio de Curro Durse qui servit de base au célèbre "Era un día señalao / el de Santiago y Santa Ana" de Manuel Torres), et la malagueña - granaína de Cepero suivie d’ un fandango du répertoire de Manuel Torres).

Mais ce sont surtout les autres cantes qui retiendront l’ attention, par leur variété comme par leur interprétation parfaitement idiomatique, puisée aux meilleures sources :

• deux références à Manolo Caracol : fandango por zambra et zambra, avec, logiquement, un accompagnement en duo piano / guitare.

• des jaleos et des tangos extremeños rappelant opportunément le style de Porrina de Badajoz.

• des sevillanas lentes et expressionnistes dans la veine du maître du genre, Manuel Pareja Ogregón.

• pour les raretés, le fandango de Macandé, dans une version très personnelle, et les rosas dont Manuel Simón s’ est fait une spécialité (c’ est sa troisième version, en trois disques successifs).

• une version intégrale de la caña (avec "macho") et une longue suite de soleares (avec, entre autres, des cantes d’ El Mellizo et d’ El Chozas) : deux sommets de sobriété et d’ exactitude stylistique.

• une taranta de Linares (autre sommet) suivie de la cartagenera de Chacón ; et deux Fandangos de Lucena, avec un respect scrupuleux des caractères musicaux du genre (legato, attaque des notes clés du profil mélodique légèrement au dessous de leur intonation...).

Tous ces cantes sont accompagnés avec efficacité, et la sobriété qui leur convient, par Pascual de Lorca, déjà présent sur les deux précédents albums de Manuel Simón, et Joaquín Albert, que nous confessons ne pas connaître.

Comme en témoigne la longue liste de ses remerciements, Manuel Simón fait partie de ces cantaores qui gagnent dignement (mais difficilement) leur vie grâce aux récitals et aux concours organisés par les peñas flamencas. Mais, à ce niveau d’ excellence, l’ artisanat devient incontestablement de l’ art. Gageons qu’ il n’ a pas dû passer très longtemps en studio pour enregistrer cette grande heure de belle musique : les prises alternatives et les montages, comme les effets de réverb et autres artifices, sont ici inutiles. L’ engagement, la science, la voix, et le respect pour le public et le cante suffisent à qui doit garder jour après jour l’ estime des aficionados. Dans un meilleur des mondes possibles, où la notoriété ne se mesurerait pas à l’ aune des programmations de Radiole, des Latin Grammy Awards, ou d’ un look plus ou moins avenant (avec lunettes noires de préférence), l’ art de Manuel Simón serait depuis longtemps reconnu à sa juste valeur.

Procurez vous ce disque d’ urgence, et complétez l’ anthologie avec les deux précédents, vous ne le regretterez pas. Comme ils ne risquent malheureusement pas d’ être distribués par la FNAC ou par Virgin, le recours habituel sera El Flamenco Vive (je n’ ai pas d’ actions chez eux, mais c’ est le seul magasin où j’ ai réussi à le trouver...), ou peut-être l’ éditeur.

El Flamenco Vive

Discos Rocío

Rappels discographiques

"Castillo de Frontera" : Calé Records CD 041 (1996)

"Háblame" : Mediterraneo Music Latino V 0020 D (2006)

Ne vous laissez pas abuser par la très glamour photo de la dame, qui orne la jaquette de ce "Marina" (on en trouve d’ autres, façon Vogue, dans le livret intérieur). Marina Heredia semble enfin avoir victorieusement résisté aux producteurs peu scrupuleux qui voulaient en faire une rivale de Remedios Amaya ou de Niña Pastori. Après les très dispensables "Me duele, me duele" (Polydor, 2001) et "La voz del agua" (Cibeles, 2007), elle signe enfin le grand disque de cante dont tous les heureux mortels qui avaient assisté à l’ un de ses récitals la savaient capable. On ne trouvera ici ni tango-rumba (ou vice-versa), ni "balada", ni chansonnette trop sucrée pour être honnête, si ce n’ est le "Yo me lo creo" de Parrita, por bulería, qui ouvre l’ album - d’ ailleurs pas désagréable.

Une fois n’ est pas coutume, commençons par l’ écrin, luxueux. La plupart des parties de guitare sont assurées avec une inventivité et un goût exquis par José Quevedo "Bolita", l’ habituel partenaire de Marina (remarquable dans la Siguiriya et les Fandangos del Albaicín), et par Luis Mariano, que nous avions déjà apprécié avec Juan Pinilla (superbe introduction pour les cantes de minas). Les deux officient conjointement pour l’ accompagnement des tangos del Sacromonte, d’ une succulente saveur populaire (duo guitare / mandola). Deux invités apportent une variété de ton bienvenue : l’ agrément de la canción-bulería ("Yo me lo creo") doit beaucoup au travail d’ orfèvre de Diego del Morao ; Miguel Ochando, comme à l’ accoutumée, évoque avec bonheur le style de Ramón Montoya pour les malagueñas.

Les arrangements évitent toute surcharge, et ménagent quelques surprises délectables (tangos, fandangos del Albaicín, intrusion de la guitare pour la coda des bulerías a capella...). Les choeurs (Anabel Rivera et Reyes Martín) et les percussions (Paquito González) sont pour une fois distillés avec discrétion et parcimonie, les soleares, siguiriyas, malagueñas et cantes de minas étant interprétés en strict duo voix / guitare. L’ ensemble est remarquablement mis en valeur par un mixage aéré (Boris Alarcón) et une production lumineuse (José Quevedo "Bolita").

Marina Heredia dispose d’ une amplitude vocale vertigineuse, ce qui lui permet de construire souvent ses cantes sur une progression, au fil des letras, du registre médium à des aigus pyrotechniques, ou encore du recueillement à l’ expressionnisme extraverti. C’ est le cas notamment pour les soleares dédiées à son père, Jaime El Parrón (de la soleá de Alcalá introductive à la coda "por Triana" - sur la letra "El espejo donde te miras", jadis illustrée par Camarón), les siguiriyas (extraordinaire version du cambio attribué à Curro Durse, "Dices que duermes sola" - texte ici légèrement détourné), ou encore le couple minera / levantica (dernière plage du disque). D’ autres cantes reposent au contraire sur de brusques contrastes de tessiture, notamment les tangos del Sacromonte (décidément fort en vogue ces temps-ci) et les alegrías, entre mélodies traditionnelles et belles compositions originales.

Mais la cantaora sait aussi faire preuve d’ une juste sobriété quand la forme le requiert. La beauté de son timbre, et l’ originalité constante de son phrasé (écoutez aussi la mise en place des deux premières soleares) suffisent alors à extraire toute la grâce populaire des fandangos del Albaicín (Paquillo el del Gas, Frasquito Yerbabuena), ou à exprimer l’ intense intériorité des deux malagueñas d’Antonio Chacón.

Espérons, pour notre plus grand plaisir, que Marina Heredia poursuivra dorénavant dans cette voie. En attendant, et pour parer à toute autre éventualité, nous thésauriserons soigneusement cet enregistrement.

Claude Worms

Galerie sonore

Manuel Simón : tangos extremeños (extrait) - guitare : Pascual de Lorca

Manuel Simón : taranta de Linares (extrait) - guitare : Pascual de Lorca

Marina Heredia : fandangos del Albaicín - guitare : José Quevedo "Bolita" ; percussions : Paquito González ; castagnettes : Angustias "La Mona" ; palmas : Paquito González & Esfera ; jaleos : Curro Albaizín, Jara Heredia & Mulan

Marina Heredia : siguiriya (extrait - Curro Durse) - guitare : José Quevedo "Bolita"


Tangos extremeños
Taranta de Linares
Fandangos del Albaicín
Siguiriya




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