Antología completa del cante flamenco

La otra antología de Perico

samedi 12 août 2017 par Claude Worms

5 Cds Calé Records - CAL 13462, 2017

La fameuse anthologie dirigée par Perico el del Lunar, publiée en 1954 par Ducretet-Thomson sous licence Hispavox et couronnée par l’Académie Charles Cros, a fait l’objet de nombreuses rééditions et fait depuis longtemps partie de la discothèque de base de tout amateur de flamenco. Sa parution en France en un album de trois 33t 25cm, sous le titre "Anthologie du Cante Flamenco" (LA 1051-52-53) fut suivie en 1955 et 1958 de deux éditions espagnoles sous label Hispavox (même format, puis en deux 33 tours 30 cm en 1971, en deux Cds en 1988…), avec un livret de Tomás Andrade de Silva qui n’existait pas dans la première édition française, mais qui sera repris et traduit pour un tirage "de luxe" par les Editions du Tambourinaire. L’auteur s’y livrait à une tentative de classification pour le moins fantaisiste des 33 séries de cantes du programme :

"Cantes con baile" (I) : alegrías, bulerías, caracoles, fandangos de Huelva, mirabrás, romeras, sevillanas corraleras, tangos, tientos.

"Cantes de Levante" (II) : cartageneras, tarantas.

"Cantes de Málaga" (III) : malagueñas (Chacón et El Mellizo), granaína, media granaína, jaberas, rondeñas, verdiales.

"Cantes matrices" (IV) : cabales, caña, polo, siguiriyas, soleares.

"Estilos camperos" (V) : livianas, serranas, trilla.

"Cantes autóctonos" (VI) : alboreas, marianas, nanas, peteneras.

"Cantes sin guitarra" (VII) : debla, martinete, saetas, tonás.

Antología del Cante Flamenco, Hispavox, 1955

La remarquable postérité de l’entreprise doit sans doute moins à la pertinence du livret qu’au casting convoqué par Perico el del Lunar, qui se charge de tous les accompagnements et de la direction artistique – il a choisi les cantes et leurs interprètes, leur enseignant parfois quelques variantes oubliées : Jacinto Almadén, Antonio el Chaqueta, Victoriano Gamoneda Ballester "Niño de Málaga", Bernardo el de los Lobitos, Pepe de la Matrona, Roque Montoya "Jarrito", Pericón de Cádiz, Rafael Romero et Lolita Triana. Rappelons que Perico el del Lunar avait été le dernier guitariste d’Antonio Chacón, avec lequel il enregistra huit plages pour Odeón en 1928 - ce qui explique sans doute le tropisme chaconien de ses choix, qui ne manqua pas de provoquer quelques critiques acerbes de la part des défenseurs du "chant gitan", à commencer par celles d’Antonio Mairena. Ajoutons enfin que les enregistrements furent réalisés à Madrid par des techniciens français dont l’exigence (notamment quant à l’exactitude de l’intonation) et la patience (on attendait le temps nécessaire pour que surgisse l’inspiration) surprirent les artistes habitués à des séances plus expéditives, quel qu’en soit le résultat : huit jours (ou plutôt huit nuits…) à raison de six à huit heures consécutives, au lieu de la séance unique de deux ou trois heures qui était le standard flamenco de l’époque.

En 1957, lors d’un séjour à Madrid, Rogerio Azcárraga Madero, l’un des grands patrons de l’audiovisuel mexicain (radio, télévision…) écoute l’anthologie Hispavox et comprend immédiatement le succès que rencontrerait immanquablement une production de ce type au Mexique – les très nombreux réfugiés politiques accueillis généreusement dans ce pays, parmi lesquels beaucoup d’artistes et d’écrivains (on n’en dira malheureusement pas autant de la France et de ses camps "spécialisés", d’ "hébergement", de "triage"... en fait purement et simplement de concentration) y ayant largement répandu le goût du flamenco. Cette fois, l’anthologie sera "complète", en cinq 33t 30cm publiés en 1958 par le label Discos Orfeón, créé cette même année par Azcárraga (la date reste cependant incertaine, certains spécialistes penchant plutôt pour 1957, ce qui ne correspond pas à la date de la création d’Orfeón). L’anthologie ne fut pas commercialisée en Espagne, qui devra attendre une éphémère réédition en quatre CDs distribués par Sony en 1994 (ORF 10.082, 10.322, 10.332, 10.342). Entretemps, des sélections en avaient été vendues sous l’étiquette Maya en Amérique du Nord, avec quelques titres croustillants ("Sevilla de mis amores" ou l’inévitable "Juerga flamenca" par exemple). Quelques extraits étaient cependant connus en Espagne grâce à Antonio Murciano qui les avaient inclus dans la "Gran Antología Flamenca RCA" (1971) – y compris une précieuse guajira de Bernardo el de los Lobitos qui avait été inexplicablement écartée de l’anthologie mexicaine.

Pour mener à bien son projet, Azcárraga suit pas à pas le processus qui avait si bien réussi à l’anthologie de 1954, et commence naturellement par en confier la direction artistique à Perico el del Lunar, secondé au Mexique par José Domingo Samperio, natif de Málaga mais réfugié dans ce pays. Aux enregistrements réalisés à Madrid, ce dernier ajoutera des gravures américaines confiées à des artistes exilés définitivement, ou ayant séjourné longtemps, au Mexique. Pour la rédaction du livret, Fernando García Morcillo, compositeur prolifique de revues, comédies musicales et chansons (dont le "María Dolores" repris par El Chaqueta por bulería…), remplace Tomás Andrade de Silva.

Ce texte ne fut sans doute pas jugé indispensable pour l’édition espagnole de 1994, qui l’omit sans états d’âme. Il faut dire que la présentation des CDs brillait par leur laconisme : on y chercherait en vain le moindre crédit, remplacé par un bandeau ainsi rédigé (cf. ci-dessous) : "80 modalidades en 4 volúmenes. 50 grandes artistas flamencos. Grabado en Andalucía, España". Traduisons : 55 séries de cantes. 22 artistes (16 cantaor(a)es et 6 guitaristes). Enregistré à Madrid et sur le continent américain (essentiellement au Mexique), et non en Andalousie, malgré la Giralda qui orne les quatre jaquettes. L’édition Calé Records n’est pas beaucoup plus documentée, même si elle indique au moins les noms des artistes, non sans quelques erreurs pour les guitaristes : c’est Perico el del Lunar et non Niño Ricardo qui accompagne la farruca de Bernardo el de los Lobitos (CD 2, plage 5) ; même erreur pour les soleares de Pepe el Culata (CD 4, plage 9) ; à l’inverse, c’est Niño Ricardo qui accompagne les soleares de Manolo Caracol (CD 4, plage 8) ; la jabera de Canario de Madrid est accompagnée par Perico el del Lunar, non mentionné (CD 2, plage 8) ; enfin, Victor Rojas accompagne seul la media granaína de Paco Muriana (CD 3, plage 4), et non un hypothétique trio Rojas / Ricardo / del Lunar (¡vaya trío !).

Confronté à un cruel manque d’informations, le chroniqueur ne manque jamais de sortir sa botte secrète, c’est à dire un "Petit José Manuel Gamboa illustré" - en l’occurrence "Perico el del Lunar. Un flamenco de Antología", (Ediciones La Posada. Colección Demófilo, Córdoba, 2001). C’est dire si nous lui sommes redevable pour cet article, comme pour beaucoup d’autres.

Antología (completa) del Cante Flamenco, Orfeón, 1994

Il semble que Calé Records ait repris tel quel l’ordre des plages des cinq 33t, et en ait fait cinq CDs. L’éditeur mexicain ayant apparemment choisi de privilégier la diversité pour chaque disque, l’anthologie ne brille guère par sa méthodologie. Par contre, elle est en effet plus complète que celle de 1954, avec cette fois en sus des bulerías por soleá, des campanilleros, des fandangos de Lucena, des fandangos "libres", une farruca, un garrotín, un zorongo et un plus large panel de soleares, siguiriyas et "cantes de Levante", dont la nomenclature s’avère comme toujours aléatoire (nous reviendrons sur ce dernier point). Par contre, les romeras ont disparu, et on ne trouve toujours pas trace de cantes "de ida y vuelta" (guajira, vidalita, milonga, rumba, colombiana...), ni de romances et de jaleos et tangos "extremeños".

Perico el del Lunar avait engagé pour cette nouvelle anthologie la plupart de ses collègues du tablao La Zambra (Madrid), du moins celles et ceux qui y étaient programmés en 1957. Si nous y perdons Jacinto Almadén, Antonio el Chaqueta, Jarrito, Pepe de la Matrona et Pericón de Cádiz, mais nous y gagnons Pepe el Culata, Rosa Durán (bailora vedette du tablao, qui chante des nanas dispensables), El Flecha de Cádiz, Mariquilla et Maruja Heredia et Mari Cela Riego. Rafael Romero, Bernardo el de los Lobitos et Victoriano "Niño de Málaga" restent fidèles au poste, ces deux derniers se voyant confiés un plus grand nombre de cantes. Antonio el Chaqueta est remplacé par son frère, Salvador Fernández de los Santos (baptisé pour l’occasion Salvador "el Pantalón" - así tenemos el traje completo) pour des fandangos de Huelva et des bulerías por soleá "al golpe" (titrées bulerías) qui suffisent à nous faire regretter que sa discographie officielle ne soit pas plus consistante. Deux "chaconiens" émérites de l’époque, Antonio Valdepeñas et Pedro Sánchez Langa "Canario de Madrid" (son épouse, Victoria de Miguel, fut l’une des rares tocaoras professionnelles de la première moitié du XX siècle) complètent l’affiche madrilène. Pour les compléments "américains", quatre enregistrements de Manolo Caracol accompagné par Niño Ricardo, et un duo que beaucoup de nos lectrices et lecteurs découvriront sans doute avec plaisir : Paco Muriana "Niño del Brillante" (Utiel, Valencia, années 1900 ( ?) – Mejico, années 1970 ( ?)) al cante, et Víctor Rojas (1891, Séville – 1972, Madrid) al toque. Disciple de Luis Molina, fils de La Mejorana et donc frère de Pastora Imperio, ce dernier est un excellent guitariste, méconnu sans doute du fait de sa longue carrière mexicaine.

Si Rafael Romero est cantonné aux cantes qui l’ont rendu célèbre, et sur lesquels il reviendra mainte fois pour sa discographie française (alboreá, caña, debla, liviana et serrana, mirabrás, polo et soleá apolá, toná, villancicos et cabal – celle-ci étant en fait la siguiriya de cambio de María Borrico, qui clôt traditionnellement la série liviana / serrana, et qui en est ici détachée, on ne sait pourquoi - cf. Rafael Romero ¡Cantes de época !), l’intérêt de l’anthologie de 1957 réside surtout dans les enregistrements d’éminents cantaores dont la discographie disponible est par ailleurs des plus réduite, en particulier Pepe el Culata, El Flecha de Cádiz et Bernardo el de los Lobitos.

Le premier, outre un martinete, des saetas et des fandangos "libres" de belle facture, nous livre deux séries de cantes mémorables, por soleá (Joaquín el de la Paula / Enrique el Mellizo / Joaquín de la Paula) et por siguiriya (Manuel Molina et Francisco la Perla). Antonio el Flecha excelle dans son répertoire de prédilection : alegrías "classiques", malagueña del Mellizo et siguiriyas (Paco la Luz et El Loco Mateo). Surtout, la musicalité élégante et limpide de Bernardo el de los Lobitos démontre une fois de plus, en sept palos, qu’il n’existe pas de "cantes chicos", mais parfois des interprètes "chicos" : quatre fandangos de Lucena (versions de l’un des maîtres de genre, Cayetano Muriel "Niño de Cabra"), farruca, la meilleure version du garrotín que nous connaissions (sur un leitmotiv varié de Perico el del Lunar, magnifique), granaína de Chacón, marianas, tangos et cantes de trilla.

Les cantes de Manolo Caracol sont dignes de sa réputation, mais, comme pour Rafael Romero, leur choix ne s’écarte guère des programmes habituels de ses enregistrements : fandangos personnels, bulerías por soleá et la veine gaditane por siguiriya (Francisco la Perla et cante de cierre Silverio) et por soleá (El Mellizo et El Morcilla). On découvrira par contre quelques pépites : les fandangos del Albaicín de Mari Cela Riego (titrés verdiales) ; les bulerías de Maruja Heredia ; l’anthologie de soleares (Utrera, Triana et Cádiz) d’Antonio Valdepeñas, moins inspiré dans les cantes de Levante (cartageneras de Chacón et de La Peñaranda, taranta et levantica del Cojo de Málaga, titrés tarantas et accompagnées por taranto par Perico) ; les caracoles et surtout les jaberas del Canario de Madrid, dans le style popularisé à Madrid par El Chato de Jerez ; la media granaína, la taranta del Cojo de Málaga (titrée minera) et la murciana de Chacón (ou malagueña : "A que tanto me consientes…") de Paco Muriana ; enfin les quatre cantes exquis de Victoriano "Niño de Málaga" : tientos dans le style d’Antonio Chacón, tanguillos, malagueñas de Chacón ("Que te quise con locura…") et del Canario (titrées malagueñas de Chacón) et peteneras (Medina el Viejo / Pastora Pavón "Niña de los Peines").

NB : la collection "Maestros del Cante" éditée par Hispavox a consacré des LPs à Bernardo el de los Lobitos, Pepe el Culata et El Flecha. Le label n’ayant pas daigné rééditer en CD le disque de ce dernier, il vous faudra rechercher le vinyle original de 1972 ou sa réédition de 1987 (Hispavox 530 40 3235 - guitare : Félix de Utrera). Les deux premiers enregistrements existent par contre en version CD : Bernardo el de los Lobitos : Hispavox 150 102 (guitare : Luis Maravilla) / Pepe el Culata : Hispavox 150 053 (guitare : Melchor de Marchena).

Claude Worms

Galerie sonore

Fandangos del Albaicín
Fandangos de Lucena
Caracoles
Alegrías
Murciana
Tientos
Siguiriyas

Fandangos del Albaicín : Mari Cela Riego - guitare : Carlos et Pepe Muñoz

Fandangos de Lucena : Bernardo el de los Lobitos - guitare : Perico el del Lunar

Caracoles : Pedro Sánchez "Canario de Madrid" - guitare : Perico el del Lunar

Alegrías : Antonio "El Flecha" - guitare : Perico el del Lunar

Murciana : Paco Muriana - guitare : Victor Rojas

Tientos : Victoriano "Niño de Málaga" - guitare : Perico el del Lunar

Siguiriyas : Pepe el Culata - guitare : Perico el del Lunar


Fandangos del Albaicín
Fandangos de Lucena
Caracoles
Alegrías
Murciana
Tientos
Siguiriyas




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