dimanche 14 mai 2017 par Claude Worms
Tomasa la Macanita : "Directo en el Círculo Flamenco de Madrid" - un CD + un DVD, El Flamenco Vive, 2017. Livret de présentation en espagnol comportant toutes les letras.
"Pasaje en el tiempo" (Colección "Paso a los Jóvenes Flamencos". Vol. 1) - El Flamenco Vive, 2017. Livret de présentation en espagnol comportant toutes les letras.
David et Alberto Martínez ne se contentent pas de diriger un magasin spécialisé disposant d’un stock inépuisable. El Flamenco Vive privilégiant l’afición et ne se souciant que marginalement de rentabilité, ils produisent depuis une vingtaine d’années des disques et des livres qu’aucun label ou éditeur n’aurait vraisemblablement l’audace de prendre en charge. Les deux albums qui font l’objet de cet article sont les numéros 35 et 36 de la série. Un rapide flashback ne sera donc pas inutile. Tout a commencé par le sauvetage d’enregistrements que personne ne se souciait de rééditer, soit dans leur programme d’origine, soit sous forme de compilations et d’anthologies : José Menese ("21 cantes (1963 - 1975" / "Cantes flamencos básicos") ; El Chocolate ("Chocolate con Niño Ricardo") ; Agujetas el Viejo, Manuel et Antonio Agujetas ("Agujetas. Tres gerenaciones") ; "Nueva frontera del Cante de Jerez" ; Sernita de Jerez ("10 cantes") ; Manuel Soto Sordera ("30 cantes") ; Chano Lobato ("Sus primeras grabaciones") ; "Repompa de Málaga & Antonio El Chaqueta" ; Fernanda et Bernarda de Utrera ("Sus primeras grabaciones") ; La Perla de Cádiz ("19 cantes") ; Rancapino (son premier LP) ; Rafael Romero et Juan Varea ("Grabaciones en París (1956 - 1959") ; Antonio Mairena ("Estipén")...
Suivirent des livres accompagnés d’enregistrements pour la plupart inédits, ou au moins introuvables, sur Antonio el Chaqueta (Ramón Soler Díaz : "Pasión por el cante"), Diego del Gastor (Ángel Sody de Rivas : "El eco de unos toques"), Luis de la Pica (Alfredo Grimaldos : "El duende taciturno"), Diego Rubichi (José Luis Gálvez Cabrera : "Aljibe jondo"), Anzonini del Puerto (Andrés Gonzalez Gómez : "Al compás de Anzonini del Puerto") et Canela de San Roque (Luis Soler Guevara, José Luis Vargas Quiros, Carlos Martín Ballester et Antonio Burgos García : "Por el hablar de la gente"). Nous devons aussi aux frères Martínez, devenus éditeurs, la parution de quelques ouvrages fondamentaux (avec CDs également) sur Sabicas (José Manuel Gamboa : "La correspondancia de Sabicas nuestro tío de América"), les cantes mineros (Rafael Chaves Arcos et Norman Paul Kliman : "Los Cantes Mineros a través de los registros de pizarra y cilindros"), Antonio Mairena (Juan Antonio Muñoz : "Mis recuerdos de Antonio Mairena. 50 años de luz y duende") ou Rafael Romero (José Manuel Gamboa : "Rafael Romero... ¡Cantes de época !") - sans oublier un recueil d’articles de José Blas Vega ("50 años de Flamencología") et les souvenirs de Pablo Tortosa ("El despertar de otros tiempos y cantes inéditos con historia").
Enfin, El Flamenco Vive est devenu un producteur de disques à part entière : outre un DVD de Silvia Marín ("Flamenco para niños"), son catalogue comprend déjà une dizaine de titres : El Pono ("La barbería del este") ; Grupo de Chacarrá "La Galera" ("Chacarrá. Desde Bolonia a Zahara de los Atunes") ; Canela de San Roque ("Flamenco en Lavapies") ; Cancanilla de Málaga ("Entre viejos zarzales") ; José Carpio "El Mijita" ("Se llama flamenco") ; Juanilloro ("Plazuela viva")...
Fondé en 2013, le Círculo Flamenco de Madrid est une association d’aficionados dont le but essentiel est l’organisation de concerts bimensuels, en petit comité. El Flamenco Vive en est partie prenante, et publie depuis l’année dernière des disques enregistrés en direct lors de ces concerts, sans montages ni retouches, sous le titre "Directo en el Círculo Flamenco de Madrid". La collection a été inaugurée en beauté par le duo Antonio Reyes - Diego del Morao.
Ce sont Tomasa la Macanita et Manuel Valencia qui leur succèdent, avec un album à marquer d’une pierre blanche, qui comptera désormais parmi les grandes réussites du "live flamenco", au même titre que ceux de Manuel Agujetas et Curro de Jerez ("En la Soleá" - Alía Discos, 1998), de Carmen Linares avec Paco et Miguel Ángel Cortés ("Spain : Carmen Linares. Cante Flamenco en vivo" - World Network, 1994) ou de Fernanda et Bernarda de Utrera avec Paco del Gastor ("Cante flamenco" - Ocora, 1987). Nous l’écrivons d’autant plus volontiers que nous n’avons jamais été inconditionnel de la cantaora, surtout au disque. Son cante a toujours en concert un poids et une intensité émotionnels qu’elle peine à retrouver en studio - comparez par exemple cette version de la letra par laquelle elle a coutume de commencer ses séries de siguiriyas ("Del olivar hasta el pozo lo salí a buscar...") avec celle qu’elle avait gravée pour Auvidis avec Parrilla de Jerez, en 1995 il est vrai ("Tomasa la Macanita" - Auvidis Ethnic, Flamenco Vivo, B 6811). L’autre grande qualité de ce type de projet discographique est évidemment que les artistes peuvent y développer leurs interprétations aussi longuement qu’ils le souhaitent, sans dépendre du minutage auquel les producteurs jugent prudent de les astreindre en studio, bien à tort d’ailleurs : la durée de quatre des six plages oscille entre 12 et 14 minutes (seules les malagueñas et les cantiñas font exception, avec tout de même 8 minutes).
Si l’on excepte des cantiñas originales, agréables mais un peu répétitives, le programme du récital est concentré sur le cœur de répertoire traditionnel du cante jerezano. Le diptyque granaína-malagueña ("A buscar la flor que amaba...") / malagueña del Mellizo surprend cependant, non par son choix mais par la sobriété de son interprétation. La Macanita découpe les tercios en courts motifs mélodiques tout en préservant leur continuité et la cohérence à grande échelle des deux compositions : belle version personnelle pour deux cantes pourtant rebattus. L’unité d’une impressionnante anthologie de soleares (Joaquín el de la Paula, La Roezna, Frijones, La Andonda, La Serneta...) est assurée par la référence, constante mais sans mimétisme, au style de La Fernanda de Utrera. Pour les siguiriyas (El Marruro, Paco La Luz et Juanichi el Manijero), c’est le cante de La Piriñaca qui inspire La Macanita, là encore avec une forte dose de tournures personnelles, en particulier dans le découpage des letras. Enfin, les tientos-tangos et les bulerías sont fortement enracinés dans le terroir jérézan, avec ici ou là des hommages à tel ou tel artiste de référence (El Borrico et La Paquera, entre autres - mais aussi la sévillane Pastora Pavón pour les tangos).
Manuel Valencia s’en tient judicieusement au style "standard" de Jerez (Manuel Morao, Parrilla de Jerez et Moraíto essentiellement) et accompagne solidement un répertoire qu’il connaît par cœur et une cantaora avec laquelle il collabore régulièrement.
Claude Worms
Galerie sonore :
Malagueñas (Manuel Torre / Enrique El Mellizo) : Tomasa la Macanita (chant) - Manuel Valencia (guitare)
Pasaje en el tiempo, premier volume d’une collection intitulée "Paso a los jóvenes flamencos", pourrait être sous-titré "Canta Jerez - quatrième époque". Depuis 1967, des albums mémorables s’attachent en effet à faire périodiquement un état des lieux de la vitalité de la transmission orale du cante à Jerez. D’abord les grands "passeurs" entre la génération de Manuel Torre, El Gloria, José Cepero... et celle de Juan Moneo "El Torta" : El Borrico, El Sordera, Terremoto, El Sernita, El Diamante Negro et Romerito ("Canta Jerez" - Hispavox, 1967). Suivit rapidement une "Nueva Frontera del Cante de Jerez" (1974 - réédition par El Flamenco Vive : BMG / RCA, 1999) : Diego Rubichi, Luis de la Chicharrona, Nano de Jerez, Mateo Soleá, Paco "El Gasolina", El Garbanzo, Manolito de Malena, Manuel Moneo et Juan Moneo "El Torta". Le retour à cette même frontière se fit attendre plus longtemps ("Nueva Frontera del Cante de Jerez" (bis !) - Bujío, 2008), avec une affiche pléthorique comprenant quelques uns des futurs hérauts internationaux du cante jerezano : Juan Fajardo Moneo "Moneíto", José Carpio "Mijita", Antonio Peña "El Tolo", Pedro Garrido "Niño de la Fragua", Manuel Garrido "Manuel de la Fragua", Joaquín Marín "El Quini", Luis Lara "Luis de Pacote", Ezequiel Benítez, David Carpio et Jesús Méndez.
Si l’on excepte l’album historique de 1967, un rapide coup d’œil aux castings successifs montre que les aléas professionnels et le hasard des rencontres ont, au moins autant que le talent, déterminé la carrière des uns et des autres. Il en sera sans doute de même pour les trois protagonistes de ce quatrième épisode de la saga, fermement dirigé et précisément préfacé par David Lagos, dont les patronymes attestent de généalogies "con raíces" : Enrique Ruiz Carrasco "Enrique Remache" (Jerez, 1990), Rafael Fernández Ruiz "Rafael del Zambo" (Jerez, 1990) et Manuel Marín Valencia " Manuel de la Nina" (Jerez, 1991).
C’est Enrique Remache qui nous semble posséder la personnalité la plus affirmée. Il parvient, par des ornementations et des colorations de timbres innovantes, à renouveler des classiques comme le taranto de Manuel Torre ou les fandangos de El Gloria et du même Manuel Torre, et signe une suite particulièrement cohérente de trois siguiriyas, composée exclusivement de modèles mélodiques attribués à El Loco Mateo.
Ses deux partenaires nous livrent des versions moins originales, mais probes et rigoureuses, d’autres piliers du répertoire traditionnel : bulerías por soleá, malagueña del Mellizo et une poignante interprétation du plein-chant por saeta de Jerez (Isabelita de Jerez, Manuel Torre, El Gloria...) pour Manuel de la Nina ; tientos, soleares (introduction et conclusion par deux cantes du crû, d’Antonio Frijones et Tío José de Paula, encadrant deux compositions de La Serneta) et cantiñas pour Rafael del Zambo - les cantiñas commencent par deux letras de ce qu’il est convenu de nommer "soleá de Carapiera", souvent utilisée à Jerez comme "cambio por soleá", et qui retrouve ici sa vraie nature musicale (cantiña de Jerez, en tonalité majeure et non en mode flamenco).
Accompagnements des plus idiomatiques de Fernando et Diego del Morao - Manuel Parrilla nous offrant pour sa part, et comme d’habitude, une vision autrement plus riche du même style de toque (soleares por medio et fandangos) - et fiesta por bulería a cappella pour finir, regroupant les trois cantaores qui reçoivent pour l’occasion le renfort de deux Enriques de poids, Enrique el Zambo et Enrique Soto. A suivre...
Claude Worms
Galerie sonore :
Fandangos (El Gloria / Manuel Torre) : Enrique Remache (chant) - Manuel Parrilla (guitare)
Saeta : Manuel de la Nina (chant)
Cantiñas : Rafael el Zambo (chant) - Fernando del Morao (guitare)
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