mardi 13 janvier 2015 par Claude Worms
Un livret de 89 pages (éditions en espagnol et en français), 6 CDs et un DVD - Pasarela CMF5-501, 2015
Marius de Zayas vers 1954
Dans un précédent article (Les fondateurs de la guitare flamenca soliste — Manolo de Huelva), nous regrettions la rareté des témoignages discographiques de Manuel Gómez Vélez "Manolo de Huelva" (Río Tinto, 16/11/1896 - Séville, 02/05/1976), sans doute due en partie à sa répugnance à divulguer ses falsetas et à sa hantise d’être copié, devenues légendaires. Jusqu’à la parution providentielle du présent coffret, seules quelques faces gravées avec Enrique Orozco, Manuel Centeno, Canalejas de Puerto Real et surtout Manuel Vallejo étaient accessibles - à moins d’être particulièrement tenace et de se mettre en quête de la rééditions éphémère et très confidentielle, à l’occasion de la sixième Biennale de Séville, de six solos (1938) couplés avec les séances Boîte à Musique de Ramón Montoya (1936), le tout appartenant à la collection de Marius de Zayas, promoteur de ces enregistrements ("Concierto de Arte Clásico Flamenco" - deux LPs Diapasón 560127, 1990).
Or, la collection de Marius de Zayas et de son épouse Virginia Randolph Harrison recelait bien d’autres trésors, filmés ou enregistrés entre 1938 et 1966, dont leur fils Rodrigo de Zayas à la générosité de nous offrir l’intégralité en un DVD et six CDs.
Virginia Randolph Harrison (à gauche) avec Encarnación López "La Argentinita". Rivoiranche, automne 1938
Comment entrer dans cet impressionnant "Manolo de Huelva acompaña..." ("Manolo de Huelva accompagne..." pour la version française) ? Nous conseillons à ses heureux acquéreurs de commencer par les deux derniers volumes, qui constituent une excellente introduction au style et aux options esthétiques du guitariste.
Le volume 7 présente dans une très bonne copie le moyen métrage "Argentinita" (26 minutes, 35mm), tourné en 1938 aux studios Photosonor de Courbevoie et de Joinville, que nous avions découvert au Petit Palais en 2008 (exposition "La nuit espagnole"). Manolo de Huelva y accompagne Encarnación Lopez "Argentinita" et sa soeur Pilar López (Bulerías, Sevillanas, Tangos, Alegrías, Caña - danse, et chant subsidiairement) et y joue en solo des Siguiriyas. Il s’agit naturellement d’un document de premier ordre sur la danse flamenca, d’autant que Virginia Harrison affirme que La Argentinita avait appris certains bailes (les Tangos notamment) auprès de La Macarrona et de La Malena. Les plans sont souvent très beaux (production et direction artistique de Marius de Zayas), et mettent remarquablement en valeur le visage, les mains et les bras des deux bailaoras. Le montage de Virginia Randolph Harrison est d’une grande précision musicale, le rythme des images épousant étroitement celui de la musique, parfois au prix de quelques déphasages par rapport à la bande son, que les guitaristes remarqueront certainement (dans les Bulerías par exemple). Les Alegrías sont particulièrement impressionnantes, avec l’innovation que constituait à l’époque l’insertion de séquences au ralenti alors que le tempo de la guitare reste constant. Virginia Harrison explique qu’elle a réduit la vitesse des images au quart, ce qui correspond précisément à trois temps du compás : les séquences concernées sont d’abord présentées en vitesse normale, puis au ralenti, alors que la guitare maintient imperturbablement le tempo - l’effet est particulièrement spectaculaire pour l’escobilla ponctuée par des voltes.
Mais les guitaristes apprécieront aussi le privilège de voir jouer l’un des grands techniciens de la guitare flamenca, notamment dans la Siguiriya. La main droite est d’une précision et d’une souplesse impressionnante. On sait que Manolo de Huelva avait étudié d’abord la guitare classique, et qu’il avait même commencé une carrière de concertiste classique avant de se convertir au toque flamenco. Le paradoxe est qu’il adopta alors l’école de Patiño, prototype de ce qui sera plus tard dénommé "toque a cuerda pelá", jeu monodique au pouce et plus tard en "picado" - peut-être en réaction à sa formation initiale. D’après les enregistrements du coffret, il y est resté fidèle pendant toute sa carrière, variant à l’infini les modèles légués par Paquirri, Antonio Pérez, Patiño, Paco de Lucena... - comme le firent, à leur manière, Javier Molina, Perico el del Lunar ou Diego del Gastor.
Mais ce qui n’appartient qu’à Manolo de Huelva, c’est sa manière inimitable de phraser ces clichés traditionnels qui pourraient sous d’autres doigts être d’un piètre intérêt. Il fut non seulement l’un des premiers guitaristes flamencos à respecter scrupuleusement l’espace métrique du compás, mais il fut surtout, sans doute, le premier à le transformer en matière rythmique dynamique, grâce notamment à la précision de sa main droite, héritée de sa formation classique : contrôle minutieux de la dynamique, qui lui procurait une palette d’accentuations sans précédent, silences millimétrés par l’usage de l’ "apagado" (étouffement de la résonance des cordes), rasgueados nettement découpés et conclus par une sèche attaque du pouce... Même les arpèges et le trémolo, par le détaché parfait de chaque note, quelque soit le tempo, deviennent de redoutables instruments rythmiques (écouter les "cierres" et les "paseos" des Soleares et de la Caña pour les arpèges ; certaines falsetas de Siguiriya et de Serrana pour les trémolos). Ecriture musicale rythmique à la pointe sèche, suffisamment riche en elle-même pour se passer de raffinements harmoniques, et ironique démenti aux lieux communs concernant les flamencos "gitan" et "payo" - Ramón Montoya, gitan, aura été le premier grand maître harmonique de la guitare flamenca et des "toques libres" (Granaína, Taranta, Minera, Rondeña...) ; Manolo de Huelva, payo, aura été le premier grand maître rythmique de la guitare flamenca et des "toques a compás" (au moins pour la Soleá, la Caña, la Siguiriya, la Serrana et la Bulería). On peut même soupçonner qu’il a été l’un des créateurs (sinon le créateur), pour ce qui concerne la guitare, de la Bulería "moderne" - même s’il la définit comme une Soleá "en plus rapide". Il est vrai que la plupart de ses falsetas commencent au temps 1, comme pour la Soleá, mais ses accompagnements et ses compases en rasgueados impliquent la mutation du temps initial du compás de la Bulería au temps 12 de la Soleá, et la division consécutive des douze temps en deux medios compases ternaire (temps 12 à 5) puis binaire (temps 6 à 11), caractéristique du compás de base de la Bulería "moderne" (voir le dernier compás de notre transcription de la falseta 1). Il fut aussi l’un des premiers tocaores à doter définitivement les Fandangos de Huelva d’un accompagnements distinct de celui des Fandangos de type Verdiales, en superposant une carrure harmonique binaire (mesure à 3/2 pour un temps = une noire) au rythme externe "abandolao" ternaire (6/4) de ces derniers (écouter les enregistrements avec Aurelio Sellés de ce coffret).
Le volume 6, "Manolo de Huelva annonce et accompagne... en solo" est a priori plus austère. Mais il est emblématique de l’autre principe intangible de Manolo de Huelva (et du titre du coffret), hérité lui aussi de Patiño : la guitare flamenca n’a qu’une seule raison d’être, l’accompagnement - de préférence du chant. Les seize plages du CD sont donc effectivement des accompagnements du chant... sans chant. Une précieuse leçon magistrale pour tout apprenti guitariste comme moi, mais aussi un précieux outil pour la compréhension de la musique de Manolo de Huelva. Quoiqu’il joue, sa partition intérieure est ce que serait tel ou tel cante, peut être même interprété par telle ou telle voix. Cette dernière hypothèse nous est dictée par le fait que le guitariste annonce la plupart des cantes en les identifiant, non à un créateur ou à un lieu, mais à une letra précise : "Soleá "A una montaña""... Comme il se doit, chaque accompagnement est précédé d’une introduction spécifique - non pas spécifique de la forme Soleá, par exemple, mais bien particulière à un cante précis. C’est ainsi que l’introduction à la Soleá "Los pájaros son clarines" de ce CD est identique à celle de la version d’Aurelio Sellés de la même Soleá de Paquirri (volume 3, plage 19) : comme si, pour le guitariste, des liens occultes unissaient la musicalité ou l’ethos d’un chant à ceux d’une falseta. Il n’est donc guère étonnant qu’Enrique Morente ait pu facilement (mais non sans talent) chanter en re-recording sur un enregistrement de Manolo de Huelva ("El pequeño reloj", EMI, 2003). On notera enfin que le programme de ce volume est révélateur des goûts du guitariste : 10 Soleares, 2 Polos ("natural" de "de Tobalo"), 1 Caña, 1 Siguiriya, 1 Serrana ("macho") et 1 Bulería ("cante corto de Jerez") - donc, trois compases : de Soleá, de Siguiriya et de Bulería (si l’on pense comme nous qu’il est significativement différent de celui de la Soleá précisément à partir de Manolo de Huelva). Pour nuancer ce tableau, ajoutons cependant qu’il serait naturellement plus difficile de se livrer à un tel exercice (accompagnement du chant... sans chant) pour les cantes "libres". Encore peut-on constater tout au long des 6 CDs que Manolo de Huelva est resté imperturbablement fidèle à la manière ancienne de les accompagner, c’est à dire en maintenant un rythme "abandolao" plus ou moins rubato en accords arpégés. Les cantes "abandolaos" au programme des différents CDs sont d’ailleurs intitulés indifféremment "Malagueña".
Manuel Gómez Vélez "Manolo de Huelva"
Ce qui nous amène aux cinq autres CDs, des enregistrements non commerciaux, sur bande magnétique ou 78 tours, réalisés avec différents cantaore(a)s choisis par le guitariste, pour Virginia Randolph Harrison et Marius de Zayas. Il s’agit là encore de documents exceptionnels, qu’il s’agisse d’artistes peu ou pas enregistrés ou d’artistes dont la discographie, plus abondante, a été réalisée trop tard. La restauration d’ Adolfo Castilla est à la hauteur de la qualité musicale des artistes.
Les dénominations des cantes pourront parfois laisser perplexe. Ils sont dus à Manolo de Huelva lui-même, et se réfèrent plus à des formes métriques et rythmiques (dans le cas des formes a compás) ou harmoniques (dans le cas des formes de type Fandango) génériques qu’à des cantes (ou "palos") spécifiques. Par exemple :
_ tous les cantes nommés "Malagueña" appartiennent t au groupe des cantes "abandolaos" et à leurs dérivés - d’autant plus que Manolo de Huelva s’en tient à leur accompagnement ancien, en rythme "abandolao" rubato en accords arpégés. Ce peuvent être des Malagueñas (de Chacón, del Mellizo ou de Fosforito), mais aussi des Fandangos de Lucena, des Verdiales lucentinos (ou cordobeses)... selon les différents volumes.
_ les Alegrías du volume 2 (Luis Caballero) sont en fait des Mirabrás. Mais il s’agit là d’un modèle mélodique de Cantiña, donc a compás d’ Alegría.
_ les Siguiriyas du volume 5 (Pepe de la Matrona) sont en fait une Serrana, encadrée par une Liviana et une Siguiriya de María Borrico). Mais la Serrana est un modèle mélodique a compás de Siguiriya (cf : notre article, rubrique "Initiation").
Il serait naturellement trop fastidieux d’analyser ici chaque programme de manière détaillée. Nous nous contenterons donc de quelques remarques. Le volume 1 présente notamment quatre cantes de La Pompi (la soeur d’El Gloria), dont les enregistrements sont rarissimes - trois Bulerías de Jerez et une série de Siguiriyas (modèles de El Viejo de La Isla et Francisco la Perla dans les versions jérézanes remaniées telles que les chantaient Manuel Torres ou El Gloria). Le même volume contient trois Malagueñas de Chacón (encore que Manolo de Huelva déclare que "A que tanto me consientes" est une Malagueña de El Canario...) par l’un de ses plus brillants disciples pour ce répertoire, Manuel Centeno. Très en vogue dans les années 1930, Manuel Centeno n’a pratiquement plus enregistré ensuite, à l’exception de sa participation à l’ "Antología del Cante Flamenco y Cante Gitano" dirigée par Antonio Mairena (avec, entre autres, ce que nous tenons comme l’une des versions de référence des Caracoles - RCA - BMG, série Tablao, 74321 878922).
Le volume 2 est entièrement dévolu à Luis Caballero, dans un grand soir et dans son répertoire de prédilection : Fandangos de Lucena, Malagueñas de Chacón, Cartagenera de Chacón, Mirabrás, une large et savante gamme de Soleares, des Siguiriyas de Jerez et la Cabal de Silverio Franconetti (malheureusement tronquée).
Le volume 3 pose quelques problèmes. Si nous avions bien remarqué (et écrit) à première audition que les 24 cantes au programme étaient pour la plupart étrangers au répertoire habituel d’Aurelio Sellés, nous n’avions pas pour autant immédiatement mis en doute leur attribution à ce cantaor. Ce que quelques commentateurs n’ont pas tardé à faire - cela dit, ils ne semblent pas non plus d’accord sur le nombre de cantes "authentiquement" d’Aurelio : 4, 5 ou 6 selon l’opinion des un(e)s ou des autres (deux séries de Soleares de Paquirri et d’El Mellizo, plages 17 et 19, deux séries de Tangos, plages 18 et 20, plus éventuellement les Malagueñas del Mellizo, plage 16, et les Bulerías, plage 15). D’autre part, Rodrigo de Zayas a reproduit fidèlement les annotations de Virginia Randolph Harrison sur les bandes magnétiques lors de l’enregistrement (lire sa mise au point - interview ci-dessous). Quoi qu’il en soit, les cantes pour le moment peut-être anonymes sont souvent de très bonne facture : Alegrías, une rare Malagueña de Fosforito (plage 10), Verdial corbobés, ou lucentino (plage 14), certaines des six Saetas et des trois Sevillanas (accompagnées d’ailleurs de manière particulièrement originale) et certains des quatre Fandangos de Huelva (dont un avec une belle introduction a capella - plage 8).
Le volume 4 sera sans doute pour beaucoup d’entre vous, comme pour nous, une révélation, celle de Felipe de Triana, dont l’identité semble incertaine - peut-être Felipe Heredia Vargas, selon Manuel Ríos Vargas (Antología del baile flamenco, Signatura flamenca, Séville, 2002), nous informe le livret. Toujours est-il qu’outre des Bulerías et des Soleares de belle facture, nous lui devons deux superbes séries de Siguiriyas (El Marrurro, Paco La Luz, Manuel Molina, Silverio Franconetti ; et Curro Dulce et Manuel Molina pour les cantes "de cierre", respectivement plages 2 et 4). Sans doute parce que la voix du cantaor est particulièrement grave, Manolo de Huelva accompagne ces Siguiriyas, non "por medio" (mode flamenco sur La), mais "por arriba" (mode flamenco sur Mi, comme pour une Serrana) avec capodastre à la quatrième case. La voix de Rafael Pareja, qui conclut ce volume, est vraiment très fatiguée. Mais il s’agit de témoignages rares et d’autant plus émouvants.
Enfin, Pepe de la Matrona est comme à son habitude excellent et inoxydable, dans un répertoire certes prévisible mais passionnant (volume 5) : inépuisable pour les Soleares (Agustín Talega, Frijones, Iyanda et Paquirri - plage 1 ; Triana et Alcalá, dont la Soleá de Joaquín de Paula qui inspira Julio Romero de Torres, "Mira que bonita era" - plage 2 ; La Andonda et Joaquín de Paula - plage3) ; Liviana, Serrana et Siguiriya de María Borrico ; Peteneras ; Siguiriyas de Silverio Franconetti et Manuel Molina ; Tangos.
Le livret de Rodrigo de Zayas constitue un guide érudit et élégant dans le dédale du coffret. La première partie est une introduction générale au flamenco, notamment à ses aspects modaux et rythmiques, suivie d’un bref historique du projet - on y apprend entre autres que Virginia Randolph Harrison avait déjà proposé ces enregistrements en 1975 au label Zafiro et à son producteur de flamenco Manuel Barrios, qui les avaient refusés (!!!). La deuxième partie est entièrement consacrée à Manolo de Huelva, sous la forme d’une sorte de "tertulia" plutôt que d’une sèche biographie : anecdotes, aphorismes, jugements sans appel sur le bon usage de la guitare flamenca, les cantaores, les cantes... que nous vous laissons le plaisir de découvrir. Enfin, la troisième partie détaille quelques aspects particulièrement remarquables des enregistrements de chaque volume. Le texte est joliment illustré par des photos des artistes, souvent peu connues, et des oeuvres de Marius de Zayas (dessins, fusains, huiles...).
Il ne nous reste plus qu’à exprimer notre gratitude à Rodrigo de Zayas pour cet inestimable cadeau.
NB : nous remercions l’Institut Français d’Espagne et sa directrice Annouchka de Andrade de nous avoir mis en relation avec Rodrigo de Zayas.
Claude Worms
Rodrigo de Zayas à l’époque où Manolo de Huelva lui enseignait sa technique et ses falsetas
Entretien avec Rodrigo de Zayas
Flamencoweb : nous souhaiterions en savoir plus sur les Archives Zayas de Séville (historique, catalogue, accessibilité…).
Rodrigo de Zayas : les Archives Zayas de Séville se composent de lettres et de documents ayant apparternu à l’artiste peintre, dessinateur et marchand d’art Marius de Zayas, à sa deuxième épouse Virginia Randolph Harrison et au père de celle-ci, Francis Burton Harrison, homme politique américain nommé gouverneur général des îles Philippines par le président Wilson avec mandat de préparer les Philippins à l’indépendance. Vient s’ajouter à ce nucléus, des documents historiques acquis par moi-même, des bandes magnétiques, des disques 78 tours et des partitions. Le tout a été catalogué par mes soins et l’on peut y accéder sur rendez-vous.
FW : comment et pourquoi vos parents (Virginia Randolph Harrison et Marius de Zayas) se sont-ils intéressés au flamenco ? Pourquoi ont-ils noué des relations privilégiées avec deux guitaristes (Ramón Montoya et Manolo de Huelva) plutôt qu’avec des chanteu(se)rs ou des danseu(se)rs ?
RZ : en 1935, mes parents se trouvaient à Madrid en attendant que je veuille bien naître. Le temps passait et, comme je faisais traîner les choses, mon père se renseigna pour trouver un bon professeur de guitare flamenca. On lui conseilla Ramón Montoya. Ce fut le début d’une longue amitié. En 1936, Marius de Zayas décida qu’il fallait à tout prix conserver le toque "virtuosiste" de Montoya et le fit venir à Paris, déjà en pleine guerre civile. Les enregistrements se firent dans les studios de la Boîte à Musique. Zayas et son épouse se passionnaient de plus en plus pour le flamenco. L’idée leur vint d’étudier et, pour cela, de définir en quoi consistait le flamenco le plus authentique. Ce fut Montoya qui recommanda Manolo de Huelva, comme étant celui qui réunissait mieux que quiconque les connaissances et l’intégrité pour ce faire. Les époux Zayas firent la connaissance de la Argentinita et sa soeur Pilar López à travers Manolo de Huelva.
FW : votre mère avait-elle une formation de guitariste classique avant de rencontrer Manolo de Huelva ? Ses transcriptions des falsetas de Manolo de Huelva seront-elles publiées ?
RZ : ma mère avait une formation de chanteuse (soprano lyrique) et de musiciennne. Elle, avec son amie la compositrice catalane Luisa de Casagemas, avait transcrit bon nombre de falsetas et de cantes. Pour le moment, aucune publication n’est prévue.
FW : quelle est la genèse de la publication de ce coffret ?
RZ : le projet de publier une sélection d’enregistrements des archives vient de Virginia Harrison. Ayant approché la compagnie Zafiro en 1975, elle se vit opposer une fin de non recevoir assez sèche. J’ai repris se projet à mon propre compte dans un but de diffusion culturelle.
FW : pouvez-vous nous parler des cours que vous a donnés Manolo de Huelva ?
RZ : il serait un peu prétentieux d’appeler "cours" l’enseignement que j’ai reçu de Manolo de Huelva. C’était pour moi un membre de la famille. Il m’a transmis tout ce qu’il savait au fil de très longues années. Il ne l’aurait jamais fait n’était-ce la grande affection qui nous unissait ainsi que la certitude que jamais je ne deviendrais tocaor flamenco de profession.
FW : la publication du coffret vient de déclencher une polémique, vaine à notre avis, dans le "mundillo". Qu’en est-il de l’attribution contestée des 24 cantes du volume 3 à Aurelio Sellés, et de l’identification inexacte de certains « palos » et cantes ?
RZ : en premier lieu, l’attribution à Aurelio de Cádiz de l’ensemble des pièces qui apparaissent dans le volume 3. Si j’affirmais que l’étiquetage des bandes avait été fait scrupuleusement par celle-là même (ma mère) qui les avait enregistrées avec Manolo de Huelva au toque, ce ne serait que ça : une affirmation. La difficulté soulevée par l’attribution à Aurelio de certaines pièces, et d’autres non, est objective : elle tient à la continuité des bandes et de l’ambiance. Pour vérifier cela, il convient de voir et d’entendre les bandes directement. Le reste est évidemment circonstanciel - sans oublier toutefois que ces enregistrements avaient été faits dans des conditions techniques franchement mauvaises. Dans ces conditions, c’est tout ou rien : soit toutes les pièces ont bien été enregistrées par Aurelio Sellés, soit aucune si l’on tient à croire que je suis un escroc.
En deuxième lieu, les attributions. La terminologie utilisée pas Manolo de Huelva tenait non seulement à ses connaissances mais aussi à ses préjugés. Pour vous donner deux exemples : selon lui, la Cartagenera et la Liviana étaient "puro invento". Par ailleurs, je n’ai jamais entendu Manolo de Huelva mentionner Cordoue en relation avec aucun cante. Il va sans dire que je me suis limité à rapporter ce que je tiens directement de lui et, bien sûr, des cantaoras et cantaores qui ont enregistré ces pièces. J’ajoute seulement que Manolo de Huelva, comme vous le signalez très justement, n’employait que des termes génériques - Soleá, Siguiryia, Serrana, etc. (Bulería de Jeréz était une exception par opposition excluante à Triana). En revanche il lui arrivait, quand il le pouvait, de préciser la personne à qui l’on devait la création de tel ou de tel autre cante : Paquirri, Silverio, María Borrico ou son frère El Viejo de La Isla, Rafael Pareja, etc.
Transcriptions
Bulería : falsetas 1 et 2
Soleá : falsetas 1 et 2
Serrana : falsetas 1 et 2
Manolo de Huelva avec Pilar López. Photo Marius de Zayas, Joinville, 1938
Galerie sonore
La Pompi : Bulerías de Jerez - guitare : Manolo de Huelva
Felipe de Triana : Siguiriyas (El Viejo de La Isla / Silverio Franconetti / Manuel Molina) - guitare : Manolo de Huelva
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