mercredi 10 octobre 2007 par Claude Worms
Karonte KAR 7715
Après deux premiers albums (1988 ; 1992) marqués par diverses influences parfois difficilement conciliables (par exemple Diego del Gastor et Paco de Lucía dans "Azules", Ayutamiento de Jaén / SPCD 103 / 1992), Pepe Justicia s’ est patiemment forgé un style original, déjà très affirmé dans un très intéressant cinquième enregistrement, "Sólo agua" ( Karonte / KAR 7706 / 2002).
Ce "Trece noches", qui lui succède, est sans conteste l’un des meilleurs disques de guitare flamenca de ces dernières années.
On remarquera d’abord son programme, très fourni, qui propose treize compositions (d’ où le titre) sur une ample gamme de formes flamencas :
Tangos, Tanguillo et Bulerías, Siguiriya, Bulerías (de swing très "jerezano"), Taranta, Soleá por Bulería, Alegrías, Sevillanas, Soleá, trois Rumbas (l’ une d’ allure grésilienne, les deux autres plutôt "latinas"), et enfin une "Balada" (évoquant fortement un Zapateado). Les pièces sont toutes d’ une grande densité musicale, le compositeur ne s’ accordant jamais les solutions de facilité actuellement trop fréquentes : on ne trouvera ici ni coda en boucles, ni refrains en choeur interminables. On saura d’ailleurs gré à Pepe Justicia de respecter suffisamment le cante pour ne pas l’utiliser comme couleur sonore auxiliaire et dispensable. L’album est strictement instrumental : outre une section rythmique de configurations variées (puisant dans un effectif des plus conséquents : percussions diverses, batterie, palmas, taconeo, et basse), les instruments mélodiques (trompette et piano) sont utilisés discrètement pour souligner tel thème mélodique, ou pour l’ alternance de chorus partagés avec la guitare (Rumbas). L’ essentiel du discours musical reste l’ apanage de la guitare flamenca, en solo ou en duo (nappes d’arpèges, contrechants, ou rythmique /solo) : le travail sur le duo de guitares est particulièrement réussi pour "Color de pasión" (Tanguillo et Bulería) et "Un adios lejano" (Balada).
Mais c’ est, plus encore, la clarté des compositions qui retient l’auditeur : les thèmes fermement dessinés (souvent par des successions d’ accords plaqués et de traits en picados : Soleá por Bulería, Alegrias, Siguiriya) fournissent des motifs réinvestis dans les développements, et leurs réexpositions périodiques structurent la plupart des pièces. De ce point de vue, la Siguiriya est sans doute l’un des sommets de l’enregistrement (en mode flamenco de Do#, sixième corde en Do#, donc sans l’accordage standard de la Rondeña : équivalent de la sixième corde en Si pour le "toque pr Granaína"), avec des Sevillanas très originales et une Taranta qui ne rompt jamais le lien avec la tradition (entre autres, par la réitération d’ un "paseo" binaire évoquant le Taranto). L’ une des grandes qualités de Pepe Justicia est sans doute ce souci de rendre aisément intelligibles des oeuvres complexes en offrant à l’auditeur, par tous ces procédés, des points de repère parfaitement identifiables.
Norberto Torres écrivait récemment à propos de "Trece noches" ("El Olivo" /
n° 147 / janvier 2007) : Pepe Justicia " a les idées si claires qu’ écouter sa guitare constitue le meilleur antidote à la confusion et à la complexité de la modernité mal comprise d’ une grande partie du "toque" actuel. En ce sens,
c’ est un guitariste de référence, à écouter et analyser avec la plus grande attention". Nous ne saurions mieux dire.
Claude Worms
Galerie sonore
"Cuando se acaba" (Siguiriya) : Pepe Justicia (composition et guitare)
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