Antonio Reyes : "Viento sur" / María José Pérez : "Cante flamenco"

samedi 15 août 2009 par Claude Worms

Antonio Reyes : "Viento sur" - 1 CD Bujío BJ - 178 (2008)

María José Pérez : "Cante flamenco" - 1 CD Ambar AMB - 08009 CD (2008)

Après le récent "Trimilenaria" de David Palomar, le disque "Viento sur" d’ Antonio Reyes vient confirmer l’ excellente santé du cante gaditan. Né à Chiclana de la Frontera en 1976, apparenté à Roque "Jarrito" Montoya et à Pansequito, Antonio Reyes avait déjà enregistré quelques cantes avec Manuel Morao, et dans des anthologies produites par le concours de Córdoba ou la Diputación de Cádiz ("Voces flamencas de la campiña, bahía y sierra de Cádiz", avec les cantaores Antonio González, Paqui Lara et Canela de San Roque - Fonoruz / Montilla CDF-255).

Ce premier album sous son nom est un coup de maître. Le chant d’ Antonio Reyes séduit immédiatement par son évidence et son naturel, qui dissimulent élégamment une parfaite technique vocale et une grande intelligence musicale : une voix parfaitement posée et puissante, sans effort apparent, et une émission fluide, dont la variété et la précision rythmique du phrasé servent les "cantes a compàs" et les "cantes libres" avec une égale aisance. C’ est que le cantaor sait choisir des registres bien adaptés à sa tessiture, et évite les stridences et / ou nasalisations excessives par une utilisation efficace des résonateurs.

Le répertoire nous situe entre Cádiz et Los Puertos, pour la majorité des formes, et Jerez. Après les inévitables Tangos-Rumba qui ouvrent l’ album (dans l’ esprit de "Cómo el agua" de Camarón), les Bulerías font nettement référence à Jerez, la première étant d’ ailleurs explicitement dédiée à Luis de la Pica. La Malagueña del Mellizo et les Siguiriyas sont issues du répertoire traditionnel de Cádiz et Los Puertos (pour ces dernières, un des sommets de l’ album : deux cantes de Los Puertos, via Manuel Torres, et le cambio d’ Alonso el del Cepillo, transmis par Antonio Mairena). Les Soleares parcourent les traditions de Cádiz (El Mellizo) et Jerez (Frijones). Le disque se conclut sur deux Martinetes (Los Puertos) et une incursion à Triana pour la Toná de Tomás Pavón.

Par delà ces sources traditionnelles, on retrouvera dans les interprétations du cantaor des réminiscences de Chato de La Isla et du Camarón des premiers enregistrements avec Paco de Lucía. C’ est particulièrement vrai pour les Fandangos d’ Antonio de la Calzá et Manolo caracol : Chato de la Isla pour le "temple" et le premier cante, Camarón pour le second. Mais ces références (on pourrait d’ ailleurs en trouver de pires) n’ excluent pas, naturellement, un style personnel qui leur donne une nouvelle fraîcheur. Les Alegrías, superbes, en sont le meilleur exemple : une construction orthodoxe sur trois cantes classiques et la castellana, ponctuée par un estribillo qui développe de manière originale les "juguetillos" traditionnels (la même observation vaudrait pour la plupart des cantes du disque, notamment la Malagueña). D’ autre part, on saura gré à Antonio Reyes de nous épargner les "créations personnelles de canción por Alegría", ainsi que les sempiternelles variations sur le "tirititrán", et de ne pas surligner vocalement, et intempestivement, le compás (le rythme étant naturellement engendré par la grâce et la précision des courbes mélodiques, comme chez tous les grands maîtres du genre, tels Aurelio Sellés, Pericón, Manolo Vargas, ou La Perla de Cádiz). Plus généralement, on ne trouvera ici nulle trace d’ exhibitionnisme technique ou expressif. Soucieux de servir le cante, et non de se servir de lui, Antonio Reyes chante avec une sobre intériorité, qui nous touche plus sûrement que les excès d’ emphase ou de préciosité, assurément plus médiatiques (écoutez les Soleares : quelle belle illustration de la pertinence de l’ expression "decir el cante"...).

Moraíto (Bulerías, Siguiriyas, Fandangos, Soleares) est égal à lui même : ses falsetas comme son accompagnement sont prévisibles, mais toujours irrésistibles. Le jeu d’ Alfredo Lagos (Malagueña, Alegrías, Bulerías) est d’ une belle inventivité, et d’ une délicate efficacité pour l’ accompagnement (notamment pour la Malagueña, qui n’ est pourtant pas le point fort du "toque jerezano" traditionnel : merveilleuse introduction, "por Taranta", suivie d’ un dialogue voix / guitare exemplaire - cf : transcription de l’ introduction ci-dessous).

On l’ aura compris, "Viento sur" est un disque indispensable.

Née en 1985 à Almería, mais très liée au milieu flamenco de Grenade (ville dans laquelle elle a achevé ses études universitaires), María José Pérez a fait ses premières armes en tant que spécialiste de la Saeta (d’ où son premier disque, en compagnie de Montserrat Pérez : "Nuevas voces de la Saeta almeriense").

On chercherait en vain quelque scorie technique, ou quelque faute de goût, dans ce "cante flamenco", dont le titre annonce bien le propos : un album de cante traditionnel, sans concessions. Beau timbre vocal, large ambitus, intonation exacte, sauts d’ intervalles périlleux mais parfaitement réalisés ... : la cantaora déploie une vocalité précise, ciselée, respectueuse de l’ esthétique de chaque forme..., mais peu engagée et monochrome, manquant fréquemment de chaleur et de dynamisme. L’ interprète paraît souvent comme extérieure à son propos, et l’ on perçoit constamment la préméditation de chaque détail, comme si elle s’ "écoutait chanter". Avant tout soucieuse de perfection vocale, María José Pérez produit un chant précautionneux qui semble exagérément inhiber toute spontanéité : ornements parcimonieux et stéréotypés, notes trop nettement attaquées et comme détachées de leur contexte mélodique, et surtout longs silences après chaque "tercio", qui perturbent la continuité mélodique des cantes.

Paradoxalement, ce sont les "cantes libres" qui souffrent le plus de cet excès de scrupules, alors que le style de l’ interprète devrait leur convenir au mieux. L’ ennui s’ installe inexorablement au fil de ces cantes démesurément étirés : Granaína, Taranto et Cartagenera, et surtout Malagueña de La Trini (une "Malagueña corta"... d’ un peu plus de quatre minutes !). Par contre, les containtes métriques des "cantes a compás" condensent opportunément le discours musical : on retiendra en particulier les Soleares, les Siguiriyas et la Cabal, et surtout d’ excellents Tangos de Granada, pour lesquels l’ interprète sort enfin de sa réserve, et qui justifieraient à eux seuls l’ achat de l’ album. Le programme est complété par une "Canción por Bulería" et des Alegrías qui alternent systématiquement (un peu trop...) tonalité majeure et mode flamenco (de sorte qu’ on ne sait plus très bien s’ il s’ agit d’ Alegrías ou de Soleares por Bulería).

Miguel Ochando assure l’ accompagnement de la plupart des titres (en duo avec Nono García pour les Alegrías). Comme de coutume, il en profite pour nous offrir des interprétations scrupuleuses de "classiques" du toque flamenco, notamment pour les "cantes libres", avec des choix de modes "à l’ ancienne", en fonction de la tessiture de la cantaora, et non de la nomenclature standard : Granaína de Rafael Riqueni pour la Malagueña, extraits de la Rondeña de Ramón Montoya pour la Granaína, et Mineras de Paco de Lucía pour le Taranto et la Cartagenera (on trouvera aussi une falseta de Manolo Sanlúcar pour la Cabal). Mais le guitariste semble peu investi, et ne fait rien pour dynamiser les interprétations, ni surtout pour meubler de manière consistante les longs silences ponctuant les "cantes libres". Le jeune Rafael Santiago "Habichuela" s’ avère plus efficace dans les Soleares et surtout les Tangos (belles falsetas dans le style familial).

"Cante flamenco" est donc un disque inégal et parfois frustrant. Mais les qualités vocales et la probité esthétique de María José Pérez laissent augurer un avenir artistique prometteur, quand elle ne se croira plus tenue de "faire ses preuves", ce dont elle n’ a assurément nul besoin.

Claude Worms

Transcription

Alfredo Lagos : introduction à la Malagueña del Mellizo ("por Taranta")

Malagueña ("por Taranta") / page 1
Malagueña ("por Taranta") / page 2
Mamagueña ("por Taranta") / page 3

Galerie sonore

Alegrías : Antonio Reyes (guitare : Alfredo Lagos)

Siguiriyas : Antonio Reyes (guitare : Moraíto)

Tangos de Granada : María José Pérez (guitare : Rafael Santiago "Habichuela")

Alfredo Lagos : Introduction à la Malagueña del Mellizo

Alegrías
Siguiriyas
Tangos de Granada
Alfredo Lagos : Malagueña ("por Taranta")

Alegrías
Siguiriyas
Tangos de Granada
Alfredo Lagos : Malagueña ("por Taranta")




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