Antonio Grau "Rojo Alpargatero" hijo

"El último de una saga flamenca"

lundi 2 mars 2009 par Claude Worms

Un CD Discos Probeticos / Collection « Culto al Flamenco », vol. 2 - LHL – 002 (2008)

Un livre de José Gelardo Navarro – La Hidra de Lerna (2008)

Nous devons à Enrique Morente et à son label, Discos Probeticos, l’ édition de ces documents sonores inestimables. Antonio Grau Dauset « Rojo Alpargatero » hijo (1884, Málaga – 1968, Madrid) est l’ un des acteurs essentiels de la transmission orale des Cantes de las Minas, de la fin du XIXème siècle à nos jours. Le père d’ Antonio, Antonio Grau « el Rojo » (1847, Alicante – 1907, Cartagena - son surnom, « el Alpargatero », se réfère à la fabrication et au commerce des espadrilles qu’ il pratiqua dans sa jeunesse) est l’ un des grands créateurs de ces cantes, avec quelques autres canaores légendaires, tels Chilares, Pedro el Morato, El Osuna, ou, plus tardivement, Emilia Benito. Devenu cantaor et entrepreneur (il a fondé et dirigé divers cafés cantantes, notamment à La Unión et à Cartagena), El Rojo el Alpargatero fréquente Juan Breva à Málaga, Silverio Franconetti et Antonio Chacón à Séville, et sans doute … à Madrid. Il chantera même, en 1887 – 1888, à Paris, Saragosse, et Barcelone, avant de se fixer définitivement dans la région de Cartagena et de La Unión à partit de 1889. Lors d’ un séjour à Cartagena en 1952, Antonio Grau « Rojo Alpargatero » hijo enseigna à son tour les cantes de son père à Antonio Piñana, qui devait remporter en 1961 la « Lámpara minera » du premier « Festival del Cante de las Minas », à La Unión.

En d’ autres temps, la biographie « picaresque » d’ Antonio Grau « Rojo Alpargatero » hijo aurait pu inspirer Mateo Alemán. En 1905, étudiant à Madrid (peut-être en Lettres et Philosophie, peut-être pour préparer un concours de recrutement dans l’ administration des Postes), il gagne sa vie en chantant au Villa Rosa, au Café de la Marina, et au Café Fornos. Vers 1907 - 1909, il fonde à Paris une troupe de « variétés », « Les Mignons », dans laquelle il se produit à la fois en tant que cantaor, et transformiste – il a appris le métier aux côtés du virtuose du genre, Frégoli. Nous le retrouvons en Russie en 1917, à Pétrograd puis à Moscou, où il poursuit les mêmes activités (épisodiquement, il est aussi clown…), avec le bailaor Juan Martínez. Après avoir diverti l’ aristocratie tsariste, et même Raspoutine, dans les cabarets les plus huppés des deux capitales, il fuit la révolution bolchévique par Odessa, la Sibérie, la Chine, et l’ Inde. Après un bref passage par l’ Amérique du Sud, il rentre à Madrid en 1920, et s’ y fixe définitivement. Marié à la fin des années 1920 à la nièce d’ un directeur de collège, il deviendra professeur de français, et enfin directeur de l’ établissement.

La dynastie Grau – Dauset compte un grand nombre d’ artistes, qui témoignent de liens plus étroits qu’ on ne l’ imagine en général, entre flamenco et formation « classique » :

_ Sa tante maternelle, Carmen Dauset, fut une bailaora renommée – entre ballet espagnol et baile flamenco, comme sa contemporaine La Argentinita. Elle fit une brillante carrière entre l’ Espagne, la France, et les Etats-Unis.

_ Son frère José (1886, Séville – 1943, Barcelone) fut professeur de guitare et guitariste flamenco.

_ Son frère Pedro (1889, Cartagena – 1937, Majorque) fut ténor lyrique et correspondant de la SGAE à Palma. Sa formation musicale supérieure lui permit d’ être candidat au poste de directeur du Conservatoire de Majorque. Son appartenance à la franc-maçonnerie (les deux autres frères, et leur père, étaient aussi proches de cette mouvance) et ses relations avec de hauts dirigeants républicains (Marcelino Domingo et Indalecio Prieto) lui valurent d’ être assassiné par les franquistes. Notons au passage que les arrangements d’ orchestre des sessions madrilènes de 1928 sont co-signées par Pedro et Antonio Grau.

La discographie flamenca d’ Antonio Grau « Rojo Alpargatero » hijo se répartit en trois périodes :

_ 1907, Paris : enregistrements Pathé, avec le guitariste Enrique el Negrete. La série de cinq 78 tours est intitulée « Cantos flamencos par Don Antonio Grand Rojo el Alpargatero ».
Le présent CD nous restitue ces cantes, à l’ exception de deux 78 tours (Murcianas, Tangos del submarino Peral, Nuevas Tarantas et Tientos 1°). Six d’ entre eux avaient déjà été (confidentiellement) réédités dans l’ anthologie "Cantaores Malagueños", produite par la Peña Juan Breva et la Diputación de Málaga.

_ 1928, Madrid : enregistrements Gramófono, avec Ramón Montoya ou accompagnement d’ orchestre (y compris pour une Carcelera, en fait une Toná…). Trois cantes extraits de ces sept 78 tours avait déjà été rééditée dans l’ anthologie sus-mentionnée. Dans cette nouvelle édition, manquent une Malagueña, une Media Granaína, des Fandanguillos mineros, et une Serrana.

_ 1960, enregistrements privés, sans guitare : trois Mineras et une Taranta. Le programme du CD comprend deux Mineras, avec un accompagnement spécialement réalisé par Pedro Sierra.

S’ ajoute à ces enregistrements proprement flamencos une série de chansons d’ inspiration folklorique, composées et orchestrées par Antonio Grau, sous le pseudonyme de « Mignon »
(1940 – 1950, Madrid : 78 tours Gramófono – Odeón et Columbia).

On comprend que le style du cantaor ait fasciné Enrique Morente, par son mélange unique de respect de la tradition et de créativité, et par sa virtuosité vocale (la délicatesse et l’ extrême précision des mélismes). Une parfaite démonstration de la pertinence de l’ expression "decir el cante". Il a d’ ailleurs repris « por Bulería » une letra, légèrement modifiée, des Carceleras d’ Antonio Grau « Rojo Alpargatero » hijo :

« ¡ Ay ! señor carcelerito,

¡ por Díos !, no me pegue usted

que me faltan cuatro meses :

a mi mare quiero ver. »

Enrique Morente le souligne d’ ailleurs dans sa préface :

« Dans mon milieu professionnel, chaque fois que j’ ai mentionné Antonio Grau, j’ ai pu vérifier qu’ on ne le connaissait pas. C’ est pourquoi je suis doublement reconnaissant de ce travail de José Gelardo Navarro, car, en tant que bon aficionado et partisan de la créativité, je suis convaincu que l’ art flamenco s’ est construit par l’ invention et l’ investissement passionné des professionnels, c’ est à dire des artistes qui se sont dédiés à la création, de manière intuitive et naturelle, pour survivre. »

Le CD est disponible séparément, ou avec un livre signé José Gelardo Navarro, dont vous auriez grand tort de vous priver (les informations de cet article en sont extraites). José Gelardo Navarro est un spécialiste des Cantes de las Minas, et, plus généralement, de la sociologie du flamenco. Il a notamment publié « Sociedad y cante flamenco. El cante de las Minas » (1985, en collaboration avec Francine Bélade), « El flamenco : otra Cultura, otra Estética » (2003), et « Con el flamenco llegó el escándalo. Sierra Minera de Cartagena – La Unión. Prensa, historia escrita, historia oral. Siglo XIX » (2006). Dans son étude biographique, l’ auteur présente comme de coutume de nombreuses informations inédites, documentées avec une grande précision, dans leur contexte socio-économique et politique.

Claude Worms

Galerie sonore :

Antonio Grau : Fandangos de Huelva - guitare : Ramón Montoya (1928)

Antonio Grau : Murciana (Taranta) - guitare : Ramón Montoya (1928)


Fandangos de Huelva
Murciana (Taranta)




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