mardi 13 septembre 2022 par Claude Worms , Maguy Naïmi
Tres guitarras desnudas : Jesús Guerrero, José Antonio Rodríguez & Joselito Acedo / Dos territorios flamencos : Huelva & Las Tres Mil Viviendas / Alfonso Losa : "Flamenco. Espacio Creativo" / David Coria : " De lo humano" / Patricia Guerrero : "Deliranza" / Gerardo Nuñez : "Concierto inaugural. Ciclo Guitarra desnuda" / Olga Pericet : "La Leona" / David Lagos : "Cantes del silencio"
He leído en las redes sociales (más precisamente en Facebook ) críticas sobre la programación de esta Bienal de Flamenco 2022 : ésta apostaría demasiado por la innovación, y dejaría de lado la tradición. Dichas críticas no me parecen del todo acertadas puesto que en la Bienal una ha podido oír cante de lo más tradicional y ver bailar en el corral del Hotel Triana como se bailaba antiguamente en los tablaos (véanse las reseñas de Claude Worms para flamencoweb). Y es preciso recalcar también la programación de un ciclo de “guitarra desnuda”, quatorce recitales de guitarra solista ideados por Chema Blanco (Director de la Bienal) y el Maestro Gerardo Nuñez.
Pero de todos modos ¿ por qué censurar la innovación ? Si los artistas jóvenes tienen que innovar... Por mucho que nos guste el cante de Chacón o el baile de Carmen Amaya tenemos que hacernos a la idea de que no se van a repetir o imitar… los jóvenes necesitan un “espacio creativo”. Esto no significa que “todo vale” y es verdad que a veces pueden fallar pero fallando se aprende, y no se puede acertar siempre.
Quiero recordar las palabras pronunciadas por Federico García Lorca en su conferencia “Importancia histórica y artística del primitivo cante andaluz llamado “cante jondo” : “En la Exposición Universal que se celebró en París el año novecientos, hubo en el pabellón de España un grupo de gitanos que cantaban el “cante jondo” en toda su pureza. Aquello llamó extraordinariamente la atención a toda la ciudad pero especialmente a un joven músico que entonces estaba en esa lucha terrible que tenemos que sostener todos los artistas jóvenes, la lucha por lo nuevo, la lucha por lo imprevisto, el buceo en el mar del pensamiento por encontrar la emoción intacta. Aquel joven iba un día y otro a oír los “cantaores andaluces”, y él, que tenía el alma abierta a los cuatro vientos del espíritu, se impregnó del viejo Oriente de nuestras melodías. Era Claudio Debussy. Andando el tiempo había de ser la más alta cumbre musical de Europa y el definidor de las nuevas teorías “
Maguy Naïmi
"La fotógrafa Antonia Moreno reinterpreta la escena captada por la fotógrafa Colita en 1969 en el bar del Pinto, en la que Antonio Mairena con Torres, Antonio Núñez “Chocolate” y Pepe Pinto charlaban amigablemente. Ahora son cuatro mujeres, Manuela Carrasco, Eva Yerbabuena, Patricia Guerrero y María Moreno las protagonistas de esta escena" — communiqué de presse de la Biennale de Flamenco de Séville à propos de l’affiche de l’édition 2022.
Jesús Guerrero (composition et guitare) : "Viaje imaginario" — Espacio Turina, 16 septembre 2022.
José Antonio Rodríguez (composition et guitare) : récital — Espacio Turina, 17 septembre 2022.
Joselito Acedo (composition et guitare) : "Alive" — Espacio Turina, 20 septembre 2022.
Malgré sa programmation impressionnante, le cycle "Guitarra desnuda" est loin de faire salle pleine. Il semble que les récitals de guitare flamenca ne soient toujours pas du goût des aficionados, sévillans ou autres, pas plus d’ailleurs que des critiques qui brillaient aussi par leur quasi absence — ce qui rend d’autant plus méritoire l’engagement courageux du directeur de la Biennale, Chema Blanco, que tous les musiciens invités ne manquèrent pas de renercier chaleureusement. Les absents devraient rougir de honte, tant la musique que nous avons écoutée était de toute beauté. Nous regrettons d’autant plus de n’avoir pu assister qu’à trois concerts, du fait de la brièveté de notre séjour à Séville et des contraintes horaires du festival. Quoi qu’il en soit, "los que no han venido se lo han perdido", comme déclara il y a quelques années au public clairsemé du "Dormitorio de Santa Clara" le cantaor Felipe Scapachini au début du concert qu’il donnait avec le guitariste Eduardo Rebollar.
La plupart des pièces inscrites aux programmes des concerts de ce cycle avaient déjà été enregistrées par leurs compositeurs, souvent avec des arrangements incluant plusieurs guitares, d’autres instruments, des cantaore(a)s et des bailaore(a)s. Nous avons ainsi eu l’occasion d’écouter leur matière première, réduite aux six cordes de l’instrument. La comparaison entre les versions discographiques et celles "a guitarra desnuda" s’avère passionnante et instructive. Même si beaucoup des compositeurs-guitaristes des deux dernières générations ont reçu une formation musicale académique, ils persistent fort heureusement à composer d’abord sur les six cordes de la sonanta. Il s’agit donc d’une pensée musicale incarnée qui met immédiatement en évidence un rapport physique irréductiblement singulier avec l’instrument : affaire de doigts, de corps, de respiration, etc. C’est pourquoi chaque tocaor se doit (ou n’a d’autre choix que) de composer ses propres toques, ou au moins d’imprimer "su propio sello" aux pièces du patrimoine historique qu’il revisite à chaque performance. D’autre part, ainsi conçue, la création laisse toujours, à chaque interprétation, une place plus ou moins importante à l’improvisation sur un canevas préétabli (choix des tempos, phrasés, ornementation, ajouts d’énoncés formulaires — compases en rasgueados, llamadas et remates —, voire développements inédits selon l’inspiration du moment) en fonction du contexte instrumental, des réactions des auditeurs, de la nature de la salle et, surtout, de son état physique et mental de l’instant, qui peut évoluer au cours de concert. Enfin, au moins pour ces trois récitals, la réalisation sonore rendait compte avec intégrité du "son" de chaque guitariste, là encore bien typé — contrairement à une opinion très répandue selon laquelle la virtuosité (bien réelle) des "jeunes maîtres" nivellerait leur approche instrumentale (cf. les vidéos ci-dessous).
Jesús Guerrero
Pour l’heure, Jesús Guerrero n’a qu’un seul album à son actif, intitulé "Calma" (2016). Aussi le programme comportait-il beaucoup d’inédits, du moins à notre connaissance, qui augurent bien d’un deuxième disque qui, espérons-le, ne saurait tarder. Les trois compositions extraites de "Calma" reflètent au mieux les deux veines du compositeur. D’une part, le lyrisme : "Anne Frank", une élégie ad lib. inclassable en La mineur suivie d’un quasi fandango dans le mode flamenco relatif, sur Mi ("por arriba") ; "Rafaela ", une rondeña bipartite sur le modèle de rigueur depuis Paco de Lucía (ad lib., puis "abandolao" ou jaleo). D’autre part, l’effervescence rythmique : "Café noir" (rumba en La mineur) — cf. notre compte rendu de "Calma".
Jesús Guerrero n’est pas gaditan pour rien. On sait que Cádiz a été depuis le XVIe siècle le principal port d’importation en Espagne des rythmes latino-américains, en particulier afro-cubains, qui ont tant irrigué le flamenco naissant. L’essentiel du reste du programme illustrait cet héritage séculaire. Seule la soleá ("Las Callejuelas"), précédée d’un long prélude por taranta (troublante transition modulante du mode flamenco sur Fa# au mode flamenco sur Mi) y faisait exception. Comme la rumba, les autres palos étaient traités avec force syncopes et attaques staccato superposant ternaire et binaire et harmonisés à la manière du jazz latino : zapateado ("La duda") en Ré majeur avec modulations au mode flamenco à la dominante (sur La, ou "por medio") en forme de thème varié ; tangos ("Los lirios") en mode flamenco sur Ré# avec épisode modulant à la tonalité mineure relative (Sol# mineur). Cette dernière pièce fut le prétexte à une démonstration polyrythmique époustouflante : tapping à la main droite et percussions sur l’éclisse à la main gauche ("¡ Qué malo eres !, lui lança un auditeur). Même le phrasé des bulerías conclusives n’échappaient pas à ce tropisme caribéen, malgré une première partie jérézane classiquement "por medio" et une seconde, non moins traditionnelle et gaditane, modulant à la tonalité homonyme mineure (La mineur).
On pourra cependant relever quelques invariants dans le style de Jesús Guerrero : tendance à différer longuement la résolution sur le premier degré, ou à l’effleurer sans s’y arrêter, le deuxième degré servant alors de point d’appuis pour un nouveau développement ; utilisation de séquences d’accords (plaqués ou en rasgueados) en véritables chorus, façon jazz ; sophistication de l’ornementation et ligados proliférants ; surtout, fragmentation des thèmes aux deux extrêmes du registre de la guitare, les motifs exposés dans les aigus étant entrecoupés de transitions à fonction harmonique dans les graves, ou parfois de véritables "walking bass" chromatiques ("Café noir").
José Antonio Rodríguez
José Antonio Rodríguez est le doyen de ce cycle, et est donc l’auteur d’une production discographique conséquente (neuf albums de 1985 à 2020). Pourtant, à l’exception de la bulería qui ne manqua pas de conclure le récital ("Manhattan de la Frontera", album de même titre, BMG, 1999), toutes les pièces du programme étaient issues de deux de ses trois derniers enregistrements : "Anartista (Warner Music Spain, 2012) : "Danza del amanecer", Farruca del desconsuelo" et "Cabo de la Vela" (colombiana) ; "Adiós Muchachos..." (Moon Moosic, 2019) : "Nana para un niño grande", "Guadalcazar" (soleá) ; "Athena" (rondeña) et "El Molinillo" (alegrías). Il semble donc qu’il ait décidé d’oublier définitivement ses deux premiers LPs ("Calahorra", Fonoruz, 1985 et "Callejón de las Flores", Pasarela, 1987), certes très traditionnels mais parfaitement recommandables. Dix ans séparent ce deuxième LP de l’opus suivant, "Manhattan de la Frontera" : le temps pour notre compositeur de faire peau neuve et de s’affirmer, avec Gerardo Nuñez, comme l’un des principaux pionniers du flamenco-jazz-latino (d’où le titre, réplique et salut au "Flamencos en Nueva York" de Gerardo Nuñez).
Le guitariste jouait une guitare électro-acoustique dont l’amplification n’altérait en rien la sonorité, et qui lui permettait de jouer sur la durée des résonances, de donner de l’ampleur aux harmoniques qu’il affectionne et d’user, sans en abuser, de quelques pédales d’effets (delay, reverb, octave). C’est que, dans le cadre d’un concert de "guitarra desnuda", il lui fallait pallier au handicap de compositions pensées pour être orchestrées et impliquant de nombreux invités de toutes disciplines. On ne peut de ce point de vue que saluer son courage, mais il arriva que certains passages réduits à la seule guitare, notamment des traits en picado d’une virtuosité éblouissante mais répétitifs sans les couleurs apportées par les arrangements, s’avèrent parfois lassants ("Danza del amanecer" notamment).
Aussi avons-nous préféré les pièces qui, fortement ancrées dans un palo, se prêtaient mieux à l’épreuve du solo. Elles furent heureusement nombreuses, à commencer par la première, une nana quasi granaína méditative dont les cascades d’arpèges lumineux nous ont rappelé Manuel Cano, son premier maître. La soleá est un exemple achevé de "méta-flamenco", en ce sens qu’elle en suggère les codes traditionnels tout en les détournant constamment : introduction très dissonante ouvrant des gouffres entre l’extrême grave et l’extrême aigu, remates interrompus par des suspensions harmoniques non résolues, etc. La farruca est un chef-d’œuvre, du fait du choix de la tonalité de Si mineur (au lieu de celle de La mineur) qui renouvelle totalement le genre et permet de magnifiques paraphrases du paseo traditionnel. On pourra écrire la même chose de la rondeña qui, bien que composée en mode flamenco sur Ré# (accordage standard), reste parfaitement dans l’ethos du classique de Ramón Montoya (mode flamenco sur Do#, sixième corde en Ré et troisième corde en Fa"). Les alegrías (Mi majeur), sans doute le toque le plus "classique" du récital, témoignaient de l’inspiration mélodique du guitariste. "Manhattan de la Frontera" est à placer dans la lignée des grandes bulerías "de concert", initiée par l’"Impetú" de Mario Escudero, modulations inattendues comprises : ici, après une longue partie en mode flamenco sur Do#, mode flamenco sur La et tonalité de Mi majeur
Joselito Acedo
Comme pour le concert qu’il avait donné lors de la dernière Biennale , dont nous avions chroniqué la diffusion en streaming ("Triana D.F. (Distrito Flamenco)"), Joselito Acedo avait opté, à deux exceptions près, pour un récital reprenant presque toutes les compositions de son deuxième album (même titre, La Cupula Music,2021). Nous vous renvoyons donc à notre article, qu’il nous faudra cependant adapter à une version "guitarra desnuda". Joselito Acedo est un aficionado passionné par l’histoire de la guitare flamenca, dans son intégralité. Aussi assister à l’un de ses concerts est l’assurance, non seulement d’écouter un musicien inspiré (et ce soir habité d’une émotion toute particulière), mais aussi de réviser ses classiques. Il possède le talent mystérieux de nous faire entendre tel ou tel de ses maîtres sans jamais en citer littéralement une seule falseta, voire une seule note : non seulement son père (José Acedo), Niño Ricardo et Rafael Riqueni, qu’il ne manque jamais de mentionner comme ses influences majeures,, mais aussi Estebán de Sanlúcar, Mario Escudero ("En el recuerdo", zapateado), Manolo Sanlúcar ("Vida", trémolo), Manuel Molina (bulerías au titre explicite : "Tío Manuel Molina"), Manuel Parrilla ("El Morapio", soleá por bulería), Paco de Lucía ("Triana D.F.", bulerías) etc. — sans doute en oublions-nous, entre autres Melchor de Marchena pour l’art du silence et l’expressivité des nuances dynamiques, et Diego del Gastor pour les longs développements "a cuerda pelá".
Un récital sous-titré "Alive" ne pouvait commencer que par "Vida", un inédit por granaína en forme de triptyque : prélude ad lib. / trémolo / coda ad lib. Les deux volets extrêmes, par leur hiératisme, leurs silences, le toque de pulgar dans les profondeurs des cordes graves et les quelques effets qui les accompagnaient (voix lointaines), nous ont rappelé le "Nacencia" de Manolo Sanlúcar (album "Tauromagia", 1988) — répétons-le, sans le moindre mimétisme. Le mode flamenco sur Si de cette pièce, utilisé comme dominante pour moduler au mode flamenco sur Mi, conduisait en continuité à la soleá por arriba, une ode à Niño Ricardo, en lecture contemporaine. Après des alegrías en Mi majeur avec une introduction en accords plaqués et harmoniques sur bourdon de basses et une belle modulation au mode flamenco relatif sur Sol# ("por minera"), Joselito Acedo poursuivit par deux compositions elles aussi jouées en continuité : une taranta dédiée à Rafael Riqueni et digne de son dédicataire ("El jardín de las flores amargas") suivie de bulerías dans le même mode flamenco sur Fa# — un modèle d’humour et de sobriété, parcouru de motifs elliptique laissés en suspens à peine énoncés, soit un portrait musical de Manuel Molina, golpes ponctuant les silences inclus. Après une soleá por bulerías torrentielle (mode "por medio" de toujours) et un zapateado labyrinthique à souhait, entre modes "mor taranta" et "por granaína", le musicien nous offrit un long moment de tendre recueillement, dédié à sa mère et à son père. "El abrazo" (vidalita) est une commande du bailaor Eduardo Guerrero, une pièce d’un magnifique dénuement, consistant presque exclusivement en une alternance basses/accords. Rompant fort heureusement avec la règle du cycle, le commanditaire la dansa en silence, pieds nus et au ralenti, avec tout le respect requis. Après cet épisode de temps suspendu, Joselito Acedo conclut comme ses collègues par des bulerías ("Triana D.F."), son palo de prédilection : "por medio", une anthologie du genre, revisité par le guitariste — compases en rasgueados et remates façon Jerez, falsetas a cuerda pelá façon Morón, falsetas en phrasé à 12/8 (doubles croches, technique P/m/i) façon Niño Ricardo, marches harmoniques façon Paco de Lucía (période "Cepa Andaluza"), etc.
Claude Worms
Photos : Archivo fotográfico Bienal de Flamenco / Claudia Ruiz Caro
Vidéos
Jesús Guerrero : taranta, prélude à la soleá "Las Callejuelas" — Espacio Turina, 16 septembre 2022.
José Antonio Rodríguez : "El molinillo" (alegría) — Espacio Turina, 17 septembre 2022.
Joselito Acedo : "Tío Manuel Molina" (bulerías por taranta) — Espacio Turina, 20 septembre 2022
Consacrées à des "territoires" flamencos, les soirées du Corral de l’Hôtel Triana sont une institution de la Biennale de Flamenco de Séville que nul festivalier ne saurait ignorer. Jusqu’à présent, vus de Séville, ces territoires étaient fâcheusement limités à la basse vallée du Guadalquivir, avec de rares incursions à Málaga, et une nette prédilection pour Sevilla (lire Triana), Jerez et Cádiz. Aussi nous réjouissons-nous de l’inscription officielle de Huelva au patrimoine immatériel du C.H.T. (Corral de l’Hôtel Triana) à l’occasion de l’édition 2022. Encore un effort — Granada, Jaén et Almería pour les prochaines — et nous y serons.
Autre nouveauté, alors que les spectacles de ce cycle étaient de coutume joyeusement marathoniens, leur durée est cette année limitée à deux heures. Nous y gagnons du rythme et de la cohérence pour la réalisation, mais nous y perdons les aléas de la spontanéité qui en faisaient pour partie le charme. Surtout, les affiches restant pléthoriques, les artistes ont à peine le temps de s’exprimer et doivent sortir de scène sans avoir vraiment pu s’engager dans leur performance. La réalisation sonore, quant à elle, persiste malheureusement dans son être...
En tout cas, les deux spectacles consécutifs auxquels nous avons assisté montrent la persistance des spécificités locales d’un art qui reste donc bien vivant, dans le respect des canons traditionnels comme dans la création contemporaine — ici, pour la première de ces tendances, éloge de la vocalité mélodique à Huelva et célébration du compás aux Tres Mil Viviendas.
De gauche à droite : Lito Manez, Jesús Corbacho, Jeromo Segura, Manuel de la Luz, Álvaro Mora, Olivia Molina, Macarena de la Torre et Sandra Carrasco. Danse : María Canea
"¡ Huelva !, la luz del Flamenco"
Séville, Hôtel Triana, 16 septembre 2022
Direction : Manuel de la Luz
Chant : Macarena de la Torre, Olivia Molina, Jeromo Segura et Jesús Corbacho
Guitare : Manuel de la Luz et Álvaro Mora
Danse : María Canea
Percussions : Lito Manez
Artistes invités : Sandra Carrasco (chant) et "Cascabeleros de Alosno" (groupe folklorique)
Son : Fali Pipió
Lumières : Óscar Gómez
Jesús Corbacho
Il est bien connu que les fandangos de Huelva, les concours qui leurs sont dédiés et la Peña Femenina de Huelva (la première en date, fondée en 1983) sont d’excellentes écoles de chant qui expliquent la floraison actuelle d’un grand nombre de voces flamencas onubenses de premier plan (via, souvent, la Fondation Cristina Heeren). Manuel de la Luz, guitariste et directeur musical de " ¡ Huelva !, la luz del Flamenco" tenait donc à prouver que le flamenco local ne se limite pas à ce répertoire vernaculaire.
Après l’entrée en matière purement folklorique offerte par le groupe "Los Cascabeleros" (fandangos "paraos" de Alosno par six danseurs, effectivement équipés de sonnailles, au son du flûtiste-tambourinaire de rigueur), le programme était cependant encadré par deux "rondas" de fandangos alternant estribillos en chœur et chant soliste, accompagnés par le duo de guitares (Manuel de la Luz et Álvaro Mora et les percussions (Lito Manez) et dansés par María Canea. L’anthologie ne pouvait certes être exhaustive (deux heures n’y suffiraient pas), mais nous avons ainsi pu écouter avec bonheur un copieux échantillonnage du cancionero alosnero et d’autres variétés de Valverde, Santa Bárbara, Encinasola, etc.
Le choix des solistes prouvait que les fandangos de Huelva s’accommodent de tous les types de vocalité. Nous devons ainsi aux choix de Manuel de la Luz la dégustation de savoureux contrastes. Pour les cantaoras, la puissance des cantes de Macarena de la Torre offrait un impétueux contrepoint à la stylisation mélodique de ceux d’ Olivia Molina. Les cantaores ont déjà un long passé professionnel et donc des styles plus affirmés. Pour les fandangos au moins, Jeromo Segura est un excellent disciple de Paco Toronjo, auquel il a d’ailleurs consacré récemment un bel hommage sous forme d’album CD/DVD dont nous ne manquerons pas de vous entretenir prochainement ("Toronjo. La Vida Contada y Cantada del Genio Paco Toronjo" — Camifer, 2021). A l’inverse de cette manière de découper les tercios de manière percutante, Jesús Corbacho est un virtuose de la paraphrase mélodique (longueur de souffle aidant) et de l’ornementation. En somme, nous avions là quelque chose comme un mano a mano entre Paco Toronjo et Antonio Rengel.
Sandra Carrasco
Le reste du programme mettait en valeur les qualités de chaque artiste, bien que trop brièvement. Tous les cantes étaient accompagnés par Manuel de la Luz ou en duo, sauf les siguiriyas dévolues à Álvaro Mora (falsetas "por Niño Ricardo"). Le choix d’un tempo exagérément rapide a quelque peu gâché les guajiras de Jeromo Segura, en nous privant de leur agrément mélodique et en les réduisant à une sorte de sous-espèce des bulerías — dommage pour ses phrasés originaux, sur des letras traditionnelles. Olivia Molina por soleá (cantes de Joaquín "el de la Paula", La Serneta et Paquirri) et Macarena de la Torre por siguiriya (Tío José de Paula, Joaquín La Cherna dans les versions de Manuel Torres et cante de cierre de Manuel Torres) nous prouvèrent que Huelva nous réserve encore bien des découvertes en matière de cante. Comme de coutume, Jesús Corbacho nous offrit une magnifique série : malagueña de Chacón / fandango de Lucena / fandango de Pérez de Guzmán. Nous ne comprenons pas pourquoi un tel musicien n’est toujours pas reconnu à sa juste valeur.
Après une bulería "classique" (por medio, suite de compases en rasgueados et de falsetas) en solo par Manuel de la Luz (ne manquez surtout pas son deuxième album, "Mi clave", 2021), le ralentissement du tempo nous amena à des bulerías por soleá dansées dans les règles de l’art par Maria Canea — un seul cante de José Iyanda par Jeromo Segura et surlignages en vocalises de Sandra Carrasco. Cette dernière semble s’être fait une spécialité des cantiñas imprévisibles et "slammées" (Maguy Naïmi), dont nous avions entendu la veille une tout autre version au cours du spectacle d’Alfonso Losa. — cette fois, sur des alegrías "classiques", les cantiñas de Córdoba (modulation au mineur homonyme comprise) et la cantiña de Rosa "la Papera".
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Carmen Ledesma
"Torombo & Fuera de Serie. La Cantera de Las Tres Mil. Tablao"
Séville, Hôtel Triana, 17 septembre 2022
Direction artistique : José Suárez "Torombo"
Artistes invités : "Fuera de serie" (Juana "la del Revuelo" — chant), Carmen Ledesma et Bobote (danse)
Chant : Sinay "la del Revuelo", Antonio Amaya "el Panchito", Vito Jiménez, Josemi del Marselles, Enrique Heredia "el Kiki", Dieguito Amador, Juani Reyes et Melchor de la Tana
Danse : Alba Serrano, Beatriz Cruz de Alba, Antonio Amaya "Petete", Emilio Castañeda et Raúl Amaya
Guitare : Paco Iglesias, Eugenio Iglesias et Julián Gómez
Percussions : Fali del Eléctrico
Lumières : Óscar Gómez
Son : Fali Pipió
Costumes : María Silva
Bobote
Le casting pléthorique et le programme copieux donnaient à penser que "la Cantera de las Tres Mil" allait nous mener jusqu’à l’aube. Or il n’en fut rien, chaque numéro étant réduit à une courte vignette musicale et chorégraphique collective, parfois n’excédant pas une ou deux minutes, dédiée à des figures emblématiques de l’histoire du flamenco : jaleo (à la Niña de los Peines ; fandangos de Huelva (à Paco Toronjo et Niño Miguel) ; caña (à Rafael Romero) ; tarantos (à Fernanda Romero et Cojo de Málaga) ; zambra ("La niña de ffuego" — à Manolo Caracol) ; tangos (à Juana et Martín Revuelo) ; bulerías (à Camarón de La Isla) ; bulerías por soleá (à Tío Borrico et Manuel Sordera) ; "Anda Jaleo" (chœur a cappella por bulería — à Federico García Lorca) ; alegrías et romera (à Matilde Coral et Chano Lobato) ; fandangos (à El Chocolate et El Gloria) ; soleares (à El Arenero) ; solo de palmas por bulería (à Carmen Amaya) ; romances de Lebrija (por bulería "al golpe" — à El Lebrijano) ; tangos et rumba (à la familia Montoya et Lola Flores).
Le décor reproduisait la salle d’un tablao de la grande époque (années 1950-1970), le spectacle rappelant également leur rôle essentiel dans la carrière de nombreux artistes, devenus célèbres parfois, restés le plus souvent anonymes — tous ceux chantés de manière si émouvante par Joan Manuel Serrat ("Romance de Curro ’el Palmo’").
Juana "la del Revuelo" et José Suárez "Torombo"
Au lever du rideau, une femme de ménage et un serveur préparent la salle qui va ouvrir, puis installent les invités d’honneur, Carmen Ledesma (ce samedi était justement le jour de son anniversaire) et Bobote : les artistes peuvent alors entrer. La plupart ne quittera plus la scène tant ce spectacle est une œuvre collective, bien que dirigée par José Suárez "Torombo" qui, modestement, s’est contenté de nous offrir un solo de palmas por bulería aussi bref que spectaculaire — assis, ce qui renvoyait évidemment à la célèbre séquence du film "Los Tarantos" (Francisco Rovira Beleta, 1963) montrant la dédicataire, Carmen Amaya, préludant à des bulerías sur un tempo diabolique. Aussi serait-il arbitraire d’en distinguer tel ou tel tableau, plusieurs cantaores et les trois guitaristes se partageant à chaque fois l’accompagnement des bailes, plutôt dévolus à des solistes. Seuls échappèrent à cette règle les tangos inimitables de Juana "la del Revuelo", qui se rendait donc hommage à elle-même ainsi qu’à son mari (elle était la mystérieuse invitée "fuera de serie" dont le programme cachait soigneusement le nom). Carmen Ledesma et Bobote participèrent à la fête pendant les romances de Lebrija. Nous aurions aimé les voir plus longuement, mais quelques braceos et zapateados de l’une, quelques remates et desplantes de l’autre ont toujours plus de sens et de poids que les longs épanchements de... (nous vous laissons compléter les points de suspension à votre guise).
Les pisse-froids de service ne manqueront pas faire remarquer que les cantes que nous avons écoutés n’avaient que de lointains rapports avec les versions de leurs dédicataires et que la justesse d’intonation de tous leurs interprètes de ce soir est pour le moins perfectible. Critiques hors de propos ; pour notre part, nous préférons garder le souvenir de leur science joyeuse du rythme et du compás, de leur chaleureuse connivence, de leur plaisir à partager musique et danse avec le public et de leur fougue, tous âges confondus. Vous n’en saurez pas plus : une soirée de ce genre ne se décrit pas, elle se vit.
Claude Worms
Photos : Archivo fotográfico Bienal de Flamenco / Claudia Ruiz Caro
Alfonso Losa : "Flamenco : Espacio Creativo"
Séville, Cartuja Center, 15 septembre 2022
Chorégraphie : Alfonso Losa
Direction artistique : Rafael Estévez et Valeriano Paños
Direction musicale : Francisco Vinuesa
Danse : Alfonso Losa et Concha Jareño
Chant : Sandra Carrasco et Ismael de la Rosa "el Bola"
Guitare : Francisco Vinuesa
Lumières : Olga García A.A.I.
Son : Ángel Olalla
Costumes : Belén de la Quintana
Nous avions déjà assisté à "Flamenco : Espacio Creativo" à Jerez en février dernier, incrédule parce qu’il nous avait surpris et fasciné de bout en bout alors même qu’il obéissait strictement aux canons du baile de toujours : bailaor, bailaora, cantaor, cantaora et tocaor, et c’est tout. L’ espace est en effet d’autant plus propice à la création qu’il est totalement vide de décors, à l’exception des trois chaises destinées aux musiciens : une toile vierge libre d’accueillir toutes les géométries spatiales en mouvement conçues par Alfonso Losa, Rafael Estévez et Valeriano Paños, ces derniers ayant sans doute beaucoup œuvré à la décantation du style du bailaor — véritables oxymores chorégraphiques qui conjuguent, voire superposent, sans artifices et sans même que nous ayons le temps d’en prendre conscience, la tradition et l’avant-garde, la courbe et l’anguleux, la méditation introspective et l’émotivité explosive, la statuaire immobile et les voltes vertigineuses (avez-vous déjà vu des voltes qui n’interrompent en rien la motricité d’un zapatedo, mais semble au contraire la démultiplier ?). L’ "espace créatif" est simultanément celui de l’approfondissement de l’expérience acquise, de l’accueil attentif de l’instant présent, et de l’attente fervente des surprises de l’inspiration à venir. Pour Alfonso Losa comme pour Concha Jareño, les années de travail acharné se fondent en une seconde nature, comme si la danse n’était plus une discipline extérieure mais leur être-au-monde quotidien.
Nous tenions à revoir ce spectacle pour nous convaincre que notre première impression ne nous avait pas trompé, et effectivement… Force nous est donc de reprendre la substance de nos réflexions de l’époque, ce dont nos lectrices et lecteurs voudront bien nous excuser.
Dès l’entrée en scène d’Alfonso Losa esquissant sans musique quelques éclairs de braceos, de zapateado, de desplantes, de frappes corporelles, etc., l’affaire était entendue. La qualité admirative et recueillie du dialogue entre les artistes et les spectateurs n’allait plus se démentir jusqu’à la fin de la soirée. Sur une imperturbable boucle rythmique off, puis avec le renfort du chant et de la guitare, les tientos (Sandra Carrasco) et tangos (extremeños et du Sacromonte par Ismael "el Bola", conclus par un bref tango de Triana à deux voix) donnèrent toute la mesure de la créativité inépuisable du danseur : objectivement très longs, ils nous parurent ne durer qu’un instant. Ne manquait plus alors que Concha Jareño, qui apparut en bata de cola rouge pour un pas de deux de profil, face à face avec Alfonso Losa, qui épousait suavement les sinuosités du chant de Sandra Carrasco. Dès lors, l’originalité et la musicalité de la cantaora ne cessa plus de nous ravir, comme celles, dans un style pourtant très différent, de son partenaire, Ismael de la Rosa "el Bola". Lyrisme et délicatesse mezza voce pour la première, contrastes de puissance et parfaite tenue des registres de poitrine et de tête pour le second, longueur de souffle et flexibilité ornementale pour les deux : toutes qualités impensables sans les traditions léguées par Niño de Marchena et Enrique Morente.
Le cantaor nous en donna immédiatement un premier aperçu avec les deux siguiriyas (Manuel Torres, Enrique "el Mellizo") qui accompagnaient la chorégraphie de Concha Jareño. Et quelle chorégraphie ! Après des marquages, remates et escobillas concis dont la virtuosité ne tournait jamais à la démonstration, sur un contrepoint rythmique millimétré (pieds et palmas) d’Alfonso Losa, assis, elle culmina à notre avis en une figuration du cante — tressaillements de castagnettes pour la ligne mélodique et son ornementation, frottements des semelles sur le plancher pour le compás et le souffle. Pour l’accompagnement, Francisco Vinuesa se livra à un exercice de style de haut vol, en fondus-enchaînés de marqueurs traditionnels (motif de l’escobilla) et de séquences harmoniques novatrices.
La cohérence à grande échelle du spectacle doit d’ailleurs beaucoup aux compositions du guitariste, parcourues de leitmotivs mélodico-harmoniques transposés et variés en fonction des compases et des palos, non seulement quant à leur découpage rythmique, mais aussi quant à leur tonalité expressive. Pour les bulerías par exemple, ses très longs silences, rompus inopinément par quelques basses soulignant les changements d’accords, façon "toque de Morón", répondaient opportunément à l’humour des chorégraphies (remates et desplantes gigognes) et des cantes, et ses arpèges épousaient suavement le refrain du "Todo es de color" de Lole y Manuel arrangé à deux voix pour la coda, rallentando et decrescendo.
Les cantiñas originales, en mano a mano, entre Sandra Carrasco et Ismael de la Rosa furent un bijou de musicalité, notamment la coda en duo polyphonique avec entrées en canon sur la section en mineur des cantiñas de Córdoba. Après Concha Jareño por siguiriya, ce fut au tour d’Alfonso Losa de recréer le cante avec les seuls moyens de baile, en un solo magnifique qui s’acheva par une mystérieuse mutation du compás d’alegría en compás de fandango — nous ne nous en sommes aperçu qu’une fois le tour de magie achevé… Le pas de deux alternant fandangos de Huelva et verdiales (chant très idiomatique de Sandra Carrasco) restera sans doute dans les annales pour son exubérance fermement maîtrisée, tournant à la frénésie lors du solo final d’Alfonso Losa — les "fiestas de verdiales" tournent en effet fréquemment à la bacchanale.
En contraste total, le spectacle s’acheva sur de longues "méta-soleares" : tempo lentissime, recréations originales de cantes de Triana (Ismael de la Rosa), accompagnement en contrechants permanents ponctués de rares points d’ancrage harmoniques et chorégraphie en apesanteur, quasiment sans zapateado, chaque geste embrassant au ralenti plusieurs compases avant de se résoudre en un couple remate/desplante lapidaire.
Alfonso Losa est un digne héritier de la lignée des Vicente Escudero, Antonio el Bailarín, Antonio Gades et, plus encore, d’Antonio Serrano "el Güito". Il faut voir et écouter "Flamenco : espacio creativo" pour le croire. N’y manquez pas.
Claude Worms
Photos : Archivo fotográfico Bienal de Flamenco / Claudia Ruiz Caro
David Coria : "De lo humano"
Séville, Teatro Central, 14 septembre 2022
Danse, chorégraphie et mise en scène : David Coria
Chant : David Lagos, Tomás de Perrate et Pepe de Pura
Saxophones ténor et soprano : Juan M. Jiménez
Espace sonore : Daniel Muñoz "Artomático"
Lumière : Gloria Montesinos
Son : Chipi Cacheda
Deux œuvres de Jean-Michel Folon
Désespérant de pouvoir rendre compte un tant soit peu décemment de la beauté de "De lo humano", nous cherchons refuge dans quelque correspondance beaudelairienne : plongez vous dans l’univers de Jean-Michel Folon, et vous pénétrerez suavement dans celui de David Coria. Vous serez ainsi heureusement dispensés de lire la suite de cette chronique : la danse et la musique — dans ce spectacle c’est tout un —, élevées à ce niveau de poésie « sans rien en (elles) qui pèsent ou qui pose » (passons de Beaudelaire à Verlaine), sont rigoureusement indescriptibles.
Work in progress, (très tendance…) la pièce que nous avons vue et écoutée sera achevée en 2023, développée avec la participation d’autres danseuses et danseurs et rebaptisée "Los bailes robados" — sans doute volés à l’imagination sans limite du créateur. Dans son état actuel, il s’agit d’un monologue-méditation sur la fragilité de l’être humain (pas de changements de costumes, David Coria danse en pantalon et torse nu), qui alterne, sans accents pessimistes ou tragiques, "lo rudo y lo sensible y donde cohabitan la violencia con la caricia y el gesto más frágil, todo eso que somos" (David Coria).
Pour seul décor, nimbés de lumières jouant sur le chaud et le froid mais jamais agressives (Gloria Montesinos), des piquets flexibles jonchent le sol, ondulent, produisent éventuellement une presque-musique tintinnabulante (première scène) ou, suspendus rigidement aux cintres, se métamorphosent en herse menaçante — pas d’inquiétude cependant, il suffit de quelques pas de côté d’une grâce ineffable pour leur échapper. David Coria ne danse donc pas vraiment seul, mais avec ces dizaines de partenaires-objets qui peuvent figurer une forêt ou un labyrinthe foisonnant, symboliser les limites de l’humaine condition… peu importe. L’important est qu’ils dessinent un espace scénique mouvant que le danseur habite avec une présence confondante, et qu’il commence par explorer à ses risques et périls sur fond de boucles d’une gaita gastoreña (cornemuse andalouse — Juan M. Jiménez) qui soulignent sa solitude. Quand le danseur échappe par instants à ce foisonnement branchu, c’est pour être prisonnier d’une planchette de quelques décimètres carrés. Nous avons découvert à cette occasion que le zapateado (sur place, à une vitesse stupéfiante) peut aussi parler, au point que nous avions presque l’impression de le comprendre. Toute cette séquence est admirablement dansée, le corps de David Coria se dédoublant entre résistance et gaucherie (torse absolument raide) et jubilation de la découverte et du mouvement (pieds, jambes et bras). Elle s’achève par l’appel à l’aide de bulerías por soleá ("¡ Amparo por Dios, amparo… !" chantées en mano a mano par David Lagos et Pepe de Pura...
… C’est que l"humano" n’est pas au bout de ses peines. Une rampe inclinée l’attend en fond de scène, qu’il tente vainement d’escalader à plusieurs reprises (Sisyphe…) avant d’en venir à bout et de gagner enfin la terre promise, en l’occurrence le plateau auquel elle conduit. L’argument scénique peut sembler anodin, mais il est magnifié par le talent de mime de David Coria, que nous avons découvert là et qui s’avère aussi remarquable que son art de la danse et de la chorégraphie : il passe de l’un à l’autre avec la même aisance qu’un chanteur lyrique du récitatif à l’aria. Ses tentatives sont interrompues par l’épisode de la herse, qu’il convient cependant de ne pas trop prendre au tragique, pas plus que les siguiriyas de Tomás de Perrate, bien qu’elles traitent de solitude ("Manuela de mi alma, yo no tengo carta…") — c’est du moins ce dont semble nous avertir les variations goguenardes et un rien pataudes du saxophone ténor. David Coria nous réservait pour l’occasion une autre découverte : le zapateado (sur place, à une vitesse stupéfiante) peut aussi parler, au point que nous avions presque l’impression de le comprendre.
Dans ces circonstances, il convient de mettre la nature de son côté, voire de pactiser avec le ciel. Après avoir regardé des avions en papier planer au-dessus de lui (c’est à cet instant que nous avons pensé à Folon), le danseur tresse les piquets en gerbes de blé, et se coiffe de leurs tiges comme d’un chapeau. L’heure est clairement venue d’une fiesta de verdiales ou de leurs équivalents onubenses, réjouissances hautement païennes célébrant les récoltes, et prétextes à une bacchanale chorégraphique, à une orgie de fandangos à trois voix et à une bamboche de fandangos "paraos" d’Alosno joués à la flûte. "Sirynx" ou "Après-midi d’un faune" debussystes, David Coria arbore sur sa nuque un masque blanc d’Arlequin, ou de clown triste. Sa maîtrise corporelle est telle qu’alors qu’il est de dos, nous jurerions voir le personnage masqué de face. Troublante impression : le danseur est à la fois un faune et, quand il se retourne, un être humain. Le calme revenu, il ramasse quelques avions en papier, les lance son tour et médite paisiblement. Fin du premier épisode.
Pour la musique, le chorégraphe a fait appel aux mêmes artistes que pour "¡ Fandango !" , auxquels le lie une durable complicité. C’est dire qu’il ne s’agit plus d’accompagnateurs, mais de musiciens-danseurs, comme lui-même est danseur-musicien. Seul l’effectif vocal a été renforcé, Tomás de Perrate et Pepe de Pura s’adjoignant à David Lagos. La diversité de leurs registres (trois bons octaves entre l’extrême grave de Tomás et l’extrême aigu de David), et plus encore celle de leur style vocal (respectivement : puissance,
brillance et délicatesse) génèrent des polyphonies à deux et trois voix de toute beauté, et quelques échanges franchement humoristiques. Les instruments à vent de Juan M. Jiménez et l’instrumentarium électronique de Daniel Muñoz "Artomático" font oublier l’absence de guitare. Loin des "bases" tonitruantes habituelles, Artomático use des effets électroniques en fin coloriste (cf. son album "ElectroFlamenco", 2015), au point qu’on les oublie souvent tant ils s’immiscent adroitement dans les textures sonores — présence imperceptible mais déterminante, qui émerge parfois en soliste, par exemple pour une ritournelle minimaliste si cristalline qu’elle semble jouée par un célesta, en prélude à la scène des fandangos.
"La danse est union, union de l’homme avec l’homme, de l’homme avec le cosmos, de l’homme avec Dieu. […] Et puis danser c’est parler le langage des animaux, communiquer avec les pierres, comprendre le chant de la mer, le souffle du vent, découvrir avec les étoiles, s’approcher du trône même de l’existence. C’est transcender totalement notre pauvre condition humaine pour participer intégralement à la vie profonde du cosmos." A la fin de "De lo humano", ce texte de Maurice Béjart est diffusé off, en français, tandis qu’en bord de scène, David Coria tend les bras pour nous en faire l’offrande muette. On ne saurait en effet trouver meilleure définition de son art. Il est également un peu sorcier, sinon, il ne danserait pas de cette manière : il peut aussi vous rendre heureux et vous protéger durablement des intempéries et autres cataclysmes qui s’abattent ces derniers temps sur les "humanos" et tous les êtres vivants, animaux et végétaux, qu’il chante silencieusement.
Claude Worms
Photos : Archivo fotográfico Bienal de Flamenco / Claudia Ruiz Caro
Patrica Guerrero : "Deliranza"
Séville, Teatro de la Maestranza, 14 septembre 2022
Direction artistique et chorégraphie : Patricia Guerrero
Scénographie : Juan Dolores Caballero "el Chino" et Patricia Guerrero
Dramaturgie : Juan Dolores Caballero "el Chino"
Direction musicale : Dani de Morón
Composition musicale : Dani de Morón, Óscar Álvarez et Agustín Diassera
Danse soliste : Patricia Guerrero
Corps de ballet : Marti Corbera, Maise Márquez, Gloria del Rosario, Ana Pérez, Hugo Sánchez, Ángel Fariña, Fernando Jiménez
Chant : Amparo Lagares et Sergio "el Colorao"
Guitare : Dani de Morón
Claviers : Óscar A. Rifbjerg
Percussions : Agustín Diassera
Costumes : Pablo Árbol
Lumières : Manuel Madueño et Sergio Collantes
Son : Fali Pipió
" El sueño, actividad natural de la vida humana, es fuente de conocimiento, lo onirico es una categoría existencial relacionada con el subconsciente y en el trasfondo de los sueños, acecha una resignada y sonriente melancolía que, entre sus difuminados monstruos, refleja la soledad de la creación entre el sueño y el mito. Es un tiempo que no es marcado por ningún reloj, sino insinuado por el discurso de la bailaora." (extrait du livret du spectacle).
Figurer le rêve, et plus encore l’inconscient, par la danse est certes un projet original, mais une tâche ardue… Saluons d’abord sans réserve la performance physique et technique de Patricia Guerrero, qui danse pratiquement sans interruption pendant une heure et demie, seule ou avec tout ou partie du corps de ballet. Et avec quelle intensité ! C’est bien cette frénésie permanente, communiquée sans répit aux sept danseuses et danseurs de sa troupe et aux cinq musiciens qui les accompagnent, qui, nous semble-t-il, pose problème.
Le livret fait aussi référence à "Alice’s Adventures in Wonderland", mais nous n’avons trouvé nulle trace de l’humour et de la fantaisie de Lewis Carroll dans "Deliranza". Les rêves de Patricia Guerrero semblent tout uniment cauchemardesques. La pièce débute par un beau solo de la bailaora, sans musique, au cours duquel elle répète des pas, des postures, des cambrés, des braceos, des frappes sur le corps, etc. de plus en plus complexes, en séquences de plus en plus longues. Finalement, elle s’écroule épuisée, et, semble-t-il, s’endort et rêve. Le piano (Óscar A. Rifbjerg) lance alors par des accords atonaux, proches des clusters, une course à l’abîme, ou vers nulle part, sans fin — cf. la coda du spectacle, qui renoue brièvement avec son prologue comme si le temps discursif était aboli.
La scénographie est construite en permanence sur une division de l’espace (vide de décors) en un premier plan dévolu à la soliste et un arrière-plan où évolue le corps de ballet, plongé dans une pénombre d’où émergent par moments les silhouettes de groupes de danseurs en nombre variable. Le contraste est accentué par les costumes, clairs pour Patricio Guerrero, noirs pour tous ses partenaires. La plupart des tableaux sont ainsi des sortes de concertos chorégraphiques, ponctués de quelques pas de deux et de deux solos plus développés, d’abord por tango puis por siguiriya. Les musiciens restent le plus souvent invisibles, parfois vaguement discernables en fond de scène, surélevés par rapport au plateau.
Les chorégraphies de groupes alternent des défilés mécaniques synchrones martelés par les pieds des danseurs, telles des marches militaires terrorisantes, et des déambulations ou des courses sans ordre apparent, chacun(e) semblant fuir vainement quelque menace invisible ou poursuivre quelque chimère insaisissable. Les arrêts sur image sculptent des masses grouillantes agitées de bras tentaculaires. S’en détachent parfois un personnage informe et souffrant, tel le Schmürz des "Bâtisseurs d’empire" ou des Vladimir et Estragon qui attendraient vainement Godot, non en philosophant paisiblement mais en proie à une fébrilité incontrôlable. Dans un premier temps, la soliste résiste à toutes ces créatures ou tente de les apprivoiser. Deux nouveaux costumes marquent ensuite des changements de stratégie : elle pénètre dans ses rêves en robe verte, puis en prend la direction en robe rouge — un rouge sang à la tête d’un noir ténébreux, tout un programme…
Le retour sempiternel des mêmes images et des mêmes mouvements de groupe finit par neutraliser leur impact initial, malgré la symbiose de l’expression corporelle et de la danse et les personnalités très affirmées des danseuses et danseurs, adroitement mises en valeur par les costumes et surtout les accessoires — franges, chapeaux (parfois remplacés par des cannes), masques, etc. (Pablo Árbol). La diversité de style des partenaires de Patricia Guerrero varie par contre opportunément les pas de deux. Beaucoup jouent les rôles de doubles grimaçants de la soliste, dont ils imitent d’abord ponctuellement les pas et les postures, avant de les caricaturer au point de les rendre grotesques. L’extrême stylisation volontaire des codes des deux bailes traditionnels (relativement), au demeurant remarquables, tangos del Sacromonte (cantes par Amparo Lagares et Sergio "el Colorao") et siguiriya (en strict duo danse/guitare, avec Dani de Morón), en extirpe impitoyablement toute connotation émotionnelle— ce qui d’ailleurs est en parfaite cohérence avec le processus de déshumanisation à l’œuvre pendant tout le spectacle.
Lumières (Manuel Madueño et Sergio Collantes) et musique sont assignées à deux tâches nettement définies. Aux premières le nuancier des ambiances oniriques, finement décliné par des clairs-obscurs brusquement cassés par de violents éclairs lumineux (douches notamment), des dégradés de couleurs et des effets de transparences et de brumes. Au contraire, la musique est presque constamment oppressante, même si l’on y distingue parfois quelques bribes de soleares, tanguillos et autres bulerías, sardoniquement déchiquetées et rapidement englouties dans la pâte sonore. Les instruments sont souvent fondus en masses indistinctes de décibels, justifiées par le propos mais à la longue inopérantes et lassantes. La trame musicale, bannissant tout épanchement mélodique, est systématiquement construite sur de courts motifs ostinatos lourdement appuyés sur les temps forts et de surcroît martelés par les pieds des artistes du corps de ballet et par les percussions d’Agustín Diassera. Ce dernier officie avec sa maestria coutumière, mais nous y perdons trop souvent son art de la nuance dynamique infinitésimale. Cette conception musicale est certes logique du point de vue du projet, mais nous ne pouvons nous empêcher de regretter que de tels musiciens soient à ce point sous-employés.
Tout au long de "Deliranza", nous sommes passé constamment de la fascination admirative à l’ennui, et parfois à l’agacement. Ce qui prouve au moins que ce spectacle ne laisse pas indifférent. Il nous aura manqué quelques sourires et un peu de mélancolie (cf. ci-dessus, le livret).
Claude Worms
Photos : Archivo fotográfico Bienal de Flamenco / Claudia Ruiz Caro
Gerardo Nuñez : "Concierto inaugural. Ciclo Guitarra desnuda"
Séville, Espacio Turina, 13 septembre 2022
Composition et guitare : Gerardo Nuñez, Rycardo Moreno, Salvador Gutiérrez, Jesús Guerrero, Juan Antonio Suárez "Canito" et Álvaro Martinete
De gauche à droite : Álvaro Martinete, Rycardo Moreno, Salvador Gutiérrez, Gerardo Nuñez, Juan Antonio Suárez "Canito" et Jesús Guerrero.
Qu’on l’approuve ou non, on ne saurait contester la logique de la programmation de Chema Blanco, directeur de la Biennale 2022. Pour une fois, ses choix ne doivent rien au hasard des offres de service des artistes ou des producteurs, ils visent des objectifs cohérents. Sans compter la richesse et la diversité des activités parallèles, deux ressortent nettement du programme des concerts et spectacles : d’une part, la volonté d’offrir un panorama aussi exhaustif que possible de la création chorégraphique flamenca contemporaine ; d’autre part, l’engagement à mener à bien un cycle de quatorze concerts de guitare flamenca "desnuda" (de récitals en strict solo). On ne saurait trop lui être reconnaissant de cette initiative inédite, d’autant que, sans rien connaître des négociations préalables, nous imaginons que l’imposer n’a sans doute pas été une sinécure.
La liste des invités a de quoi faire rêver : outre Gerardo Nuñez, qui a coordonné le cycle, se succèderont du 13 au 30 septembre Álvaro Martinete, Juan Antonio Suárez "Canito", Jesús Guerrero, José Antonio Rodríguez, Joselito Acedo, Salvador Gutiérrez, Alfredo Lagos, Paco Jarana, Yerai Cortés, José Manuel León, José Quevedo "Bolita", Rycardo Moreno et Antonio Rey — regrettons cependant l’absence de tocaoras, un regrettable oubli qui sera sans doute corrigé en 2024. Nous aurions volontiers pris un abonnement si la brièveté de notre séjour et les horaires très serrés des deux ou trois spectacles programmés chaque soir ne nous en avaient empêché.
Logiquement, Gerardo Nuñez était le maître de cérémonie du concert inaugural du cycle. Logiquement puisqu’il en est le coordinateur, mais surtout parce que, outre sa musique, nous lui devons la formation de nombreux guitaristes des deux générations postérieures, dont certains étaient présents lors de cette soirée : les stages qu’il a créés à Jerez puis poursuivis à Sanlúcar de Barrameda avec son épouse, la bailaora Carmen Cortés, en sont cette année à leur trente-deuxième édition. De ce point de vue, Gerardo Nuñez est le digne héritier d’une lignée d’éminents guitaristes et pédagogues jerezanos, de Rafael del Águila à Manuel Lozano Gómez "el Carbonero", en passant par Manuel Morao ou José Luis Balao. Ajoutons enfin qu’il a toujours soutenu généreusement ses jeunes collègues en début de carrière. C’est ainsi qu’il a produit lui-même en 2003, sur son propre label, un album intitulé "The New School of Flamenco Guitar" qui présentait José Manuel León, Antón Jiménez, Juan Antonio Suárez "Cano", Jesús del Rosario et Vicente Cortés, tous inconnus à l’époque (CD El Gallo Azul/ACT 9413, 2003).
Vingt ans après, les "écoliers" sont devenus "The New Masters of Flamenco Guitar". C’est dire si ce concert nous a enchanté, non seulement par la qualité des compositions (la pyrotechnie instrumentale va sans dire), mais aussi par son ambiance communicative de respect mutuel et de plaisir à partager la musique — les photos de Claudia Ruiz Caro en témoignent éloquemment (seul le duo avec Juan Antonio Suárez "Canito" manque à l’appel). L’organisation de la soirée s’y prêtait parfaitement : en hôte attentionné, Gerardo Nuñez présenta tour à tour chacun de ses cinq partenaires, avec lesquels il joua d’abord une pièce, ou parfois un bref "prologue" (selon ses propres termes) en duo, avant de les laisser seuls sur scène.
Gerardo Nuñez ouvrit le concert en solo avec un diptyque rondeña/bulería, ("Donde duerme la luna"). La rondeña initiale, par sa tension contenue et ses silences intenses, pourrait être une version flamenca de quelque "Música callada" de Mompou. Extraite de "Flamencos en Nueva York" (1989), elle était suivie, non par un fandango abandolao comme dans l’album original, mais par une bulería. Dès lors, tous les duos étaient basés sur des compositions de Gerardo Nuñez, qui nous offrit ainsi avec ses invités une magnifique rétrospective de son œuvre : "Puente de los Alunados" avec Álvaro Martinete (tanguillo por granaína — album "El gallo azul", 1987) ; "Templo del lucero" avec Rycardo Moreno (soleá por bulería — album "Andando el tiempo", 2004) ; "Sevilla" avec Salvador Gutiérrez (sevillanas — album "Calima", 1999) ; enfin, deux brefs prologues ad lib. : à la bulería en mode flamenco sur Do# "Arrinconao" et à la bulería en mode flamenco sur Ré "Calima" pour accueillir, respectivement, Jesús Guerrero et Juan Antonio Suárez "Canito".
On voit que le terrain de rencontre favori des tocaores contemporains est la bulería, comme le confirma le morceau de clôture, deux séries de chorus époustouflants par le maître de cérémonie et chacun de ses partenaires, dans l’inusable mode "por medio". Ce fut aussi l’occasion de constater que, contrairement à une critique persistance, les guitaristes-compositeurs flamencos contemporains ne sonnent pas tous de manière identique et ne dissimulent pas par leur virtuosité leur absence d’originalité — pour peu qu’ils soient sonorisés avec respect, ce qui était le cas lors de ce concert. Les pièces interprétées en solo montraient au contraire des styles nettement affirmés : puissance et fougue rythmiques sur des harmonies canoniques (Álvaro Martinete — "¡ Criollo candela !", guajira) ; humour et émotion jonda (Rycardo Moreno — "Sueñan en Alepo", bulería por granaína entrecoupée de passages ad lib.) ; classicisme souverain (Salvador Gutiérrez — "11 bordones", soleá) ; lyrisme (Jesús Guerrero — "Anne Franck", pièce libre en La mineur) ; laconisme et labyrinthes harmoniques, les accords surgissant immanquablement là où on les attendrait le moins (Juan Antonio Suárez "Canito" — "4 x Bulería", une série de variations modulantes sur le thème des "Cuatro muleros", qui n’avaient jamais connu traitement aussi imprévisiblement novateur).
Avec de tels musiciens, les deux heures du concert nous parurent bien courtes. Heureusement, nous aurons l’occasion de les écouter plus longuement grâce au cycle "Guitarra desnuda".
Claude Worms
Photos : Archivo fotográfico Bienal de Flamenco / Claudia Ruiz Caro
Photo : Archivo fotográfico Bienal de Flamenco / Claudia Ruiz Caro
Olga Pericet : "La Leona"
Séville, Teatro Central, 11 septembre 2022
Idée originale, direction artistique, musicale et chorégraphique : Olga Pericet
Scénographie et conseillère à la création : Carlota Ferrer
Danse : Olga Pericet
Guitare : José Manuel León et Alfredo Mesa
Basse : Juanfe Pérez
Percussions : Roberto Jaén
Chant : Israel Moro
Musique originale et arrangements : José Manuel León et Alfredo Mesa
Lumières : Gloria Montesinos
Son : Ángel Olalla
Costumes : Olga Pericet et Carlota Ferrer
Photo : Paco Villalta
Les lionnes se suivent mais ne se ressemblent pas. Nous avions assisté en février dernier, au Festival de Jerez, à "El avance de la Leona", la Bienal nous offre la "Tienta de la Leona". Les deux pièces font partie du projet d’une suite/sonate en quatre mouvements qui devrait être achevée en 2023. Le thème commun, ou plutôt l’inspiration première, en est la guitare construite en 1852 par Antonio de Torres, effectivement baptisée La Leona, actuellement conservée au Musée de la Musique de Paris. Dans un ouvrage récent, le guitariste et musicologue Norberto Torres Cortés, qui a conseillé Olga Pericet, a démontré comment cet instrument avait influencé de manière décisive non seulement la facture instrumentale, mais aussi la technique et conséquemment l’écriture des guitaristes-compositeurs espagnols de la deuxième moitié du XIXe siècle — musiciens "éclectiques" (Eusebio Rioja), à la fois classiques et flamencos selon une classification actuelle qui n’avait pas cours à l’époque — cf. Antonio de Torres y Julián Arcas. Una nueva expresión para la guitarra española. Almería, Diputación de Almería. Instituto de Estudios Almerienses, 2018.
La totalité de l’œuvre est basée sur une double interprétation de La Leona, guitare et animal. Mais l’ "avance" reposait, au moins pour partie, sur un scénario décrivant métaphoriquement le travail du luthier et le processus de fabrication de l’instrument (cf. notre compte-rendu). Rien de tel ici : la "tienta", qui sera premier volet de la suite, est entièrement dévolue à la "féline", ce qui est d’ailleurs conforme à la symbolique féminine-érotique attachée à la guitare et abondamment utilisée par les peintres du tournant des XIXe et XXe siècle — cf. la thèse de Vinciane Trancart, Accords et désaccords. Pratiques et représentations de la guitare à Madrid et en Andalousie de 1883 à 1922. Université Paris III, 2015.
De fait, la première scène est inspirée d’un tableau de Ramón Casas "Desnudo con guitarra" (1894), dont Olga Pericet reprend par instant la posture au sol. En duo avec le percussionniste Roberto Jaén, cheveux effectivement "à la lionne", elle émerge progressivement, telle une chrysalide, d’un pagne qui restera son seul vêtement jusqu’à la fin d’une première danse dont les arabesques des bras, les sinuosités du torse et les balancements des hanches auraient été propres à nourrir (très élégamment…) les fantasmes orientaux des voyageurs qui visitaient l’Andalousie au XIXe siècle. Naissance du mythe donc : "Busco la simbología de la leona porque siento el rugido, lo felino, la fuerza interna, las tablas, el flamenco, el preflamenco y los diferentes discursos dancísticos y culturas que llenan mi interior. Nunca sigo una fórmula para crear. Hago caso a mi intuición y me dejo llevar por lo que necesito comunicar en cada momento, y ahora es esa conexión entre las raíces del flamenco y la plasticidad de nuestro origen animal". (Olga Pericet)
Photo : Archivo fotográfico Bienal de Flamenco / Claudia Ruiz Caro
A l’mage des nombreuses variations pour guitare (sur le fandango, la malagueña, la jota, etc.) de la seconde moitié du XIXe siècle, "la tienta de la leona" est une série de variations sur le symbole qui vient de naître sous nos yeux. Pas de fil conducteur, à peine quelques transitions à la charge des musiciens : comme les variations instrumentales étaient souvent basées sur des techniques diverses (gammes, arpèges, trémolo…) et pour partie improvisées, les variations sur la lionne seront tour à tour féminines et masculines, flamencas, jazz, latinas, boleras, etc., dans un ordre et sur des bases naturellement fixés à l’avance mais sujets à des développements laissés à l’inspiration du moment. Dans un décor on ne peut plus sobre (rideaux beiges tendus en fond de scène, comme des planches de bois (?) et quelques chaises), la présence de la guitare est donc réduite à des tables d’harmonie disséminées ça et là, et souvent maltraitées (déchiquetées à coup de ciseaux… mais a compás, brandies violemment, jetées au sol…) comme si elles signifiaient la résistance de la matière au plaisir immédiat.
Par contre, le plaisir de danser, la fougue, l’énergie et l’humour d’Olga Pericet ne se heurtent à aucune limite technique. Pouvant tout danser, elle est libre de tout oser et de céder à toutes ses impulsions, d’autant qu’elle peut compter sur quatre musiciens — les mêmes que pour l’ "avance", à l’exception du cantaor — possédant une aisance et une versatilité égales aux siennes : José Manuel León (guitare), Juanfe Pérez (basse), Roberto Jaén (percussions) et Israel Moro (chant) que nous ne connaissions pas mais qui est assurément promis à une belle carrière. Après le premier tableau, le quatuor accompagne des rumbas particulièrement torrides et "latines", bien que le premier cante ( "Corcho con caña") ait été baptisé naguère "Rumba argelina" par le groupe Radio Tarifa. La bailaora semble vouloir en finir avec la lionne, dont elle piétine allègrement le nom sur une pancarte transformée en plancher…
… sans doute pour passer à une farruca altière, en costume masculin, pièce maîtresse du spectacle et chef d’œuvre chorégraphique et musical, tant pour les arrangements de groupe que pour l’introduction et les falsetas de José Manuel León. Nous tenons ce dernier pour l’un des compositeurs-guitaristes les plus originaux de ces dernières années (nous ne pourrons malheureusement assister à son récital du 27 septembre à l’Espacio Turina, mais si vous êtes à Séville, ne manquez ce rendez-vous sous aucun prétexte). Alfredo Mesa, guitariste et grand interprète du répertoire "pré-flamenco" intervient ensuite pour la première fois, en duo avec le bassiste, dans une veine jazzy que nous ne lui connaissions pas, une version du "‘Round Midnight" de Thelonious Monk. Olga Pericet, avec le quintet instrumental, "marque" superbement, non le cante mais la musique de Thelonious, tandis que le Juanfe Pérez se montre aussi inspiré dans l’exécution des walking bass que dans ses chorus. Sans transition, si ce n’est une ultime réminiscence du standard de Monk (basse), nous plongeons en plein XIXe siècle pour une démonstration éblouissante de danse bolera et castagnettes sur la murciana de Julián Arcas. Alfredo Mesa retrouve donc son répertoire de prédilection dans ce duo danse/guitare, et module por granaína pour une coda dont José Manuel León se saisit et qu’il développe en prélude à un pur moment de grâce frémissante, une version en duo chant/guitare de la "Milonga del silencio" d’Atahualpa Yupanqui.
Photo : Paco Villalta
Olga Pericet avait eu le bon goût de nous laisser en compagnie d’Israel Moro et de José Manuel León pour déguster cet instant de recueillement. Sur des notes tenues de la basse transformée en orgue par des pédales d’effet, elle revient en scène por bambera, sa robe rose bonbon à volants tapageurs (table d’harmonie plantée sur la nuque en guise de chapeau) annonçant un tout autre climat. En effet, de fandangos "abandolaos" (zángano et fandango del Albaicín) en liviana ("El querer que se oculta…") a compás de siguiriya sur tempo d’enfer, la bailaora et ses partenaires ne nous laisseront plus aucun répit : maelström sonore et kaléidoscope chorégraphique frénétique souligné par un progressif dépouillement vestimentaire (robe rose, puis jupe et justaucorps de même couleur, puis body et collants noirs), pour une bataille rangée avec des tables d’harmonie récalcitrantes, la (et nous) laissent à bout de souffle, jusqu’à ce qu’elle s’écroule au sol. Rideau.
Après l’ "avance" et la "tienta", il nous tarde de voir et d’écouter l’œuvre achevée dans son intégralité. Rendez-vous est pris pour 2023.
Claude Worms
David Lagos : "Cantes del Silencio"
Séville, Cartuja Center, 11 septembre 2022
Chant : David Lagos
Guitare : Alfredo Lagos
Piano et clavicorde : Alejandro Rojas-Marcos
Saxophones : Juan M. Jiménez (Proyecto Lorca)
Percussions : Antonio Moreno (Proyecto Lorca) et Perico Navarro
Palmas : Miguel Téllez
Artistes invitées : Isabel Bayón (danse) et Melchora Ortega (chant)
Audios off : Daniel Muñoz "Artomático"
Documentation historique et scénario : Miguel González
Collaboration littéraire : Antonio García Barbeito
Conseiller à la scénographie : David Coria
Collaboration technique : Lola Vallespí
Son : José Amosa
Lumières Rubén Camacho
Cómo bien sabe mi Dios y que me oigan los hombres, que hay un verdugo muy malo que vive en mi nación. ¡ Ay ! que bajo de su hacha estamos. (Manuel Gerena — taranto, 1977)
Un sillón tendra en el cielo aquel que en un Jueves Santo mandó matar a mi abuelo. (Paco Moyano — soleá, 1978)
Faltarán los cantaores, aquellos que mejor cantan, para cantar las cuarentas, que es lo que está haciendo falta. (José Menese — Romance a la libertad, 1979)
Depuis la fin des années 1970, à l’exception de Juan Pinilla et de Rocío Márquez, rares sont en effet les voix flamencas qui ont entretenu la mémoire des massacres perpétrés par les franquistes, phalangistes et autres "nationalistes" pendant la guerre civile espagnole et la décennie de plomb qui l’a suivie. La loi de "Memoria histórica" a au moins le mérite d’exister depuis 2007, mais son application avance le plus lentement possible, entre l’opposition opiniâtre du Partido Popular (et, plus récemment, celle de Vox) et les atermoiements du PSOE. Les deux prétextes habituels (cf. pour la France, la Commune, le régime de Vichy, les guerres coloniales, etc.) ressurgissent opportunément au moindre vent électoral favorable : 1) l’urgence serait à la "réconciliation nationale", c’est-à-dire à l’exonération des bourreaux et à l’oubli des victimes ; 2) les torts étant prétendûment "partagés", renvoyons dos à dos les uns et les autres. Il est donc nécessaire de rappeler une fois de plus qu’il y eut des agresseurs et des agressés et qu’en termes de zèle meurtrier, les premiers ont fait preuve d’une efficacité nettement supérieure. En Andalousie notamment, ils disposaient du temps (après six mois de guerre, ils occupaient six de ses huit provinces, à l’exception donc de celles de Jaén et d’Almería) et de l’organisation militaire et policière nécessaires. Même si elles restent évidemment sujettes à modifications (combien de fosses communes reste-t-il à découvrir ?), toutes les estimations des historiens sérieux sont sans appel. Un seul exemple suffira : pour la période 1936-1950, Santos Juliá chiffre les victimes de la répression des "vainqueurs" à 30769 (compte non tenu des morts en prison et en camp de concentration), celles de la répression des républicains à 5156 (Víctimas de la guerra civil. Madrid, Temas de Hoy, 1999). Il y eu donc des Guernicas en Andalousie, comme le déclare à juste titre David Lagos.
Par son propos comme par sa probité, "Cantes del silencio" est la digne suite, tant attendue, (du moins par nous) du "Guern-Irak" qu’Enrique Morente n’eut malheureusement pas le temps de réaliser ( album "Pablo de Málaga", 2008) — silence d’abord contraint, devenu insensiblement règle tacite de savoir-vivre, seconde nature et finalement quasi oubli. Or, "sans mémoire, il n’y a pas d’histoire. Mais pas non plus de présent, ni de futur. Il est nécessaire de la conter... ou de la chanter." (David Lagos — traduction du chroniqueur). Aussi le cantaor a-t-il fait appel à l’historien Miguel González pour l’information documentaire et le scénario du spectacle, organisé autour de trois pôles :
• La "desbandada", déjà évoquée par "Guern-Irak". Après la prise de Málaga par les troupes de Queipo de Llano (selon ses ordres, "a sangre y sexo"), de cent à cent cinquante mille civils fuient vers Almería. A partir du 8 février 1937, trois navires (Canarias, Baleares et Almirante Cervera) et l’aviation nazie bombardent les colonnes de réfugiés. Bilan : entre 3500 et 5000 morts, ce dont Queipo de Llano se félicite ainsi : “A los tres cuartos de hora, una parte de nuestra aviación me comunicaba que grandes masas huían a todo correr hacia Motril. Para acompañarles en su huida y hacerles correr más aprisa, enviamos a nuestra aviación, que los bombardeó”. Ce sont sans doute de tels exploits qui ont valu à l’un des bouchers les plus sanguinaires du franquisme d’être inhumé en l’église de La Macarena de Séville. David Lagos chante le massacre ("El Sur tiene su Guernica") por fandangos malagueños (verdial et rondeña — ou cante de jabegote — de Jacinto Almadén) et les restes de Queipo de Llano por siguiriya del Nitri ("Con la esperanza perdía") : "¿ Con la esperanza perdida, Virgen de la Macarena y Cristo de la Sentencia, cómo pueden descansar sus huesos en tu santa iglesia ? " — texte d’Antonio García Barbeito, d’autres étant populaires ou signés par David Lagos et Daniel Muñoz.
• Le franquisme et l’alliance du sabre, du goupillon et des caciques n’étant pas apparus par génération spontanée en 1936, la mémoire de David Lagos remonte jusqu’en 1882 et aux meurtres attribués à une mystérieuse société secrète anarchiste, la "Mano negra", dont on ne sait toujours pas si elle a existé ou s’il s’agissait d’une invention du pouvoir en place destinée à justifier la chasse aux militants paysans, bien réelle celle-là, menée conjointement par l’armée et les Gardes Civile et Rurale ("Trilla de la Mano Negra"). Arrestations massives, procès à grand spectacle de dix-sept inculpés, sept condamnations à mort (au garrot) prononcées par le tribunal de Jerez, augmentées à quinze par le Tribunal Supremo. La manipulation était si évidente et le scandale si énorme qu’on dut "se contenter" finalement de deux exécutions, Plaza del Mercado à Cádiz, le 14 juin 1887. Jerez, au pouvoir d’une poignée de latifundiaires, fut conséquemment coutumière des exécutions sommaires, de préférence devant les murailles de l’Alcázar : "‘las murallas del Alcázar, de penita lloran sangre, son las piedras las que hablan, cuando no se atreve nadie’”
• Les femmes ont été particulièrement visées, parce que femmes et militantes, par les exécuteurs des basses œeuvres du franquisme. On en jugera par cet extrait d’une allocution de Queipo de Llano prononcée à Radio Sevilla : “Nuestros valientes Legionarios y Regulares han demostrado a los rojos cobardes lo que significa ser hombre de verdad. Y, a la vez, a sus mujeres. Esto es totalmente justificado porque estas comunistas y anarquistas predican el amor libre. Ahora por lo menos sabrán lo que son hombres de verdad y no milicianos maricones. No se van a librar por mucho que berreen y pataleen” — un sommet d’abjection parmi d’autres. "Las 1500 rosas" rendent hommage aux innombrables victimes (emprisonnées, torturées, violées, exécutées) en revoyant ainsi symboliquement aux "Trece rosas", treize militantes socialistes âgées de 18 à 29 ans, accusées de meurtres qu’elles n’avaient pu commettre parce qu’elles étaient en prison, et fusillées le 5 août 1939. Le baile d’Isabel Bayón incarnait leur souffrance ("Medicina para la guerra") mais aussi leur dignité indomptable (alegrías) — "¡ Que me quiten lo bailado !". Aucune barbarie ne viendra jamais à bout de leur courage et de leur détermination à vivre pleinement, coûte que coûte : c’est ce qu’affirmaient les rumbas de la Repompa et les bulerías de Melchora Ortega — "¡ Que me quiten lo cantado !"
Cependant, la dignité de son propos ne saurait à elle seule garantir la qualité d’une œuvre d’art. La réussite de ces "Cantes del silencio" avait été préfigurée en 2019, pour la réalisation musicale, par le troisième album de David Lagos, "Hodierno" (et notamment le "pregón del miedo" — "Miedo, miedo, nos venden mucho miedo..."), puis, le 15 juillet dernier à Jerez pour le sujet, par la représentation du spectacle "Descantar" dans le cycle des "Noches de Bohemia". David Lagos y était déjà entouré par une équipe d’excellents musiciens qui travaillent avec lui depuis des années (cf. également, le spectacle "¡ Fandango !" de David Coria, ici conseiller à la scénographie ) : Alfredo Lagos (guitare), Alejandro Rojas-Marcos (piano et clavicorde), Juan M. Jiménez (saxophone), Antonio Moreno (percussions) et Daniel Muñoz (musique électronique). Là encore dans la lignée du "Pablo de Málaga" d’Enrique Morente, il ont conçu une suite de musiques descriptives, et non illustratives, dans le meilleur sens de l’expression. David Lagos utilise avec une totale maîtrise tous les procédés vocaux développés par Morente, non pour en faire étalage, mais pour extraire de chaque cante les émotions musicales qui conviennent à chaque texte : murmures, souffle rauque, parlé/chanté, trio vocaux polyphoniques et polyrythmiques, portamentos et sforzandos ascendants, etc. Dès la première pièce, la "Trilla de la Mano Negra", ce dernier effet porte la voix du cantaor, par paliers menés par le saxophone baryton, jusqu’à l’extrême limite de son registre, jusqu’à littéralement s"asphyxier comme les condamnés au garrot. La même exacte adéquation des moyens vocaux et instrumentaux aux épisodes de la narration est tout aussi remarquable dans la suite du programme : soleares de Triana, verdial et rondeña, malagueña d’Antonio Chacón, chanson de David Lagos sur un poème d’Antonio García Barbeito, rumba, siguiriyas (en duo voix/clavicorde, la sècheresse du timbre de l’instrument convenant parfaitement à leur accompagnement, y compris pour la paraphrase d’une falseta en alzapúa "à l’ancienne" — technique P / i / P) et bulerías. Comme de coutume, on ne saurait trop louer les introductions d’Alfredo Lagos (soleares et malagueña entre autres), et plus encore sa composition por minera préludant à la chanson originale, Admirable aussi, le trio por cantiñas danse/guitare/voix ("cantes de David Lagos" à partir des cantiñas de Córdoba, de la romera et de la version de Morente de "‘El agua no la aminoro..."). A la fin du spectacle, avant une brève réminiscence de la trilla initiale, "Requete ’Reich’" est un cataclysme rythmique, sonore, vocal et verbal : derrière le "respect de l’ordre et de la discipline" prôné par tous les fascismes, se terre immanquablement le chaos terroriste.
" Si me quitan la memoria que será de mí. Dejadme la memoria. No me borren la historia, necesito retener. Dejadme la memoria, toda la memoria" (Antonio García Barbeito et David Lagos). L’étude de "Cantes del silencio" devrait être aux programmes d’histoire et de musique de tous les collèges et lycées d’Espagne.
Claude Worms
Photos : Archivo fotográfico Bienal de Flamenco / Claudia Ruiz Caro
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