Rocío Márquez nous parle des "Diálogos de viejos y nuevos sones"...

et d’un nouveau projet.

lundi 14 janvier 2019 par Claude Worms , Maguy Naïlmi

"Diálogos de Viejos y nuevos sones" : Rocío Márquez (chant) / Fahmi et Rami Alqhai (violes de gambe) / Agusín Diassera (percussions).

XXIX Festival Flamenco de Nîmes, Théâtre Bernadette Lafont, 13 janvier 2019.

NB : entretien avec Fahmi Alqhai à suivre dans quelques jours.

Photo : Festival d’Ambronay

J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour Fahmi et lui aussi me connaissait ; il connaissait mon travail et nous nous croisions souvent parce que nous habitons dans la même rue "Eh voisin(e), on devrait monter quelque chose ensemble !"… On se disait souvent cela… mais on était tous les deux très occupés, on buvait un pot ensemble mais c’est tout. La Biennale de Flamenco de Séville nous a contacté pour nous dire qu’ils aimeraient bien qu’on fasse quelque chose ensemble et on s’est dit qu’il fallait qu’on s’ y mette. Au début nous nous sommes retrouvés tous les deux pour mettre au point la partie théorique : une véritable "pluie d’idées", et nous nous sommes rendu compte que le flamenco, tout comme la musique baroque, prenait sa source dans la musique populaire. Par exemple, pour la petenera nous avons voulu faire disparaître la barrière temporelle pour voir à quelle source avait bu la petenera et comment on pouvait la transformer, voir l’avant et puis l’après ; si elle venait de la chanson sefardí… faire de la recherche en somme, et ce pour tous les palos - ça a donc été tout d’abord une "pluie d’idées théoriques" et ensuite nous avons commencé peu à peu à les tester. L’avantage, c’est que nous étions voisins. Quand l’un avait une idée il appelait tout de suite l’autre. Par exemple pour la petenera, nous avions pensé d’abord à la petenera mexicaine parce que c’est la véritable origine de la petenera flamenca. Nous avons essayé de la monter et nous nous sommes rendus compte que finalement ça ne nous intéressait pas. Nous avons eu tellement de matériel que nous avons pu nous payer le luxe d’essayer plein de choses et de finalement ne garder que ce que nous voulions. On s’appelait constamment : "Dis moi si cette tonalité te va" ; ou bien moi je lui disais "Eh, j’ai eu une idée !". C’est seulement ensuite que nous avons pu dessiner le travail de la percussion car c’est elle qui nous réunit ; et j’aime beaucoup le travail d’Agustín (Dassiera) car il est très subtil. Ensuite il y a eu Rami. Il a apporté ce travail de basse qui a permis à Fahmi de se détendre et de se sentir plus libre dans son jeu.

Il y a des parties écrites, oui, mais pour eux seulement. Pour moi rien n’est écrit, et même pour eux certaines parties ne sont pas écrites. Nous avons une marge d’improvisation, mais par exemple l’arrangement des canarios est écrit. Pour la première partie de "ida y vuelta" - les marionas – comme pour la plupart des parties "baroques"… , là c’est écrit . Ce que j’aime c’est leur flexibilité. S’ils voient que je m’attarde un peu, ils ne s’affolent pas ; ils s’adaptent, ils travaillent beaucoup à l’oreille. Et même les parties écrites restent flexibles. Par exemple pour les intermèdes d’ "Angelitos negros" (une chanson popularisée par Antonio Machín) Fahmi improvise en toute liberté, et moi je sais qu’à la fin je dois attendre toujours deux répétitions du motif d’accompagnement avant de me remettre à chanter. Il peut faire ce qu’il veut car dans ces deux répétitions se trouve notre point de rencontre.

Photo : Sandy Korzekwa / Festival Flamenco de Nîmes

Toutes les expériences sont bonnes et servent à te faire progresser dans ta propre musique, mais parfois ces influences sont tellement subtiles que tu ne t’en rends même pas compte. Tu te retrouves à chanter dans une peña, tu fais quelque chose de nouveau et tu te dis : "Mais cette gamme je l’ai déjà chantée quelque part"… Toutes les expériences apportent quelque chose… Ce qu’il y a de bien avec Fahmi et Rami, c’est qu’ils viennent de la musique classique, du baroque, mais qu’ils ont grandi ici à l’Alameda (quartier de Séville) ; ils ont plusieurs cultures et si par exemple je modifie quelque chose lorsque je chante, ils s’adaptent parce qu’ils connaissent très bien le cante.

Pour le choix d’un air répertoire baroque, Fahmi m’a envoyé des enregistrements, et j’ai tout de suite adoré "Si dolce è’l tormento" de Monteverdi. Mais aucune des versions que j’écoutais ne convenait à ma tessiture. Donc nous avons essayé diverses transpositions pour trouver la tonalité dans laquelle je serai à l’aise, mais il fallait qu’elles conviennent aussi à la viole de gambe ; alors on essayait une tonalité, on disait : "Non, ça ne va pas" et on essayait encore… ça n’allait toujours pas… : "Tu as d’autres tonalités dans ton panier ?".

Je choisis souvent soigneusement les letras, pour que leur succession fasse sens. Par exemple pour "Aires de petenera" : la première strophe est de contenu religieux ; ensuite je poursuis par un extrait du "Romance de la monja" pour montrer comment une religion institutionnalisée peut opprimer à certains moments. Le contraste m’a paru d’autant plus intéressant que ces deux textes précédent la letra de la petenera "Quisiera yo renegar…". Le montage de ces letras revient à questionner des croyances religieuses bien établies, il peut aider à réfléchir sur ces questions. Le "Romance a Córdoba" de Pepe Marchena, c’est comme un tableau ancien ; ça te raconte comment était la foire à Cordoue dans les années 1930. Je n’aimerais pas chanter tout un répertoire de ce style, mais c’est comme une touche de couleur et ça m’intéresse parce que ça te transporte vers une autre époque. Les vers de Santa Teresa sont des petits bijoux ; en revanche certaines letras sont plus convenues ; elles parlent d’amour, de choses plus universelles. Les letras des "Diálogos" ne sont pas assez puissantes pour constituer la colonne vertébrale du spectacle, qui est surtout musicale. Nous avons essayé néanmoins de donner un sens à notre récital – contrairement à "Firmamento " (le disque précédent de Rocío) dont le fil conducteur était les letras.

Le prochain disque de Rocío Márquez évoquera la brocante qui a lieu tous les jeudis dans la calle Feria (une rue derrière la Alameda) à Séville. Rocío s’y rend régulièrement car elle peut y acheter des vinyles d’occasion à des prix défiant toute concurrence. Ce sera donc une sélection de toutes les pièces et chansons écoutées sur ces vinyles et qu’elle a beaucoup aimées qui sera présentée sur ce disque, probablement intitulé "Visto en el jueves".

Propos recueillis par Maguy Naïmi et Claude Worms

Transcription et traduction : Maguy Naïmi





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