Fahmi Alqhai nous parle des "Diálogos de viejos y nuevos sones"

mercredi 16 janvier 2019 par Claude Worms , Maguy Naïlmi

"Diálogos de Viejos y nuevos sones" : Rocío Márquez (chant) / Fahmi et Rami Alqhai (violes de gambe) / Agusín Diassera (percussions).

XXIX Festival Flamenco de Nîmes, Théâtre Bernadette Lafont, 13 janvier 2019.

Photo : Festival d’Ambronay

Oui bien sûr il y a des parties écrites dans les "Diálogos de viejos y nuevos sones" ... par exemple, pour « Si dolce è’l tormento », la mélodie et la partie de basse sont écrites. Rocío a modifié un peu la mélodie ; moi, je n’ai rien changé à la basse, mais j’ai revu l’harmonie pour que ça sonne plus "moderne". Je crois que si Monteverdi écoutait ce que j’ai fait il serait enchanté, car il a été l’un des grands compositeurs qui ont détruit l’harmonie de son époque. Dans ce cas, notre travail consistait surtout à donner l’impression, par l’harmonisation, que le thème se développait à partir de presque rien. Rocío commence par chanter la mélodie très simplement. Moi, je joue des harmoniques sur la partie de basse, comme on aurait pu le faire avant que la musique ne soit pensée verticalement. Peu à peu, les choses se compliquent et la chanson se transforme presque en bulería sur une harmonie qui devient brusquement jazzy. J’ai volé une paire d’accords à Chick Corea. Je crois que c’était dans le premier thème d’un disque déjà ancien - l’un des premiers qu’il a enregistré, mais je ne me souviens pas du titre. Il y avait un accord qui m’enchantait, et j’ai réussi à trouver une partition sur internet - une véritable merveille, c’était tout simple mais ça rendait tellement bien.

Au début de la mariona, je m’en tiens à la basse caractéristique. Puis, j’ajoute des choses à moi, comme un court passage, surtout rythmique, d’une alegría de Paco de Lucia que j’ai beaucoup écoutée. Nous n’avons pas modifié la mélodie de la zamba de Mercedes Sosa, mais j’ai travaillé sur des harmonies – disons - plus "centre-américaines". Il y avait beaucoup de choses sur le papier, mais le travail a consisté à tout réunir, à tenter d’en faire quelque chose de plus personnel et à adapter le résultat à Rocío - un travail qu’elle avait déjà assuré pendant le processus de préparation. Elle me disait : "cette harmonie me plaît bien, mais…". Nous avions beaucoup de temps devant nous, et donc la possibilité de tester de retester : "allez on va mettre ça…" Le fait d’être voisins, ça aide beaucoup. On voit très bien qu’il y a eu beaucoup de travail. Si l’on ne prend pas le temps de beaucoup travailler il est très difficile de faire quelque chose qui tourne bien. Agustín (Diassera, le percussionniste) est venu en soutien au bout d’un mois de travail. Il apportait des idées très différentes de ce que nous faisions tous les deux. Il a des ressources très similaires à celles de la voix. Agustín est l’un des meilleurs percussionnistes actuels ; c’est l’un des meilleurs « musicien percussionniste » au monde et ça a très bien marché. C’est un grand musicien, il a une oreille fabuleuse et il m’a donné des idées musicales, pas seulement rythmiques. Il me disait : "as-tu écouté cette pièce de untel ?". Il écoute beaucoup de jazz et c’est une langue qu’il faut assimiler ; il faut arriver à la comprendre… l’écouter et l’apprécier, ça je l’ai toujours fait mais la comprendre… et lui m’a aidé à franchir le pas.

Photo : Sandy Korzekwa / Festival Flamenco de Nîmes

Je ne sais pas si nous travaillerons sur d’autres airs baroques. Quand on écrit un arrangement de ce genre, à mon avis, il faut faire très attention à ne pas tomber dans quelque chose de forcé, dans des recettes artificielles. Je me rappelle un groupe qui avait fait un spectacle intitulé "Entre Monteverdi et le jazz", ou quelque chose comme ça - je ne veux pas citer de noms. Mais j’ai pensé : "si ça doit être de ce niveau là…". C’est ce que je disais avant : tu peux avoir d’excellentes idées, mais si tu ne prends pas le temps de les travailler ça n’a aucun sens. Préparer un programme de concert, ce n’est pas la même chose que de jouer entre amis pour le plaisir, "a ver lo que sale". Nous, nous avons eu la chance d’être voisins et de pouvoir échanger tout le temps : "as-tu écouté ça ?" ; "Eh ! descends tout de suite, je crois que j’ai la solution à ce problème…". C’est un gros avantage.

La méthode de travail sur "Las idas y las vueltas", avec Arcángel et Miguel Ángel Cortés, était plus ou moins identique (Las idas y las vueltas). Mais le caractère d’Arcángel est différent de celui de Rocío. Avec Rocío, c’est un travail plus minutieux, plus intime. Ce que nous avons monté avec Árcangel était plus exubérant, plus en puissance, mais le processus était très semblable. C’était aussi un très beau programme, et c’est un véritable plaisir de travailler avec lui. C’est un chanteur fantastique. Le projet avec Rocío était aussi plus radicalement original, parce qu’il n’y a pas de guitare. Pour moi c’était difficile car en plus de te presser le cerveau, tu dois aussi jouer sur l’instrument. Mais ça m’a aussi beaucoup apporté. J’aime beaucoup le contact avec l’instrument. Tu peux toujours travailler la technique ou l’improvisation, mais quand tu composes dans un but précis, ça te donne une véritable maîtrise de l’instrument. Par exemple, le solo de viole de gambe dans la centrale de "A la una yo nací", en 7/8… C’est une véritable folie : prendre un élément, le retourner dans tous les sens, le combiner à un autre, le replacer… et que tout cela donne un résultat convaincant sur la viole de gambe. C’est ce qui me fait continuer à travailler la musique, quand je fais ce genre de travail, j’aime la musique.

Avec l’ "Accademia del piacere", nous avons fait tellement de programmes risqués, classiques et non classiques… Avec de la danse contemporaine… : l’un d’entre eux portait sur l’influence espagnole sur la musique française de la seconde moitié du XVII siècle… La musique ne nécessitait pas une grande créativité, puisqu’il s’agissait de musique composée au temps de Louis XIV, dont nous avions les partitions… mais en collaboration avec Antonio Ruz, un chorégraphe extraordinaire. Après cela, il y a eu Rocío et la Biennale de Séville… Il y’a eu tant de choses différentes que je me suis dit que pour 2019 il fallait revenir à quelque chose de plus classique. Nous avons en mars un programme sur la musique française en relation avec Bach : nous jouons des pièces de Dieupart, de Couperin, de Marais etc. et nous terminons avec la Suite en Si mineur de Bach. C’est un programme nouveau, mais que d’une certaine façon nous avons déjà joué. Il s’agira de comprendre la musique, de la répéter et de la jouer. Ces dernières années ont été une véritable folie, il faut que ma tête puisse se reposer. Il faudra aussi que je puisse rentabiliser tout ce que j’ai fait. Il y a beaucoup de choses dont la promotion n’a été faite qu’à moitié. Ce programme (les "Diálogos") est plus facile à promouvoir : nous ne sommes que quatre et c’est un projet abouti. Nous travaillons sur d’autres programmes avec autant d’implication, mais ce sont des projets avec plus de gens et plus chers. El il y a toujours des surprises… En Allemagne, pour les "Diálogos", on nous a demandé de jouer avec un guitariste. J’ai demandé : "mais pourquoi veulent-ils un guitariste ?". C’est que pour eux, le flamenco c’est la guitare. Pour nous, le problème, c’est : "quel guitariste appelles-tu pour un projet de ce type ?".

Propos recueillis par Maguy Naïmi et Claude Worms

Traduction : Maguy Naïmi

Transcription : Maguy Naími et Claude Worms





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