Festival "Voix de femmes" (du 6 au 8 mars 2009)

Une coproduction de Flamenco en France et du Théâtre de l’ Epée de Bois

lundi 9 mars 2009 par Claude Worms

Théâtre de l’ Epée de Bois – 7 mars 2009

Ana Barba Moreno / Dani Moreno

Inma la Carbonera / Mathias Berchadsky « el Mati »

Rocío Márquez / Guillermo Gullén

Nous avons déjà eu l’ occasion de souligner dans plusieurs articles que, selon nous, le cante flamenco actuel doit l’ essentiel de sa richesse et de sa diversité aux cantaoras. On peut sans doute assigner l’ origine de cet extraordinaire développement du cante au féminin au succès (amplement justifié) de l’ anthologie de Carmen Linares, et à l’ exemple stimulant de Mayte Martín. Le festival « Voix de femmes » en est une preuve supplémentaire, avec une programmation courageuse autant que passionnante : outre les trois artistes de cette soirée du 7 mars, Flamenco en France et le Théâtre de l’ Epée de Bois (co-producteurs du festival) avaient aussi invité Catalina Gimenez, Rocío Bazán, Dolores Agujetas, Rosario la Tremendita, Gema Caballero etLa Conchi pour le chant, et Raquel Gómez pour la danse.

Le répertoire proposé par les trois cantaoras confirme une tendance que l’ ont peut regretter, mais qui semble se généraliser, sinon pour les enregistrements, du moins pour les concerts : la priorité accordée aux formes « festeras ». Chacune interpréta en effet des Alegrías ou des Cantiñas, des Tangos, et des Bulerías, souvent en réalité des « cuplés por Bulería ». Nous n’ eûmes droit par contre qu’ à un seul cante « por Siguiriya », et un seul « por Soleá » - avec, il est vrai, une présence plus marquée des « cantes libres » et des Fandangos. La même remarque vaut d’ ailleurs pour les trois guitaristes, parfaits sur les Alegrías, la Soleá « por medio », les Bulerías, et les Tangos, mais nettement plus embarrassés et incertains sur les autres cantes. Ce fut vrai pour les falsetas (sauf les emprunts au répertoire de Parrilla de Jerez pour la Siguiriya et les Tangos – Dani Moreno), mais surtout pour l’ accompagnement : parties ternaires du compás de la Siguiriya franchement accélérés (et donc déphasés par rapport au chant), et accompagnement des « cantes libres » et des Fandangos, souvent à contresens (surchargés lors des tercios chantés – accords de passage certes exacts, mais inutiles, voire gênants en ce qu’ ils privaient les mélismes de l’ espace nécessaire à leur déploiement, et en durcissaient les contours mélodiques ; silences intempestifs sur les reprises de souffle, ou des réponses mélodiques du guitariste auraient au contraire été nécessaires).

Ana Barba Moreno commença son récital par une Milonga et un « cuplé por Bulería » qui convenaient parfaitement à son type de voix. Cette jeune artiste semble, pour le moment, mieux douée pour la copla que pour le cante

flamenco proprement dit. Les Siguiriyas de Jerez qui suivirent le démontrèrent nettement, d’ autant plus qu’ elle choisit pour conclure un redoutable style de Curro Durse, fort au-dessus de ses capacités, tant techniques que musicales (il est vrai que nous avons en mémoire des interprétations d’ une toute autre envergure : Pepe de la Matrona, Antonio Mairena, Juan Varea, Rafael Romero, Niño de Barbate, Beni de Cádiz, Luis Caballero, La Perla de Cádiz, La Paquera, Diego Clavel…). Une tessiture trop réduite et des reprises de souffle mal maîtrisées et trop nombreuses : le majestueux arc mélodique de ce cante devenait musicalement incompréhensible, et banal à force de simplifications. La cantaora évita de la même manière les difficultés des Alegrías, des Fandangos, et de certains Tangos (de La Repompa notamment), en masquant ces déficiences par une gestuelle très étudiée, et par un contact avec le public séducteur et chaleureux. Le choix d’ un répertoire trop difficile est un péché de jeunesse qui pourra aisément être corrigé, et que les Bulerías finales (avec entres autres un cante de Manolito de María bienvenu) nous ont fait oublier.

Inma la Carbonera possède un superbe timbre vocal, légèrement rauque et voilé, et un excellent sens du compás et de la mise en place. Des problèmes de souffle (peut-être en partie imputables au trac) la mirent en difficulté sur

les Tarantos (accompagnés « por Minera » et chantés ad lib.) et surtout sur la Media Granaína et la Granaína. Elle fut nettement plus à son aise pour les Cantiñas (entre autres, cantes del Pinini et Cantiña « del Contrabandista » - cette dernière remarquable), et pour les Tientos (Antonio Chacón) et Tangos (Niña de los Peines, et un remate original sur le « Pa’ mi Manuela » de Diego Carrasco, dont l’ entame mélodique, prise à l’ octave supérieur avec une parfaite justesse, fut un des grands moments de la soirée) : le swing de la cantaora y compensa largement quelques difficultés vocales passagères. Mais nous garderons surtout le souvenir de son interprétation de « Dime », de Lole Montoya, et d’ une poignante série de Soleares, conclue par un superbe cante de La Serneta. Le cante n’ est jamais aussi fascinant que lorsqu’ il est ainsi servi par une artiste qui accepte de s’ exposer au risque d’ une situation limite, sur les plans vocal et émotionnel : Inma nous annonça avant « Dime » qu’ elle allait tout faire pour « transmettre » (en l’ occurrence, le sens de cette chanson aux spectateurs ne comprenant pas l’ espagnol). Elle nous aura « transmis » infiniment plus.

Rocío Márquez n’ est, elle, jamais en péril. Le voudrait-elle qu’ elle ne le pourrait pas, tant elle dispose de moyens vocaux et techniques exceptionnels. Elle nous offrit en revanche une leçon de beau cante, de musicalité, et de

connaissance du répertoire. La Malagueña de Chacón, suivi d’ un cante « abandolao » de Juan Breva, donnèrent le ton du récital qui allait suivre, parfait de bout en bout (on regrette d’ autant plus le choix d’ un anodin « cuplé por Bulería » pour le deuxième cante : nous aurions préféré, par exemple, une Granaína…).
Suivirent, a capella et sans micro, une série de Pregones, initiée par celui de Macandé : heureuse initiative, ces styles étant pratiquement oubliés actuellement (si l’ on excepte une version récemment enregistrée par David Palomar). Les Cantiñas et les Tangos, tels que nous les présenta Rocío Márquez, donnent toute la mesure de la confiance de l’ artiste dans ses moyens vocaux, tant les différences de registre entre les différents cantes étaient périlleuses : cante du répertoire de La Revuelo, suivi de cantes extremeños, du Sacromonte, et de La Repompa pour les Tangos ; Alegría de Córdoba, Cantiñas de Pastora et de Sanlúcar pour les Cantiñas. La cantaora justifia pleinement sa « Lámpara minera » avec une superbe Minera de Pencho Cros, et conclut son récital par des Fandangos, parmi les plus beaux (et les plus difficiles…) du répertoire : Manuel Vallejo et El Gloria pour les Fandangos « libres », et Antonio Rengel « por Huelva »). Rocío Márquez est une ancienne élève de la Fondation Cristina Heeren, qui a déjà formé plusieurs artistes de sa qualité (Sonia Miranda et Jesús Corbacho, entre autres…). Toutes et tous y ont acquis de très solides bases techniques (intonation et gestion de la respiration irréprochables, large tessiture, maîtrise du compás et des contrastes de dynamique, fluidité des ornements…), qu’ ils mettront sans aucun doute progressivement au service d’ un style plus personnel. Du très beau travail.

La réussite du concert doit aussi beaucoup aux palmas « modestes et géniales » de Bastián de Jerez, et à la sonorisation qui, pour une fois, respecta les voix et les guitares, en évitant de les noyer dans la débauche de reverb et de décibels à laquelle nous sommes malheureusement habitués.

Avec ce festival (qui incluait aussi une exposition de René Robert, une conférence de Mercedes Gomez-Garcia, et une master-class de Rocío Márquez), et après le récent concert des frères Piñana, Flamenco en France semble revenir à son militantisme d’ antan, qui nous avait valu tant d’ heureuses découvertes. Nous ne pouvons que nous en réjouir, et saluer le dévouement de l’ équipe de bénévoles qui ont organisé cet événement et accueilli les artistes.

Claude Worms





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