samedi 8 août 2020 par Martine Guillemin
Salmonete : "Soltaron los cabos" - un CD La Bodega Flamenco, 2019
Saluons la parution récente du nouveau – et quasi unique – disque de Salmonete, intitulé "Soltaron los cabos". Joaquín Jiménez Domínguez, alias Salmonete pour ses taches de rousseur, figure du chant de la Plazuela de Jerez dès les années 1970, avait produit très jeune un premier disque ( "Juventud y pureza", avec Paco Cepero – LP EMI Odeón C038-021.608, 1979). Après un silence de presque quarante ans, avec des hauts et plus encore de bas - "Je suis allé plusieurs fois à mon enterrement", dit-il -, voici enfin, pour le bonheur de l’afición, son nouvel opus.
"Soltaron los cabos" est un disque de dix titres de flamenco, classique certes, mais dans lequel s’exprime tout le vécu de Salmonete, ses joies et ses peines. Il s’agit de chants âpres qui ne se démodent pas. Il a été enregistré en direct dans les studios La Bodega à Jerez, accompagné par la sobre guitare de Domingo Rubichi, les palmas de José Peña et José Rubichi et les jaleos de Luis Jiménez Domínguez. L’accompagnement du guitariste, comme ses falsetas (une version personnelle des styles de Parrilla de Jerez et Manuel Morao), convient parfaitement au style direct, sans fioritures, du cantaor.
Le disque s’ouvre sur trois alegrías classiques et une cantiña de Pastora Pavón "Niña de los Peines" ("Por la Bahia"). Les chants gaditans, ouverts et lumineux, pleins de rythme et de vigueur, emportent toujours l’adhésion. Les soleares qui suivent ("Con la intención que vas") sont, avec les siguiriyas, l’une des séries de cantes les plus accomplies de l’album. Entre un prélude ("Permita Dios de los cielos / que con la intención que tu vas / que mis ojitos te vean / ciega de tanto llorar") et une coda d’une grande intensité, tirés du répertoire d’Alcalá (Joaquín el de la Paula), le cantaor nous convie à visiter trois autres hauts lieux de la géographie solearera : Cádiz (Enrique el Morcilla), Jerez (Antonio Frijones) et Lebrija (Juaniquín).
Deux incursions réussies dans le répertoire des cantes de minas prouvent que Salmonete n’hésite pas à sortir de Jerez pour élargir son répertoire : d’abord une levantica de Cojo de Málaga suivie du taranto créé par Fosforito ("Voy camino de Almería") ; puis une taranta de Linares dans le style de José Cepero (version Jerez, donc) et la cartagenera emblématique de Rojo el Alpargatero remaniée par Antonio Chacón, autre maître jérézan ("No voy más").
Logiquement, le reste du programme revient aux fondamentaux du cante jerezano :
_ sans surprise, les fandangos ("Escucho ruido y no sé de qué") s’en tiennent au standard de Jerez le plus répandu, dérivé d’une composition de Dolores "la Parralla". Sa réitération, à quatre reprises, pourrait entraîner quelque lassitude si Salmonete ne variait opportunément ses interprétations en s’inspirant, au fil des letras, de José Cepero, Manuel Torres et Antonio "el Chocolate".
_ les siguiriyas, autre point fort du disque, enchaînent deux cantes de Jerez (Tío José de Paula et Diego "el Marruro") et une cabal de los Puertos (Tuerto la Peña) qui donne son titre à l’enregistrement ("Soltaron los cabos / del muelle del vapor / y se han llevado / a la madre de mi corazón").
_ comme tous les artistes de La Plazuela, Salmonete domine à la perfection les deux grandes variantes locales de la bulería : "pá escuchar" (bulerías por soleá – "Como los judíos") d’une part, dans la lignée de La Pompi, el Gloria et Manuel Soto "Sordera" pour le cante de cierre (Sordo la Luz) ; bulerías proprement dites d’autre part, pour une fois sans le rituel cuplé (merci !), dont les multiples références (El Chozas, cambio de El Gloria, Manuel Agujetas, Antonio Mairena etc.) ont valeur d’anthologie ("Tanto me hiciste sufrir").
_ enfin, un épilogue poignant propose deux tonás classiques ("Sentaíto en mi petate…" et "A mí me metieron en un calabozo…") conclues par un martinete ("Sin haber hecho motivo…").
A cinquante-six ans, Salmonete n’a rien perdu de sa voix, et a beaucoup gagné en expérience, musicale et existentielle – en "peso"… Aussi le meilleur est-il peut-être encore à venir : "Je veux travailler avec amour et transmettre pour que le public et les gens soient heureux", dit-il. Salmonete fait ici ce qu’il sait faire : chanter son répertoire sans concession. En somme, pour l’un des bastions du chant de Jerez qu’on avait cru disparu comme d’autres figures des années 197O (dont Camarón, qui fut quelquefois son collègue de tablao), cet album sonne comme un manifeste : "Je suis toujours vivant".
Martine Guillemin
Galerie sonore :
"Voy camino de Almería" (levantica et taranto) - Salmonete (chant) / José Rubichi (guitare)
"Soltaron los cabos" (siguiriyas et cabal) - Salmonete (chant) / José Rubichi (guitare)
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