« Nobody knows where the blues come from »... le titre de cet ouvrage collectif publié sous la direction de Robert Springer [1] traduit avec une certaine ironie un échec que nous pourrions qualifier de positif, puisqu’il incite à se détourner des schémas simplistes qui prétendent définir « l’essence » du blues. Personne, effectivement, n’est parvenu à élaborer une théorie cohérente sur les sources de cette musique, de même que pour la plupart des sites de vulgarisation, les origines du flamenco demeurent « très floues et brumeuses ». La question ne continue pas moins de susciter des recherches passionnantes... pour peu qu’elles se fondent sur de réelles observations, et non sur de simples a priori. Et surtout, à condition de ne pas confondre la musique elle-même avec ses hypothétiques « racines ».
Il est légitime de s’interroger sur les origines du blues et du flamenco, en particulier sur les éléments mélodiques, rythmiques ou chorégraphiques qui les démarquent de la culture occidentale. Mais cette recherche n’implique pas qu’il existe une réponse globale, que deux formes d’expression apparues respectivement aux États-Unis au début du XXe siècle, et en Espagne au milieu du XIXe, s’inscrivent obligatoirement dans la continuité de cultures nées sur d’autres continents.
S’il est exact que le blues représente, comme le flamenco, ce que Bernard Leblon appelle très justement une « contre-esthétique [2] », cela signifie qu’ils s’opposent à l’esthétique dominante non seulement en valorisant des caractéristiques musicales « exotiques », mais surtout en s’appropriant et détournant de nombreux éléments structurels et linguistiques qui relèvent de la culture occidentale. Il en va de même pour l’ensemble des musiques de la diaspora africaine, par exemple la samba brésilienne que Pierre Barouh évoquait en ces termes :
Elle est blanche de formes et de rimes,
Elle est nègre, bien nègre dans son cœur.
ou encore, la biguine des Antilles francophones, qui avait pris forme bien avant de se développer dans le Paris des années 1930 [3] . Et à la différence de cette dernière, ni le blues ni le flamenco ne peuvent être considérés comme des « musiques d’importation ».
La perception du blues comme une musique « africaine » passe évidemment par la présence affirmée des musiciens noirs, issus d’une minorité ethnique bien plus « visible » que les Gitans d’Andalousie, et dont l’origine géographique était plus qu’évidente. Le flamenco, au contraire, s’affirme comme une musique andalouse au sein de laquelle le rôle fondateur du « chant gitan » a toujours été contesté. On a donc invoqué, pour justifier la vision du flamenco comme « une bulle d’orient dans un océan de musiques occidentales », des influences byzantines, juives ou arabes qui se veulent chaque fois plus déterminantes que les autres [4]
Par rapport aux populations les plus directement concernées, et à l’origine supposée de leurs traditions, le préjugé racial peut reposer sans souci de cohérence sur deux points de vue diamétralement opposés. On peut lire indifféremment que « les Gitans sont incultes ; ils sont incapables de la moindre création [5] » ou au contraire, qu’ils sont effectivement à l’origine de flamenco « assimilé à la vulgarité et au mauvais goût des bas-fonds [6] ». De même, la provenance africaine des esclaves peut être invoquée comme la preuve d’un déterminisme culturel, une caractéristique commune à « une race de gens différents de nous quant à la couleur et aux habitudes, et très inférieurs dans l’échelle de la civilisation [7]. » En 1941, alors que le jazz avait depuis longtemps conquis l’Amérique et le monde, le sociologue Melville J. Hezskowitz s’efforçait de combattre la thèse dominante selon laquelle il ne pouvait rien exister de tel qu’une culture afro-américaine [8]. Évoquant la nature prétendument « infantile » des Africains, et la dissémination des ethnies sur le sol américain qui aurait entraîné la perte de tout repère culturel, Herzkowitz cite l’argument selon lequel « les civilisations d’Afrique se situaient à un niveau si bas de l’échelle de la civilisation humaine » que la « supériorité évidente des coutumes européennes (...) les avait contraints de renoncer à toute tradition aborigène ».
Plus près de nous, le critique de jazz René Langel reprend les mêmes arguments négationnistes afin de démontrer que ni le jazz, ni le blues ne doivent quoi que ce soit à l’Afrique [9] ! Sa thèse serait défendable si elle ne concernait que les éléments musicaux dont l’origine demeure discutable, mais elle repose sur une fantasmagorie mêlée de la plus affligeante compassion, qui présente un peuple afro-américain totalement infantilisé, handicapé par les limites de ce que Langel appelle « l’oreille du primitif », incapable de dépasser le chant monodique approximatif durant les siècles qui ont précédé l’irruption soudaine du jazz, lorsque les Noirs découvrirent enfin les Lois Universelles de l’Harmonie Occidentale !
Cette caricature assortie de quelques contresens plus ou moins volontaires démontre que les extrêmes se rejoignent dès qu’il s’agit de nier la créativité des peuples réputés « inférieurs » – que leur culture soit considérée comme un sous-produit de la culture dominante, ou comme un simple héritage mystérieusement préservé à travers plusieurs générations.
Quoiqu’il en soit, le blues et le flamenco ont en commun une réputation d’ancienneté que l’on s’est toujours appliqué à exagérer, quitte à élargir leur définition au-delà de toute musique dont nous avons connaissance. « The blues has always been here », cette célèbre formule suggérant que le blues remonte à l’aube de l’humanité se réfère à une « éternité » qui, dans l’esprit des musiciens qui l’ont reprise, ne dépassait guère leur propre durée de vie. Mais le thème du « retour en Afrique » cher à Marcus Garvey (et à Chester Himes !), appliqué au jazz à l’occasion de la première tournée africaine de Louis Armstrong, est aujourd’hui illustré par le développement d’un « blues africain » très productif.
Le métissage du blues avec les traditions berbères ou mandingues semble tout aussi convaincant que les interprétations de flamenco dans les pays du Maghreb, mais ne prouve pas davantage une quelconque filiation. En outre, l’idéologie qui sous-tend cette nouvelle forme de « panafricanisme » tend vers une approche délibérément raciale du blues, comme en témoigne le blog de Corey Harris [10] avec une question aussi éculée que « faut-il être noir pour chanter le blues ? »
Il existe effectivement, chez les musiciens issus de minorités opprimées, une forme de « contre-transfert » qui consiste à intégrer la discrimination raciale pour la transformer en revendication identitaire.
Réflexe de survie des plus compréhensibles, car quel humble métayer du Texas, quel cantaor déniché au fin-fond de l’Andalousie, quel guitariste manouche interviewé par un journaliste du Monde s’aviserait de tenir un autre discours que celui que son interlocuteur a envie d’entendre ? « Bien sûr, nous jouons d’instinct, cette musique est inscrite dans nos gènes, c’est une tradition familiale qui remonte à plusieurs générations ». Et pour faire bonne mesure, on inventera de toutes pièces une tradition du « swing manouche » antérieure à Django Reinhardt !
La légende étant bien plus séduisante que la réalité de musiciens professionnels ou semi-professionnels qui luttent pour leur propre survie, on excusera plus facilement ces aimables affabulations que les théories confusément racistes de critiques ou d’universitaires. En plus de faire reposer le talent musical sur le « sang » ou sur la « race », certains commentateurs n’hésitent pas à noyer la réalité musicale dans un continuum indistinct.
Ainsi, nombre de sites recopient inlassablement que « le flamenco est issu d’une tradition vivante qui remonte à la plus haute antiquité [11] », sans se rendre compte que cette phrase est vide de sens, ou signifie au mieux que le flamenco est issu... de lui-même ! La confusion entre la musique et ses « racines » est encore plus flagrante pour le blues, terme qui tend à désigner toute résurgence africaine susceptible d’avoir influencé les « musiques du monde [12] ». Ce degré de tolérance ouvre évidemment la voie aux hypothèses les plus fantaisistes.
Parmi les falsifications flagrantes figure la thèse des « origines amérindiennes » du blues. On ne peut évidemment contester l’intérêt de certains artistes du « rez blues » comme Pura Fe, ni exclure une possible influence amérindienne sur la musique négro-américaine, mais de ce point de vue les arguments de Gérard Herzhaft [13] sont bien plus cohérents que les allégations d’Elaine Bomberry [14], qui explique sans hésitation que les esclaves africains auraient fui les plantations au début du XVIIIe siècle pour se réfugier dans les réserves indiennes afin de lutter côte à côte contre l’oppresseur blanc, et qu’incidemment leurs hôtes leur auraient transmis leur musique.
On ne trouve évidemment aucune trace de cet exode massif, et s’il est exact que certains contingents de Noirs se sont trouvés parmi les tribus indiennes, ils l’étaient effectivement... en tant qu’esclaves ! Après l’abolition de l’esclavage, les « territoires » de l’Oklahoma dévolus aux tribus déportées attireront des migrants noirs regroupés dans des villes entières, mais en fait d’influence, l’auteur explique confusément que le blues (qui, bien évidemment, n’existait pas au XVIIIe siècle) se serait « envolé vers les réserves »... qui n’existaient pas davantage à cette époque.
L’évocation de « litanies incantatoire », de « vibratos nasillards » et de « cris lancinants » inciterait à se demander si Murray Porter a une quelconque connaissance de la tradition du blues, mais on atteint le summum de l’humour involontaire avec la traduction du « Oh ! Yeah » de Muddy Waters par « Yauh ho » signifiant, selon l’auteur, « Je suis le Grand Esprit [15] ». La mixité entre Noirs et Amérindiens est une réalité, mais les exemples de musiciens de blues issus d’unions mixtes aux alentours de 1900 (Scrapper Blackwell, Charley Patton, Big Joe Williams, Mance Lipscomb, Howlin’ Wolf, Muddy Waters etc.) démontrent au contraire que ces derniers n’étaient pas issus de longues lignées métissées. D’une manière générale, les liens entre les « Native Americans » et la culture afro-américaine méritent une étude plus sérieuse que ces allégations à l’emporte-pièce.
Une théorie plus marquée idéologiquement consiste à faire ressurgir l’influence arabe sous le vocable explicite de « racines islamiques » – non plus à propos du flamenco, mais bel et bien de la tradition musicale afro-américaine que Sylviane Diouf désigne, comme bien d’autres, par l’appellation abusive de « blues ».
Son livre au titre évocateur, Servants of Allah [16], suggère à l’aide d’exemples isolés (et généralement dépourvus de références) l’influence morale et culturelle des Noirs islamisés sur la population afro-américaine avant l’abolition de l’esclavage. Se référant à Sam Charters, notre auteur résout en deux phrases péremptoires (p. 196) « les similitudes entre la musique afro-américaine et le flamenco » en expliquant que les Gitans, tout comme les musiciens mandingues de Gambie, auraient été directement influencés par les Arabes !
La description très imagée (p. 199) d’un unique exemple musical afro-américain, un Levee Camp holler enregistré en 1947 au pénitencier de Parchman (Mississippi), prend tout son relief avec un montage sonore diffusé lors de conférences censées démontrer une similitude avec l’adhan (appel à la prière). On notera particulièrement, dans le commentaire de Jonathan Curiel [17] le contresens sur l’interjection familière « Lord » considérée comme une adresse à la « gloire de Dieu », et sur la frustration du détenu assimilée à la nostalgie d’un paradis perdu (« Je me suis réveillé ce matin, je me sentais très mal, en pensant aux bons moments que j’ai vécus autrefois ») – frustration sexuelle également, puisque dans ce chant, « Bama » exprime surtout son intérêt pour la jeune femme venue lui apporter son déjeuner !
Au-delà des observations superficielles (phrases prolongées, pauses, chant à bouche fermée, mélismes...) on peut également s’étonner de la référence aux modes majeur et mineur qui n’ont strictement aucun sens en dehors de l’échelle tonale occidentale, et pas davantage par rapport au mode mixolydien (mode de sol) typique du Levee Camp Holler.
Alan Lomax s’était livré à un « montage » similaire en faisant alterner un chant de Henry Ratcliff avec celui d’un cueilleur de riz du Sénégal ; la juxtaposition artificielle se passe de commentaires, le seul trait commun étant que, par accident, deux chants a cappella sont interprétés dans la même tonalité. On pourrait élaborer les rapprochements les plus fantaisistes à partir de bien d’autres extraits sonores, imaginer par exemple que les longues phrases mélodiques entrecoupées de silences, les mélismes et l’intensité vocale de Juan Talega permettent de comparer les martinetes aux field hollers.
L’oreille occidentale est tout simplement déroutée par ce qui échappe à ses normes, et tout intervalle qui n’entre pas dans la gamme classique sera perçu comme « mineur » ou, plus simplement, « faux ». On se souvient de l’explication avancée par André Hodeir pour justifier l’existence des « blue notes » [18], invoquant les cinq tons de la « gamme primitive » et la difficulté des Noirs à chanter « juste » le troisième et le septième degré. Non seulement on sait que les musiques africaines avaient recours à différents modes parmi lesquels « notre » mode majeur figure en bonne place [19], mais la fameuse gamme pentatonique n’est pas spécifiquement africaine, elle est tout aussi universelle que le mode de mi (dorien) censé justifier « l’origine byzantine » du flamenco [20]
Paul Oliver a certainement été le premier à rechercher en Afrique de possibles antécédents du blues, et aussi passionnants que soient ses travaux, le bilan demeure selon ses propres termes « largement spéculatif [21]
». Plus récemment, l’ethnologue Gerhard Kubik a entrepris la démarche inverse : spécialiste des musiques africaines, il s’est efforcé d’en retrouver la trace dans la tradition du blues [22]. Son principal mérite est d’avoir quelque peu décloisonné la perception de la musique, par exemple en suggérant que la « justesse » d’une note est une notion arbitraire, qu’il peut exister quelque chose comme la « zone du sol » dont la perception dépend de nombreux paramètres – ce que la mesure acoustique d’une voix ou d’un instrument ne démentiraient pas, mais qui n’est pas spécifique aux musiques originaires d’Afrique.
« Africa and the Blues » est un ouvrage incontournable, bien que certains schémas soient peu compréhensibles par un non-musicologue. On peut surtout regretter que cette étude ne s’appuie pas sur un corpus significatif, mais sur des exemples ponctuels, et qu’elle présente des extraits sonores peu convaincants. L’auditeur habitué aux structures et aux « réflexes » rythmiques et mélodiques des musiciens de blues reste aussi sceptique qu’un amateur de flamenco qui serait confronté à des interprétations présentant des erreurs de compas – en d’autres termes, les « traits communs » ne s’intègrent pas, ne se « comprennent » pas de la même manière.
En outre, les extraits recueillis en Afrique au XXe siècle ne permettent pas d’attester la présence de ces « sources africaines » aux États-Unis durant les siècles qui ont précédé l’enregistrement sonore... ni de démontrer en quoi elles auraient pu évoluer vers le blues ; il ne s’agit plus de « chaînons manquants », mais d’une chaîne entière qui fait totalement défaut.
Enfin, il faut avouer que nos auteurs font flèche de tout bois sans évaluer le degré de pertinence des différents rapprochements auxquels ils se livrent. Par exemple, il est assez arbitraire d’associer une pratique aussi courante que l’usage du bourdon (note marquant la tonique de manière répétitive) à un usage spécifiquement africain, ou de chercher au nord du Ghana l’origine africaine des appels à distance (hollers).
La principale difficulté à laquelle se heurtent ces recherches n’est pas la compétence nécessaire pour aboutir à des analogies cohérentes, mais au contraire la facilité avec laquelle il est possible d’établir des parallèles entre les musiques vernaculaires du monde entier. Le musicologue Vic Hobson [23] considère que l’étude du développement du blues doit être totalement séparée de la question des origines, le premier aspect s’appuyant sur des sources primaires identifiables, documents et recueils de témoignages, alors que le second relève intégralement de la spéculation – à supposer, ajoute-t-il, qu’il existe bel et bien une « origine ». Bien évidemment, ceci n’interdit pas d’aborder l’émergence du blues et du flamenco dans leur contexte géographique, historique et social, en liaison avec l’expérience musicale des populations qui les ont portés sur le devant de la scène.
Patrice Champarou
[1] Robert Springer, ed. : Nobody Knows where the Blues come from, articles de David Evans, Luigi Monge, Paul Oliver, Tom Freeland & Chris Smith, Guido van Rijn, John Cowley et Randall Cherry – University Press of Mississippi, 2006
[2] Bernard Leblon : L’esthétique du flamenco : une contre-esthétique ? – Cahiers d’ethnomusicologie 7 p. 157-173, 1994
[3] John Cowley (traduction Patrice Champarou) « La mascarade, la biguine et le bal nègre » in Creole Music of the French West Indies, p. 267-333 – Bear Family, 2014
[4] Leblon : Flamenco (op.cit.) Chapitre I.
[5] Cité par Leblon, ibid.. p. 18
[6] Leblon : ibid. p. 39
[7] Thomas R. Drew cité par Jean-Claude Arnaudon : Dictionnaire du blues, p. 11-12 – Filipacchi 1977
[8] Melville J. Hezskowitz : The Myth of the Negro Past – Harper & Brothers, 1941
[9] René Langel : Le jazz orphelin de l’Afrique – Payot, 2001
[10] Corey Harris : Can White people play the blues ? Le musicien accorde évidemment aux ce « droit » aux artistes blancs, mais n’en impose pas moins la définition du blues comme une musique « noire » (et non afro-américaine) en référence à l’Afrique
[11] Carretero : op. cit. (section 2, note 7) - nous proposons une copie de la page 127 abondamment pillée par les vulgarisateurs du Web
[12] Faustino Nuñez : Blues Flamencopolis
[13] Gérard Herzhaft : Blues et Amérindiens - La Gazette de Greenwood No 29
[14] Genone : article cité (section 2 note 4) dont nous proposons également une copie de sauvegarde
[15] Cette transcription imaginaire réduit à deux syllabes, pour les besoins de la cause, le titre de la berceuse Cherokee, "We n’ de Yauh Ho !" dont il manquerait le sujet, le verbe et une préposition !
[16] Sylviane Diouf : Servants of Allah – New York University Press, 1998
[17] Jonathan Curiel : Muslim Roots of the blues
[18] André Hodeir : Hommes et problèmes du jazz, p. 45-46 – Flammarion, 1954,
[19] Eileen Southern : Histoire de la musique noire américaine, – Buchet/Chastel 1976
[20] Leblon, op. cit. p. 12 .
[21] Paul Oliver : Savannah Syncopators, p. 101 – Studio Vista, 1970 (réédité dans Yonder Come the Blues, p. 104 – Cambridge, 2001)
[22] Gerhard Kubik : Africa and the Blues – University Press of Mississippi, 1999
[23] Vic Hobson : Reengaging Blues Narratives , 2008
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