samedi 11 juin 2022 par Claude Worms
Nous empruntons le titre de cette série d’articles, ainsi qu’une grande partie des informations biographiques et de l’iconographie, au blog d’Ángeles Cruzado Rodríguez (Flamencas por derecho) que nous ne saurions trop vous conseiller de consulter assidûment. Pour les enregistrements, nous sommes grandement redevable à Pedro Moral — Sociedad Pizarra & Flamendro.
Antonia Martínez "la Salerito"
Les tiples sont des sopranos dont le registre est étendu vers les graves. En Espagne, cette tradition vocale remonte aux rôles qui ont été écrits pour elles par les compositeurs de zarzuelas du XVIIIe siècle. Tonadilleras, cupletistas, artistes lyriques, etc., elles ont aussi interprété ce que nous nommerions actuellement des cantes, qu’elles ont abondamment enregistrés dans le premier tiers du XXe siècle. C’est que les compagnies discographiques les rangeaient à l’époque dans la catégorie des aires regionales, au même titre que les jotas par exemple. Coupables du crime le "lèse jondura" selon une sorte de jurisprudence rétroactive, ces artistes ont été systématiquement ignorées par l’histoire officielle du flamenco — le fait d’être des chanteuses et non des chanteurs aggravant naturellement leur cas.
On leur reproche d’abord un coupable penchant à l’éclectisme : variétés (cuplés), œuvres lyriques (zarzuela, opéra comique, voire opéra), folklore et flamenco proprement dit. Habituées des théâtres et des cabarets, elles sont souvent à la fois chanteuses, actrices, danseuses et, parfois, guitaristes. Dans ce contexte, les tiples se produisent et enregistrent indifféremment avec des guitaristes, des pianistes ou des orchestres : toutes dispositions qui leur valurent, d’Antonio Machado y Alvarez "Demófilo" à Antonio Mairena, en passant par Manuel de Falla, les foudres des tenants d’une orthodoxie furieusement classificatrice (cante grande, cante chico, cante jondo, cante gitano, etc.). Pourtant, nous leur devons sans doute, comme à leurs collègues ténors tout aussi versatiles, la diffusion des cantes flamencos au-delà du cercle restreint des aficionados fréquentant les cafés cantantes (théâtren cinéma, radio). A en juger par leur succès, le public ne l’entendait pas de cette oreille, considérant que le flamenco était d’abord une affaire d’interprétation ("por lo flamenco") et se souciant fort peu de son adéquation aux règles de tel ou tel palo, dont les nomenclatures plus ou moins incertaines n’apparaîtront d’ailleurs qu’à partir des années 1950, avec la floraison d’anthologies diverses et variées.
Le panorama que nous vous proposons est loin d’être exhaustif. Les informations biographiques concernant ces tiples sont souvent fragmentaires — pour celles dont la carrière a été la plus durable —, parfois inexistantes. Il arrive même que nous ne connaissions que le nom d’artiste de certaines d’entre elles, tel qu’il apparaît dans les catalogues des labels discographiques. Certaines sont plus "flamencas" que d’autres, au sens que nous donnons actuellement à cet adjectif. Mais, quels que soient ses goûts et sa conception du cante, aucun aficionado ne peut ignorer leur rôle historique. Nous vous les présentons par ordre alphabétique (patronymes ou, à défaut, pseudonymes), sans jugements de valeur hors de propos.
• Emilia Benito "la Satisfecha" (La Unión, 1880 - Mexico, 1962)
Après avoir été couturière et femme de chambre, Emilia Benito "la Satisfecha" commence à chanter dans des zarzuelas représentées par la troupe de Paco Alarcón. Elle devient rapidement une vedette du "genero chico" et se produit à Barcelone, Palma de Majorque, Málaga et Madrid où elle domine la scène des variétés pendant les années 1920. Au cours de ses récitals, elle interprète des tonadillas, des airs folkloriques (jotas, folias canarias, etc.) et des cantes, avec une nette prédilection pour les cantes de minas de région natale — quand Pastora Pavón "Niña de los Peines" enregistre pour Odeón (1914) et Pathé (1915) la taranta de La Gabriela, avec Luis Molina, leurs catalogues ne manquent pas de mentionner "al estilo de Emilia Benito". Ses enregistrements reflète ce répertoire accompagné, plus ou moins adroitement, par des orchestres. Elle part régulièrement en tournée en Amérique Latine et s’établit finalement à Mexico où elle meurt, oubliée, dans un hospice de vieillards.
Emilia Benito "la Satisfecha" (ca. 1913-1920) — accompagnement d’orchestre.
• Lola Cabello (Málaga, 1905 - Castellón de la Plana, 1942)
Bien qu’elle soit née dans le quartier de La Trinidad de Málaga, c’est à Barcelone que Lola Cabello doit sa notoriété. Elle y est accueillie par le poète et parolier Hermenegildo Montés qui, avec le compositeur catalan Emilio Ulecia, signe la plupart de ses succès. Elle forme avec le guitariste Rafael Rejóns un duo régulièrement programmé par Radio Barcelona, Radio Catalana et Unión Radio Catalana au cours des années 1920-1930. Ces programmes sont annoncés de "cante flamenco" et elle y chante effectivement les cantes à la mode, surtout granaínas et fandangos dans le style de Manuel Vallejo. Dès lors, elle multiplie les récitals dans tous les théâtres de la ville et les tournées en Espagne, non sans s’orienter progessivement vers la copla. Elle est sollicitée par le cinéma, pour des adaptations d’œuvres théâtrales et de zarzuelas auxquelles elle a participé, et collabore avec tous les guitaristes importants de Barcelone, notamment Miguel Borrull Hijo et Pepe Hurtado ou, plus épisodiquement, avec Ramón Montoya. Les circonstances de sa mort restent encore obscures.
Lola Cabello (1930-1933)
Fandangos 1 et granaína 1 — guitare : Miguel Borrull Hijo.
Fandangos 2 et granaína 2 — guitare : Pepe Hurtado.
Fandangos 3 et 4 et granáina 3 et 4 — guitare : Ramón Montoya.
Guajira et rumba — accompagnement d’orchestre.
• Niña de Chiclana
Une autre quasi anonyme, dont nous ne connaissons que le prénom, Josefa. Elle fut l’épouse du cantaor Emilio Casero "Niño de la Flor". Sa version des mirabrás, rarement enregistrés à l’époque, est particulièrement intéressante : elle diffère nettement de celle d’Antonio Chacón (1928) et lui est peut-être antérieure.
Niña de Chiclana (1925-1932)
Fandangos 1 et 2 et granaína — guitare : Luis "el Pavo".
Fandango 3, mirabrás et milonga — guitare : Jorge López "Petaca".
• María "la Clavellina"
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María "la Clavellina" (1912) — guitare : Gaspar ?
• Rosario "la Cordobesa"
Nous ne savons rien de cette artiste, sinon ses patronymes, Rosario Grande Arenas. Ángeles Cruzado a cependant découvert une information , une affiche annonçant Rosario "la Cordobesa" comme comme "l’étoile de la chanson" : "Chants régionaux. Cante Jondo. Succès des pièces orchestrées qu’elle accompagne elle-même à la guitare" (3 avril 1926).
Rosario "la Cordobesa" (1921) — guitare : Miguel Borrull.
• Teresita España
Il est impossible de résumer ici la longue carrière d’une artiste qui fut à la fois bailaora (formée par Juana "la Macarrona"...), cantaora, tocaora et artiste de variétés. Nous vous renvoyons donc aux articles que lui a consacré Ángeles Cruzado : "Teresita España, guitarrista, artista flamenca y estrella de varietés". On pourra également consulter le livre d’Eulalia Pablo Lozano, Mujeres guitarristas, pages 85-97 (Séville, Signatura Ediciones, 2009).
Teresita España (1910-1922) — guitare : Teresita España (quelques parties de seconde guitare sont vraisemblablement attribuables à Ramón Montoya).
• Señorita Fernández
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Señorita Fernández (1900) — accompagnement de piano.
• Elena Fons (Séville, 1873 ou1876 - ?)
Elena Fons fut d’abord pianiste (on sait qu’elle donna des pièces de Mozart dans les salons sévillans dès l’âge de sept ans), avant de passer au chant lyrique, formée par Francisco Reynés puis par Carolina Cepeda. En 1892, elle débute au Liceo de Barcelone dans Tannhaüser. Son triomphe est tel qu’elle est engagée pour toute la saison et chante notamment la Marguerite du Faust de Gounod et la Berta du Prophète de Meyerbeer. Elle enchaîne au théâtre San Fernando de Séville, puis au Teatro Real de Madrid et en Italie (opéras de Milan, Venise et Trieste) : Aïda, Lohengrin, Cavalleria Rusticana, I Pagliacci, La Walkyrie, Tosca, Le Vaisseau Fantôme, Carmen, L’Orfeo, etc. donnent une idée de l’étendue de son répertoire — ce qui ne l’empêche pas d’enregistrer quelques cantes en 1908. Elle était d’ailleurs coutumière du fait : une chronique du Heraldo de Gerona (24 octobre 1901) rapporte que lors de la création de Carmen dans la ville, elle chanta en bis des carceleras extraites de la zarzuela Las hijas de Zebedeo de Chapí et une malagueña en s’accompagnant elle-même au piano (José Francisco Ortega Castejón, Luis Soler Guevara, Rafael Ruiz García et Antonio Gómez Alarcón : Malagueñas, creadores y estilos. Murcia, Ediciones de la Univrsidad de Murcia, 2019 — page 626). Il semble qu’elle ait opté pour un répertoire plus léger à partir de 1912... et on perd ensuite sa trace.
Elena Fons (1908) — guitare : Paco "el Leñaor".
• Luz García Senra "Señorita García" (Madrid, 1880 - Bilbao, 1905)
Señorita García — revue Nuevo Mundo, 1904
Fille de l’acteur Serafín García, la Señorita García débuta à Madrid comme actrice avant de se tourner vers la zarzuela (Teatro Cómico et Teatro Apolo de Madrid) et d’effectuer une tournée outre Atlantique — selon les nécrologies publiées par les revues La Correspondencia de España du 30 décembre 1905) et Nuevo Mundo du 4 janvier 1906 (ibid.).
Señorita García ca. (1902) — guitare : ?
• Bárbara Gil
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Bárbara Gil (1904) — guitare : ?
• Dolores "la Gitana"
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Dolores "la Gitana" (1898) — guitare : Juan Fajardo
• Rosario Illescas Sánchez "Rosario Soler" (Málaga, 1879 - 1944)
Après des débuts précoces au Teatro Vital Aza de Málaga, Rosario Soler s’établit à Madrid où elle est engagée par le théâtre Principe Alonso en 1896. La même année, elle chante à Mexico dans la zarzuela "La marcha de Cádiz" (Federico Chueca). Elle séjourne à Milan pour y prendre des cours de chant (1901-1902) puis revient à Madrid où elle mène dorénavant l’essentiel d’une carrière de tiple spécialisée dans le répertoire de la zarzuela : Teatro del Tívoli, Teatro Eslava, Teatro Novedades, Teatro de la Zarzuela. De 1907 à 1910, elle est prima donna du Gran Teatro où elle crée deux œuvres de Rafael Calleja, "El poeta de la vida" et "El país de las Hadas". Entre 1910 et 1923, elle se fixe à Mexico, non sans quelques incursions à La Havane et New York. Après de nouveaux succès à Madrid ("El niño judío", de Pablo Luna, Teatro Price), elle se retire à la fin des années 1920, réside brièvement à NIce puis regagne définitivement sa ville natale en 1931.
Rosario Soler (1907) — guitare : Ángel de Baeza.
Rosario Soler (1914) — accompagnement de piano.
• Pepita Lláser
Ángeles Cruzado fait référence à deux collaborations de Pepita LLáser avec la bailaora Lolita Astolfi au Teatro Alfonso XIII de Melilla en 1923 et, la même année, avec Lolita Astolfi et Pilar López au Teatro Moderno de Salamanque. Nous n’en savons pas plus...
Pepita Lláser (1930) — accompagnement d’orchestre, guitare : Luis Yance.
• Adela López
Présentée régulièrement comme cupletsta, "cantadora de flamenco y aires regionales", ou "cantante de aires regionales, particularmente cantares flamencos", Adela López a formé un duo renommé avec le guitarise Marcial de Lara, dans les années 1910-1920. Nous n’en savons pas plus...
Adela López (1914) — accompagnement d’orchestre.
• Luisa López "la de los Tangos"
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Luisa López "la de los Tangos" (1907) — guitare : Román García.
• Señorita Martínez / Pura Martínez
Il est possible qu’il s’agisse de la même artiste, "Señorita" ou Pura Martínez. Si tel est bien le cas, il s’agirait d’un exemple éloquent d’éclectisme, de siguiriyas jerezanas à des malagueñas accompagnées au piano, en passant par une jota — d’autant que cette artiste est surtout connue pour avoir été la vedette de zarzuelas et d’autres spectacles plus légers (dont "Frou-frou"...) représentés dans les théâtres madrilènes entre 1902 et 1911 (Teatro del Duque, Teatro Lírico, Teatro Eslava, Teatro Apolo, etc.).
Señorita Martínez (ca. 1900) — accompagnement de piano.
Pura Martínez (ca. 1902) — guitare : Román García.
Pura Martínez (1905) — accompagnement de piano.
• Antonia Martínez Burruezo "la Salerito" (Caravaca de la Cruz, Murcia, 1881 - 1959)
Présentée par la revue "Eco artístico" (15 mars 1911, ibid.) comme une "notable cupletista-bailarina espagnole", dont le répertoire inclut "le genre flamenco, des chansons cubaines, des jotas et des monologues", Rosario Soler, comme nombre de ses collègues, débute à Madrid (Petit Palais) dans la compagnie de Rafael Arcos, où elle chante des cuplés et des cantes. Elle effectue diverses tournées en Amérique Latine (Cuba, Mexique, Vénézuéla et Brésil), au Porugal et, naturellement, en Espagne (Huelva, Séville, Valence, Castellón de la Plana, Barcelone, etc.). Au cours des années 1920, elle ouvre un café-théâtre à Melilla, y perd son patrimoine à la suite d’un incendie, et plonge dès lors dans la misère. Selon la nécrologie du Diario de Burgos (30 août 1959, ibid.) : "[...] La Salerito se encontraba en la pobreza y la actriz Sarita Montiel proyectaba organizar una función en su beneficio. Interpretó muchos cuplés en España y países de América, en su larga carrera artística, que duró desde 1903 a 1930".
La Salerito (1914) — guitare : José Grau.
La Salerito (1914) — accompagnement d’orchestre.
• Niña Medina
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Niña Medina (1910) — guitare : Jorge López "Petaca".
• Paquita Morán
Paquita Morán — revue Ondas, 24 mai 1930
Malheureusement, nous n’avons aucune information sur cette cantaora à laquelle nous devons l’un des premiers enregistrements d’une cabal de Silverio Franconetti, après celle de Diego Bermúdez "el Tenazas de Morón".
Paquita Morán (1930) — guitare : Manolo de Badajoz.
• Niña Romero
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Niña Romero (1914-1920) — guitare : Simón Ramírez.
• La Sabatera
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La Sabatera (1915) — guitare : Lucas "el Valenciano".
• Encarna Salmerón
Nous regrettons une fois de plus de ne disposer d’aucune information sur cette cantaora. Ses deux séries de soleares sont des régals que semble partager Ramón Montoya.
Encarna Salmerón (1928) — guitare : Ramón Montoya.
Claude Worms
Bibliographie
ORTEGA CASTEJÓN, José Francisco, SOLER GUEVARA, Luis, RUIZ GARCÍA, Rafael et GÓMEZ ALARCÓN, Antonio. Malagueñas, creadores y estilos. Murcia, Ediciones de la Universidad de Murcia, 2019.
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