mercredi 29 mai 2013 par Claude Worms
Deux disques et quelques images pour une légende. In memoriam.
Depuis longtemps, il s’ absentait périodiquement. Il s’ est absenté définitivement, et nous avons perdu l’ une des cordes de notre instrument. Ce pourrait être la corde de sol, la plus rétive à l’ accord au juste tempérament. C’ est que le jeu de Niño Miguel était tout sauf tempéré. Il ne se souciait pas outre mesure des règles de l’ art, ni même parfois de celles du compás, et moins encore des ficelles du métier. Un véritable guitariste de rue, selon la belle expression de Norberto Torres, de la confrérie de Caracafé ou du jeune Raimundo Amador, celui justement du disque
« Guitarras callejeras », avant qu’ il ne soit sauvé par le blues qui le mena à la carrière que l’ on sait.
Nous garderons d’ abord de Niño Miguel le souvenir d’ une rage intérieure tendre et rebelle, celle-là même d’ Elmore James ou d’ Albert Ayler. Et puisque nous évoquons le free jazz, s’ il y eu jamais un free flamenco, c’ est bien celui de Niño Miguel. Son inspiration musicale fusait parfois trop vite pour ses doigts, qui furent pourtant véloces avant que l’ héroïne et la schizophrénie ne se chargent de les mettre au pas. Mais il n’ en avait cure, et il fut en ce sens de la lignée de Niño Ricardo : le même jeu rugueux à l’ arrache, et la même veine mélodique intarissable. Une urgence qui transparaissait dans le tranchant d’ un son âpre et pourtant cristallin, qui touchait immédiatement au vif du sujet, très éloigné de l’ aseptisation de nos modernes studios d’ enregistrement : comme tous les grands guitaristes de flamenco, Niño Miguel était identifiable dès les premières notes, qui sonnaient comme le premier jet d’ un portrait de l’ artiste.
Photo : Julian Pérez
Si ses deux uniques enregistrements de 1975 et 1976 (« La guitarra del Niño Miguel » et « Diferente » - rééditions en un CD par Polygram en 1994 dans la collection « Grandes guitarras del flamenco », puis par Universal, d’ abord en 1999 dans la collection « Grabaciones históricas », puis en 2006, dans la collection « El flamenco es universal ») recèlent un bon nombre de trésors qui ne sont pas près d’ être épuisés, il emporte
avec lui un torrent de pépites d’ inspiration instantanée qu’ il échouait souvent à extraire des tréfonds de ses improbables guitares à nombre de cordes variable (l’ un de ses surnoms, du temps de ses errances dans les rues de Huelva, était « el niño de las tres cuerdas »…). A l’ image du musicien, ses instruments portaient les stigmates d’ une carrière alternant les brefs succès fulgurants et les longues descentes aux enfers – jamais ce lieu commun ne fut aussi exactement incarné. La précieuse trilogie documentaire de Benoît Bodlet et G. Berlanga tournée à partir de 2009 (« Huelva flamenca », « La sombra de las cuerdas » et « El Niño Miguel en concierto ») en témoigne. On peut voir les partitions intérieures qui hantent le cerveau du compositeur dans ses yeux, et la musique qu ‘ il crée mentalement dans ses gestes et son corps à corps avec l’ instrument. Les notes que l’ on entend ne sont que les affleurements en surface de ce maelstrom musical souterrain, définitivement perdu.
Photo : J. Yañez
Miguel Vega Cruz « Niño Miguel » est mort à 61 ans, le 23 mai 2013, à l’ hôpital Juan Ramón Jiménez de Huelva, d’ une pneumonie et de complications intestinales nous dit-on. Mort surtout de la vie qu’ il avait menée. Quelques hommages lui avaient été rendus ces dernières années. La municipalité de Huelva avait donné son nom en 2007 à la place où se trouve la Peña Flamenca de la Orden. En 2009, Arcángel avait organisé un gala en son honneur au Palais des Sports de la ville, avec Carmen Linares, Estrella Morente, José Mercé, El Pele, Pepe de Lucía, Manolo Sanlúcar, Pepe Habichuela, Tomatito, Juan Carlos Romero, José Luis Rodríguez, Miguel Ángel Cortes, La Yerbabuena et Los Mellis. Il avait donné son dernier concert, devant une salle comble, au Teatro Central de Séville en 2011. Trop peu et trop tard. Il séjournait à la résidence médicalisée Monte Jara de Tharsis depuis 2010, et la relative amélioration de son état de santé laissait espérer une possible seconde carrière. Trop tard là encore. Le flamenco est malheureusement très (trop) coutumier des « trop tard » et des hommages posthumes. Ils ne manqueront pas une fois de plus, sans doute bien intentionnés, mais toujours un peu à côté de la plaque, comme le nôtre. La musique, surtout quand elle est aussi spontanément transgressive et marginale, est rétive aux mots.
Heureusement, ses pairs n’ avaient pas attendu si longtemps pour lui rendre hommage : entre autres Rafael Riqueni dès 1986 (les Fandangos « Al Niño Miguel ») et son neveu Tomatito en 1991 (les Bulerías « A mi tío El Niño Miguel »). De superbes compositions, mais pas des « à la manière de » : rarement une œuvre se sera à ce point confondue avec la personnalité et la vie de son auteur - elle restera donc singulière et intransmissible. A nous autres, qui ne sommes ni Riqueni ni Tomatito, Niño Miguel a fait l’ inestimable cadeau d’ une musique que nous prendrons toujours plaisir à jouer. Mais pas avec le son de Niño Miguel : « ¡Eso, ni en sueño ! ».
Claude Worms
NB : lire aussi nos articles dans la série « La décade prodigieuse » (rubrique « Articles de fond ») et dans la rubrique « Compositions pour guitare flamenca : transcriptions intégrales »
Transcription :
Niño Miguel : "Sueños de la Alhambra" (Granaína)
Galerie sonore :
Niño Miguel : "Sueños de la Alhambra" (Granaína)
Pour moi la figure del Nino Miguel restera dans l’histoire del arte jondo comme celle d’un Van Gogh flamenco, approchant l’essence de notre monde en développant une langue brute et corrosive. Chez lui rien n’est beau, rien n’est laid ! Car il recherche une vérité cachée, une vérité indévoilable par les mots et que seule la musique peut exprimer. En cela, il restera un précurseur, errant sur une voie périlleuse, l’esprit englué, mais traçant de ses doigts la direction à prendre.
Il aurait pu tout brûler. Remercions-le pour le peu qu’il nous laisse. Écoutons-le et peut-être qu’un jour nous le comprendrons.
Q.E.G.E.
Migué était une légende vivante, un artiste maudit qui avait 30 ans d’avance sur son temps.Ecoutez les jeunes guitaristes d’aujourd’hui pour vous en convaincre. Tout a été dit sur ce génie qui nous laisse une oeuvre inégalable avec seulement deux disques. Viva el nino Miguel, viva, viva !
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