lundi 8 juin 2009 par Claude Worms
Il est difficile d’ évoquer la figure de Miguel Vega Cruz « Niño Miguel » sans tomber dans des récits légendaires plus ou moins vérifiables : une carrière météorique, ponctuée par deux disques mythiques, et écourtée prématurément par une instabilité psychologique maladive…
Né à Huelva en 1952, Niño Miguel est le fils de Miguel « El Tomate », guitariste gitan originaire du quartier de La Chanca / Pescadería, à Almería, et l’ oncle de Tomatito. Contraint à l’ « exil » par un sombre drame familial (on sait que les affaires d’ honneur ne se négocient pas dans les clans gitans, au moins à cette époque…), Miguel « El Tomate » se réfugie à Huelva, qui sera donc la patrie de Niño Miguel. Le jeune garçon apprend la guitare avec son père, et surtout de manière autodidacte, et devient rapidement une célébrité locale, accompagnant les cantaores de passage. Son nom circule dans les milieux flamencos, et il obtient en 1973 le prestigieux prix d’ honneur du « Concours National de Guitare Flamenca » organisé par la peña « Los Cernícalos » de Jerez. Paco de Lucía le recommande à sa maison de disque, Philips, pour laquelle il enregistre coup sur coup les LPs « La guitarra de Niño Miguel » (1975) et « Diferente » (1976), tous deux encensés par la critique. La suite est une longue descente aux enfers de la maladie mentale : invité par Enrique Morente à participer aux sessions de « Sacromonte » (1982), il ne pourra pas assumer cet engagement ; son dernier grand concert public, pour la troisième Biennale de Séville (1984), confirmera malheureusement le déclin de ses facultés…
Deux enregistrements auront donc suffi à assurer à Niño Miguel une place de choix dans l’ histoire et la légende de la guitare flamenca. C’ est qu’ il est, effectivement, « diferente ». A l’ heure ou la guitare flamenca devient techniquement et musicalement de plus en plus policée (ou aseptisée, selon les opinions de chacun), Niño Miguel fait entendre une guitare résolument « callejera », comme on n’ en rencontrera plus après les premiers disques des frères Amador (une exception cependant : Diego de Morón) : une énergie et un son bruts, qui ignorent l’ académisme, et une esthétique qui privilégie l’ émotion immédiate et le rythme à l’ état pur. Ses toques sont des torrents d’ idées mélodiques et rythmiques, à la limite de l’ improvisation. L’ imagination est au pouvoir, et peu importe alors au guitariste que l’ inspiration du créateur lance parfois à l’ interprète des défis techniques insurmontables : la perfection instrumentale n’ est certes pas la préoccupation première de Niño Miguel.
Art brut sans doute, mais pas art naïf : le raffinement harmonique de certaines compositions contraste fortement avec la rage de l’ interprétation. On s’ en convaincra en observant la rigueur du plan tonal / modal des quatre Sevillanas de notre transcription : la première est en tonalité de Mi mineur, la deuxième dans la tonalité proche de Ré Majeur ; les deux suivantes sont dans leurs modes flamencos relatifs respectifs – « por Granaína » et « por Taranta » ; enfin, la dernière se conclut sur une modulation vers la tonalité mineure relative du mode « por Taranta » (mode flamenco de Fa#), Si mineur, avec une séquence harmonique qui revient, par des cadences intermédiaires V – I, sur les accords de tonique des deux premières Sevillanas (B7 – Em, puis A7 – D, avant F#7 – Bm). Ajoutons que l’ harmonie reste toujours sous-jacente, suggérée par un jeu monodique traditionnel « a cuerda pelá » (un peu à la manière de Niño Ricardo et Manolo de Huelva…) : rarement les si charmantes et folkloriques Sevillanas auront sonné aussi « flamencas ».
Photo : Paco Sánchez
Pour cette raison sans doute, certains toques de Niño Miguel sont devenus des classiques : la Farruca « Los Pescadores », ou la Soleá « En el puente Nicoba », figurent au répertoire de guitaristes comme Niño Josele ou Javier Conde. On n’ oubliera pas non plus les hommages que lui ont rendus Rafael Riqueni, avec les Fandangos de son premier LP (« Al Niño Miguel » - « Juegos de niños », 1986) , et Tomatito, avec la Bulería « A mi tío el Niño Miguel » (« Barrio negro », 1991).
Nous n’ en savons pas plus sur Niño Miguel, qui est retourné jouer contre quelques sous dans les rues et les bars de Huelva. Mais une excellente initiative devrait nous apporter des nouvelles plus récentes, et des moments musicaux inoubliables. Les réalisateurs Benoit Bodlet, Annabelle Ameline et Chechu G. Berlanga sont en train d’ achever un documentaire sur Niño Miguel, avec des archives télévisées, les témoignages de nombreux artistes, et des enregistrements réalisés ces dix dernières années à Huelva. Intitulé « La sombra de las cuerdas – La historia de una leyenda viva del flamenco », le film sera présenté en avant-première à Huelva en novembre, puis à Lille. Vous pouvez déjà voir la bande annonce, avec Tomatito, Enrique Morente, Rafael Riqueni, Paco de Lucía et … Niño Miguel) sur You Tube :
Claude Worms
Discographie
Réédition des deux LPs : « Ninõ Miguel », collection « Grabaciones históricas, vol. 10 » - Universal
Bibliographie
Norberto Torres Cortés : « Guitarra flamenca – volumen II / Lo contemporáneo y otros escritos » - Signatura Ediciones, Séville, 2005
Partitions
Niño Miguel : « Guitarra gitana » - Editions Affédis
Transcription
« Recuerdo de la Virgen del Rocío » (Sevillanas)
Ces Sevillanas sont conçues pour être jouées avec une guitare d’ accompagnement. C’ est pourquoi nous avons chiffré les accords. Attention : le cadrage est parfois ternaire (accords placés sur les blanches pointées : temps 1 et / ou 4 de chaque mesure), parfois binaire (accords placées sur les blanches : temps 1 et / ou 3 et 5 de chaque mesure). D’ où l’ indication 3/2 | 6/4.
La première Sevillana peut être transposée en position de La mineur, avec un capodastre à la neuvième case. Dans ce cas, la gamme introductive passe à la deuxième guitare, qui reste en capo 2 (dans les deux cas, la tonalité réelle reste Fa# mineur). Et il vous faudra ôter rapidement le capodastre pendant le silence avant la deuxième Sevillana…
NB : nous avons légèrement modifié le phrasé de la dernière gamme en picado, pour que son cadrage dans le compás soit plus clair.
Galerie sonore
« Recuerdo de la Virgen del Rocío » (Sevillanas)
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