vendredi 11 juillet 2008 par Claude Worms
BIOGRAPHIES
Esteban de Sanlúcar
La biographie d’ Esteban Delgado Bernal "Esteban de Sanlúcar" (Sanlúcar de Barrameda, 1912 - Buenos Aires, 1989) peut être résumée en quelques lignes. Comme son frère Antonio, il fait ses classes à Séville, dans les "cafés cantantes" et des soirées privées, accompagnant les cantaores qui gravitent autour de l’ Alameda de Hercules. Dès 1935, Fernando el de Triana, cantaor et écrivain, lui consacre une notice dans son livre "Arte y artistas flamencos : "... o me equivoco, o quedara consagrado para poder figurar entre las grandes figuras de la guitarra flamenca" (réédition : Ediciones Demófilo - Córdoba, 1978).
En effet, Esteban de Sanlúcar ne tarde pas à être l’ un des guitaristes habituels des tournées d’ "ópera flamenca", avec toutes les grandes têtes d’ affiche de l’
époque : La Niña de Los Peines, Angelillo, Pepe Marchena, Antonio Mairena, Juanito Valderrama...
L ’ une de ces tournées, avec Concha Piquer, le conduit en Amérique, où il s’ installera définitivement pour fuir la misère franquiste, comme nombre de ses collègues. Il devient alors un soliste renommé, avec des concerts dans la plupart des grands grands pays d’ Amérique latine (Argentine, Vénézuela, Mexique...).
Après un séjour au Vénézuela, il finit par s’ établir définitivement à Buenos Aires, où il enseigne et se produit dans des cabarets. Modeste et discret, Esteban de Sanlúcar fut un remarquable compositeur et un interprète raffiné, d’ une grande musicalité. Il semble que l’ heure de la reconnaissance soit enfin venue, grâce au dévouement de son élève Manolo Yglesias, et du travail des éditions Acordes Concert.
Luis Maravilla avec José Cepero
Luis Maravilla
Luis López Tejera "Luis Maravilla" (Séville, 1914 - Alicante, 2000) fut un enfant prodige : en 1928 (à quatorze ans...), il gagne la "Copa Montoya" organisée par le théâtre de la "Zarzuela" de Madrid (son surnom viendrait d’ une expression de Primo de Rivera : "ese niño que es una maravilla tocando la guitarra".) Il avait en 1925 suivi son père, le cantaor Niño de las Marianas (il a créé ce cante) dans la capitale, et pris quelques leçons, d’ abord avec Marcelo Molina, puis avec Pepe de Badajoz.
Luis Maravilla étudiera quelques années plus tard la guitare classique avec Miguel Llobet : les programmes de ses concerts solistes, et de certains de ses disques, comprendront des oeuvres classiques (Bach, Haendel, Chopin, Tárrega, Moreno Torroba, Albeniz, de Falla..). Il sera aussi l’ un des premiers tocaores à écrire lui-même ses compositions (cf, ci-dessous : "partitions"). Mais sa plus grande influence restera Ramón Montoya, qu’ il a longuement côtoyé au "colmao" Villa Rosa : de son propre aveu, s’ il n’ a jamais pris de cours avec Montoya, il s’ est efforcé de mémoriser ses falsetas. Luis Maravilla cite aussi fréquemment dans ses interviews un guitariste méconnu, Teodoro Castro Tobes "Niño de Cádiz" (il fut le premier tocaor admis à la SGAE - l’ équivalent ibérique de notre Sacem, le 3 novembre 1932. José Manuel Gamboa : cf, ci-dessous, bibliographie) : "Ese sabía de toque más que Montoya. Era unos de los guitarristas más largos que había en Madrid. Cogía la guitarra e inventaba de momento cuatro o cinco falsetas. Aprendí mucho de él, y Sabicas..." (propos à prendre en considération, Luis Maravilla étant l’ un des témoins les plus fiables du flamenco madrilène de cette époque).
Luis Maravilla a d’ abord travaillé comme accompagnateur du cante : il avait été à bonne école avec son père, et a longtemps fréquenté Antonio Chacón, pour lequel il a joué, et dont il a appris le répertoire. Comme tous ses confrères, il gagne sa vie en jouant dans des soirées privées avec des cantaores habitués du Villa Rosa (Manuel Escacena, Juan Mojama, José Cepero, Fernando el Herrero, Bernardo el de los Lobitos...), et en tournant avec les troupes d’ "ópera flamenca". Il enregistre d’ ailleurs sa première série de 78 tours avec José Cepero, en 1931 (d’ autres suivront, avec Manolo "El Gafas", Cojo de Huelva, Pepe Valencia..., puis, à l’ époque du microsillon, avec Jarrito, et surtout Bernardo el de los Lobitos - cf : discographie).
Mais ce sont surtout ses multiples collaborations avec des spectacles de "ballet flamenco" qui assurent sa carrière internationale (et, pour lui aussi, un bref exil pendant la Guerre Civile : en France, où il obtiendra un permis de travail en 1939, grâce à l’ intervention du ministre Jean Cassou). Après un premier
contrat pour Buenos Aires, en 1932, avec Estrellita Castro (la première bailaora du spectacle est Pilar Calvo, qui deviendra son épouse en 1934, et avec laquelle il a beaucoup enregistré), il va surtout devenir le collaborateur privilégié de Pilar López. De 1946 à 1957, Luis Maravilla compose et interprète une bonne partie de ses musiques de scènes, et est ainsi à l’ origine de certaines de ses chorégraphies, telles la Cabal, la Caña, les Caracoles, "Zapateado del Perchel", "Navideña"... La plupart de ces pièces ont d’ ailleurs été enregistrées : "Caña y Bulerías para bailar", avec José Greco - La voz de su amo, 1948 ; "Los cabales", avec Pilar López - Columbia, 1949 ; "Zapateado del Perchel", avec Roberto Ximénez - Odeón, 1952 ; "Navideña", avec Pilar López - La voz de su amo, 1955.
Le programme type du ballet de Pilar López, qui tourna des années dans le monde entier, comprenait le "Concerto d’ Aranjuez" de Rorigo en première partie ; et "Navideña", "Flamenco de le Trinidad" (Caña), "Zapateado del Perchel", et "Madrid flamenco" (Caracoles, avec une chorgraphie de 25 minutes...) en seconde partie. Luis Maravilla parvint progressivement à y imposer quelques solos, ce qui lui permit sans doute d’ enregistrer un nombre inhabituel, pour l’ époque et en Espagne, de disques en solo. S’ il avait produit un premier 78 tours de ce type dès 1933 (La voz de su amo), suivi de quatre autres (1939, Pathé - premier enregistrement français ; puis 1942 et 1950, Columbia), c’ est en France (comme Montoya et Ricardo) qu ’il enregistre son premier grand album ("Alegrías y penas de Andalucía", Decretet - Thomson, 1951, couronné par le Grand Prix de l’ Académie Charles Cros). La même firme récidive par deux fois l’ année suivante, avec "Tañidos de guitarra", puis "Ritmos y cantos de España". A partir de 1956, la discographie de Luis
Maravilla est quasi exclusivement consacrée au solo, à l’ exception notable des enregistrements avec Bernardo el de los Lobitos : "La guitarra" (Odeón, 1956) ; "Flamenco puro" (La voz de su amo, 1960) ; "Guitarra andaluza" (Discophón, 1963) ; "Guitarra andaluza, albúm n° 4" (Discophón, 1964) ; "Una guitarra flamenca. Ritmos de España y America" (Hispavox, 1975). Il enregistre aussi en duo avec son fils, Luis Antonio Maravilla (né en 1940), qui abandonnera cependant sa carrière en 1968 : trois EPs , en 1960 pour La voz de su amo ("Dos guitarras"), puis en 1963 pour Discophón ("Castañuelas y zapateado" ; "Dos guitarras flamencas"). Enfin, on retiendra particulièrement le livre-disque "Lección de guitarra flamenca" (Hispavox, 1969) : Luis Maravilla y met en oeuvre ses connaissances musicales pour une méthode de guitare flamenca pionnière, en tablature et avec photos pour illustrer les principales techniques, et textes en espagnol, anglais, allemand, et français. Luis Maravilla avait déjà pris la mesure de la diffusion mondiale du flamenco...
Nous ne saurions achever cette brève biographie sans évoquer l’ oeuvre militante de Luis Maravilla pour la défense de la dignité et des droits d’ auteur des compositeurs flamencos, contre une SGAE qui y résista longtemps. Il fut notamment à l’ origine de l’ inscription de Perico el del Lunar (1935), et de celle de Niño Ricardo (1940). La SGAE alléguant qu’ on ne pouvait être à la fois compositeur et interprète, Maravilla et Ricardo utilisèrent un stratagème, chacun déclarant les oeuvres de l’ autre (pour en savoir plus sur cette question très intéressante, lire les deux ouvrages de José Manuel Gamboa : "Perico el del Lunar : un flamenco de Antología" - ed. La Posada, Córdoba, 2001 ; et "Una historia del flamenco" - ed. Espasa Calpe, Madrid, 2005).
LES STYLES D’ ESTEBAN DE SANLÚCAR ET DE LUIS MARAVILLA
Esteban de Sanlúcar et Luis Maravilla sont presque exactement contemporains, et leurs styles présentent beaucoup de caractères communs.
Ils seront d’ ailleurs ensemble sur scène à deux reprises, en 1942 avec Juanita Reina, et en 1943 avec Gracia de Triana, et pour quelques solos en "mano a mano".
Pour leurs compositions sur des formes flamenca strictes, les deux guitaristes restent attachés au style de Ramón Montoya, tant sur les plans technique et harmonique que pour la structure (cf, dans la même série, notre article sur Ramón Montoya).
Leurs pièces les plus intéressantes se rattachent à une longue tradition, qui commence avec les solos "a lo flamenco" des guitaristes de la fin du XIXème siècle (Paco el Barbero, Paco de Lucena, Rafael Marín...), et perdure encore actuellement avec les "Boleros", "Baladas"... contemporains. Il s’ agit d’ oeuvres basées sur les techniques et l’ harmonie de la guitare flamenca, mais qui ne suivent pas les règles d’ un "palo" bien défini, ou sont modelées à partir d’ une forme étrangère au répertoire du cante (par exemple, le Zapateado, dont la première version connue pour guitare solo est attribuée à Mario Escudero - cf : notre prochain article). Tous les guitaristes de l’ époque nous ont laissé de telles "Danzas", "Fantasías"..., mais peu s’ y sont révélés aussi inspirés.
Esteban de Sanlúcar nous a légué quelques classiques du genre, repris par Mario Escudero, Pepe Martinez, Paco de Lucía, Rafael Riqueni, Miguel Ochando, Javier Conde... : "Perfil flamenco" (Zapateado), "Castillo de Xauen" (Zambra), "Panaderos flamencos", "Horizonte de Málaga" (Fantasía), "Primavera andaluza" (Danza), et "Mantilla de feria" (Danza). Luis Maravilla ne fut pas moins prolixe en la matière, et l’ on ne peut que regretter le purgatoire dans lequel ses oeuvres restent actuellement reléguées (on en trouvera un exemple avec "Porto Velho" - cf : transcription ci-contre). Mais, assurément, son heure viendra...
Claude Worms
Discographie
Esteban de Sanlúcar
Solo
Nous ne connaissons qu’ un seul enregistrement, regroupant heureusement la plupart de ses classiques (LP RCA LPM - 3209 / ou LP RCA A 130204). Il a été réédité en deux CDs (quatre thèmes sur chacun d’ entre eux), dans la série anthologique "Maestros de la guitarra flamenca" : vol. 3 et 4 ; Planet Records P - 1003 et P -1004 (1992)
Accompagnement du cante
Le meilleur exemple est sa série de 78 tours en compagnie d’ Antonio Mairena. Le répertoire ne comporte que des Fandangos et des Bulerías (canciones por Bulería pour la plupart), dans lesquels son jeu est très proche de ceux de Manolo de Huelva et Niño Ricardo. Réédition en CD :
"Antonio Mairena : sus primeras grabaciones" : Calé Records CD 081 (1997)
Interprètes d’ Esteban de Sanlúcar
Paco de Lucía : "Fantasía flamenca de Paco de Lucía" ("Mantilla de feria" / "Panaderos flamencos") : LP Philips, 1969 (multiples rééditions en CD)
Miguel Ochando : "Memoria" ("Perfil flamenco") : Ambar AMB 06018 (2007)
Rafael Riqueni : "Maestros" ("Perfil flamenco") : Discos Probéticos 18102 (1994)
Luis Maravilla
Solo
Compte tenu de l’ ampleur de la discographie de Luis Maravilla, l’ état actuel des rééditions en CD est proprement scandaleux. On ne trouvera (là encore en deux CDs avec quatre titre pour chacun d’ entre eux), que la réédition intégrale du LP Odeón - "La guitarra", de 1956, dans la série anthologique "Maestros de la guitarra flamenca" : voL. 1 et 2, Planet Records P - 1001 et P - 1002 (1992)
Accompagnement du cante
Deux rééditions indispensables, compte tenu de la grande qualité des cantaores, qui nous permettent d’ écouter Luis Maravilla au début et à la fin de sa carrière :
"José Cepero, el poeta del cante" : Sonifolk 20142 (2000). Quatre cantes avec Luis Maravilla, issus des séances La voz de su amo de 1931 ; les autres avec Ramón Montoya ou Miguel Borrull.
"Bernardo el de los Lobitos" : collection "Historia del flamenco, EMI 7243 5 41627 2 (2002). Réédition du LP Hispavox de 1969.
Bibliographie
Outre les ouvrages cités dans l’article,
Ángel Álvarez Caballero : "El toque flamenco" : Alianza Editorial, Madrid, 2003
Miguel Espín et José Manuel Gamboa : "Luis Maravilla "por derecho"" : Fundación Machado et Area de Cultura del Ayuntamiento de Sevilla, Séville, 1990
Partitions
Esteban de Sanlúcar
Manolo Yglesias : "Esteban de Sánlucar, maestro de la guitarra flamenca" : ed. Acordes Concert (2003)
Luis Maravilla
"Guitare, album par B. Miranda" : ed. J. Garzon, Paris
"Guitare, album par Luis L. Tejera et José María Franco" : ed. J. Garzon, Paris
Album ("Introducción, variaciones y acompañamiento del cante" - Granaína, Malagueñas, Tarantas, Peteneras + "para bailar" - Sevillanas, Farruca, Bulerías) : Unión Musical Española, Madrid, 1955
13 pièces séparées + 3 pièces co-signées ("Porto Velho", avec Teodoro Castro ; "Brisas malagueñas", avec Amalio Abanades ; "Judea", avec Francisco Merenciano) : Ediciones Musical Madrid, série "Guitarra andaluza", Madrid, 1958 et 1959
2 pièces séparées (Minera et Alegrías) : Unión Musical Española, Madrid, 1964
Transcription de "Mantilla de feria" - Esteban de Sanlúcar
Sous-titrée "Danza", cette composition, de forme rondeau, ne déparerait pas la collection des "Danses espagnoles" de Granados. La "scordatura" utilisée par Esteban de Sanlúcar est à notre connaissance une première pour la guitare flamenca (5ème corde en Sol / 6ème corde en Ré : Manuel Cano utilisera souvent le même accordage). A partir de la tonalité de Sol Majeur, les modulations vers le mode flamenco homonyme (cadence Bb - Ab - G) sont aussi très originales.
Transcription de "Porto Velho" - Luis Maravilla
Sous-titré curieusement "Gaditanas" dans l’ enregistrement original ("La guitarra" : LP Odeón OS 1199, 1956), cette composition est en fait une Zambra. Le même titre apparaît dans le dernier disque de Luis Maravilla ("Una guitarra flamenca. Ritmos de España y America" - Hispavox, 1975), avec cette fois en sous-titre "Samba brasileña".
Galerie sonore
Esteban de Sanlúcar : "Mantilla de feria"
Luis Maravilla : "Porto Velho"
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