mardi 25 octobre 2016 par Patrice Champarou
Les parallèles que nous avons tenté d’établir jusqu’à présent concernaient davantage le contexte historique, social ou culturel du blues et du flamenco que les formes musicales elles-mêmes. Leurs caractéristiques les plus évidentes telles que les rythmes, les modes ou les structures sont si dissemblables, et si étroitement liées à leur environnement respectif que tout rapprochement pourrait sembler inutile. Mais dans le même temps, le blues et le flamenco se démarquent tout autant du creuset folklorique (andalou ou américain) où ils ont pris forme que de la musique savante. Ce point commun, qui a amené certains auteurs à parler de « contre-esthétique » ou même de « contre-culture », ne repose pas uniquement sur une attitude ou une subjectivité, il se traduit musicalement par des traits singuliers, des caractéristiques que l’approche occidentale a coutume de négliger ou qui, pour reprendre l’expression de Joaquín « el de la Paula », « ne tiennent pas sur le papier ».
Blues et flamenco ont valeur de symbole, ils sont tous deux considérés comme incarnant « l’âme » d’un peuple, et dès qu’on aborde leur spécificité, dès que l’on s’interroge sur ce qui les différencie de la musique populaire et du folklore, on se heurte à un discours qui met en avant leur caractère « communautaire », l’histoire de l’esclavage ou des persécutions, la dimension psychologique du mot « blues » ou, pour le flamenco, ce que Bernard Leblon appelle une « esthétique de la douleur [1] ». Ces données ont certes leur importance, mais les traits à proprement parler musicaux passent au second plan et, lorsqu’ils sont évoqués, se trouvent relégués au rang d’un lointain héritage, d’écarts si déroutants qu’on les voudrait indéfinissables.
L’écriture au pilori ?
La genèse du blues et du flamenco ne sera jamais clairement établie faute de traces écrites reflétant leur évolution. Nous avons effectivement affaire à deux musiques de tradition orale, mais les commentateurs se sont longtemps employés à présenter cette particularité comme un critère d’authenticité.
Bien qu’il existe des partitions de flamenco depuis le début du XXe siècle [2]
, bien que de nombreux jazz bands et string bands d’avant-guerre aient comporté au moins un musicien capable de déchiffrer, le préjugé selon lequel ces musiques ne pouvaient être transcrites a prévalu au-delà des années 1950 ; ce dogme séduisant ne pouvait que recevoir l’assentiment des intéressés, musiciens pour une grande part illettrés qui se satisfaisaient de cette spécificité, et de la forme d’exclusivité qu’elle leur garantissait. Malgré quelques incohérences [3] , les témoignages qui insistent sur l’illettrisme de grands artistes issus des communautés afro-américaines ou gitanes reflètent une réalité globale, et traduisent la fierté légitime d’hommes et de femmes qui n’ont pas eu le privilège de fréquenter les bancs de l’école… mais ce sont bien les lettrés qui, en prêtant à ce handicap une dynamique propre, ont voulu poser une barrière infranchissable.
La vénération de l’oralité s’est étendue au texte, Demófilo (auteur du premier recueil de coplas en 1888) expliquant qu’« une copla écrite est une copla estropiée », et Federico García Lorca, lui-même à l’origine d’un remarquable répertoire populaire, soutenant de manière encore plus paradoxale que « les poètes qui font des chansons populaires troublent les ondes limpides du cœur authentique [4] ». Une telle modestie traduit un profond respect pour la poésie vernaculaire, mais elle n’en repose pas moins sur un a priori exorbitant, la conviction que l’écrit aurait le pouvoir de représenter fidèlement la culture de l’élite et de mettre en danger celle du « peuple ». Il est vrai qu’à cette époque, nul n’avait conscience de la différence entre les codes graphiques (texte ou partition) et la réalité acoustique (langage ou musique) qu’ils sont censés représenter.
Débarrasser le fait musical de quelques séquelles romantiques ne légitime pas la généralisation inverse, l’affirmation selon laquelle ses « pires ennemis (…) sont souvent ses plus fervents admirateurs [5] » ; on ne saurait confondre les « grilles de lecture » quelque peu dépassées des auteurs qui, en leur temps, ont passionnément contribué à la connaissance du blues ou du flamenco, et le pesant verbiage qui entoure aujourd’hui la répétition de dogmes intangibles.
Incontestablement, le respect scrupuleux d’une partition ne suffira jamais à produire une interprétation « authentique », et le résultat auquel parviendra un bon lecteur ne fera véritablement sens que s’il « sonne » conformément à l’esprit du genre… mais il en est de même pour toute musique, y compris celles qui nous sont si familières que nous ne prêtons plus attention aux réflexes inconscients qui déterminent l’attaque, la mise en place, la tenue des notes ou la sonorité. Cette maîtrise ne s’acquiert que par imitation, elle est le fruit d’une imprégnation culturelle et, le plus souvent, d’un enseignement direct auquel aucun document ne peut se substituer.
Ecrite ou non, toute musique est liée à une culture ; il est impossible de cerner des notions aussi imprécises que le chant « a lo flamenco » ou le « feeling » du blues, mais cela ne signifie pas que ces formes d’expression se définissent par des éléments extra-musicaux, des aspects purement acoustiques ou des données contextuelles
A propos du « jaleo »
Parmi les caractéristiques que Manuel de Falla considérait comme essentielles à l’art du cante jondo figure en bonne place le jaleo, le soutien collectif des palmas ponctué par les encouragements de l’auditoire. On trouve dans le blues le même degré d’implication du public, éventuellement sollicité par l’artiste qui agrémente sa prestation de commentaires et d’adresses directes aux spectateurs [6]. Cette interactivité, qui tend à abolir la distance imposée par la scène, se manifeste plus modestement dans le domaine de la chanson dite de « variété », particulièrement dans des cabarets encore plus exigus que les juke joints ou les cafés cantantes. Plus généralement, elle correspond au développement de genres musicaux accessibles à des interprètes et à un public relevant du même milieu social.
Les « flamencologues » ont tendance à considérer la participation active de l’entourage des artistes comme une preuve du caractère originellement privé, voire « familial » du flamenco – un a priori qui n’a guère été remis en cause depuis Demófilo, mais que viennent contrebalancer les nombreux exemples de musiciens pour qui le chant était une question de survie, et qui devaient se plier aux caprices des « señoritos », fils de famille maintes fois raillés dans les coplas [7]. Les aficionados qui paient les musiciens peuvent, eux aussi, contribuer à l’ambiance… par un total manque de respect.
Il y a trente ans, Robert Springer insistait également sur le caractère « communautaire » du blues en expliquant qu’il procédait d’une « tournure d’esprit non occidentale », impliquant en particulier une confusion entre le sacré et le profane [8]. Pour justifier cette allégation (reprise par René Langel dans sa laborieuse définition de la « mentalité primitive [9] », et dans une certaine mesure par notre ami Robert Sacré qui invente pour la circonstance le terme de « théomusicologie [10], l’auteur invoque un héritage culturel, pour ne pas dire un atavisme racial.
« La culture africaine ne possède pour ainsi dire pas de musique de concert », déclare-t-il, ajoutant que « pour le Noir, qu’il soit africain ou afro-américain, la musique fait partie du mode de vie et s’intègre à l’expérience quotidienne ». Nous ne pouvons que contester la définition élitiste de ce que Springer appelle « art music », souligner qu’une cérémonie rituelle intervient elle aussi « dans des circonstances bien particulières et dans un cadre socioculturel bien défini », et surtout que le chant à vocation « non-artistique » n’est lié ni à un continent particulier, ni à une couleur de peau !
On serait bien en peine de tracer une limite stricte entre musique fonctionnelle, musique récréative et musique « artistique », mais si l’on prend en compte la distinction prétendument « occidentale » entre le rôle de l’interprète et celui du public, on doit rappeler que les griots d’Afrique sub-saharienne constituaient une caste, se transmettaient leur savoir et monnayaient leurs prestations. Pour ce qui concerne le blues, Springer ne fait que renforcer un préjugé qui concerne également le flamenco : il ne s’agirait pas de musique au sens occidental du terme, mais d’une impulsion collective, d’un mode d’expression « passionné et véhément à nos oreilles de non-initiés » (sic !).
Très certainement, l’observateur étranger qui s’aventure dans une taverne de Triana, dans un juke-joint du Mississippi, voire dans une église baptiste où une fidèle entre en transe tandis que le pasteur poursuit sa harangue [11], va considérer que « le spectacle est dans la salle »… mais il n’en va pas de même pour les participants !
Chaque musique est liée à une ambiance, à des conventions qui sont autant de manières de « vivre » l’émotion esthétique… Le silence respectueux du public européen qui impressionnait tant les musiciens de l’American Folk Blues Festival dans les années 1960, les salves d’applaudissements qui lui succédaient, relèvent également du rite ; ils témoignent de l’attention à la musique et de son appréciation, tout autant que les « ¡olé ! » et autres interventions intempestives. La bienséance occidentale, qui trouve son origine dans une attitude aristocratique que la bourgeoisie s’est empressée d’imiter, traduit surtout le fait que l’expression vocale a progressivement déserté nos habitudes de vie, et ne trouve plus refuge que dans la représentation.
La voix et le timbre
Le blues et le flamenco sont apparus à une époque où la communication à distance ne bénéficiait ni de Skype, ni du téléphone mobile ; où le chant, même au cœur des vieilles nations européennes, accompagnait les activités quotidiennes, où les cris des marchands et artisans ambulants ponctuaient la vie urbaine. Le blues et le cante ont conservé une trace durable de ces pratiques aujourd’hui bannies du quotidien, en particulier l’utilité d’un organe suffisamment puissant pour attirer l’attention, renforcée chez les artistes par la pratique de la scène et la nécessité de remplir l’espace sonore, puisque le flamenco, comme le blues, se chante seul.
Peut-on considérer qu’il existe un type de voix caractéristique du flamenco ou du blues, des qualités vocales qui prédisposeraient à autre chose que le chant en général ? On est au contraire frappé par la diversité des timbres, que le flamenco différencie par une série d’adjectifs (voix redonda, afillia, laína, etc.) alors que le bel canto tend à les uniformiser en fonction de la tessiture (voix d’alto, de soprano, de baryton, de ténor…) ; également par les voix des chanteurs de blues qui pouvaient demeurer dans des tessitures très sages ou atteindre d’hallucinants suraigus, tandis que les chanteuses se complaisent souvent dans un registre grave.
Il existe évidemment, en Amérique comme en Espagne, une parenté acoustique due à la langue, à ses phonèmes et à son accentuation, et il serait absurde de nier l’importance des caractéristiques morphologiques… mais en pratique, il est très difficile de les distinguer du phénomène de mimétisme vocal [12], qui va impacter la sonorité au niveau d’une région, d’une communauté, d’une fratrie ou même d’un milieu professionnel [13]. Le timbre est, lui aussi, tributaire de l’environnement et des usages : certains chanteurs payos sonnent plus « gitan » que les Gitans, alors que la discrimination raciale a longtemps contribué à préserver un « parler » (et donc un style de chant) typiquement afro-américain – une particularité qui, de nos jours, subsiste principalement comme un marqueur social comparable à l’accent dit « de banlieue ».
On ne trouvera pas dans le blues les profondes voix de basse qui ont fait la réputation du gospel song, mais il ne s’agit pas non plus, comme on le lit souvent, de voix « naturelles » – pas plus que le cante n’a recours à des voix « brutes ». A l’exception de quelques timbres confidentiels comme celui de Mississippi John Hurt, la voix chantée est différente de la voix parlée, elle se place différemment, se fait plus ouverte pour une meilleure diction, ou au contraire plus nasale pour gagner en volume.
Elle peut également se métamorphoser en usant d’artifices comme le falsetto, ou encore les bandes ventriculaires (dites « fausses cordes vocales » qui produisent une sonorité puissantes et rauque. Certaines de ces techniques qui consistent à « masquer » la voix, à l’utiliser comme un instrument, étaient connues en Afrique, mais on trouve des procédés bien plus élaborés dans le monde entier, depuis les chants des Inuits qui utilisent la bouche d’un partenaire comme caisse de résonance jusqu’au chant diphonique de Haute-Asie.
On ne peut pas parler ici d’un déterminisme propre à la diaspora gitane ou africaine, mais de pratiques universelles que la rigueur de la musique occidentale est parvenue à bannir et qui, dans un contexte particulier de marginalisation, ne demandaient qu’à ressurgir. Le chanteur (ou la chanteuse) de flamenco utilise particulièrement ses résonateurs (pharynx, cavité buccale, labio-buccale, fosses nasales…) et éventuellement ses mains, pour modeler sa voix au-delà des cordes vocales. Le chant lyrique, au contraire, repose principalement sur la maîtrise de la colonne d’air qui doit être « lisse comme un tuyau d’orgue [14] », et recherche un timbre très unifié.
La résultante de ces techniques vocales s’analyse en termes de fréquences sonores, mais elle échappe à toute notation musicale.
La voix est le produit d’un travail et d’une expérience – une expérience qui, pour le flamenco ne s’acquiert qu’avec le temps. Cette forme de maîtrise vise évidemment à susciter une émotion, elle crée la sensation que l’interprète « vit » sa musique… ce qui ne signifie pas que le chanteur soit lui-même sous l’emprise d’un trouble qui ne ferait que le déstabiliser. Admettons que le légendaire verre d’alcool avalé d’un trait par la Ninã de los Peines ait pu avoir un effet bénéfique immédiat, désinhibiteur ou vaso-dilatateur, mais bannissons l’idée que la chanteuse ait ainsi décidé d’« appauvrir ses facultés [15] » ! La voix est l’unique instrument du chanteur, le plus fragile, et comme un acteur qu’il est effectivement, il se doit de « jouer le jeu ».
Autour de la guitare
Contrairement au flamenco, le blues s’est appuyé sur de nombreuses formes d’accompagnement, y compris les instruments atypiques des jug bands, washboard bands, etc. (mirliton, cruche en terre, lessiveuse, planche à laver…) qui, à vrai dire, relevaient davantage d’un phénomène de mode que d’une tradition rurale [16].
Il est impossible d’aborder ici tous les types d’instrumentation, des petites formations de jazz qui accompagnaient les chanteuses de blues « classique » aux arrangements orchestraux qu’on a pu entendre derrière quelques cantaores comme Pepe Pinto ; nous laisserons donc de côté le violon, le piano, dans une certaine mesure l’harmonica, véritable prolongement de la voix humaine, et même la guitare électrique [17] devenue aujourd’hui synonyme de « blues », afin de nous concentrer sur le jeu le plus traditionnel, sur l’instrument privilégié de l’art flamenco, la guitare « acoustique » qui demeure l’unique point de comparaison envisageable entre les deux genres.
Il ne s’agit évidemment pas du même instrument, la guitare flamenca ne supportant que les cordes de nylon alors que la guitare à cordes métalliques demeure la référence commune aux musiques vernaculaires nord-américaines ; mais on peut considérer qu’au départ, le choix obéissait à un même souci d’économie. L’instrument qui a évolué vers la guitare flamenca actuelle est de plus petite taille qu’une guitare de concert, il a recours à des essences relativement économiques (pin, cyprès), l’inclinaison et la longueur de la touche déterminent une action très basse qui amène les cordes à « friser » légèrement.
Les guitares privilégiées par les premiers chanteurs de blues n’avaient pas de caractéristiques précises, mais il s’agissait également de modèles bon marché ; non pas les célèbres National à résonateur qu’on associe abusivement aux blues du Delta [18], instruments coûteux que seuls quelques professionnels pouvaient s’offrir, mais les petites Stella et autres modèles d’étude vendus par correspondance, quelquefois des guitares « parlor ».
Relativement fragiles, mais supportant (comme les guitares flamencas) des tensions de l’ordre de trois demi-tons au-dessus du diapason, ces instruments avaient une sonorité nettement supérieure à celle des modèles « folk » d’aujourd’hui, notamment une bien meilleure tenue de note, ce qui les démarque de la sonorité très « sèche » de la guitare flamenca.
C’est pourtant la technique de jeu qui détermine la sonorité de l’instrument, bien davantage que ses propriétés acoustiques. Le son presque métallique de la guitare flamenca repose sur l’attaque puissante des basses, les aller-retour du pouce, la pratique du rasgueado, les passages rapides dans l’aigu (picado) ou les golpes frappés sur la table d’harmonie (heureusement protégée par une plaque). Les techniques de blues peuvent également avoir recours à des effets percussifs, comme le « slap » sur les basses (et quelquefois sur les aiguës), mais les sonorités sont généralement plus contrastées, avec en particulier le jeu au « slide [19] « pleins » sur les six cordes. », ou les notes tenues par un étirement latéral (bend) qui fait « pleurer » les cordes.
Que l’instrument soit utilisé pour l’accompagnement ou pour un jeu purement instrumental, les techniques propres à chaque style demeurent identiques. La principale différence réside probablement dans la manière dont elles s’inscrivent dans le temps, la guitare flamenca se prêtant à davantage de contrastes, de retards ou de silences, alors que la guitare blues assume dans le même temps une fonction rythmique, harmonique et mélodique.
La technique de main gauche du flamenco se rapproche davantage de l’orthodoxie classique par le doigté des gammes, la pratique du barré, etc., alors que celle du guitariste de blues peut s’avérer très sommaire, en particulier avec les accordages « ouverts [20] » qui permettent de marquer le rythme sur les basses tandis que la mélodie est jouée sur une ou plusieurs cordes aiguës. L’importance des « bourdons », basse monocorde ou basses alternées, se retrouve même lorsqu’il d’agit de réelles positions d’accord ; ils seront le plus souvent réalisés sur des cordes à vide, l’effet rythmique étant plus important qu’une parfaite consonance.
Le flamenco a recours à quelques accords atypiques, comme le Fa# dissonant qui ouvre le taranto (on ignore le barré pour laisser sonner les trois cordes aiguës, et également à des accords enrichis par des doigtés complexes ; loin d’ « occidentaliser » la musique, la guitare contribue à sa couleur sonore spécifique.
C’est pour une raison similaire que le blues, contrairement au jazz, s’en tient à des accords très simples, introduisant sur la guitare la même ambiguïté modale qu’entre la voix et l’instrument : ses degrés mélodiques plus ou moins « hors-mode » contrastent avec une base harmonique imperturbablement majeure. Les deux approches sont donc très différentes, mais elles nécessitent toutes deux de « tenir » les positions aussi longtemps que nécessaire – avec comme conséquence que le blues exploitera les extensions vers les notes les plus immédiatement accessibles, ainsi que les cordes à vide, plus volontiers que les longs traits mélodiques du jeu en « single string [21] ».
C’est avant tout le jeu de main droite qui donne à la guitare de blues toute sa valeur d’instrument polyphonique ; même lorsqu’elle se réduit à un jeu pouce-index (comme pour la plupart des musiques populaires, et même pour la guitare baroque du XVIIe siècle), l’attaque a pour but de faire entendre plusieurs « voix » dans les différents registres de l’instrument. Les critiques et amateurs de jazz des années 1950, habitués par ailleurs à des harmonies bien plus complexes, s’étonnaient de cette approche qui leur donnait l’impression « d’entendre plusieurs guitares ».
Rythme et compás
Ces techniques instrumentales démontrent l’importance du rythme, élément qui n’a rien d’ « extra-musical » mais que les musiques savantes occidentales ont tendance à utiliser comme un simple support, une convention dénuée d’expressivité – alors que la plupart des musiques extra-européennes s’attachent au contraire à valoriser, à enrichir cette composante tout aussi importante que la mélodie. La perception « exotique » du blues et du flamenco a longtemps servi de prétexte pour décourager toute intention de transcription, et certains « pionniers » en la matière, comme Stefan Grossman ou Donald Garwood, ont délibérément négligé l’aspect rythmique [22].
C’est par la danse, transmission la plus immédiate de la pulsation à la gestuelle corporelle, que les musiques de la diaspora africaine et le flamenco se sont développés, popularisés et exportés dès les premiers temps : dans le monde entier, le flamenco est d’abord synonyme d’art chorégraphique, et la vogue des « danses nègres » de toutes origines a bouleversé le paysage musical européen.
Doit-on dire qu’en s’élevant au niveau d’un art classique empreint de gravité, le baile a rompu avec les usages folkloriques pour ne tolérer qu’un modèle esthétique épuré, très éloigné de la danse de couple ? Il est difficile de généraliser à ce point, la populaire sevillana est presque toujours la porte d’entrée, le point de départ d’une initiation à la danse flamenca. Mais il est clair qu’en s’appropriant les noms des anciennes danses andalouses et en les métamorphosant, le baile a délimité un corpus très strict, et banni toute vulgarité… sa dimension érotique ne s’exprime que dans une extrême retenue, une formalisation qui ne fera qu’esquisser les gestes (par exemple ceux qui simulent le retrait d’un vêtement). Contrairement au blues qui a toujours été associé à une certaine licence, suscitant la réprobation des amateurs de square dance traditionnel, le flamenco a éliminé ou codifié les aspects « débridés » que notaient les voyageurs aux XVIIIe et XIXe siècles.
S’il faut voir une caractéristique « orientale » (disons, plus simplement, une influence méditerranéenne) dans la grâce des mouvements, dans le regard qui suit le geste de la main, il n’en reste pas moins que le baile conserve un rôle rythmique tout aussi évident que le tap-dancing américain ; le jeu de percussion des pieds et des mains (taconeos, palmas…), indissociable de la danse flamenca, signifie que le corps, lui aussi, est envisagé comme un instrument.
On ne connaît les danses auxquelles le blues a pu servir de support que par quelques rares témoignages, quelques dénominations pittoresques (eagle rock, buzzard lope ou « roll the belly »…) qui ne correspondent à aucun rythme précis – pas davantage, à vrai dire, que les noms génériques de rag, stomp, rock, breakdown ou même shuffle, utilisés indifféremment pour diverses pièces instrumentales. A la différence des Antilles où les salles de bal étaient des lieux de relative mixité sociale et raciale, comportant traditionnellement un balcon qui permettait d’observer la piste, les Etats-Unis ont maintenu les danses populaires afro-américaines dans leur ghetto ; les chorégraphies filmées qui s’en sont inspirées, comme celles qui accompagnaient la musique de Duke Ellington, relevaient d’un art sophistiqué, alors que les manifestations animées par les artistes de blues sont demeurées relativement clandestines : pique-niques, frolics ou rent parties privées, juke joints (ou barrelhouses) évidemment illégaux, cabarets fréquentés par une clientèle douteuse dans un contexte si dangereux que plusieurs musiciens ont renoncé à leur activité [23]. En dehors du « fox-trot ralenti » des orchestres de jazz et de variété, le blues ne semble donc pas avoir accompagné un type de danse particulier, relevant à la fois du divertissement populaire et du spectacle.
On peut également imputer à la ségrégation et à la rigueur puritaine la différence fréquemment mentionnée entre la richesse, la subtilité des rythmes d’Amérique latine ou des Antilles, et la relative rusticité des rythmes nord-américains. Sans entrer dans une discussion sur leur degré respectif d’ « africanité », nous pouvons définir et classer assez simplement les rythmes du blues traditionnel.
Contrairement à l’opinion la plus répandue, le rythme « shuffle » qu’on devrait en toute rigueur écrire en 6/8 ou 12/8, et que la tradition du jazz continue de noter comme un 4/4 « joué ternaire », n’apparaît pas comme la forme rythmique primitive du blues. Elle est évidemment la plus singulière, celle qui trouve des échos dans quelques musiques instrumentales africaines (mais, remarquons-le, nulle part en Amérique latine !) ce qui fait dire à certains auteurs que l’essence de la musique afro-américaine réside dans le boogie-woogie. Mais chronologiquement, on observe ce rythme en premier lieu dans les formes de blues les plus urbaines, les plus professionnelles [24] ; il n’a imprégné que progressivement la tradition rurale, qui est demeurée globalement fidèle aux syncopes binaires du ragtime durant la première moitié du XXe siècle.
La vogue du ragtime, dans ses déclinaisons populaires et savantes, a concerné l’Amérique entière et a trouvé sa traduction dans une manière syncopée de chanter les ballades et refrains populaires, en s’appuyant sur un accompagnement basse/accord des plus simples. Elle a également favorisé le développement d’une approche « pianistique » de la guitare, de l’accompagnement en « basses alternées » que nous évoquions plus haut [25], et de pièces instrumentales qui, sans avoir la richesse harmonique des rags classiques, reposent sur des cycles de quintes. A cela s’ajoutent diverses superpositions rythmiques, des emprunts à des traditions locales comme celles des îles côtières de Géorgie, des bribes de polka ou des imitations de calypso.
La recherche d’effets polyrythmiques est également présente dans le troisième et dernier type d’accompagnement utilisé dans les anciennes formes de blues, vraisemblablement dérivé d’une formule très archaïque : un 4/4 marqué par trois accords et une basse agencés de manière presque aléatoire. A partir de ce schéma rudimentaire, les musiciens du Sud (et du Mississippi en particulier) ont élaboré un jeu très complexe de syncopes et d’inversions rythmiques qui crée une sensation d’instabilité, d’anticipation permanente. Le jeu de basse à contretemps typique du « Delta blues » est indépendant des syncopes propres au chant, dont certains motifs se retrouvent dans d’autres musiques néo-africaines, et même dans le tango argentin.
Nous n’en tirerons aucune conclusion quant à un possible « héritage », les blues du Delta n’apparaissant pas avant 1928 ; certaines de ses caractéristiques se sont perdues dans les années 1930, mais les musiciens du Mississippi ont conservé une grande inventivité qui peut les amener à alterner les formules binaire et ternaire, ou à les combiner dans un subtil déséquilibre – tout en respectant, insistons sur ce point, une métrique très stricte [26].
Le blues s’est nourri des influences les plus diverses, y compris d’influences néo-africaines importées des Caraïbes, puisqu’on atteste de la présence de percussionnistes antillais sur la légendaire place de Congo Square, à la Nouvelle-Orléans, avant la diaspora antillaise consécutive à l’abolition de l’esclavage [27]. Il est probable que la musique afro-américaine n’ait, en fait, conservé aucune formule musicale directement importée d’Afrique, aucune des pratiques collectives indissociables de rites et de coutumes qui n’avaient plus lieu d’être sur le nouveau continent. Ce qui est totalement vraisemblable, en revanche, c’est qu’à travers des attitudes gestuelles transmises de génération en génération, la mémoire du corps ait préservé quelques africanismes épars et surtout une sensibilité, une ouverture au rythme favorisant la plus grande créativité – créativité qui s’est traduite tout au long du XXe siècle par la reconquête d’une africanité enracinée dans l’imaginaire collectif.
Si nous nous en tenons à la définition courante du rythme, c’est-à-dire une succession de temps forts et de temps faibles identifiable à l’échelle d’une mesure, nous pouvons dire que le flamenco se résume le plus souvent à un 3/4, un 4/4 ou un 6/8, avec quelques subtilités résultant de l’adaptation de rythmes latino-américains (par exemple dans la guajira) ou, exclusivement dans les tientos, des temps inégaux que l’on pourrait rapprocher du shuffle.
De telles innovations ont logiquement pris naissance à proximité des villes portuaires, mais dans leur obstination à faire dériver les chants « de base » d’une tradition bien plus lointaine, la plupart des vulgarisateurs répètent inlassablement que les Gitans auraient introduit en Espagne « la mesure de douze temps dont on trouve l’équivalent dans le raga indien ».
On trouve effectivement cette équivalence numérique dans certains ragas… ainsi que des mesures de six, huit, quatorze temps – ou même vingt-quatre, si ma mémoire est fidèle à ce qu’expliquait Ravi Shankar en 1967. Mais ce que l’on appelle ici par commodité « mesure » est en réalité l’unité métrique (compás) bien connue des flamenquistes, que l’on pourrait tout aussi bien considérer comme un assemblage de mesures. Cette unité se justifie par un schéma accentuel précis, et par des critères tels que la gamme, les temps qui se prêtent au changement d’accord, et même l’approche instrumentale qui contribue à l’« ambiance sonore induite par le style [28] ».
Seuls les compases dits « alternés » (comportant à la fois des mesures binaires et ternaires) se comptent sur douze temps ; il est vrai qu’ils concernent les palos les plus emblématiques du flamenco (bulería, soleá, siguiriya et alegría) mais il n’en existe aucun équivalent dans les autres pays où les Gitans se sont implantés et ont créé leur propre musique, alors que cette alternance (vraisemblablement liée à la danse) existe en Espagne dès le XVIIe siècle, par exemple dans certaines pièces de Gaspar Sanz.
Plusieurs auteurs voient également dans le compás de douze temps un héritage du « chant long oriental », expression énigmatique qui, curieusement, n’apparaît que dans les ouvrages de « flamencologie » ! Bernard Leblon l’associe au loki djili (littéralement « chanson lente ») des Roms de Hongrie, apparemment en raison des ornements, des pauses et du retour final à la tonique [29] ; la ressemblance se limite donc à des traits communs à la plupart des chants a cappella, y compris le légendaire « field holler » sur lequel nous reviendrons à plusieurs reprises.
Dans le domaine des coïncidences langagières, on a également envisagé le « long meter » évoqué par Son House comme une forme primitive de blues, alors qu’en réalité ce terme désignait des chants religieux très lents, parmi lesquels figuraient les hymnes du Dr. Watts [30] .
Ajoutons qu’on ne rencontre pratiquement aucun exemple de blues « lent » avant 1940 ; l’impression de lenteur est créée par la mise en place, par l’allongement des syllabes accentuées, mais durant les premières décennies, le tempo des blues correspond au minimum à celui d’une marche.
Chants arythmiques, antiphonie et autres fantasmes
Il n’est guère de musique qui ne soit sous-tendue par un rythme ou au moins, par une pulsation ou une respiration plus ou moins régulière ; les chants les plus récitatifs sont ponctués par l’unité minimale de la syllabe, et bien que « non-mesurés », ils trouvent leur limite dans le groupe de souffle. Les cantes dits « libres » (granaínas, malagueñas, cartageneras, tarantas, mineras…) – qui ne se confondent absolument pas avec les chants sans guitare – comportent des passages instrumentaux rythmés, ou même un accompagnement « mesuré » dans le cas des fandangos naturales.
La réputation d’arythmie des martinetes, tout comme celle des « field hollers » (en réalité, des blues organisés en couplets de deux vers, et non le mythique « cri des champs » dont il n’existe aucune trace sonore) a longtemps reposé sur l’absence d’accompagnement. Pour les premiers, on admet actuellement qu’ils suivent le compás de la siguiriya, ce qui devient totalement évident dans les enregistrements de terrain que Flamencoweb a présentés cet été, où le marteau et l’enclume retrouvent leur rôle rythmique [31] . De même, quelques enregistrements de « hollers » de meilleure qualité technique que ceux de John et Alan Lomax permettent d’entendre un tempo régulier marqué par le pied du chanteur – une pratique assez logique s’il est vrai qu’il s’agissait, à l’origine, d’un chant de muletier. Les accents toniques marqués par le chant ne peuvent être notés avec précision, mais ils interviennent systématiquement en syncope de manière à briser l’isochronie de l’anglais et la monotonie de la pulsation.
Le compás du flamenco nous amène à envisager la métrique à une échelle qui dépasse celle de la « mesure » au sens classique du terme, mais qui n’implique pas nécessairement la durée du vers ou de la strophe. En effet, dans les chants les plus complexes (siguiriya, soleá, etc.) tout l’art du cantaor consistera à « déconstruire » la copla de manière aussi continue que possible, par l’allongement des syllabes, les répétitions, les lalies et autres effets vocaux ; le nombre de compases n’est pas déterminé, et l’effort soutenu que représente chaque « tercio » (qui ne correspond pas strictement aux « vers » de la strophe) justifie amplement les silences et les phases de concentration du chanteur, durant lesquelles le guitariste enchaînera les falsetas.
Un blues au contraire, quelles que soient les variantes de structure et les accords additionnels, s’inscrira toujours dans une grille harmonique régulière, un schéma répétitif qui oblige le chanteur à anticiper le début de chaque vers après une pause inférieure à deux mesures, ou même une simple césure. L’émission vocale est bien plus brève, mais elle doit se plier à une métrique contraignante : le vers chanté comporte généralement cinq syllabes accentuées, dont la première coïncidera avec le premier temps de la première mesure, et la dernière avec le premier temps de la troisième mesure – à charge pour l’interprète de varier sa mise en place dans l’intervalle, en fonction du texte.
Chaque vers est donc complété par un passage instrumental qui constitue un prolongement du chant. Cette caractéristique amène la plupart des commentateurs à considérer le blues comme une musique « antiphonique » – nous devrions dire « responsoriale [32] » – mais cette « réponse » de la guitare concerne tout autant le flamenco, et de nombreuses formes musicales à travers le monde qui ne doivent rien aux chants de travail collectifs, à la liturgie protestante, ni à la pratique africaine du « call and response ».
On parle également d’antiphonie à propos du découpage binaire de la strophe, de structure AAB, au motif que le propos (A) est suivi d’un commentaire (B) [33] . Devrions-nous pousser ce raisonnement jusqu’à considérer la structure de la phrase anglaise (thème + prédicat) comme « antiphonique » ?
En dissociant les rôles du chanteur et du guitariste, le flamenco permet aux deux artistes d’intérioriser totalement le compás, sans qu’il soit nécessaire de marquer les temps en permanence. Le chanteur-guitariste de blues, au contraire, assume seul les contrastes qui font la spécificité du genre : contraste rythmique entre l’accentuation irrégulière du chant et le tempo imperturbable de la guitare, contraste entre l’approche modale de la voix et l’harmonisation très sommaire qui incombe à l’instrument. De ce fait, les chanteurs de blues qui atteignent un degré de développement mélodique comparable à celui du flamenco sont une minorité [34], et durant les premières décennies qui ont ouvert les portes des studios à des semi-professionnels, la plupart s’en tenaient à une formule aussi répétitive que celle de la ballade.
Cette première série d’observations porte sur des éléments qui ne se prêtent pas à la transcription ou qui, bien que transcriptibles, ne s’inscrivent pas dans la logique du solfège occidental. S’il est légitime d’appliquer la notation musicale aux « musiques du monde », et a fortiori à des musiques aussi métissées que le blues et le flamenco, c’est bien parce qu’il s’agit uniquement d’un outil – imparfait, certes, mais bien plus efficace que les codes et les schémas issus de la recherche acoustique ou musicologique [35] .
Quelques modifications sont évidemment nécessaires pour adapter cette notation à des musiques pour lesquelles elle n’a pas été conçue, mais comme nous le verrons dans la seconde partie, la principale difficulté sera de dépasser les concepts propres à l’harmonie tonale.
[1] Bernard Leblon : Esthétique du flamenco, op. cit. p. 12.
[2] Rafael Marin : Método de guitarra, « unico publicado de aires andaluces (flamenco) », 1902 – Rééd. Edicion Facisimil, 1995 ; ou encore Lucio Delgado : Método de guitarra (1906).
[3] Johnny Shines, qui avait connu personnellement Robert Johnson, affirmait dans un premier temps que le chanteur ne savait ni lire, ni écrire, et quelques années plus tard qu’il avait « une écriture remarquable, aussi élégante que celle d’une femme » (Peter Guralnick, Searching For Robert Johnson, p. 12 et 13 – Plume (Penguin), 1989).
[4] Les deux citations sont empruntées à Leblon : Flamenco, op. cit. p. 85 et 94. L’auteur indique également à quel point Manuel Machado, auteur de Cante hondo, souhaitait que ses coplas tombent dans le « domaine public ».
[5] « (…) los mayores enemigos de algo suelen ser sus ferverosos fanáticos. » (Tomís Marco in Antonio y David Hurtado Torres : La llave de la música flamenca, p. 11 – Signatura, 2009).
[6] B.B. King avait coutume de commenter ses chansons en leur associant des anecdotes personnelles (comme le sauvetage de sa guitare, prénommée Lucille, lors d’un incendie) et des considérations sur les relations humaines ou la bonne gestion d’une vie de couple.
[7] Voir Alfredo Grimaldos : Historia social del flamenco – Peninsula, 2010 / Flamenco, une histoire sociale – Les fondeurs de briques, 2014).
[8] Springer : Le blues authentique, op. cit. p. 13-14.
[9] Langel : Le blues orphelin de l’Afrique, op. cit. Entre autres exégèses suspectes, l’auteur présente au premier degré quelques extraits du Preachin’ Blues de Son House (p. 178-179) en évacuant toute sa dimension ironique, pourtant évidente dès le premiers vers : « Je vais me faire prédicateur baptiste, comme ça je n’aurai plus besoin de travailler ».
[10] Robert Sacré : Saints and Sinners – Société liégeoise de musicologie, 1996. »)
[11] La scène de transe est un des « moments forts » du film de Bertrand Tavernier intitulé Mississippi Blues (1994).
[12] Ce processus a été documenté, avec l’aide du laboratoire d’acoustique de Jussieu (Paris VI), par Marie-Claude Champarou et Véronique Morin : Etude expérimentale sur la voix en milieu familial – U.E.R Pitié-Salpétrière, 1979-1980.
[13] Mentionnons comme exemples les voix nasillardes des speakers radiophoniques des années 1930 ou, plus récemment, les efforts de certains animateurs de France-Inter pour placer leur voix dans l’arrière-gorge.
[14] Expression empruntée à la cantatrice Elizabeth Schwartzkopf (« masterclass » retransmise sur Radio-France dans les années 1980).
[15] Leblon : Flamenco, op. cit. p. 111.
[16] Au même titre que les accessoires scéniques comme la scie musicale, la canne, le sifflet à coulisse et… la valise en carton (préfiguration accidentelle du cajon), ces instruments rudimentaires étaient qualifiés de « novelty », et pouvaient figurer dans les formations orchestrales de musiciens tels que Clarence Williams ou Jimmy Bertrand.
[17] Nous parlons évidemment de la guitare jouée en notes simples à la manière d’un instrument de jazz ; nombre de chanteurs de blues ont continué d’utiliser l’instrument électrique ou amplifié de la même manière qu’une guitare « acoustique ».
[18] La totalité des photos représentant Son House (empruntées à Dick Waterman… le plus souvent sans son autorisation) montrent ce type de guitare, que le chanteur n’a adopté en réalité qu’après sa « redécouverte » en 1964. Cette image familière est à l’origine d’une confusion chronologique partagée par un témoin aussi sincère que Honeyboy Edwards (op. cit. p. 95 ).
[19] Tube de verre ou de métal que l’on fait glisser sur les cordes à la manière des guitaristes hawaïïens, sans toutefois réaliser des accords
[20] Voir l’article Spanish Flang Dang.
[21] Les gammes en notes simples étaient évidemment utilisées bien avant l’invention de la guitare électrique, mais uniquement en duo ou dans les petites formations qui dispensaient le guitariste de marquer le rythme.
[22] Dans ses premiers recueils de transcriptions (The Country Blues, Delta Blues – Oak 1968-69), Stefan Grossman présentait principalement des tablatures, considérant que le rythme ne pouvait être appréhendé que par l’écoute des enregistrements. Donald Garwood (Masters of Instrumental Blues Guitar – Oak, 1967) avait adopté une approche bien plus pédagogique… mais rythmiquement très différente des interprétations. A notre connaissance, le premier ouvrage présentant une notation rythmique rigoureuse de blues anciens est l’œuvre de Woody Mann, Six Black Blues Guitarists – Oak, 1973 (réédité sous le titre « politiquement correct » de Six Early Blues Guitarists).
[23] Robert Wilkins a définitivement renoncé à la musique profane à la suite d’une rixe qui l’a terrifié, et Son House a fait un séjour au pénitencier pour avoir riposté face à une agression armée ; les attaques visant les musiciens n’étaient pas rares, ainsi le train qui convoyait la troupe des Mahara’s Minstrels a été l’objet d’une fusillade en pleine nuit (W.C. Handy, Father of the Blues, op. cit. p. 44).
[24] « Papa » Freddie Spruell, un des pionniers du blues de douze mesures, était originaire du Mississippi, mais de même que Charlie « Dad » Nelson, il résidait en permanence à Chicago.
[25] Il ne s’agit pas de la formule très fluide de « picking » que l’on trouve dans le bluegrass et la « folk music », mais d’un jeu qui sépare clairement la mélodie de l’accompagnement rythmique. Les basses simulent la main gauche d’un pianiste, et le contretemps est fortement accentué – et non « étouffé », ce qui différencie également cette technique de celle de Merle Travis, Chet Atkins ou Marcel Dadi. Il s’agit bien d’une option stylistique, car nombre de musiciens afro-américains, tenus à l’écart des studios avant le « folk boom » des années 60, jouaient par ailleurs de la musique « blanche ».
[26] On prête fréquemment aux premiers chanteurs de blues une conception très approximative de la métrique, mais en réalité les errements sur le nombre de mesures sont bien plus marqués à partir des années 1940 et 1950 (Lightnin’ Hopkins et John Lee Hooker étant les deux exemples les plus connus). Les blues antérieurs à 1930 pouvaient comporter des couplets de 11 mesures, 11 mesures et demie, 13 mesure ou davantage, mais ces métriques atypiques étaient respectées du début à la fin du morceau.
[27] Voir Freddi Williams Evans : Congo Square, racines africaines de la Nouvelle-Orléans – la Tour verte, 2012.
[28] Claude Worms et Oscar Herrero : Techniques de la guitare flamenca (vol 1), p. 1) – Ed. Combre, 1996.
[29] Leblon : Flamenco, op. cit. p. 171
[30] Voir Lynn Abbot & Doug Seroff : To Do This, You Must Know How : Music Pedagogy in the Black Gospel Quartet, p. 191 – University Press of Mississippi, 2013.
[31] Voir Alan Lomax en Andalousie : Séville - Triana. Signalons par parenthèse que les notes de Lomax présentent systématiquement les martinetes comme des « dance tunes » (airs de danse), une fonction apparemment négligée durant la « renaissance » du flamenco.
[32] L’antiphonie désigne l’alternance de deux chœurs, et non celle de la voix et de l’instrument.
[33] Sur le « double caractère responsorial » du blues considéré comme une « forme typiquement africaine, » voir Robert Springer : Fonctions sociales du Blues, op. cit. p. 13.
[34] Nous pouvons à nouveau mentionner Lemon Jefferson, qui savait improviser une mélodie différente sur chaque couplet à la manière d’un instrumentiste de jazz ; en signalant toutefois qu’en tant que guitariste, il avait tendance, à « briser le rythme », à introduire des pauses et des ralentissements. Sur certains morceaux, son approche de la guitare se rapprochait du flamenco dans la mesure où elle alternait les passages en accord et les traits en notes simples, au lieu de combiner rythme et mélodie.
[35] Une représentation analogique, comme le sonagramme, peut rendre compte de toute la complexité d’un flux sonore, mais elle demeure inexploitable musicalement.
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