dimanche 4 décembre 2011 par Claude Worms
Un CD : Acoustic Music Records 3191479 2 (2011)
Nous n’ avions plus depuis longtemps de nouvelles discographiques du "guitar duo" formé par Manuel Delgado (guitare flamenca) et Ralf Siedhoff (guitare classique et guitare à douze cordes). En fait, depuis 2000, année de la parution du très recommandable "Crossing roots", fruit d’ une rencontre avec le Karnataka College of Percussion (Acoustic Music Records / Best. Nr 319 1213), lui même précédé de "Azucena", en strict duo (Acoustic Music Records / Best. Nr. 319 1158 - 1998).
Le duo est devenu trio avec la collaboration permanente du percussionniste Ernesto Martinez, déjà présent sur "Crossing roots". Le nom du groupe, "Sin Distancia Trio", reprend lui même le titre d’ une Soleá por Bulería de cet album, enregistré en duo par Isabel Peláez et Manuel Delgado (consulter notre article dans la rubrique "Falsetas françaises") : une belle fidélité dans la connivence musicale, qui assure à la formation une remarquable cohérence. Rarement le terme tant galvaudé de "fusion" (un concept qui caractérise ici le rapport entre des musiciens, plus qu’ entre des musiques) aura été aussi pertinent, et la performance de "Sin Distancia" en concert égale celle des meilleurs spécialiste du genre, tel Ultra High Flamenco (cf : cette même rubrique)
Ralf Siedhoff / Ernesto Martinez / Manuel Delgado
Les deux guitaristes semblent jouer une "guitare à quatre mains", tant la subtilité de leurs phrasés, leur respiration, et leurs conceptions musicales (leur art de la suggestion et du non dit) sont identiques. Seul le grain instrumental permet de distinguer qui fait quoi dans les entrelacs impressionnistes des cordes, brumes de gouttelettes sonores, entre arpèges et rasgueados à peine effleurés, percées de brèves et incisives montées vers l’ extrême aigu du registre de l’ instrument. Les thèmes mélodiques finement (mais fermement) dessinés émergent de ce fond de pastels colorés, engendrés par des séquences harmoniques modulantes réalisées avec une grande inventivité (le jeu à deux guitares permet de savoureuses superpositions de renversements d’ accords), qui assurent la cohérence des compositions - vous en trouverez une belle démonstration dès le premier titre, la Rumba "Bellamar". La solidité de la trame harmonique permet aussi le passage sans heurt de motifs proprement flamencos à d’ autres de caractère plus jazzy (cf : la "Bulería del deseo", qui oscille entre vigoureux "remates" flamencos et valse manouche, sans la moindre rupture de ton - "Galerie sonore"). Les musiciens invités se fondent d’ autant plus facilement dans cette esthétique de l’ élégance légère, qu’ ils sont "de la famille" : Carmela Delgado (bandonéon) pour la Rumba "Soleado", et Richard Siedhoff (piano) pour "Nueva vida" - les deux oeuvrant de concert à la réussite de "Fjorland", un beau thème mélodique de Ralf Siedhoff traité de manière répétitive, chaque instrument venant se superposer aux précédents.
Le ton apaisé de l’ ensemble, "muy soleado" en effet, n’ exclut pas la vigueur rythmique, efficacement relancée par les percussions d’ Ernesto Martinez, qui signe un solo très musical ("Andana") dans la continuité des Tangos "Graciosa".
Le programme comporte d’ ailleurs essentiellement, pour sa composante flamenca, des "palos" rythmiques (Rumbas, Bulerías, Tangos, Zapateado). Ce sera d’ ailleurs bien là notre seule réserve, habituelle à ce type de projet : on regrettera, une fois de plus, l’ absence d’ autres formes (Soleá, Siguiriya, Alegrías, Guajira, Fandangos de Huelva... et, pourquoi pas, quelque forme libre - Taranta, Granaína...) que le potentiel musical du groupe lui permettrait assurément d’ aborder.
Fort heureusement, la diversité du traitement musical des compositions nous sauve de la monotonie. Certaines pièces utilisent la forme type du jazz, exposé du thème / chorus / réexposition (avec cependant des exposés très développés, dans la mesure où les thèmes sont souvent construits sur plusieurs motifs alternant exposés harmoniques et mélodiques - cf : ci-dessus. Ce qui permet des réexpositions variées, omettant certains motifs de l’ exposé) : "Bellamar" (Rumba), "Negrita" (Bulería), "Four days" (thème ternaire avec une coda surprise, que nous vous laissons le plaisir de découvrir) et "Bulería del deseo". D’ autres compositions s’ apparentent plutôt à la musique répétitive, basée des éléments diversifiés : sur un riff de basses - "Soleado" (Rumba) ; sur un thème mélodique - "Fjorland", "Nueva vida", "Cap de Creus" (Zapateado) ; sur une séquence harmonique - "Graciosa" (Tangos, la pièce la plus directement flamenca du programme). On leur rattachera l’ atypique "Luzazul", Boléro méditatif en expansion mélodique continue.
Installez-vous confortablement sur la terrasse, face à la mer et au coucher du soleil, un américano à portée de la main. Mettez "Soleado" sur la platine (pas de Mp3, vous y perdriez une partie des subtilités de l’ objet), et savourez le tout sans modération.
NB : "Soleado", ainsi que les deux précédents albums ("Azucena" et "Crossing roots") sont en vente sur le site de Sin Distancia Trio :
Claude Worms
Galerie sonore
Sin Distancia Trio : "Bulería del deseo" (Manuel Delgado)
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