vendredi 27 octobre 2023 par Claude Worms
Transcription intégrale de la composition d’Antonia Jiménez.
Comme la petenera ("Materna") dont nous avons déjà publié la transcription, cette soleá d’Antonia Jiménez est solidement ancrée dans le toque traditionnel, par la récurrence de quelques clichés caractéristiques : l’introduction (page 1, premier système) ; le "paseo" issu de cette introduction (page 3, deuxième et troisième systèmes) ; remate noté [A] [B] dans la partition (page 7, premier et deuxième systèmes ; page 8, troisième système ; page 13) ; falseta sur une pédale d’harmonie de F en demi-barré 1 (page 3, dernier système à page 4, premier système ; page 7, deuxième et troisième systèmes ; page 10, premier et deuxième systèmes).
Mais, presque systématiquement, leurs développements passent par des détours harmoniques inédits. La compositrice se joue donc de notre mémoire d’aficionado en nous engageant sur des chemins dont anticipons inconsciemment la suite, dont elle se garde bien de suivre le parcours prévisible. Nous nous contenterons d’un exemple : après l’exposition de l’introduction, sa reprise est infléchie brutalement par un accord de D7/C (page 1, première mesure du troisième système), dont la résolution sur l’accord de G (cadence secondaire V-I) est elle-même retardée par un surprenant accord de B — la cohérence est cependant maintenue par la transposition du motif de basses (page 3, deuxième et troisième mesures du troisième système). Le même motif est ensuite transposé en marche harmonique sur la cadence III - II - I, modifiée par un chromatisme descendant III - IIIb - II - I, G - Gb - F - E (page 1, dernier système à page 2, deuxième système).
Plus que par son inspiration mélodique, c’est donc par ses labyrinthes harmoniques que la composition nous maintient constamment en haleine :
• Après une belle falseta idiomatique qui parcoure tout le manche en arpèges (dissonances récurrentes de seconde mineure Mi / Fa sur les deux premières cordes — page 3), personne ne s’attendrait à une cadence suspensive A(#5b9) - A7(b9)/C# - D(b56) (page 4, dernière mesure du dernier système à page 5, premier système), dont deux notes constitutives, Sib (nous avons écrit La# pour éviter la multiplication des bécarres sur la note Si) et Do#, nourrissent une sorte de jeu "out" dans le trait en picado qui suit.
• La séquence à 6/8 en arpèges (nous avons à dessein omis les doubles barres de mesures bornant les compases, mais le total de douze mesures correspond bien à trois compases — page 6) est de ce point de vue programmatique : Am9 - B - D7/A - G - C#m - F#m(b6) - Dm(b5)/F - E7 - Am9 - G7... et enfin F -E pour revenir à la tonalité de Mi flamenco (por arriba), que l’on n’attendait plus.
• La falseta réminiscente de la caña ou du polo (page 8, dernier système à page 9, premier système : quintolet concluant sur l’accord de C) ne conclut pas confortablement sur le premier degré, à peine effleuré, mais sur deux accords de G7M(#5) et F79(#11) suivis de traits chromatiques ascendants puis descendants — F7(b5) - G7(b5) - Ab(b5) / Ab - G - Gb - F - E (page 9, deuxième et troisième systèmes).
• Après une nouvelle falseta en arpèges (page 10, deux premiers systèmes) qui condense celle de la page 3, suivie d’une reprise du chromatisme Ab - G - F, la longue coda en rasgueados résume les surprises harmoniques de la composition : Am7 - B/F# - F/C - B - G - C#m - Dm -C#m - F/C - B - F/C - E (page 11). Si l’accord de B peut-être interprété comme un cambio fugace (modulation à la tonalité majeure homonyme, Mi majeur), l’accord de C#m est substitué à l’accord de E , dont il est le relatif mineur : après la reprise de [C] [D], la succession G-E, au lieu de la précédente (G-C#m), nous livre la clé de l’énigme (page 11, dernier système, deux dernières mesures).
Une mine d’idées pour vos propres compositions.
Claude Worms
Photo du logo : Paco Villalta
Photo : Rafa Manjavas
Transcription (Claude Worms)
NB : notre transcription est basée sur une captation en public lors d’un concert donné par Antonia Jiménez en 2019 au Centro Flamenco Fosforito de Cordoue.
"A mares" (soleá) — composition et guitare : Antonia Jiménez.
Autres partitions de compositeurs-guitaristes contemporains disponibles sur Flamencoweb :
Antonia Jiménez : "Materna" (petenera)
Alejandro Hurtado : "A mi madre" (farruca)
Rafael Riqueni : Quatre pièces de "Parque de María Luisa" / "El Veleta" (granaína) / "A golpe de mostrador" (bulerías por soleá) / "Aires de Sevilla" (sevillanas) / "Farruca Bachiana" / "Amarguras" (d’après Manuel Font de Anta) / "Cogiendo rosas"
Salvador Andrades : "Abuela Pepita" /"A mis niños" (milonga)/ "Alaía" (alegrías) / "A la que me dió la vida" (taranta)/ "Pequeñas manitas" (granaína) / "En la cuna "(malagueña)
Miguel Ángel Cortés : "Patriarca" (siguiriya)
José Luis Montón : "Conclusión" (soleá) / "Air" (d’après J.S. Bach)
Pedro Sierra : "Cartujano" (bulerías)
Antonio Rey : "Amanecer en Jerez (bulerías)
Site réalisé avec SPIP 4.3.2 + ALTERNATIVES
Mesure d'audience ROI statistique webanalytics par