Compositions pour guitare flamenca : transcriptions intégrales

Santiago Lara : "Maestría. A Manolo Sanlúcar"

dimanche 5 janvier 2025 par Claude Worms

Transcription intégrale de la composition de Santiago Lara.

Tentez un blindfold test : faites écouter cette pièce à vos amis aficionados, ils identifieront à coup sûr Manolo Sanlúcar dès les premiers arpèges de l’introduction — un balancement A / E avec un Ré# obstiné à la voix supérieure (respectivement quarte augmentée et septième majeure des deux accords). Pourtant, aucune citation, tout est de Santiago Lara dans ce magnifique hommage à la "Maestría" de l’un des grands compositeurs de la seconde moitié du XXe siècle, tous genres musicaux confondus.

Les quatre dièses de l’armure pourraient faire penser à la minera (mode flamenco sur Sol#), mais la position caractéristique de l’accord du premier degré (G#sus2) n’apparaît qu’une seule fois, page 6 (deux premiers systèmes). Qui plus est, elle suit un épisode por granaína (mode flamenco sur Si — page 4, deux derniers systèmes et page 5). On relève deux autres modulations à ce même mode, page 2 dernier système à page 3 deuxième système, puis page 8 juste avant les harmoniques. Ajoutons pour faire bonne mesure une fugace modulation au mode flamenco sur Mi (page 6, dernier système). La polarisation autour du La de la première partie (deux premières pages) pourrait aussi suggérer une transposition du mode lydien sur cette note. Bref, Santiago Lara a parfaitement assimilé le système de modulations modales dont Manolo Sanlúcar a été le principal créateur pour la guitare flamenca (cf. Entretien avec Manolo Sanlúcar).

En général, comme dans les compositions du Maestro, ces modulations sont amenées par des chromatismes (ici, surtout Sol#/Sol bécarre et Do#/Do bécarre ou Si#) insérés dans des gammes brisées et soulignés par des sauts d’intervalles internes. Santiago Lara recrée à sa manière l’élégance du phrasé cantabile de Manolo Sanlúcar, fondé sur une ornementation intégrée aux lignes mélodiques et sur des combinaisons complexes de liaisons et de glissés — ce qui rend la notation rythmique passablement hasardeuse. Comme d’habitude il vous faudra écouter attentivement l’enregistrement, dont la partition ne donne qu’une idée fort approximative. Entre gammes conjointes et ébauches mélodiques, les passages en picado sont autant de questionnements que les suspensions harmoniques laissent énigmatiquement ouverts ("Unanswered questions" d’un autre genre que celles de Charles Ives).

En tout cas, cette pièce est d’une grande beauté et techniquement à peu près abordable. A vous de jouer.

Claude Worms