mercredi 6 octobre 2010 par Manuela Papino
"Concierto de clausura"
9 octobre / 20h 30 / Théâtre de la Maestranza
Guitare : Paco de Lucía
Chant : David Maldonado, Duquende
Basse : Alain Pérez
Percussions : Piraña
Deuxième guitare : : Antonio Sánchez
Harmonica : Antonio Serrano
Danse : Farruco
Paco est Paco
La clôture de la Biennale, qui reposait sur les épaules de Paco de Lucía, représentait un évènement qui finit par dépasser Séville et la Biennale. Les rumeurs disent que les places se revendaient à plus de 500 euros. Ce qui est sûr, c’ est que le théâtre Maestranza était plus que complet.
Paco est Paco. Rien que d’ y penser, l’ excitation et l’ émotion montaient en chacun de nous. Lorsqu’ il entra en scène, un peu nerveux manifestement de se retrouver face au public sévillan, ce fut une véritable ovation générale. Les “Dios te bendiga Paco” (Que Dieu te bénisse Paco), “ Te queremos maestro” (On t’ aime maestro), et autres témoignages d’ affection et de respect fusèrent durant tout le spectacle. Accompagné de ses irréprochables musiciens, il proposa un concert en deux parties avec entracte, terminant comme de bien entendu par une “nouvelle version” de “Entre dos aguas”.
La présence d’ El Farru à la danse fut à mon goût un peu trop prétentieuse : s’ imposant en levant les bras à de nombreuses reprises, recherchant les applaudissements forcés, il occupa trop longuement le devant de la scène au lieu de s’ incliner devant le maestro. En revanche, la courte participation d’ El Carpeta à la fin du spectacle, invité avec insistance par Paco lui-même, fut non seulement amusante mais aussi pertinente et pleine d’ "arte" (ce que Paco fit remarquer au public en le poussant sur le devant de la scène pour saluer).
Grand moment d ’émotion, et grand moment de respect : un concert de Paco est toujours un moment très spécial puisqu’ il porte à la fois une partie importante de l’ histoire du flamenco, un souvenir nostalgique de Camarón (grâce à Duquende ce soir-là, mais surtout à David Maldonado dont la voix s’ approche du « quejío » de Camarón), et une sincérité et un professionnalisme sans égal.
Merci à Domingo et à son équipe !
Manuela Papino
Photos : Luis Castilla / Archives Photographiques Bienal de Flamenco
"Bailar, vivir. Suite flamenca para bailaora y compañía"
8 octobre / 21h / Théâtre Lope de Vega
Danse : La Moneta
Corps de ballet : Raimundo Benítez, José Galán, David Córdoba
Guitare : Miguel Iglesias, Paco Iglesias
Chant : David Sánchez “El Galli”, Miguel Lavi
Percussions : Miguel El Cheyenne
Artiste invité : Diego Amador
La magnifique Soleá flamenca de Fuensanta “La Moneta”
Fuensanta “La Moneta” voulait “bailar, vivir” (danser, vivre) dans cette édition de la Biennale 2010. La première partie de son spectacle, pleine de “dudas” (doutes), “claro oscuro” (clair obscur), “en cruz” (en croix), et d’ ”intenciones” (intentions), eut beaucoup de mal à convaincre le public. Le tout premier tableau, présentant une composition chorégraphique contemporaine, était pourtant expressif, bien sonorisé, et laissait présager un ton nouveau, qu’ on se disposait à accepter avec curiosité.
Dans un solo austère et dépouillé, La Moneta su tout d’ abord se mettre en valeur, utilisant le corps de ballet comme un véritable message visuel. Les trois hommes regroupés faisaient bloc, alors qu’ elle dansait au milieu,
emprisonnée par ces remparts humains : un travail chorégraphique judicieux et sobre, et une intéressante introduction au spectacle. Malheureusement, tout se gâta très vite. Le corps de ballet masculin se révéla maniéré, effacé, sans force ni présence, dans un très long Martinete, qui épuisa d’ emblée la patience du public stupéfait. Suivit une Petenera en duo avec castagnettes, et, là encore, le partenaire de La Moneta lassa l’ auditoire. Trop dramaturgique, la Petenera provoqua quelques “toca madera” (touchons du bois) du public proche, sur un ton qui ne manquait pas d’ humour : le talent de La Moneta se faisait toujours attendre... La légèreté de cette Petenera qui aurait dû, par sa profondeur, servir la danse puissante et expressive de Fuensanta, se prolongea par un solo d’ un second danseur tout aussi fade et décevant.
Elle poursuivit por Taranto, et on eut bien du mal à apprécier la danse, dissimulée par une robe surchargée de volants, et recouverte d’ un tablier qui
en cassait malencontreusement la ligne.
Heureusement, elle exécuta un remate prolongé qui nous rappela tout son potentiel. Le "silencio" ne manqua pas des "pellizcos" qui marquent sa personnalité artistique, et ce fut lorsque le Taranto passa por Tango que le costume devint enfin adéquat et la danse explosive. Ouf !
Diego Amador brisa opportunément la monotonie des musiciens, qui n’ avaient pas non plus réussi à assumer leur rôle depuis le début du spectacle. Faisant totalement corps avec son piano, il joua quelques notes à la main droite, puis voyagea dans une ambiance qui paraissait sortir d’ un dessin animé, (lorsqu’ arrive la sorcière…), avant de revenir à son univers habituel, celui du piano flamenco gitan. Malheureusement, le corps de ballet réapparut trop rapidement, accompagnant La Moneta portant une bata de cola léopard. Sur une version de “La Salvaora”, que Diego Amador chanta avec délicatesse, de sa voix gitane pleine de contrastes, il fallut presque fermer les yeux pour se laisser envahir par la musique, tant le visuel du corps de ballet était pauvre. La Moneta fit cependant danser magnifiquement son immense châle. Les "flecos" dessinaient des volutes dans l’ air, et dissimulaient quelque peu les trois hommes perdus.
Le Fandango qui suivit fut une épreuve de plus, les deux chanteurs se fondant comme des fantômes dans la noirceur de la scène.
Mais c’ est alors qu’ on se préparait à plonger dans un réel désespoir, que vint le moment magique. Fuensanta fit une entrée splendide, traversant la scène d’
un bout à l’ autre, por Soleá. Avec retenue et force, dans une lenteur totalement maîtrisée et soulignée par son regard perçant, elle débuta une Soleá on ne peut plus flamenca. Ce fut grandiose ! A elle seule, cette danse valait le déplacement. A lui seul, ce moment fit tout le spectacle. Elle captiva tout le public, enfin enthousiaste et subjugué. On retrouvait dans cette Soleá la magnifique danseuse de Grenade, son charisme et la puissance de son taconeo, ainsi que ses « pellizcos » de corps et d’ expression, qui s’ exprimaient enfin dans toute leur ampleur. La conclusion por Bulería avec le corps de ballet, qui, privé de ses bras (la chorégraphie se contentait de percussion de pieds), se fit enfin homogène, permit de finir le spectacle avec brio.
Qu’ elle danse, oui, encore et encore ! Mais sans le corps de ballet por favor...
Manuela Papino
Photos : Luis Castilla / Archives Photographiques Bienal de Flamenco
"An ca’ Paula"
8 octobre / 23h / Teatro Central
Chant : Manuel de Paula
Chant : José Valencia, Anabel Valencia, Juan Muruba, Manuela Jero
Guitare : Paco Cortés, José Luis Medina
Danse : Manuela Ríos, Ramón Martínez
Palmas et danse : Juan Diego Valencia, Manuel Valencia
Artiste invité : El Pati
Après le spectacle de La Moneta, la soirée se poursuivait par un récital de Manuel de Paula. Il nous fut impossible d’ arriver à temps au théâtre : La Moneta avait débuté en retard, et un marathon nocturne avait justement été organisé aux alentours du Teatro Central : difficile, donc, d’ en relater le contenu. La fin du concert fut en tout cas sympathique, et les artistes de Lebrija et leurs compagnons se divertirent beaucoup sur scène, offrant au public la sincérité et la chaleur des familles réunies. El Funi, malade, fut remplacé par El Pati. José Valencia se distingua avec son aisance coutumière. Un spectacle qui aurait eu sa place à l’ hôtel Triana, et qu’ on s’étonna un peu de voir au Central, réservé habituellement aux créations des jeunes artistes confirmés et aux “expérimentations” risquées des plus anciens.
Manuela Papino
Photos : Luis Castilla / Archives Photographiques Bienal de Flamenco
« Al compás de Soler »
7 octobre / 23h / Teatro Central
Danse : Rafael Campallo
Artistes invités : Juan José Amador, Antonio Molina “El Choro”
Chant : El Londro
Guitare : Juan Campallo, Jesús Guerrero
Percussions : José Carrasco, Antonio Montiel
Palmas : Bobote
Rafael Campallo rend un véritable hommage au maestro Soler
“Al compás de Soler” est un véritable hommage à Manolo Soler. Rafael Campallo fut percutant, et c’ est le cas de le dire puisqu’ on peut aller jusqu’ à affirmer que tout le spectacle tourne autour de la percussion, “véritable argument du spectacle”, déclarait le danseur lui-même.
Débutant avec évidence par une vidéo, muette, où l’ on voit Manuel Soler danser, le ton du spectacle est d’ emblée donné : une heure d’ émotion et de talent à vif qui ne vont cesser de nous captiver. Avec un solo de Rafael Campallo au cajón, dans lequel il introduit peu à peu le taconeo, l’ ambiance se met en place, faisant monter une intensité qui explosera avec une Bulería impressionnante, dans laquelle le danseur n ’économise ni son talent, ni sa conviction, ni sa sueur ! Dans la Siguiriya, il donne une grande leçon de percussion, sans oublier pour autant l’ esthétique corporelle de sa danse, aisée, fine et stylisée. Les remates sont tout à coup moins présents, attendant avec respect que le chant de El Londro les invitent.
Ce soir-là, on ne plaisantait pas avec le compás… Campallo commence à dialoguer avec les différentes percussions, amenant une rapidité tout à fait exceptionnelle. L’ écran se rallume soudain, et c’ est avec nostalgie et tendresse, que Rafael reproduit à l’ identique ce que le maestro Soler dansait à l’écran, por Martinete, accompagné par son complice au chant, Juan José Amador.
La série de surprises vient seulement de commencer : un délicieux petit trio de palmeros se crée, formé de Bobote, Antonio Molina “El Choro” et Rafael Campallo lui-même. Ils démontrent sans faille ce que signifie “ tocar las
palmas flamencas” : compás et vitesse dépassent l’ entendement, et le rythme envahit la salle jusqu’ à provoquer, une fois de plus, la fascination du public. C’ est ensuite le tour des Alegrías, dansées par “El Choro”. Ne pas rompre tout à coup le niveau du spectacle en se maintenant à la hauteur de la prestation se révèle alors un véritable défi, qu’ Antonio Molina relève très dignement.
Campallo prend la relève, dansant la Farruca qu’ il avait annoncée comme “tout particulièrement dédiée à Manuel”, dans le même costume que Soler aimait porter, et tellement inspiré par le respect qu’ il porte au maestro qu’ on
a parfois l’ impression de voir Soler lui-même sur scène. “Se me fue mi compañero del alma, lo echo de menos” clamait la letra, “Una grieta en la vida”. (Mon compagnon de l’ âme est parti, il me manque… c’est une brèche dans la vie).
Dans la Bulería finale, les percussions de José Carrasco au cajón, et celles d’ Antonio Montiel à la batterie , prennent tout d’ abord le relais de la danse, faisant place par la suite à Campallo, qui s’ exprime une fois de plus avec force et inspiration : une Bulería qui ne manque ni de "pellizcos" ni de “gracia”.
Le dernier moment du spectacle est sans aucun doute le plus émouvant. Manuel Soler réapparaît à l’ écran, et Campallo semble prendre une vraie leçon de danse avec le maestro. Il s’ essuie sans cesse le visage, et on ne sait plus si ce sont des larmes ou de la sueur qui ruissellent sur ses joues. Tant et si bien que je n’ ai pu résister à lui poser la question avec un peu d’ indiscrétion ; ce à quoi il répondit brièvement, pour ne pas se perdre une nouvelle fois dans l’ émotion : “un peu des deux…” dit-il à voix basse.
Manuela Papino
Photos : Luis Castilla / Archives Photographiques Bienal de Flamenco
« 150 gramos de pensamientos »
6 octobre / 21h / Teatro Central
Danse : Rafaela Carrasco
Danseur et acteur : David Coria
Chant : Antonio Campos
Guitare : Juan Antonio Suárez Cano, Jesús Torres
Violoncelle Juan José Luis López
La sauce a mal tourné…
Lors de la conférence de presse, Rafaela Carrasco ne nous avait pas vraiment convaincus. Cependant on se souvenait du magnifique bijou, “Vamos al tiroteo”, qu’ elle avait présenté lors de la dernière Biennale, et là encore, le public était acquis d’avance. “150 gramos de pensamiento” (150 grammes de réflexion - titre du spectacle de cette année), suggérait d’ emblée une interprétation ambiguë dans laquelle on se gardera cependant de tomber avec malice, car il fallait effectivement le prendre au premier degré : une cuisine, une recette, quelques ingrédients… le repas s’ annonçait on ne peut plus étrange.
Cinq citrons por Farruca, une queue de poisson por Bulerías, 150g de sucre por Cantiñas, une pincée de sel sur des trémolos, la crème chantilly pour finir avec des Abandolaos : et à table !
On ne fut pas loin de l’ indigestion… Rafaela Carrasco annonçait un spectacle “subtil”, ce fut fade. Il fut difficile de digérer cette Farruca accompagnée cependant par le magnifique violoncelle de Juan José Luis López - Farruca qui pourtant, au départ, promettait beaucoup de profondeur, ainsi que ces “bizarreries à la Carrasco” qu’ on aime tant. Ni le Tango argentin, techniquement non assimilé, ni le “Todo es de color” de Lole , ni les Cantiñas montées par Manuel Liñan, qui donnaient l’ impression d’ un ultime combat de Rafaela avec sa propre danse, ne réussirent à faire prendre la sauce. La bata de cola alla jusqu’ à se prendre dans les plis du pantalon qu’ elle portait par dessous. Et que dire du son défectueux qui desservit absolument tout le spectacle ! Le micro du danseur (David Coria, chargé d’ assumer la partie dramaturgique) s’ écroula sur le sol, et la danse suivante finit de le piétiner pitoyablement jusqu’ à le briser en morceaux. Cano, au beau milieu d’ une falseta d’ Alegría, fut victime d’ un larsen qui nous fit l’ effet sonore d’ une bombe, puis ce fut au tour de Rafaela de perdre son micro...
Un spectacle à oublier rapidement : attendons le prochain…
Manuela Papino
Photos : Luis Castilla / Archives Photographiques Bienal de Flamenco
« Raíces del alma »
7 octobre / 21h / Théâtre Lope de Vega
Chant : Esperanza Fernández
Guitare : Miguel Ángel Cortés, David Carmona
Piano : David Dorantes
Palmas et choeurs : José Manuel Ramos, Juan San Juan, Jorge Aguilar
Esperanza sans racines...?
Alors que le directeur de la Biennale rappelait que "cette année, le chant avait une place privilégiée, puisque le thème de la Biennale était la "voz en vivo", (la voix en direct), Esperanza déclarait que justement, dans ce spectacle intitulé "Raices del alma", elle avait voulu donner une grande importance à ses racines flamencas.
Cependant, la moitié du récital d’ Esperanza Fernández n’ eut que peu de rapport avec le flamenco. On aurait pu parfaitement l’ accepter, puisque, comme elle le déclara elle-même, elle peut "chanter ce qui lui plaît, car un artiste est libre de proposer ce qu’il veut". Cependant, il aurait fallu qu’ elle soit irréprochable pour sortir du répertoire flamenco, dans une Biennale qui se veut "la plus grande vitrine mondiale de cet art". Et ce ne fut pas le cas.
Elle commença a capella avec la "Nana de los luceros", sans réussir à transmettre tout le charisme qu’ on lui connaît. Le public lui étant cependant manifestement acquis, il resta patient pendant de la Soleá, hommage à Fernanda et Bernarda, qui resta bien monotone. Soulagé lorsqu’ arriva la "Siguiriya", introduite par Miguel Angel Cortés, le public crut enfin pouvoir respirer en assistant au récital magistral qu’ Esperanza avait annoncé. Elle démontra ici toute l’ ampleur de sa technique vocale, maîtrisant le souffle avec aisance, et utilisant à la perfection son timbre de voix si particulier.
Il fallut malheureusement se contenter de ce moment, car le reste alla de mal en pis : depuis un "Salve Macarena" sans émotion, en passant par des Cantiñas sans brio, pourtant très bien accompagnées par les deux guitaristes, jusqu’ à une insupportable version de "My funny Valentine", sans couleur ni voix , où elle alla presque jusqu’ à chanter faux, ne faisant honneur ni à Billie Holiday, ni à Ella Fitzgerald, qu’ elle avait pourtant citées lors de sa conférence de presse comme deux femmes de référence pour elle. A partir de ce moment, elle perdit son auditoire. On accepta poliment, bien évidemment, son "Manolo Reyes" (cuplé por Bulería illustré jadis par la Niña de los Peines ) - un des thèmes de son dernier disque - tout en restant désolé de ce coup d’ épée dans l’eau. Dorantes, artiste invité, ne pu rien sauver. Mais que s’ est-il donc passé ?
Manuela Papino
Photos : Luis Castilla / Archives Photographiques Bienal de Flamenco
« Cuando yo era… »
5 octobre / 20h30 / Théâtre de la Maestranza
Danse : Eva La Yerbabuena
Corps de ballet : Mercedes de Córdoba, Eduardo Guerrero, Fernando Jimenéz
Chant : Pepe de Pura, Jeromo Segura, Moi de Morón
Guitares : Paco Jarana, Manuel de la Luz
Percussions : Manuel José Muñoz “ El Pájaro”, Raúl Domínguez
“J’ai du mal à regarder le futur, je préfère vivre le moment présent” déclarait La Yerbabuena,
“la seule chose que je souhaite, c’est que le spectacle ne laisse pas indifférent.”
On entend très souvent une conversation débuter par “ Moi, quand j’étais…” . Et c’ est ainsi qu’ Eva construit la trame de son spectacle, ajoutant “ enfin, si on y pense, ça n’ a pas beaucoup de sens…” . Les premières minutes
du spectacle annoncent, en condensé, la plupart des thèmes qui constitueront les différentes parties développées par la suite : depuis la guerre civile espagnole, en passant par la feria ou le carnaval, jusqu’ aux interrogations habituelles de la danseuse, l’ angoisse, la solitude ou la mélancolie. Et elle résume en une phrase sa préoccupation du moment, “ ¡Qué destino nos ha tocado vivir !”
Illustrant son propos dans une très belle mise en scène de Juan Ruesga, elle présente un premier tableau où l’ argile symbolise ce présent en train de créer le futur, avec ses conjonctions culturelles, sociales, artistiques et politiques, ses moments de silence et ses mises en danger. Ce premier solo propose une gestuelle contemporaine qu’ elle a ici parfaitement intégrée, combinée avec des taconeos puissants et sûrs, tels qu’ on les lui connaît : une apparente simplicité qui dénote un travail parfait. Dansant devant un tour de potier, le très joli mouvement du pot en terre, encore mouillé, se transforme au son de la musique ; et c’ est pieds nus que la danseuse développe un solo qui malheureusement n’ ira pas jusqu’à l’ envelopper complètement de terre et d’eau, ( comme le laissait penser la photo ambiguë du programme), nous laissant avec une danse inachevée qui pourtant, dès le départ, nous avait fascinée. Elle termine cette entrée en matière avec une Malagueña magnifique, chantée par Pepe de Pura.
C’ est alors que vient le tableau de la feria. Fernando Jimenéz, dans un solo évoquant Charlie Chaplin, comme pour nous indiquer le chemin de la parodie, n’ hésite pas à se mettre un nez rouge de clown, illustrant la Rumba “el payaso”, et à en assumer le propos dans la danse elle-même. Ce tableau se poursuit par une juerga qui se déplace peu à peu dans l’ espace et dans le rythme, pour laisser place à une Eva dansant devant des miroirs déformants sur un chant por Tangos de Málaga, hachuré, qui provoque un effet à la fois intriguant et angoissant. Entrent alors les Tangos de Triana, et, le visage recouvert d’une poudre blanche, donnant l’ impression que, d’ un seul coup, elle s’ est convertie en une “ vieille de Triana”, des accroche-coeurs entourant
son visage, La Yerbabuena imite dans sa danse, à la perfection, les expressions typiques de ce style ancien, tout en y incorporant sa propre technique si performante. Ce moment fut non seulement très impressionnant et plein de subtilité, mais également tout à fait génial grâce à son exécution chorégraphique. La direction musicale de Paco Jarana, comme toujours parfaite, est particulièrement méticuleuse et délicate dans ce spectacle, le concept musical restituant parfaitement les différentes ambiances, pourtant foncièrement hétéroclites.
La démonstration parfaite de cette technique au service de l’ interprétation collective n’ en reste pas là. Dans un duo incluant danse africaine, contemporaine, indienne et bien évidemment flamenca, chaussés de clochettes, les deux danseurs du corps de ballet s’ illustrent dans une sorte de “combat de coqs”, avant de passer au tableau suivant, un tout autre univers, celui du carnaval. Des chants de la province de León se mêlent aux mannequins géants du carnaval, aux sorcières et autre bestiaire, et La Yerbabuena n’ hésite pas à danser, au milieu de ces monstres, ce folklore mêlé de Fandangos, chantés par Geromo Segura.
La fin du spectacle reprend le thème de la glaise. Il est alors inévitable de penser à Camille Claudel, lorsqu’ Eva se met à danser un solo qui provoque un sentiment tragique, la plongeant directement dans la folie. Le tour de potier se remet en marche. La fin renoue avec le début. Comme le cycle même de la vie, un éternel recommencement, rappelant que le destin n’ est pas un cercle mais bien une spirale, le pot de glaise, cette fois cassé, tourne encore un peu, jusqu’ à ce qu’ un drap blanc, tel un fantôme, se mette à tournoyer au-dessus des têtes, comme une épée de Damoclès annonce parfois la fin imminente.
Manuela Papino
Photos : Luis Castilla / Archives Photographiques Bienal de Flamenco
"Vaivenes"
4 octobre / 21h / Théâtre Lope de Vega
Javier Barón rend hommage aux maestros de Morón et d’ Alcalá
Danse, chorégraphie, direction artistique : Javier Barón
Guitare : Javier Patino, Rafael Rodríguez
Chant : Miguel Ortega, José Valencia, David Palomar
Tres cubano : Raúl Rodríguez
Violon : Alexis Lefèvre
Cajón : José Carrasco
Baile : Ana Morales, El Choro, David Pérez
Javier Barón a centré son spectacle “Vaivenes” autour d’ un voyage très court, depuis Alcalá, son village natal, jusqu’ à Moròn de la Frontera où il a fréquenté les célèbres fêtes des “Llorones” durant sa jeunesse. Même si Barón affirme “qu’ il n’ y a pas de personnages dans ce spectacle”, on peut y voir subtilement des références à des figures bien connues de l’ époque, comme par exemple El Funi et ses fameux “bailes”, évoqué par David Pérez dans une parodie des fêtes de l’ époque por Bulerías. Le spectacle nous plonge ainsi d’ emblée dans les années 1960. Les costumes et le décor sont très sobres mais suffisent amplement à restituer le cadre de l’ époque. Durant cette première “juerga”, chaque artiste a l’ opportunité de se présenter, tout en menant la dramaturgie avec habileté. David Palomar joue le personnage du Poeta de Alcalá, complètement investi dans son rôle, et Carmellilla Montoya annonce de suite la couleur en alternant danse et chant. Les trois jeunes danseurs, Ana Morales, David Pérez et Antonio Molina “El Choro” revêtent les rôles des jeunes gens de l’ époque, chacun d’ entre eux aura l’occasion de s’ illustrer brillamment par la suite. Il est manifeste que Barón n’ a pas cherché à s’ imposer en tant que vedette, et qu’ il a préféré s’ entourer de musiciens et de danseurs de grand talent, pour servir au mieux ce spectacle qui lui tenait tellement à coeur.
La structure interne du spectacle s’ articule autour de quatre parties, qui divisent en fait une même Soleá de Alcalá, dansée en solo par Javier Barón. Proposant des lignes très élancées dans cette Soleá, Barón découpe non seulement la danse elle même, mais souligne également cette structure grâce à la lumière, dansant chaque partie sous une douche qui se déplacera sur scène, suivant les différents moments de la chorégraphie. La première partie de la Soleá s’ arrête au bout de trois letras, nettement, sans fermeture ni transition. Elle reprendra beaucoup plus loin par une première escobilla, là où il l’ avait laissée à la fin du marquage.
La Siguiriya dansée par les trois hommes, Barón, Pérez et Molina, s’ imposa comme une grande leçon de compás, et ne fut pas sans nous rappeler le spectacle de Barón lors de la dernière Biennale. Chacun des danseurs s’ accompagnant d’un “bastón”, puissance, précision et compléxité étaient au rendez-vous : ce genre de performance en trio ne se voit que très exceptionnellement.
Plusieurs vidéos de courtes durées, placées chaque fois après l’ une des parties de la Soleá, proposaient des images des “ventas” que l’ on rencontre sur le chemin, entre Alcalá et Morón. Accompagnées d’une bande son, elles constituaient de véritables clins d’ oeil, grâce à la direction musicale de Faustino Nuñez, (on a pu remarquer par exemple un extrait de “La lettre à Elise”, que Diego del Gastor aimait jouer dans ces fêtes. )
Autre recherche musicale subtile, l’ utilisation du tres cubano, notamment dans le Fandango de Scarlatti, qui rappellait la sonorité du clavecin - tres cubano que l’ on a eu l’occasion d’ entendre amplement dans le groupe Son de la Frontera - et que Raúl Rodriguez utilise ici, une fois de plus, à la perfection. La plus belle illustration fut sans aucun doute pour la Guajira, hommage à Joaquín de la Paula, chantée par Miguel Ortega, avec une falseta fidèle au style d’ El Cabeza : une mélodie magnifiquement interprétée
par Alexis Lefèvre au violon et un duo de percussions entre José Carrasco au cajón, et “El Choro” taconeando qui subjugua joyeusement tout le public.
Vinrent ensuite des Panaderos, dansés magistralement par Ana morales et David Pérez, une spendide démonstration d’ escuela bolera à laquelle ne manquaient ni les castagnettes, ni la touche “moderne” assumée par le violon.
Un autre grand moment de la soirée fut la Farruca de Javier Barón, uniquement accompagnée par Alexis Lefèvre et Raúl Rodriguez. Fluide, fine, et sûre, cette Farruca s’ envolait ainsi, grâce aux sonorités du violon tsigane et du “clavecin” classique.
La petite touche d’ humour finale, amenée par les Tanguillos dans le style du carnaval, fut exécutée par l’ ensemble des artistes, vêtus d’un tablier de boulanger (en hommage à Alcalá). On pouvait y voir un Javier Barón, heureux, se trémoussant tout en donnant le compás avec des rouleaux à patisserie. On a pu alors penser que le spectacle s’ achèverait ainsi, mais une magnifique Saeta s’ éleva sur la scène déserte, chantée par José Valencia, et nous amena alors définitivement à destination. Le véritable “fin de fiesta” s’ imposa juste aprés, et Palomar, portant le typique “foulard de Morón”, entama alors une nouvelle déclamation grandiloquante, en hommage à Diego del Gastor.
“Diego, te estamos recordando, a tu sobrino Luis y a tu cuñado Fernando”.
Manuela Papino
Photos : Luis Castilla / Archives Photographiques Bienal de Flamenco
Véritable "enfant choyée de Séville", la danseuse Isabel Bayon a toujours une place dans la Biennale de Séville. Cette fois-ci, elle présentait "En la horma de sus zapatos"
"En la horma de sus zapatos"
3 octobre / 23h / Teatro Central
Danse : Isabel Bayón
Chant : David Lagos, Miguel Soto “El Londro”
Guitares : Jesús Torres, Paco Arriaga
Percussions : José Carrasco
La première partie se composait de trois chorégraphies basées sur le poème de Miguel Hernández - "Por tu pie, blancura más bailable" […] – dont les vers étaient écrits à la craie sur un tableau noir géant, en fond de scène, unique décor pour tout le spectacle.
Trois chorégraphes étaient chargés de développer ce travail : Fernando Romero, Florencio Campos y Rubén Olmo. Le premier, également directeur du spectacle, lui a monté une chorégraphie par laquelle les élèments du poème se mettent en place à travers le costume et la scénographie, accompagnés par une bande sonore qui donne l’impression que l’ on est effectivement en train d’ écrire, dans les coulisses, ces vers à la craie sur un tableau. La danse est lente, découpée, elle joue avec une bata de cola posée sur une chaise, puis développe un unique travail de bras, pour terminer paradoxalement avec une série de postures dont le châle, tel une camisole, la laisse sans bras ni mains. Une piste de travail réellement intéressante qui n’ a cependant pas été suffisamment développée.
La deuxième chorégraphie, por Guajiras, montée par Fernando Romero, semblait plus limiter Isabel Bayon que la sublimer. D’ un seul coup, tous les accessoires, à peine introduits dans le spectacle, ne laissaient place qu’ à un tout petit éventail - typique du baile por Guajira - mais qui, ici, ne réussissait pas à s’ imposer comme il se doit.
La troisième chorégraphie, celle de Ruben Olmo, revenait au thème initial, “La horma de tus zapatos”, introduisant sur scène une pluie des fameuses chaussures (des maestros). Plus “moderne”, cette chorégraphie amenait la danseuse sur un nouveau terrain, mais, si l’ on peut saluer sa démarche, prenant le risque d’ un style qui n’ est pas le sien, il a été fort difficile de ressentir l’ aboutissement de ce travail.
La deuxième partie, par contre, fut reçue d’emblée par les “olés” du public. Annonçant une série purement flamenca, elle débuta magnifiquement par des Tangos de Triana. Par la suite, les deux guitaristes furent particulièrement brillants dans les falsetas du Garrotín.
Ce deuxième moment se voulait un hommage à ses maestros, notamment à Mario Maya et Matilde Corral (présente dans la salle). Isabel Bayon les fit réapparaître sur scène, non seulement par sa danse, mais aussi par l’ intermédiaire d’ enregistrements qui ne manquaient ni de “gracia” ni d’ “arte”. On a pu la voir exécuter une Serrana dans un costume traditionnel, (danse que l’ on voit très rarement), et si elle s’ en est sortie dans l’ ensemble très dignement, elle a particulièrement excellé dans les remates du chant.
La fin du spectacle avait l’ objectif de provoquer une très forte émotion, grâce à un enregistrement de Chano Lobato chantant des Cantiñas, qu’ elle dansa en bata de cola. Isabel Bayon était manifestement très heureuse d’ être sur scène, et elle termina par des Caracoles, dont les letras étaient tout spécialement réécrites, rendant ainsi clairement hommage à ses trois maestros ; ce qui anima Matilde Corral, à tel point que l’ on n’ entendait bientôt plus que ses “Olés” venant du fond de la salle.
On peut donc dire que les deux femmes, Matilde et Isabel, ont passé une magnifique soirée.
Manuela Papino
Photos : Luis Castilla / Archives Photographiques Bienal de Flamenco
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