vendredi 21 mai 2010 par Manuela Papino
Le Luxembourg vient de célébrer , du 29 avril au 8 mai dernier, la 5e édition de son Festival de Flamenco, à "La KulturFabrik" d’ Esch-sur-Alzette.
La première édition annonçait déjà un futur prometteur en programmant guitare et chant, assurant le cartel avec Manolo Franco, et pariant déjà sur le tout jeune Antonio Reyes. Les années suivantes ont vu se succéder des artistes comme Andrés Peña, Paco Jarana et Segundo Falcón, la famille Miño autour de Pepa Montes, tout en gardant cette volonté de donner leur chance aux artistes montants comme Patricia Guerrero, Rocío Bazán, Antonia Jiménez, Leonor Leal, La Tremendita, Daniel Navarro ou encore Melchora Ortega.
Traditionnellement, ce festival est agréablement encadré par les membres du "Círculo Machado" du Luxembourg, qui se chargent à la fois de créer des liens avec l’ Espagne –annonçant par exemple cette année un partenariat avec Los veranos del Corral de Grenade, d’ assurer une partie de la logistique en veillant sur les artistes, mais aussi de veiller sur le "off ", depuis les paellas et autres "barbacoas" jusqu’à la présentation sur scène des spectacles, joyeusement assurée par la sympathique Paca. La chaleur hispanisante est donc au rendez-vous à la KulturFabrik, chaque année, lors du Festival de Flamenco : comme tous les membres du "Circulo Machado" sont espagnols, Esch-sur-Alzette, vit, mange, et parle espagnol pendant ces quinze jours. L’équipe de la KulturFabrik, et notamment son directeur Jang Kayser, sont donc bien assistés par un groupe d’ aficionados qui garantissent l’authenticité de l’ambiance, lui évitant de tomber dans le cliché.
Cette année, le "Flamenco Festival d’ Esch" a su maintenir le cap. Alors que les programmateurs espagnols voient clairement leurs propositions grandement affectées par ce qu‘ils nomment eux-mêmes "la crise"... (ce qui, dans de nombreux cas, rend leurs affiches bien moins satisfaisantes que les années précédentes), le Luxembourg, quant à lui, maintient le cap : le festival s’est achevé par trois soirées dédiées à Miguel Ángel Cortés, Adela Campallo et Pastora Galván.
Miguel Angel Cortés présenta son spectacle "Bordón de trapo", issu de son deuxième album sorti en 2006, qu’il venait de proposer quelques semaines auparavant à Séville.
Distribution :
Première guitare : Miguel Angel Cortés
Deuxième guitare : Niño Martín
Percussions : José Carrasco
Palmas / chant : Raquel Enamorado ; Noelia Millares
Miguel Angel Cortés fit son entrée seul en scène, por Soleá. Donnant le ton avec la constance de son compás assuré, les falsetas suaves se sont enchaînées, mettant en valeur des lignes mélodiques claires, soigneusement harmonisées, ne cherchant pas l’effet, mais illustrant cependant sa grande technicité. Il fut ensuite rejoint par les deux autres musiciens, et le concert se prolongea agréablement par une Bulería qui se distingua par une composition mélodique répétitive dans l’estribillo : une brillante illustration de la fameuse école du Sacromonte, guidée par la main droite de Cortés.
Dès lors, le tout jeune guitariste onubense - qui, selon la tradition de Huelva, se fait appeler Niño Martín - ne cessa de se faire remarquer par sa concentration impeccable et son accompagnement fluide à la seconde guitare, qui n’ a faibli à aucun moment, ni dans la vélocité, ni dans la technicité. Ce soir-là, ce jeune musicien de 18 ans nous a laissé penser qu’il pourrait être l’ une des révélations de ces prochaines années.
Suivirent des Tanguillos, Granaína, Siguiriya, ponctués des respirations rythmiques qu’on connaît chez Cortés, mises en valeur elles-mêmes par la percussion : une technicité parfaite au service de musiciens manifestement heureux de jouer ensemble.
Ni plus ni moins, Cortés fit un bon récital ce soir-là.
Deux réserves cependant :
Tout d’abord le chant des deux femmes, qui, mis à part dans les chœurs, se sont particulièrement dévalorisées dans leurs interventions en tant que solistes - surtout Noelia Millares, qui, après avoir chanté faux dans les Tangos, a perdu (définitivement) le compás dans la Bulería, au point d’obliger les musiciens à presque cesser l’accompagnement. La vague imitation du grain de voix d’ Estrella Morente, flagrante dans la Rumba por Tangos, reprenant le "Tic Tac" du "Pequeño reloj" de Morente, soulignait grossièrement une allusion qui fut loin de faire honneur au Maestro. On peut donc légitimement s’étonner de leur présence sur scène… Manifestement les raisons étaient sans doute, autres qu’artistiques.
La deuxième réserve, plus amusante celle-ci, concerne une "letra" d’ Alegría, celle de "los Fanfarones". Unique "letra" des Alegrías : on peut donc penser que ce choix soulignait un propos délibéré. L’ elenco, dans son ensemble, a fini par un sourire quelque peu adolescent, qui n’a servi qu’a démontrer que "n’a pas qui veut, la gracia de Cádiz" ! La plaisanterie n’étant pas assumée, elle n’a fait rire que les protagonistes, d’autant plus qu’il faudrait réviser sa géographie, messieurs… Le Luxembourg n’est pas la France ! Râté.
Miguel Angel Cortés a conclu son récital en rappelant qu’il avait de nombreux amis au Luxembourg, depuis qu’il y était venu avec Carmen Linares en 1998. "Ni plus ni moins" : ce fut cependant, dans l’ensemble, une soirée agréable.
Bonne surprise le deuxième soir avec la Cie Adela Campallo.
Distribution :
Baile : Adela Campallo
Cante : Jeromo Segura ; Javier Ribera
Guitare : Juan Campallo ; David Vargas
Percussion : José Carrasco
Sans céder aux a priori qui auraient pu résulter des dernières prestations très moyennes d’ Adela Campallo à Séville ces derniers mois, ce fut un réel plaisir de voir la danseuse retrouver son dynamisme et sa présence, dans son spectacle "7 de Mayo", en hommage à son fils Manuel, dont on célébrait justement l’anniversaire ce soir-là.
On vit une Adela émue, dans un spectacle riche en diversité, tant des thèmes musicaux et chorégraphiques que des costumes - dont elle a changé à chaque "palo" : un spectacle peut-être un peu trop éclectique d’ailleurs, au détriment de l’unité globale, donnant parfois l’impression d’une relative confusion. Cependant, même si cette proposition trahissait les faiblesses d’un nouveau spectacle qui nécessite encore un travail d’épuration, elle n’en fut pas moins une prestation intéressante.
Débutant par un "pot pourri" dédié, comme l’annonçait d’emblée la "letra", à son fils Manuel, Adela apparut comme toujours, délicate et majestueuse à la fois, dans une bata de cola bleue, qu’elle mit à nouveau pour conclure le spectacle. Alegría, Fandango, Tangos, etc s’enchaînèrent sans rupture, permettant à la danseuse de se mettre en valeur, élégante et flamenca, portée par les deux chanteurs – on a pu constater avec plaisir que Javier Ribera avait renoncé à sa voix excessivement nasale, perdant ce timbre nasillard qu’il avait curieusement adopté dernièrement. Jeromo Segura brilla ensuite dans une Malagueña, qui laissa place à une curiosité très appréciée du public, le thème des Galeras, issu du spectacle de El Lebrijano, "Persecusión". Dansées en robe noire courte par Adela Campallo, les Galeras, qui, hors contexte dans ce spectacle, prenaient un aspect légèrement "commercial", brisant un peu la cohérence de l’ensemble, eurent cependant un impact infaillible, poussant l’émotion du public à son paroxysme. Adela Campallo enchaîna sur sa célèbre Soleá, traditionnelle et flamenca, qui fit peut-être moins d’effet sur le public, mais qui pourtant se révéla nette et assurée, très bien équilibrée entre letras et escobillas, ponctuée par des remates pertinents, et terminée par une Bulería pleine d’ idées.
La fin du spectacle fut sobre et efficace. Elle dut revenir, réclamée pour un bis qu’elle honora en amenant son fils sur scène, le laissant dans les bras de son mari, tandis que son frère Juan s’emparait de la danse, en exécutant timidement une petite pata.
Ce fut une jolie soirée, et la grâce d’Adela Campallo finit par conquérir le public Luxembourgeois.
La clôture du festival revenait à Pastora Galván, très attendue par les aficionados. C’est avec son spectacle "Sur", le 8 mai, que Pastora Galván se voyait chargée de nous laisser un souvenir mémorable, capable de nourrir nos rêves jusqu’à l’année suivante.
Distribution :
Baile : Pastora Galván
Cante : David Lagos ; El Londro
Guitare : Juan Campallo
Percussions : José Carrasco
Se partageant le spectacle quasiment à part égale, la danse et le chant furent cependant introduits par un long solo de guitare de Juan Campallo. Lorsque Pastora Galván fit son apparition, de noir vêtue, elle commença à exécuter quelques figures selon le style qu’elle cultive depuis plusieurs années maintenant (depuis exactement son spectacle "La francesa", où elle a complètement intégré le travail de son frère Israel). Elle s’installa ensuite en arrière-scène, un peu dissimulée par les micros et les câbles, et, saisissant un simple marteau de bricolage, elle se mit à frapper le compás "por Martinete" sur une enclume. Les deux chanteurs conclurent le Martinete en polyphonie, avant de passer à la Siguiriya, dansée par Pastora - Siguiriya qui devint rapidement un éventail de palos, du Fandango à la Bulería, pour conclure sur une Sevillana flamenca, qui, remarquablement intégrée dans l’ ensemble, fit à peine remarquer le changement de compás pourtant osé et peu commun (bien que dernièrement adopté par la "famille Galvan frère et sœur"). Suivit une Malagueña de David Lagos qui remporta l’ ovation de toute la salle.
Vint alors la deuxième moitié du spectacle, basée sur une mise en scène traditionnelle : une table et trois chaises, tous les musiciens autour, marquant le compás. La Soleá por Bulería, débutant par une série d’au moins six "letras" sans danse, su provoquer le désir de voir revenir la danse ; ainsi, lorsque Pastora Galván se lança dans ses marquages, avec la force impeccable qu’on lui connaît et ses innombrables ressources flamencas, le public fut réellement impressionné. Les patas s’ enchaînèrent sans se répéter, pour se conclure par l’escobilla née de "la francesa", plus courte cette fois, mais toujours achevée, comme elle a pris l’habitude de le faire, par la mythique letra "Ojos verdes", que David Lagos chanta, comme dans "la francesa", "por Buleria".
Le chant reprit le protagonisme par la suite, avec une Taranta d’ El Londro, mais c’est quand même la danse qui obtint l’ovation du public, lorsque Pastora dansa les Tangos. Usant d’une série de "sauts" apparus depuis peu dans sa danse, Pastora donna ici un aperçu d’une nouvelle évolution de son style. Marquant la danse dans un silence complet, ses remates reprenaient les impressionnants contrastes rythmiques qui lui sont habituels, avec ses changements de tempo surprenants. Sa puissance, dont elle n’a cependant pas abusée ce soir-là, et cette flamencura, esthétique singulière qu’elle se construit peu à peu, intégrant tout ce qu’elle trouve sur son passage à la manière d’ Attila, ont rappelé une fois de plus la place qu’a pris Pastora Galván
dans la danse flamenca. On a pu cependant constater, cette fois-ci, la quasi totale disparition de cette utilisation sévillane si ancienne des hanches, qui, n’ apparaissant que dans les Tangos, ont fait naître une certaine nostalgie chez les aficionados de la danseuse.
Le spectacle s’est conclu "por Bulerías", mais après un bis très insistant, Pastora Galván est revenue seule, pour… chanter. Manifestement très spontané..., on ne sait que penser de ce moment. Ne pas lui accorder plus d’intention que l’artiste elle-même est sûrement l’attitude juste : Pastora Galván s’est fait plaisir, et a heureusement offert un peu de danse juste après, définitivement seule au centre de la scène. Dans le silence ponctué par son propre jaleo, elle conclut ces derniers pas par une révérence. Originale façon d’honorer le bis, parfait miroir d’elle-même : sans aucun doute, elle a laissé une très forte impression au public luxembourgeois.
Public luxembourgeois pour lequel ce Festival de Flamenco revêtait une grande importance, comme le démontre ce poème, écrit par un aficionado, Mario Velazquez, après le spectacle de Miguel Angel Cortés, et qu’il dédie "al flamenco, sus artistas, y todos los amantes del flamenco…" - poème qui aura, ici, le mot de la fin :
Flamenco
Quand le cœur
Tend la corde
De la guitare flamenca…
…et guide
La voix qui chante
Les gestes de la danse,
Te reviennent droit au cœur
Pour retendre la corde
Sur la clé de beauté
De tes libres larmes
De joie
Manuela Papino
Photos : Jil Kelheter
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