mardi 21 avril 2020 par Claude Worms
Pansequito : "Pansequito del Puerto" - LP Movieplay S-21.490, 1972
Pansequito : "Pansequito" - LP Movieplay S-32.616, 1974
En 1945, les terres gaditanes furent particulièrement fructueuses pour le cante : elle virent naître cette année-là deux cantaores d’exception, Alonso Nuñez Nuñez "Rancapino" à Chiclana, et José Jiménez Cortés "Pansequito" à La Linea de la Concepción. La famille de ce dernier s’installa rapidement au Puerto de Santamaría, d’où son premier nom d’artiste, "Pansequito del Puerto". La discographie de Rancapino est malheureusement réduite à deux albums (distants de vingt ans et tous deux avec la guitare de Paco Cepero) mais heureusement disponible en CD : "Rancapino" (LP Columbia CPS 9392, 1975 - réédition en CD : El Flamenco Vive/RCA/BMG 74321 48976 2, 1997) et "Rancapino" (CD Turner TCD 0004, 1995). A l’inverse, celle de Pansequito est pléthorique, mais la quasi totalité de ses disques des années 1970, à notre avis sa meilleure période, n’ont fait l’objet d’aucune réédition, à l’exception du premier (avec Parrilla de Jerez) et du troisième (avec Juan et Pepe Habichuela), grâce à José Manuel Gamboa : on en trouvera l’intégralité dans le troisième volume de la collection "Cultura jonda" (Fonomusic CD 1391, 1997). En fait la quasi intégralité, le miraculeux diptyque soleá de Alcalá/bulería por soleá de La Moreno ("Dejadme flores") du troisième opus ayant été malicieusement écarté de la compilation et intégré dans le volume 12 de la même collection ("Inquietudes a compás" - Fonomusic CD 1411, 1997).
Le début de la carrière de Pansequito est étrangement similaire à celui de Camarón de La Isla, de cinq ans son cadet. Il débute dans les tablaos de Málaga et de La Costa del Sol, puis se fait un nom à Madrid, d’abord à "Los Canasteros" de Manolo Caracol, qu’il inaugure, ensuite au "Torres Bermejas" où il partage d’ailleurs l’affiche avec lui. Le fond de répertoire des deux artistes est identique : alegrías, bulerías, bulerías por soleá, fandangos (avec une nette prédilection, que l’on retrouve aussi chez Rancapino, pour Antonio de la Calzá et les créateurs du Campo de Gibraltar, tels El Chato Méndez, Joaquín "el Limpia", Antonio "el Rubio" et Macandé), siguiriyas, soleares, tientos-tangos et tarantos (sur le modèle de ceux de Fosforito, dont il reprend en 1972 "Las vueltas que el mundo da", rebaptisé "Tío Rufino", que Camarón avait également enregistré trois ans plus tôt). Il n’en fallait pas plus pour qu’ils fassent figure de rivaux pour leurs fans respectifs, à leur corps défendant. Lorsqu’ils étaient à l’affiche des mêmes festivals, l’ambiance était garantie et dégénérait parfois en franc pugilat - nous gardons un souvenir ému d’une rixe spectaculaire à San Roque...
Cependant, si l’on fait abstraction de leur charisme, les deux cantaores sont très différents quant à leur style et à leur évolution. Camarón s’attacha à élargir son répertoire, non seulement en s’attaquant à d’autres palos (malagueña, granaína, fandangos "abandolaos" et de Huelva, peteneras etc.), mais aussi en diversifiant les sources des soleares et des siguiriyas qu’il enregistrait. Paradoxalement, il est, du moins au cours des années 1970, beaucoup plus traditionaliste que Pansequito, qui fut d’emblée si hétérodoxe que le "Concurso Nacional de Arte Flamenco" de Córdoba dut créer à son seul usage un "Premio a la creatividad" (1974). Il est vraisemblable que Pansequito chercha à tirer tout le parti musical possible de ses deux points forts, une longueur de souffle et une justesse d’intonation exceptionnels, pour compenser un ambitus réduit qui l’empêchait d’interpréter confortablement une bonne partie des modèles mélodiques traditionnels. Ainsi créa-t-il un style à nul autre pareil et inimitable, bien que peut-être influencé par celui d’Antonio "el Chaqueta", dont les caractéristiques vocales étaient comparables : un premier cante "corto", très articulé rythmiquement par de multiples césures, suivi de développement de plus en plus longs sur le souffle, dans un ambitus réduit, mais sculptés en vagues successives par des portamentos chromatiques d’une rare fluidité. Il en résulte une tension permanente entre une apparente inertie mélodique et un dynamisme rythmique effervescent, résolue au bout du souffle par un remate éruptif - alors qu’on croyait ses poumons épuisés, le cantaor a encore la force de conclure sforzando : effet hypnotique garanti. Dans ces conditions, il serait vain de s’attacher à identifier les modèles mélodiques qu’il interprète, tant il les recrée systématiquement à sa mesure. A cette tentative de description, ajoutons un grain vocal unique que Robert J. Vidal, que l’on avait connu mieux inspiré, s’égara un jour à qualifier de "voix de brute avinée" au cours de l’une de ses émissions radiodiffusées de la série "Sortilèges du flamenco". En ce cas, le vin est bien savoureux et séduisant.
A quelques rares exceptions près (des romeras, des bamberas et une malagueña), le programme de tous les disques de Pansequito de cette période est invariable : alegrías, bulerías, bulerías por soleá, fandangos, siguiriyas (Los Puertos et Jerez essentiellement), soleares, tangos, tarantos et tientos. Mais la réalisation est à chaque fois superlative, d’autant que les guitaristes sont à la hauteur : Enrique de Melchor, Paco Cepero et le duo Juan et Pepe Habichuela qui nous livre un récital de grande classe dans l’enregistrement de 1974 (entre autres). La formule était imparable, mais encore fallait-il disposer à chaque fois de l’engagement et de la force physique indispensables. Les années passant, ce ne sera plus tout à fait le cas à partir de la fin des années 1980. Nous vous proposerons donc dans les prochains jours, sans autres commentaires, les quatre autres albums enregistrés par Pansequito entre 1975 et 1981, non réédités en CD.
Claude Worms
Tous les enregistrements
Programme des disques
"Pansequito del Puerto" - Pansequito (chant) / Enrique de Melchor (guitare)
"El hogar" (bulerías) / "Tengo el gusto tan ’colmao’" (soleares) / "Siempre al mirarte" / "Tío Rufino" (tarantos) / "Gitana si me quisieras" (bulerías) / "Si esta pena mía" (siguiriyas) / "Por casualidad" (fandangos) / "Hospitalito del Rey" (alegrías) / "A ’toos’ los ojitos negros" (tangos) / "Un ’puñao’ de valientes" (alegrías)
"Pansequito - Pansequito (chant) / Juan et Pepe Carmona "Habichuela" (guitare)
"Este loco" (bulerías) / "Me salgo al campo de noche" / "Por quitarte de mi mente" (tangos) / "Mi querer primero" (fandangos) / "Suenan tambores" (bulerías) / "Mi caballo me llevó" (taranto) / "Debajo de los laureles" (romera) / "La ruina mía" (alegrías) / "Dinero" (bulerías por soleá)
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