dimanche 21 février 2021 par Claude Worms
The Living Tradition : "Portrait of Andalucía" - LP Argo RG 560, 1968.
Ethnic Folkways Library : "Flamenco" - LP Folkways Records FE 4437, 1956.
En 1956, quatre ans après la campagne de collectage d’Alan Lomax en Andalousie, l’ethnomusicologue Deben Bhattacharia [1] réalisa à son tour des enregistrements de terrain, qui portaient cette fois uniquement sur le flamenco. Les choix de la période, de la Semaine Sainte (soit la dernière semaine de mars) à mai, et du lieu (Puente Genil, sauf une courte incursion à Séville pour trois saetas) permettent de soupçonner qu’il fut conseillé par les organisateurs du premier Concurso Nacional de Cante Jondo de Córdoba et/ou par certains des artistes qui y participèrent. Antonio Fernández Díaz (Puente Genil, 03/08/1932), qui n’était pas encore le maestro Fosforito, remporta les premiers prix des quatre catégories du concours [2] et a enregistré quatre des six suites de cantes (saetas exceptées) de l’album. Alors qu’il était déjà professionnel de longue date (il avait débuté à Málaga et à Ronda en 1947), ce sont vraisemblablement ses premiers enregistrements - il est d’ailleurs possible qu’il les aient réalisés deux ans plus tôt) [4].
Antonio Fernández Díaz "Fosforito", 1956
Les autres artistes sont tous liés au concours et/ou aux cercles flamencos de Puente Genil :
• Julián Córdoba Montero "Juli Córdoba" (Cabra, 1940) : il participa au concours et y fut primé pour la troisième catégorie.
• Juan García Ruiz "Niño de Hierro" (Puente Genil, 1899-1987) et son frère Manuel, tous deux grands connaisseurs des saetas et des temporeras locales, et des répertoires de Diego Bermúdez Cala "el Tenazas" (Morón de la Frontera, 1850 – Puente Genil, 1933) et de Cayetano Muriel Reyes "Niño de Cabra" (Cabra, 1870 – Benamejí, 1947).
• Manolo Santos tenait un bar à Puente Genil. Guitariste aficionado, il donna ses premières leçons à Fosforito. Sous le même nom, son fils, établi à Málaga, est actuellement tocaor professionnel.
• José Bedmar "el Seco Hijo" est le fils du cantaor José Bedmar Contreras "el Seco" (Puente Genil, 1880-1970), le vétéran des participants au concours.
Jullián Córdoba Montero "Juli de Córdoba"
Deben Bhattacharia signe également les notes du livret, passablement elliptiques. A l’exception des saetas, tous les cantes sont qualifiés de "chants d’amour". Certains reçoivent une spécification géographique : cantiñas et alegrías "de Cádiz", comme il se doit, et serrana "des montagnes". Seules les soleares del Tenazas et de Paquirri y échappent : "soleá apolá – chant d’un soldat". Outre que "l’origine du flamenco est liée à trois influences importantes, celles des traditions arabe, juive et gitane", l’auteur considère que "le flamenco, musique populaire de l’Andalousie, est étroitement lié aux chants religieux du catholicisme andalou". Ce qui nous vaut trois remarquables enregistrements, anonymes d’après le livret pour les deux premiers, dont nous documentons donc les interprètes :
• Saetas 1 (Puente Genil) : Manuel García, Antonio Velasco et José Rivas.
• Saetas 2 (Sevilla) : Antonio Mairena, Niña de la Alfalfa et Curro Mairena.
• Saeta "mozarabe qu’on dit vieille de deux siècles ou plus" (?) : Juan García
[1] Nous devons à Deben Bhattacharia (Varanasi, 1921 – Paris, 2001) 23 films documentaires et plus d’une centaine d’enregistrements de terrain, dont beaucoup ont été réédités par Frémaux et Associés. Nous vous recommandons particulièrement les deux doubles CDs "Music on the Gypsy Road", vol. 1 et 2 – respectivement, Frémeaux et Associés FA 068, 1997 et FA 185, 2000. Sa famille a légué ses archives sonores à la Bibliothèque Nationale de France.
[2] 1) siguiriyas, martinetes, carceleras, saetas viejas ; 2) soleares, polos, cañas, serranas ; 3) malagueñas, rondeñas, verdiales, fandangos de Lucena (o de Cabra) al estilo de Cayetano Muriel ; 4) cantes en fase de extinción : tonás, livianas, deblas, temporeras.
Le triomphe de Fosforito fait trop souvent oublier les noms des autres cantaores primés. Rendons-leur donc justice :
• Catégorie 1 : 2ème prix : Antonio Peña Otero "el Cuchara" (1930) / 3ème prix : Gaspar Fernández Fernández "Gaspar de Utrera" (1932-2008).
• Catégorie 2 : 2ème prix : José Salazar Salazar (1936) / 3ème prix : José María Martín Infante "Moreno de Paymogo" (1914-1965).
• Catégorie 3 : 2ème prix : Julián Córdoba Montero "Juli de Córdoba" (1940) / 3ème prix : José Beltrán Ortega "Niño de Vélez" (1906-1975) / accessit : José Salazar Salazar.
• Catégorie 4 : prix unique : Antonio Fernández Díaz.
Dans la louable intention d’étendre son champ d’action, le concours de Cordoue changea d’appellation au cours des trois éditions suivantes : Concurso Nacional de Arte Jondo y Cante Flamenco (1957-59 – notons la nuance : seul le Cante Jondo est considéré comme un art…) ; Concurso Nacional de Cante Flamenco (1962) ; Concurso Nacional de Arte Flamenco (1965 – le baile et le toque acquièrent droit de cité).
[4] Nous sommes redevable de cette information, comme de la plupart de celles concernant les artistes de cet album, au blog d’Andrés Raya.
Claude Worms
Juan García Ruiz "Niño de Hierro" / José Bedmar "el Seco Hijo"
Programme du disque
Saetas 1 (Puente Genil) – chant : Manuel García, Antonio Velasco et José Rivas
Soleares 1 (Alcalá) – chant : Antonio Fernández Díaz ; guitare : José Bedmar
Saetas 2 (Sevilla) – chant : Antonio Mairena, Niña de la Alfalfa et Curro Mairena
Serrana (et cambio de María Borrico) – chant : Antonio Fernández Díaz ; guitare : José Bedmar
Cantiñas de Cádiz – chant : Antonio Fernández Díaz ; guitare : José Bedmar
Soleares 2 (Alcalá) – chant : Julián de Córdoba ; guitare : José Bedmar
Alegrías de Cádiz – Chant : Antonio Fernández Díaz ; guitare : José Bedmar
Saeta mozarabe – chant : Juan García
Improvisation à la guitare (de "María de la Ó" à la granaína, en passant par…) – guitare : Manolo Santos
Soleares 3 (Triana) – chant : Manuel García ; guitare : José Bedmar
Paru la même année, l’album "Flamenco" de l’Ethnic Folkways Library est nettement plus anedotique. Il est moins révélateur de l’état du flamenco dans les années 1950 que de sa perception à l’époque aux USA (et ailleurs). Le livret de l’ethnomusicologue Gilbert Chase (La Havane, 1906 – Chapel Hill, Caroline du Nord, 1992) comporte certes des explications utiles, mais aussi des paragraphes résolument fantaisistes, notamment quant aux titres et aux descriptions des enregistrements (cf. PDF) – nous précisons ou corrigeons donc les titres (cf. "Programme du disque"). On aurait pu espérer plus pertinent de l’auteur de "America’s Music from the Pilgrims to the Present" (McGraw-Hill, 1955) et de "The Music of Spain" (W.W. Norton & Co, 1941), maintes fois réédités. La présentation des trois dernières plages, une petenera dans le style des guitaristes "éclectiques" de la fin du XIXe siècle, suivie des inévitables "Rumores de la Caleta" et "Recuerdos de la Alhambra", est symptomatique : "[…] Elles illustrent le style flamenco artistiquement développé qui a eu une influence prédominante sur l’émergence de la musique espagnole moderne, depuis plus ou moins un demi-siècle".
La plupart des artistes ne sont pas crédités, et sans doute membres d’un cuadro standard. Les quelques rares noms mentionnés sont également sujets à caution, mais nous n’avons pas réussi à les identifier : Juan de Jerez pour le chant ; Ángel Bermejo et Sánchez Granada pour la guitare. On retiendra surtout la saeta et les cantiñas d’une jeune cantaora dont nous ne saurons rien, sinon qu’il s’agit d’"une jeune sévillane de douze ans".
Programme du disque
Sevillanas
Bulerías 1
Soleá / siguiriya / soleá
Alegrías 1
Soleá – guitare : Ángel Bermejo
Farruca
Saeta
Cantiñas
Alegrías 2
Bulerías 2 – chant : Juan de Jerez
Bulerías 3 – chant : Juan de Jerez
Petenera – guitare : Sánchez Granada
"Rumores de la Caleta" – guitare : Sánchez Granada
"Recuerdos de la Alhambra" – guitare : Sánchez Granada
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