vendredi 4 octobre 2019 par Claude Worms
Transcription intégrale de la composition de Salvador Andrades.
A notre grande honte, avouons que nous n’avons découvert l’œuvre de Salvador Andrades (Algeciras, 1962) que très récemment, alors que nous préparions un article sur les chanteurs et guitaristes flamencos du Campo de Gibraltar (cf. Cantaor(a)es y tocaor(a)es del Campo de Gibraltar). "Cuentos de Al-Yazira" (auto-production, 2004), en particulier, nous a immédiatement frappé par l’originalité et la beauté des compositions - sept pièces en ont été rééditées en 2007 sous le titre "Guitarras flamencas", couplées avec des compositions de Tino Van Der Sman (Kalkos CO-417-07). Le programme comporte treize pièces, toutes remarquablement écrites et interprétées : rumba, cabal, rumba, tangos, rondeña, alegrías, tanguillos, farruca, granaína, malagueña, milonga, soleá et taranta (dans l’ordre du disque).
Les trois "toques libres" (malagueña, granaína et taranta, la rondeña étant un "abandolao") sont vraiment exceptionnels. Nous avons toujours tenu ces genres comme particulièrement délicats à traiter pour la guitare soliste. Pour les "toques a compás", en effet, la cohérence du discours musical est de toute façon assurée par le cadre du compás et d’autres éléments structuraux, tels les llamadas ou les remates, quelle que soit par ailleurs la qualité de l’inspiration du compositeur. Tel n’est pas le cas pour les "toques libres", pour lesquels le musicien est beaucoup plus libre... y compris de se livrer à de longues digressions sans autre intérêt que de démontrer sa virtuosité ou l’étendue de sa palette harmonique. La concision de l’écriture, le lyrisme de l’expression, le dynamisme à grande échelle, le rappel plus ou moins subliminal des traits historiques de ces genres (tous issus en dernière analyse de l’œuvre de Ramón Montoya) etc. sont autant de défis que Salvador Andrades affronte avec une économie de moyens et une délicatesse de touche admirables.
La malagueña, dont le répertoire de cantes traditionnels n’a rien à envier à ceux des soleares ou des siguiriyas, est particulièrement difficile à rendre avec les seuls moyens de la guitare, dans la mesure où l’on ne dispose même pas des couleurs harmoniques propres au mode flamenco sur Fa# (taranta) ou sur Si (granaína) - le mode flamenco sur Mi n’offre pas les mêmes possibilités de dissonances expressives. Dans ces conditions, on comprend que le genre ait peu tenté les tocaores. Seul Sabicas en a enregistré de nombreuses versions, sans d’ailleurs s’écarter substantiellement du modèle que nous a légué Ramón Montoya. Nous considérons "En la cuna" comme l’une des compositions por malagueña les plus originales que nous connaissions depuis cette pièce fondatrice, et ce sans le recours habituel à une seconde partie por verdiales ("abandolao").
La cohérence de l’ensemble est assurée par la réitération variée du "paseo" de Montoya (Am, barré V ; G7 et C7, barré III ; F7, barré I), qui apparaît une première fois avant le trémolo (page 3, dernier système), puis à intervalles plus resserrés, page 7 (troisième système) et page 8, en forme de coda. A chaque fois, ce "paseo" n’est pas immédiatement conclu par une pause harmonique sur l’accord du premier degré (E - b9 ou b9sus4), mais conduit à une relance mélodique (pour les deux premiers), ou harmonique (pour le dernier, avec une cadence IVb - III - II - I). Ses deuxième et troisième versions omettent l’accord de Am, pour une séquence G7-C7-Dm7. Lors de sa première occurrence, sur l’accord de Am (barré V), Salvador Andrades remplace la basse traditionnelle par une basse chromatique descendante La-Sol#-Sol bécarre qui, jointe aux notes mélodiques La-Si-Do, suggère une cadence secondaire V-I sur le quatrième degré (Am-E7/G#-Am7/G) - on trouvera sans peine dans ces pages d’autres exemples de concision harmonique aussi remarquables, qui renouvellent le toque por malagueña sans jamais s’écarter pour autant de son ancrage historique.
Ainsi, le compositeur s’en tient rigoureusement à la cadence caractéristique IV-III-II-I (Am-G-F-E) qui est la signature du genre, mais la masque subtilement par l’usage des relatifs mineurs (Em au lieu de G ; Dm7 au lieu de Fa), et surtout par des chromatismes expressifs dans la ligne mélodique (cf. par exemple, la première falseta). Il évite soigneusement les arpèges interminables, qu’il remplace par des trait mélodiques dynamisés par des liaisons et des glissés, dont les phases ascendantes sur toute la longueur du manche figurent au mieux le lyrisme du cante - jusqu’à presque trois octaves (Fa-Ré) pour la dernière (page 7, dernier système et page 8, deux premiers systèmes). Le trémolo, qui atteint le Si (première corde, dix-neuvième case...) en est un autre exemple particulièrement expressif.
Claude Worms
NB : nous sommes particulièrement reconnaissant à Salvador Andrades, qui a eu la courtoisie de nous autoriser gracieusement à publier cette pièce (d’autres suivront) et la patience de réviser minutieusement notre transcription.
Transcription (Claude Worms ; révision : Salvador Andrades)
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