vendredi 28 mars 2008 par Maguy Naïmi
Né en 1950, Michel Sadanowsky commence l’ étude du violon à sept ans. Il poursuit l’ apprentissage de cet instrument pendant dix ans, mais s’ intéresse parallèlement à la guitare, d’ abord en autodidacte.
Installé à Paris en 1969, il travaille avec Turibio Santos et Oscar Caceres, et obtient en 1976 une Maîtrise de l’ Université Musicale Internationale de Paris. Sa rencontre avec Abel Carlevaro est décisive, et l’ oriente vers une approche innovante de la technique de l’ instrument. Il remporte enfin en 1979 le premier prix du Concours International de Guitare de Paris.
Il se produit en concert, en duo avec Thierry Lèbre, ou avec le Trio de Guitares de Paris, qu’ il a fondé en 1984, et dirige depuis plus de vingt ans un stage international de guitare, dans lequel il a ouvert des cours de flamenco (chant, danse, et guitare).
Michel Sadanowsky a composé récemment une "Suite flamenca". Nous avons souhaité en savoir plus sur cette étrange inclination...
FW : Michel , avant de t’intéresser à la guitare tu as étudié le violon. Pourquoi abandonner l’étude du violon, pour t’intéresser à la guitare ? Est-ce que celle-ci correspondait davantage à ta personnalité ?
MS : J’ai quitté le violon car mon père ayant gagné au tiercé, mes parents
ont déménagé pour la région de Villeneuve sur Lot en un été. Donc, je ne
voyais plus toutes les personnes avec lesquelles je jouais dans le Nord :
pianiste, orchestre de chambre, orchestre symphonique, etc. Ceci est le
premier point.
De plus, l’ambiance du sud est (était ?) plus espagnolisante. Par
exemple, un copain près de chez moi, avait ses parents qui employaient
des saisonniers pour leurs récoltes. Au club de karaté ou j’allais trois
fois par semaine, je voyais beaucoup de gitans. Au lycée, il y avait beaucoup
de rugbymen et le violon, ils en avaient tout juste entendu parler. La
guitare est devenue un moyen d’intégration de par sa convivialité. Ceci
est le deuxième point.
Enfin, le troisième point, sans doute le plus important, est que le violon,
j’avais été obligé d’en jouer. A sept ans, sans défense, je ne pouvais
qu’obéir. La guitare, je l’ai choisie et dès le début, dans des aspects
musicaux très diversifiés. J’ai commencé par jouer dessus ce que je
faisais au violon. La "Veuve joyeuse", "España", etc... Puis les Eps de
Django, Brassens, Elek Bacsik ( superbes versions des compositions jazz
de Dave Brubeck), les débuts de chansons d’ Enrico Macias, les pièces
que jouaient Raymond Devos, etc... Avec trois frangines auxquelles je
n’avais pas grand-chose à dire, ni rien à partager, la guitare m’a
permis de m’isoler et de commencer à découvrir mes possibilités. En cela,
elle correspond à mon caractère assez solitaire. Mais si je n’avais pas
eu pendant onze ans l’occasion d’exercer le violon comme je l’ai fait, ce
serait devenu un défaut, cette solitude. Elle est très partagée chez les
guitaristes qui, souvent, ne connaissent pas le reste du monde musical.
Et puis mes parents m’ont offert pour mon anniversaire le CD (prix
Charles Cros) de Pedro Soler... J’ai découvert une expression forte de
la guitare. C’est sans doute là que "ça a commencé" !
FW : Il n’existait pas à l’époque d’ écoles de guitare, ou les conservatoires tels que nous en avons actuellement ; il fallait être plutôt autodidacte. Cela aurait dû être décourageant, qu’est-ce qui a fait que tu t’es accroché ?
MS : Je me suis accroché car à la fois j’étais passionné, et que mon orgueil
ne saurait se satisfaire de quelque chose que d’autres, pas plus humains
que moi, savaient réussir (ça s’est amélioré un peu !). Orgueil pur et
notion de connaissances à acquérir, je pense. Le son me plaisait, les
doigts se sont révélés assez obéissants, notions de perfection,
d’accomplissement, etc. Ceci dit, j’ai toujours été autodidacte. Lorsque
je suis arrivé à Paris, à côté de Jussieu, il y avait un café-club
d’échecs. J’y ai appris à jouer et je n’avais de cesse de battre tous
ceux qui m’avaient appris. Après j’ai fait quelques tournois, mais
mon épouse n’aimait pas que je me lève à 3h du matin pour remettre une
position sur l’échiquier, sortir mes bouquins de théorie et rechercher
où j’avais fait la faute, où j’avais mal pensé. C’était devenu "les
échecs ou moi !". Par amour, j’ai arrêté de jouer. En informatique,
c’était pareil, en magie aussi, en guitare classique, etc... Sans doute
l’autodidactisme me définit assez bien.
FW : Tu parles de ton déménagement vers le Sud-ouest avec tes parents et de
ta rencontre avec le flamenco . Quels sont les artistes locaux (ou
autres) qui t’ont marqué à l’époque et qui t’ont donné le goût
de cette musique ?
MS : Aucun. Si ce n’est que j’ai animé un club de musique au lycée et que
j’ai réuni des batteurs, clarinettistes ou autres. Plutôt jazz. Je n’ai
connu personne qui jouait du flamenco. Mais c’était l’avènement de
Manitas de Plata. Je le jouais "dans le texte !" en déchiffrant tout sur
disques à l’époque (1967-69). Je sais aujourd’hui que je ne faisais rien
de flamenco mais au moins, les doigts travaillaient et ça faisait de
l’effet auprès des auditeurs. Premiers petits concerts en MJC.
FW : Quand tu évoques le flamenco tu ne penses qu’à la guitare. Qu’en
est-il du chant ? Cela ne semble pas t’intéresser. Pourquoi ?
MS : Parce que, à l’époque, seul l’instrument m’intéressait. A part Brassens,
je n’ai écouté aucun chanteur. Je suis passé à côté des Beatles, des
grands groupes, ou des gens qu’aujourd’hui j’admire. Mais à l’époque,
seules les difficultés techniques instrumentales m’excitaient et me
faisait travailler. Je ne parlais pas du tout espagnol, je ne comprenais
rien aux structures, etc...
Aujourd’hui, j’ai au minimum compris que le flamenco inclut
nécessairement le chant, voire qu’il commence avec le chant. Je commence
à m’y intéresser mais en même temps, toujours relié à la problématique
instrumentale. Je commence, je crois, à faire quelques différences entre
les chanteurs. Le principe de l’écoute et de l’accompagnement commencent
à m’intéresser, mais il me faut une nouvelle vie pour assimiler et
faire. En même temps, j’ai encore beaucoup à faire avec la guitare. En fait
je pense être davantage un observateur du flamenco, plutôt qu’être
flamenco. J’en suis conscient. Mais l’intérêt s’est éveillé (vive les
stages !), et ne peut aller que de l’avant. La question me fait prendre
conscience que je suis résolument guitariste. Sans doute qu’au départ,
le flamenco n’était qu’un moyen d’expression pour moi. J’y trouve de
quoi exprimer des émotions ou des sentiments forts dont le vecteur est
la guitare et sa technique. D’autres le font à travers d’autres aspects
comme le chant, le fait de l’accompagner, ou la danse, etc.
FW : En général les guitaristes classiques sont des exécutants
( talentueux, certes pour certains) mais ils créent rarement (sauf
quelques exceptions comme Léo Brouwer) leur propre musique et c’est
ce qui les différencient des guitaristes des musiques dites "
populaires" tel que Baden Powell au Brésil, ou les guitaristes de
flamenco. Qu’est-ce qui t’ a poussé à composer et à publier une
suite , et surtout une "Suite flamenca" ?
MS : Le problème de la guitare classique est quelque peu complexe et les comportements très divers. Il y a néanmoins un tronc commun. Le guitariste est un solitaire qui peut passer sa vie à ignorer tout du reste du monde musical. Pourquoi ? Parce que pour beaucoup, la guitare n’étant pas un instrument d’orchestre, elle devient le vecteur de l’expression d’une sensualité avouée ou pas, d’un ego exigeant, ou encore d’un positionnement psychologique et social. Les guitaristes, trop souvent, s’approprient les textes des compositeurs à des fins trop personnelles. (J’ ai été à mes débuts comme cela, puis j’ai eu la chance de savoir réécouter objectivement un jour ce que je faisais et de mettre cette écoute en parallèle avec la mémoire de mon passé violonistique. Cela n’avait rien à voir. D’où une remise en question totale, technique,et surtout analytique, de la finalité musicale).
Le guitariste classique occidental a une tendance à se positionner supérieur, car l’instrument, d’une manière assez unique, propose un répertoire sur plus de quatre siècles. D’où beaucoup de "spécialistes" de la musique ancienne, ou contemporaine. Il y a aussi des aberrations : l’un d’eux, élève au CNSM, me disait un jour qu’il n’aimait pas Villa-Lobos car, je cite, "on voyait que c’était écrit pour la guitare". Navrant et symptomatique. En France, nous n’avons plus de culture populaire, à part quelques régionalismes plus souvent dénoncés que culturellement répandus. Il nous reste "Sur le pont d’Avignon" et "La mère Michèle", et quelques autres... Pas de quoi réellement inspirer des comportements créateurs. Nous n’avons pas su, au contraire de l’Italie, de l’Espagne ou du Portugal, conserver des thèmes populaires colportés qui puissent servir de base. Nous ne les chantons plus, ne les dansons plus, etc. Sauf cas particuliers d’enseignements ponctuels par l’un ou l’autre passionné de la bourrée auvergnate.
Un guitariste comme Brouwer a bénéficié d’une situation géographique rare : Cuba, au confluent des cultures américaine, latino, caraïbéenne, afro-brésilienne. Puis une formation classique poussée. Avec l’autorité de son poste de chef d’orchestre de La Havane, et de positions politiques diverses, il a imposé une écriture dans laquelle toutes ces influences existent. Servi par un réel génie et une imagination alimentée par beaucoup d’éléments, entre autres la TV américaine, il a été vraiment novateur. Mais pourquoi a-t-il suscité cet engouement ? La nouveauté bien sûr, il était un superbe guitariste, donc pas de non-sens instrumental et une base rythmique, mélodique et populaire omniprésente.
Fort de ces quelques observations (je pourrais être intarissable !!!), et après avoir composé dans le style Bach, arrangé beaucoup de musique et transcrit des concertos entiers, du jazz, etc. pour le trio, une conviction forte s’est imposée à mon esprit : il y aurait les autres et moi. Je traduis. L’idée est de
sortir du conventionnel et d’oser jouer, penser, composer, là ou je sens les choses, avec une expression servie par mes possibilités techniques et ma pensée musicale diversifiée. Très naturellement, le flamenco s’impose. Je le méconnais, j’en ignore encore presque tout, et pourtant, c’est là que les éléments mélodiques et harmoniques (et rythmiques) me sont les plus évidents. J’ai toujours rêvé d’être capable de penser un "flamenco-Brouwer". Pour rebondir, c’est sans doute un autre élément de réponse sur le problème de ma perception du chant. Je ne désespère pas de trouver ça un jour.
La personnalité musicale de Baden Powell s’est construite également à travers tout l’univers musical du Brésil, véritable creuset dans lequel se fondent les influences majeures de cette partie du monde. Encore une fois, le jazz, l’Afrique, la danse, le chant simple, raconté, sont les composantes fortes et séduisantes du style.
Les guitaristes de flamenco condensent une culture multiforme qui a l’énorme avantage, entre beaucoup d’autres, de la séduction harmonique, une espèce d’ "arabisme moderne", totalement absent de la culture classique. Et aussi l’élément structurant et puissant qui est l’idée "d’être flamenco". Art de vivre et de mourir qui semble donner une force et une conviction particulière à ceux qui jouent flamenco, et qui imposent l’écoute.
Tout ceci m’a conduit à l’élaboration de la "Suite flamenca". N’ayant surtout pas perdu les acquis classiques, la structure de la suite m’est naturelle. Cette forme permet une cohérence, et de faire exister un tout comme une entité finie, dédiée. Les éléments qui la composent sont un peu arbitraires, mais se rejoignent sur une idée "d’hommages". L’appellation "En attendant le rayon vert" est inspirée par ma terrasse, de laquelle on est face à cet infini qui suscite tant d’interrogations, de rêverie, etc. Bien qu’elle ne fût pas intéressée plus que ça par le flamenco, cet hommage à mon épouse, Marie-Claude, est finalement fait à travers mon meilleur moyen d’expression. C’est, je crois, le plus important.
FW : Dans cette "Suite flamenca", une pièce semble faire l’unanimité,
celle que nous mettons en extrait : "Le rayon vert". Comment analyses-tu
ce succès ?
MS : Comme me disait une amie attentive : " Quand tu joues le "Rayon vert", il se passe quelque chose, c’est différent !". Au début je ne savais pas comment je devais le prendre. Je me défonçais pourtant aussi sur les autres pièces. Mais je savais bien sûr ce qu’elle voulait dire. Je crois que ce succès est dû au fait qu’il n’y a pas d’artifices, pas de moyens en trop, et que cette pièce parle au cœur. Directement. Et que mon émotion, lorsque je la joue, reste intacte. Toujours les mêmes souvenirs, les mêmes images, et toujours la réminiscence de cet espoir qu’avait mon épouse, d’être heureuse toute sa vie. Je pense que mon amour pour elle, qui n’a sans doute pas été exemplaire dans sa forme, a été toujours et en toutes circonstances, profond et total. C’est sans doute ce que j’ai réussi à exprimer à travers ces quelques notes, où l’espoir et le flamenco se rejoignent quelque peu. En plus, il n’y a pas de structure rythmique disqualifiante à respecter… C’est sans doute aussi l’origine du succès qui ne se dément pas sous quelques cieux que ce soient, et qui, je crois, correspond finalement à l’espoir de tous. Dans une attaque d’inspiration imagée, aurais-je bien décrit cette attente ?
FW :Tu as passé plus de vingt ans à organiser des stages de musique. Peux-tu
nous parler de cette expérience ? Que t’ a-t ’elle apporté, sur
le plan humain et également sur le plan professionnel ?
MS : Difficile de synthétiser... Sur le plan professionnel, j’ai commencé mon
premier stage dans le Lubéron, à Lourmarin de Provence, en 1980. Il a
duré six ans, puis j’ai pensé qu’il n’y avait pas de raison de traverser
toute la France pour ça, et j’ai recommencé à Biarritz avec cinq stagiaires
qui campaient dans l’appartement et sur la terrasse. Vingt ans plus
tard, on est arrivé à soixante cinq stagiaires...
Ce que j’en retire, c’est de toute façon un savoir faire, le sens de
l’organisation tant matérielle qu’informatique. Présentation, diffusion,
investissements, finalisation, etc... Je crois que le stage, tel que je
l’ai conçu, a fait quelque autorité, par son côté à la fois convivial et
extrêmement professionnel. La qualité des professeurs et leur engagement y sont pour
beaucoup. Je pense que cela m’a valu dans le milieu, à défaut d’affection
ou de respect, un peu de jalousie, que je crois avoir bien méritée.
Sur le plan humain, j’ai eu de la chance. Toutes les sessions du stage
ont vu une évolution de l’indice de satisfecit. J’ai eu la chance
d’avoir des gens, professeurs ou stagiaires, d’une grande qualité humaine. Je
n’ai pas de souvenir de quelqu’un que j’aurai pu éviter d’inscrire.
Chacun trouve sa place, son engagement, et est libre de l’exercer comme
il l’entend. C’est sans doute une des clés de la réussite. J’ai eu cette
chance d’attirer des gens qui ne venaient pas pour être autre chose
qu’eux même, c’est-à-dire souvent passionnés par la guitare, sa culture
et une manière de la vivre. Beaucoup me remercient après le stage, d’un
petit mail ou autre. Cela me conforte dans mes options. Parmi celles-ci,
une conviction absolue déjà exercée dans le trio, à savoir qu’il faut un
patron. Une autorité qu’il faut savoir exercer. Si un certain désordre
existe, il est sous contrôle, parce qu’acceptable. Cela n’a pas paru
gêner quiconque.
En résumé, j’ai finalement conçu un stage qui s’avère être un "stage
passion"... Je crois que ceux qui viennent en comprennent la finalité et
trouvent ce qu’ils venaient chercher. Côté professseur, je vois des
personnalités qui s’engagent et donnent avec générosité et compétence...
Je suis très heureux de ça.
Le plus décevant est comme toujours l’aspect politique...
FW : Tu as fait la part belle au flamenco dans ton stage d’été. Pourquoi
un tel goût pour cette musique ? Il y a d’autres musiques enseignées
dans les stages (jazz , folk, ou bossa ...). Pourquoi des cours de
flamenco dans ton stage d’été ?
MS : Le flamenco, outre ma sensibilité pour cette musique, est objectivement
l’une des expressions les plus naturelles de la guitare. A l’inverse du
jazz, elle n’a pas besoin d’électricité pour exister et peut s’exercer
seule. En plus, travailler ce style donne un éclairage sur un siècle de
répertoire espagnol, souvent joué dans l’ignorance de certaines de ses
composantes.
Quand à ma réactivité sur cette musique, j’ai été jusqu’à m’interroger
sur mes origines russes et ukrainiennes. Il y a là-bas des héritages
gitans du type roumain ou hongrois, et un sens de la fête et de la
séduction qui vont avec. J’ignore réellement les origines de mon émotion
sur cette musique. Mais mon passé rigoureusement classique, mes
transcriptions de Bach, m’en font aussi voir les limites, voire l’aspect
vulgaire, parce que parfois trop populaire, servi parfois par des gens
sans finesse ou avec un goût limité. Je reconnais cependant que c’est
relativement rare.
Le stage est pensé au départ pour que les guitaristes classiques sortent
de leur isolement, d’une certaine arrogance qui les conduit souvent à
croire qu’ils maîtrisent l’instrument. L’apparente absence de doute d’un
guitariste flamenco est enviable, et j’ai voulu que les classiques en
sachent plus sur cette culture et qu’ils progressent dans la technique
guitaristique et la musicologie espagnole. D’où aussi la cohérence que
j’ai voulu entre l’aspect enseignement et l’aspect concert. J’avais
pensé les concerts comme étant l’illustration par les professseurs du discours
tenu en cours. Sans doute ce point a aussi contribué à la réussite du
stage.
Il se trouve que dans l’exercice de la chose, l’aspect festif s’est
dégagé fortement et l’adjonction de la danse et du chant a contribué à
structurer l’ambiance et l’éventuelle réputation du stage. Les fins de
stages sont exemplaires et témoignent pour moi de la bonne santé du
tout.
Deux questions de Claude Worms
CW : Quels sont les guitaristes de Flamenco qui t’ont le plus influencé ?
MS : Au début, Pedro Soler. Pas de professeurs à l’époque. Disque offert par mes
parents. C’est en voyant sa position sur la couverture du disque que
j’ai compris comment se tenir (sur la jambe droite à l’époque !). A
l’écoute, il était évident qu’il ne jouait pas avec un seul doigt. Donc
j’ai reconstitué petit à petit une technique de main droite à partir de ce
disque. Je trouvais son jeu propre et séduisant. J’avais quatorze ou quinze ans, je
crois. Ensuite, c’était l’avènement de Manitas. J’ai dévoré ses disques
sans en comprendre tous les manques ! Ensuite 1976 : je passe à Arles, au
stage de Robert J. Vidal. “The choc” : Paco de Lucía et Ramón de Algeciras en concert... J’étais effondré !
Il était clair que nous ne savions pas jouer de la guitare ! Les
classiques suffisants auxquels je disais ça me rétorquaient d’une
manière supérieure "qu’il ne savait pas jouer une fugue non plus !". Le
fait de jouer était ailleurs, et ils ne le percevaient pas. J’ai écouté
ses disques pendant vngt ans. Sans comprendre. Sans savoir d’où venaient
cet ensemble d’éléments de jeu, d’inventivité, bref de ce qui compose le
génie ! Cela me paraît beaucoup moins mystérieux aujourd’hui, bien sûr.
J’ai décodé deux ou trois trucs. C’est sans doute le plus gros choc.
Ensuite Vicente Amigo me touche dans son élégance, son sens de la
mélodie, et cette solidité dans la fragilité, voire l’ambiguïté dans
laquelle il aime être. Pour moi, c’ est une réelle alternative à la créativité de
Paco, mais il m’est apparu moins constant dans son renouvellement.
Manolo Sanlúcar, dans sa force tranquille, et son esthétique minutieuse
mêlée à une délicatesse d’esprit, me séduisent énormément. J’ai
l’impression de comprendre sa pensée musicale.
J’aime aussi Rafael Riqueni, dont les origines classiques que je discerne me
parlent. Elégant. Je suis attiré par ces guitaristes superbes mais qui
me paraissent "prenables". Pas Paco. Pour lui ça vient d’ailleurs. C’est
pénible et décourageant !
Aujourd’hui, je découvre des guitaristes comme Pepe Habichuela, que je ressens
comme une finalité dans un flamenco traditionnel.
CW : Est-ce que cela a influencé ta façon de jouer ?
MS : Oui, beaucoup. Mon pouce posé sur une basse vient d’une vidéo de Manolo Sanlúcar
ou je l’ai vu jouer comme ça. Il m’est apparu évident que la stabilité
technique est une des clés de cette insolence technique qu’affichent en
général les flamencos. Le principe, bien récupéré et adapté, fait des
miracles avec Bach ! Le côté ultra défini qui en découle m’a permis de
hausser mon jeu au niveau de la définition d’un piano ou d’un clavecin.
Les classiques ne pensent qu’au son ! Combien d’aberrations et de choses
sacrifiées pour le son ! Pour moi, il est devenu évident qu’une
bonne définition et une bonne projection des notes étaient déjà un
excellent début musical. Le reste, les émotions, la sensibilité, se
superposent à ça, mais ne peuvent le remplacer. J’ai été très influencé par le naturel guitaristique flamenco, et tout mon travail de classique était de trouver l’ adaptation de ce naturel à notre univers, mais aussi de trouver les
passerelles qui permettent l’accès au flamenco, pour moi complément
indispensable à la guitare classique.
Propos recueillis par Maguy Naïmi
NB : Le stage de Biarritz déménage, pour une première édition du "Stage international de guitare et de danse en Béarn", à Loubieng, près d’ Orthez, du 1er au 10 août 2008 :
Guitare classique : Michel Sadanowsky
Musique de chambre et chant choral : Thierry Lèbre
Danse flamenca : Maïté Gamoy
Initiation à la guitare flamenca : Ana María Garcia
Guitare flamenca (niveaux moyen et avancé) et accompagnement du cante : Maguy Naïmi et Claude Worms
Renseignements : Michel Sadanowsky
Partitions
"Le rayon vert (Suite flamenca)" : Editions Combre (CD inclus)
Jean-Sébastien Bach : Six suites pour violoncelle ; Sonate n°1 pour violon seul ; Oeuvre complète pour luth : Editions Billaudot
John Dowland : 30 pièces choisies dans l’ oeuvre pour luth (3 volumes) : Editions Billaudot
"Les belles pages du répertoire" (Scarlatti, Cimarosa, Narvaez...) : Editions Billaudot
Illustrations, par ordre d’ apparition dans l’ article :
Duo Michel Sadanowsky - Thierry Lèbre
Trio de guitares de Paris : Michel Sadanowsky - Zoé Marcou - Thierry Lèbre
Stage de guitare flamenca : Jean-Marie Nègre "El jubilao", en pleine action
Galerie sonore :
"Le rayon vert" : extrait de la "Suite flamenca", de et par Michel Sadanowsky.
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