José Luis Gálvez Cabrera : "Diego Rubichi. Aljibe jondo"

mercredi 21 septembre 2011 par Claude Worms

Un livre (169 pages - texte en espagnol) + un CD inédit : El Flamenco Vive, Madrid, 2011.

Avec cet ouvrage consacré à Diego de los Santos Bermúdez "Diego Rubichi" (Jerez, 1949 – Jerez, 2007), El Flamenco Vive poursuit son inestimable travail de préservation de la mémoire historique du cante de Jerez. Nous devons déjà au courageux éditeur madrilène quelques rééditions discographiques avisées ("Sernita de Jerez" / "Manuel Soto Sordera" / "Manuel Agujetas – Antonio Agujetas – Agujetas el Viejo. Tres generaciones" / "Nueva Frontera del Cante de Jerez") et deux livres de référence, accompagnés de CDs inédits, sur El Borrico ("Cien años de Tío Gregorio el Borrico (1910 – 2010)") et Luis de la Pica ("El duende taciturno"). Cette nouvelle production est d’ autant plus précieuse qu’ elle rend hommage à un artiste aussi modeste que scrupuleux, qui n’ a sans doute pas connu de son vivant la consécration qu’ il méritait.

Le texte de José Luis Gálvez Cabrera n’ est pas une biographie ou une étude de style rigoureuses, mais plutôt un album de souvenirs qui se parcourt avec d’ autant plus de plaisir qu’ on y trouvera un grand nombre de clichés émouvants. On passe ainsi sans transition des souvenirs de l’ auteur à ceux des collègues et amis de l’ artiste (une majorité de jerezanos, sans surprise…), d’ une ébauche de généalogie des « Santos » (le patronyme est particulièrement répandu chez les gitans, de Jerez à La Linea, en passant par Puerto de Santa María : Diego Rubichi est apparenté entre autres, aux Agujetas et aux Chaquetas) à une brève évocation de la carrière du cantaor, et des chroniques de ses concerts aux articles – hommages publiés à la suite de son décès. Seule la discographie exhaustive de Diego Rubichi fait l’ objet d’ une approche plus systématique : dates, éditeurs, circonstances de l’ enregistrement, programme des cantes…

On en retiendra que, comme beaucoup de ses compatriotes, Diego Rubichi est toujours resté très attaché à Jerez, qu’ il n’ a quitté avec réticence qu’ en de rares et brèves occasions : concerts réguliers à Madrid, présence systématique à la Feria de Séville… Mais, contrairement à un Tío Borrico ou à un Luis El Zambo, il semble n" avoir jamais envisagé d’ autre métier que celui de cantaor, dès ses premières escapades de jeunesse avec Camarón et Rancapino. Ce qui l’ obligea tout de même à quelques aventures au - delà des frontières ibériques, d’ abord pour un tournée en Allemagne avec la compagnie de Fernando Belmonte (il n’ a alors que seize ans…), puis, beaucoup plus tard, en France, au Luxembourg, et enfin au Japon.

Si l’ on excepte sa participation à l’ anthologie "Nueva Frontera del Cante de Jerez" (RCA, 1974), nous constatons (non sans fierté…) que l’ essentiel de la discographie de Diego Rubichi est française, ou liée à la France. Notamment trois de ses quatre enregistrements en solitaire :

_ "Par le fer et par le feu" (EPM, 1993 – guitare : Antonio Jero) : production de Miguel Alcalá

_ "Luna de Calabozo" (Auvidis Ethnic, 1996 – guitare : Antonio Jero et Domingo Rubichi) : production de Frédéric Deval

_ "Rubichis" (Bujío, 2006 – guitare : Domingo Rubichi) : si le label (Bujío) et l’ initiative de la production (la Peña Los Cernícalos de Jerez) sont cette fois espagnols, les enregistrements sont issus du récital donné par le cantaor à la Peña Flamenco en France le 14 juin 2003 (trois autres concerts le précédait, les 11, 12 et 13 juin, respectivement à la Kulturfabrik d’ Esch sur Alzette – Luxembourg, à l’ Institut Cervantes de Paris et à Flamenco en France.

Le dernier album de Diego Rubichi est précisément celui qui complète le présent ouvrage : "Aljibe jondo" est à nouveau un enregistrement public, réalisé le 25 mai 2004 à la Sala Juglar de Madrid, en compagnie du guitariste Curro de Jerez. On y retrouvera le caractère singulier du style de Diego Rubichi, d’ autant plus à loisir que les suites de cantes n’ ont (pour une fois) pas été malencontreusement coupées (presque un quart d’ heure pour les Soleares, les Siguiriyas, et les Bulerías – de La Plazuela, comme il se doit…). Le programme correspond aux choix habituels du cantaor pour ses récitals, et s’ écarte peu des formes emblématiques de Jerez, même si l’ éventail des modèles stylistiques puise aussi dans les répertoires de Cádiz, Los Puertos, Alcalá, Utrera et Triana : Granaína – Malagueña (attribuée à Manuel Torres, ou José Cepero ?) et Malagueña del Mellizo / Bulerías por Soleá (La Moreno, Juaniqui, Frijones, El Gloria…) / Soleares (Juan Talega, Yllanda, El Mellizo, La Andonda…) / Siguiriyas (Manuel Torres, Joaquín Lacherna, Paco la Luz) et remate por Liviana (Antonio Mairena) / Bulerías / Martinete et Toná / Saeta (cette dernière est une création du cantaor, qui lui a valu de nombreux prix – c’ est le seul cante de l’ album qui n’ est pas issu du récital madrilène, mais d’ une compilation éditée en 2003 par la Peña La Buena Gente de Jerez, qui organise chaque année un concours de Saetas).

Une voix limitée quant à l’ ambitus et à la puissance, et une longueur de souffle compromise très tôt par une maladie respiratoire : le cante de Diego Rubichi est fascinant par ces limites mêmes, sur lesquelles il a construit son style. Un chant dépouillé, qui va mélodiquement à l’ essentiel, et qui a transformé les reprises de souffle trop nombreuses auxquelles il est contraint (et dont il maîtrise la durée à la perfection) en autant de redoutables jaillissements rythmiques, par lesquels il dilate ou concentre le compás à volonté. Un chant sur le fil du rasoir, à la limite de la rupture, car le cantaor assume toujours avec probité, pleinement investi dans sa responsabilité artistique et quel que soit l’ état de sa voix, l’ exacte restitution du répertoire dont il est à la fois le dépositaire collectif et l’ interprète singulier : l’ émotion du « live » n’ aura jamais été aussi indispensable.

Claude Worms

Galerie sonore

Diego Rubichi : Martinete y Toná


Martinete & Toná




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