mercredi 22 juin 2011 par Manuela Papino
Entretien avec Encarna Anillo, le 18 mai 2011, juste avant son récital "Ida y vuelta", lors du Festival Flamenco de Toulouse, avec le guitariste Andrés Hernández “Pituquete”.
Le festival flamenco de Toulouse, cette année, mise très fort sur le chant. Qu’ est-ce que tu en penses, Encarna ?
Encarna Anillo : - Je suis enchantée, heureuse. Aujourd’ hui, c’ est assez difficile qu’ un chanteur soit programmé dans un festival avec son récital de chant. La danse se vend mieux. Quand on te demande un spectacle, tu dois obligatoirement venir avec un danseur, ou bien c’ est le danseur qui t’ intègre en tant qu’ « artiste invité », et comme ça, les gens te connaissent. Quand j’ ai appris que je venais au festival de Toulouse avec mon propre récital, ça m’ a fait vraiment plaisir, en sachant en plus qu’ il y avait aussi Rocío Márquez que j’ admire énormément parce qu’ elle a choisi le même chemin que le mien. Nous sommes très honnêtes vis-à-vis de ce que nous faisons. Ça m’ a rendu vraiment heureuse. Et puis nous sommes deux femmes aussi, chanteuses, et de la même génération, et ça c’ est très important. En Espagne, c’ est très difficile qu’ ils programment un festival de chant. Le festival de Toulouse nous a donné la possibilité de présenter notre spectacle, seules, et pas là-bas en Espagne... C’ est comme ça, « Nul n’ est prophète en son pays ». Je reviens d ’ une tournée de quatre mois au Chili, où j’ ai présenté ce récital avec Andrés, et à ce jour, le théâtre Falla, chez moi [à Cádiz] ne m’ a pas encore programmée seule. Pourquoi ?… Je ne sais pas. Peut-être que ça se fera avec le temps, ou peut-être jamais, et il faudra l’ accepter, c’ est comme ça.
Tu as débuté en dansant et en chantant en solo, n’est-ce pas ?
EA : - J’ avais cinq ans quand j’ ai commencé à danser et dix lorsque j’ ai chanté ma première letra por Bulerías. Ensuite, jusqu’ à l’âge de treize ans, j’ ai continué à danser et à chanter. A treize ans, j’ ai commencé à chanter pour Farruquito, et là je suis passée à l’ accompagnement.
Ensuite tu as chanté longtemps pour la danse, n’est-ce pas ?
EA : - Oui, pour Israel Galván, Andrés Marín, Antonio Canales, Belén Maya, Yolanda Heredia, Rafaela Carrasco… Depuis que j’ ai sorti mon premier disque, ma carrière a pris un autre tournant, on m’ appelle pour des “collaborations exceptionnelles” ou comme “artiste invitée”. Je fais un chant ou deux, mais je ne chante plus pour l’ accompagnement.
Que signifie Cádiz pour toi ?
EA : - Tout. Cádiz signifie tout pour moi, mes racines, mon souffle, mon berceau, mes sentiments, et me permet de me retrouver, parce que très souvent on se perd dans le monde du voyage en allant à droite et à gauche. Quand j’ arrive à Cádiz, je vois la mer, je respire, je suis avec ma famille, je retrouve mes racines. Donc voilà, Cádiz, c’ est tout pour moi.
Tu vis à Cádiz ?
EA : - Non, je vis à Séville depuis onze ans.
Le chant de Cádiz est - il différent ?
EA : - La différence que je vois, c’ est que comme c’ est un port, il est ouvert. C’ est une terre où tant de gens sont arrivés et tant de gens sont partis, il y a donc beaucoup de mélanges et une grande ouverture. Les gens ont une fraîcheur lorsqu’ ils chantent, ils ont une réelle facilité à recevoir ceux qui sont d’ ailleurs, et dans le chant, ça se voit. Les chants de Cádiz sont très “a compás”, ils ont beaucoup de “soniquete », la Soleá de Cádiz a plus de rythme que la Soleá traditionnelle, que la Soleá de Álcala ou de Triana. L’ Alegría de Cádiz doit avoir du sel et être bercée par les vagues et pour toutes ces raisons, le chant de Cádiz a toujours plus de swing et beaucoup plus de compás.
Dans ton disque, Barcas de plata, ton seul disque pour l’ instant, il y a un hommage à l’ Alegría. Pourquoi l’ Alegría est-elle le chant de Cádiz ?
EA : - Parce que les maestros nous l’ont donné ainsi. L’ Alegría est le chant traditionnel de Cádiz, comme à Málaga la Malagueña, à Granada la Granaína, à Huelva les Fandangos. A Cádiz, c’ est l’ Alegría.
C’ est qu’il y aurait plus de joie à Cádiz qu’ ailleurs ?
EA : - Non, je ne crois pas. Enfin, peut-être, je ne peux pas te répondre parce que je ne sais pas. Mais chanter por Alegría… tout le monde ne chante pas bien por Alegría, c’ est très difficile. Tu peux suivre le rythme de l’ Alegría et étudier le texte, mais pour rendre l’ attitude et le ressenti du chant por Alegría traditionnelle de Cádiz, c’ est très difficile. Dans les Cantiñas, il y a aussi les Mirabrás, les Cantiñas, les Rosas, les Alegrías de Cádiz… et tout ça a une identité personnelle.
Avec quels maestros de Cádiz t’ identifies-tu le plus ?
EA : - Sincèrement, je m’ identifie un peu avec chacun mais bien sûr particulièrement avec les femmes, La Perla par exemple. Je suis gaditane, du quartier Santa María. J’ ai vu La Chaqueta [Adela Fernández Jiménez “Adela la Chaqueta”] toute petite, et maintenant Mariana Cornejo. Il est évident que le chant de Cádiz a eu des représentantes importantes, et c’ est toujours le cas, Carmen de la Jarra par exemple. Nous sommes beaucoup de femmes à représenter le chant de Cádiz. Mais Pericón est aussi un miroir dans lequel je me regarde, Chano [Lobato], Juan Villar, Aurelio [Sellés], tous ont leur personnalité et me parlent.
A Cádiz, pendant longtemps, il n’ y avait presque plus d’ artistes professionnels de flamenco. Pourquoi ?
EA : Je crois qu’ il a été nécessaire de faire une pause. Cádiz avait donné tellement d’ artistes ! Dans cette terre si petite, il y a eu tellement de talents, que je crois que la terre avait besoin de stopper. Récemment une nouvelle génération est apparue. C ’est quand même incroyable qu’ une terre si petite ait donné tant d’ artistes !
Beaucoup de jeunes gaditans font de la fusion ou du jazz flamenco. Qu’ en penses-tu ?
EA : - Les chanteurs commencent par le flamenco traditionnel. Ensuite ils se rendent compte que le flamenco traditionnel ne rapporte pas d’ argent. On peut en vivre, mais c’ est difficile de se faire un nom et de se faire respecter
comme artiste de flamenco traditionnel, c’est-à-dire remplir un théâtre avec un récital de chant. C’ est très difficile de se maintenir. Le plus simple est de jeter l’ éponge et de faire du commercial. Celui qui chante du flamenco peut chanter beaucoup de choses, peut-être pas l’opéra, mais beaucoup d’ autres genres de musique. Est-ce que je trouve ça mal ? Non, qui suis-je pour porter un jugement ? Mais ce qui me semble une erreur, c’ est de baptiser « chanteur de flamenco » celui qui ne l’ est pas. J’ aime remettre les choses à leur place. Aujourd’ hui on fait beaucoup de commercial parce que c’ est ce qui se vend. Tout le monde parle de « flamenquito » pour qualifier n’ importe quoi, mais le flamenco c’ est autre chose, à mettre en majuscule. Moi, en tant que chanteuse de flamenco, tenant compte de l’ engagement que j’ ai pris vis-à-vis de cet art, c’ est ainsi que je dois répondre. Et là je suis très sérieuse, parce que c’ est ma responsabilité que j’ engage, et ça me fait mal. Je suis une chanteuse de flamenco qui prend soin de la tradition. Par exemple je me regarde dans le miroir de Carmen Linares. Carmen Linares n’ a jamais jeté l’ éponge. Enrique Morente non plus, peut-être qu’ il n’ y a eu que huit œuvres majeures à leur actif, mais toujours flamencas.
Que penses - tu alors de Mayte Martín, qui parfois s’éloigne aussi du flamenco ?
EA : - Mayte Martín fait tout ce qu’ elle veut, elle a l’âge pour cela. On peut respecter tout ce que fait Mayte Martín, parce que c’ est une énorme artiste. Elle a une voix, une justesse et une technique vocale incroyables, je pense que c’ est l’ une des meilleures d’ Espagne, avec Lole. C’ est une grande professionnelle, une grande connaisseuse de flamenco, donc maintenant elle fait tout ce qu’ elle veut ! Et moi je lui dis : “olé”. En plus, on sait qu’ elle ne le fait pas pour de l’ argent, parce que Mayte, contrairement à d’ autres, n’ est pas connue pour cela. Il y a de multiples façons de prendre soin de l’ art, de le cajoler, et d’ aimer la musique.
Crois - tu que le public français comprend le chant flamenco ?
EA : - Je crois que oui. Partout, on peut comprendre ce qui vient du cœur et de l’ âme. Peut-être que les textes ou les phrases que je chante ne se comprennent pas, mais si je suis réellement une artiste, je vais les faire surgir de là où l’ art doit se créer, et tout le monde va parfaitement les comprendre. Si elles viennent de mon cœur, tout le monde les comprend.
Existe - t’ il une différence entre un étranger qui a étudié le flamenco et un andalou ?
EA : - La différence, c’ est peut-être qu’ ils parlent une autre langue… Je voyage dans le monde entier, et je suis surprise de voir le niveau du flamenco hors de l’ Espagne, et hors de l’ Andalousie. Il y a parfois une certaine confusion, parce que les gens arrivent à Cádiz, par exemple, et pensent que tout le monde sait danser les Bulerías ou sait chanter, et ça, ce n’ est pas vrai [elle rit]. Ce n’ est pas vrai et pourtant ils sont de Cádiz, ou sévillans, ou andalous... E puis, arrivent une allemande ou une française, et elles dansent por Soleá d’ une façon incroyable [elle rit]. Ça n’ a donc rien à voir, je ne vois pas de différence. Si elle parle, on voit tout de suite si elle est d’ ici ou non, mais il ne faut pas localiser le flamenco. Non, tout le monde est très uni, c’ est ça l’ art.
La seule différence serait donc dans le chant ?
EA : - Bien sûr, il y a plus de différence dans le chant à cause de la vocalisation, de la façon de prononcer : c’ est plus compliqué. Je rentre d’ une tournée au Chili, et comme ils parlent “hispano”, c’ est plus facile pour eux que pour un français, un allemand ou un japonais. Mais ça chante partout !
Dernièrement, les flamencos se sont beaucoup mobilisés pour le Japon. As - tu participé à quelque chose ?
EA : - Durant cinq ans, j’ y suis allée avec Soji Kojima. Il y avait aussi Israel Galván, Chicuelo, Chano Lobato... On y allait tous les ans et on chantait pour elle, pour son école. On faisait un “hapioka”, un gala de fin d’année japonais. Elle, c’ était l’étoile. Finalement j’ y suis allée pendant huit ou neuf ans, tous les ans.
Qu’ est-ce qui a été organisé à Séville pour aider les japonais après le tremblement de terre ?
EA : - Les gens se sont mobilisés. Mon frère José, Andrés Hernández et moi - même, avons collaboré à une programmation matinale. Il y avait
beaucoup d’ artistes, mais pas tous ceux qui étaient annoncés sur l’ affiche. C’ est toujours pareil, on annonce des gens pour que le public vienne, et puis ils ne se présentent pas. Donc voilà, il n’ y avait que ceux qui répondent toujours présents. Ce fut une journée magnifique, une très jolie participation. C’ est là où l’ on voit ce que les gens ressentent vraiment, quand il n’ y a pas de chèque en vue, pas d’ entrées, rien, rien que le cœur. C’ est pour cela que ce fut un jour magnifique. Et puis, il y a eu d’ autres galas de soutien, au Théâtre Alameda par exemple.
Que signifie réellement le Japon pour le monde flamenco ?
EA : - Je crois que pour ceux qui y allaient autrefois, quand j’ y allais aussi, d’ un point de vue économique, on peut dire que le Japon a payé beaucoup de maisons, beaucoup de voitures, [elle rit]. Et il représentait pour beaucoup une économie stable. Ça c’ est vrai, mais ça fait longtemps ; maintenant ce n’ est plus le cas. Pour moi, le Japon est un pays qui a énormément de respect pour les gens, une admiration incroyable pour les artistes de flamenco. Les japonais te traitent comme un roi, nous pouvons leur tirer notre chapeau. Un japonais aime le flamenco, il le respecte, il le connaît, mieux que quelqu’ un qui naît à La Plazuela.
me souviens de toi chantant l’ hymne gitan à Cajasol, c’ était très émouvant. Que signifie pour toi chanter le “Jelem Jelem” ?
EA : - C’ était la première fois que je le chantais sur scène, la première fois que je le faisais. L’ étudier fut quelque chose de très fort. On me l’ a donné, je l’ ai pris avec beaucoup d’ envie ; je ne suis pas gitane, mais je vis entourée de gitans depuis tellement longtemps, je connais Farruquito depuis que j’ ai onze ans. Je connais leur manière d’ être, leurs coutumes, ce qu’ il leur est arrivé, comment ils sont... Alors, quand il a fallu que je m’ approprie le “Jelem Jelem”, il y avait quelque chose de très fort à l’ intérieur de moi qui souffrait…On ne m’ a pas donné le texte en castillan, mais quand j’ ai lu ensuite ce que j’ étais en train de chanter, je l’ ai ressenti encore plus fort. Ça parle de la douleur des gitans, de ce qu’ ils ont vécu pour en être là aujourd’ hui. Et comme j’ ai l’ habitude de me connecter à mon cœur et de me souvenir de ce qu’ il m’ est arrivé, il y a beaucoup de choses qui ont surgi. J’ ai eu l’ impression qu’ on me griffait à l’ intérieur. J’ ai ressenti une douleur que je n’ avais jamais sentie auparavant, et ça, tout le monde l’ a senti !
Carmen Linares est vraiment ta marraine...
EA : - Oui, elle m’ a parrainée à Madrid dans le spectacle “Desde el alma”. Carmen a été l’ une des personnes qui m’ a le plus marquée, qui a laissé le plus de traces en moi, aussi bien comme personne que comme artiste : elle m’ a
appris à bien gérer les deux choses à la fois. C’ est une femme incroyable et une vraie Dame du flamenco. J’ ai eu la chance de pouvoir vivre avec elle, de travailler avec elle. J’ ai appris énormément d’ elle, de sa dignité, de sa façon de vivre le flamenco, de le respecter, de l’ étudier, de le connaître. Avant de parler il faut d’abord savoir, c’ est toujours comme ça. Aujourd’ hui c’ est le miroir dans lequel je me regarde et dans lequel je me regarderai toujours.
Comment peut-on entrer dans le flamenco quand on vient de l’extérieur ?
EA : - Je pense qu’ il n’ y a aucune porte pour entrer. Si tu écoutes du flamenco et que ça frappe à ta porte, à l’ intérieur de toi, tu y entres ! Tu es pris ! C’ est la porte la plus grande qui existe. Donc c’ est par l’ intuition, et ensuite tu te laisses porter. Aller à Séville, Cádiz évidemment, parce que la terre a son essence, les flamencos ont passé beaucoup de temps là-bas, donc il faut les connaître, mais maintenant on fait aussi du flamenco en dehors de l’ Espagne. Il y a beaucoup de fêtes flamencas. Les flamencos sont des petites bêtes bizarres, qui essaiment dans le monde entier. Il n’ y a pas de porte, juste celle que tu as à l’ intérieur, et c’ est celle-là qu’ il faut ouvrir.
Je sais que c’ est un sujet délicat pour toi, mais voudrais - tu nous parler un peu de ton disque ?
EA : - L’ enregistrement fut l’ une des grandes expériences de ma vie. J ’ai tout vécu, des moments magiques, des moments d’ angoisse, des pleurs, des pertes de contrôle. Au studio, j’ ai tout vécu. On a changé de studio trois ou quatre fois en quatre ans. Barcas de Plata est né d’ une grande illusion, d’ un rêve que je voulais faire réalité, parce que j’ ai toujours voulu chanter en solo, avoir mon propre spectacle. Pour moi, même toute petite, cela a toujours été clair, et même si je devais d’ abord en passer par l’ accompagnement, parce que c’ est comme ça qu’ on apprend, en chantant pour les danseurs. Ma chance, c’ est Miguel Poveda, en tant que producteur exécutif, qui me l’ a donnée. C’ est lui qui a financé le disque. Mais très vite, il a dû s’ occuper de sa propre carrière et donc, le producteur musical est devenu mon frère, José Anillo. José a passé quinze heures par jour avec moi dans le studio. Après toute une série de péripéties, le disque est finalement sorti en 2008. On s’ est arrêté de nombreuses fois. Barcas de plata a été, artistiquement et professionnellement, le travail le plus dur que j’ ai réalisé à ce jour. Le plus dur et le plus merveilleux ! Finalement, au moment d’ enregistrer, on emporte avec soi tout ce qu’ on est en train de vivre – ce que doit être un artiste sur scène ou en enregistrement. C’ est ce qu’ il y a sur le disque, et c’ est comme ça que le reçoivent les gens. Barcas de plata fut une étape importante dans ma vie, à tel point qu’ il y eut une Encarna Anillo avant et une autre après le disque.
Finalement Miguel est sorti totalement du projet ?
EA : - Non, Miguel est resté producteur exécuti,f parce qu’ il savait que c’ était un bon produit et que ça allait se vendre. Lui comme producteur exécutif, et mon frère comme producteur musical. Mais mon frère n’ est pas aussi connu, et donc on cite Miguel Poveda. Ce qui me fait de la peine, c’ est qu’ à cause de l’ un comme de l’ autre, je ne peux pas aujourd’ hui disposer d’ un disque pour te l’ offrir…
Que s’ est ’ il passé ?
EA : - Simplement qu’ à moi, on ne me donne pas de disques. Je dois aller les acheter moi aussi, comme n’ importe qui.
Tu as signé un contrat qui t’ enlève tous tes droits ?
EA : - Moi, je n’ ai rien signé. Ils l’ ont signé dans mon dos et je ne le savais pas. C’ est la première fois que je le dis publiquement, mais je crois qu’ est venu le moment de le dire.
Comment est-ce possible ?
EA : - Ces gens-là sont comme ça, ils vivent comme ça. Mais à chaque fois que Barcas de plata touche l’ âme de quelqu’ un, pour moi c’ est un succès, et je préfère ça. Je préfère ce succès-là plutôt que d’ avoir beaucoup d’ argent. Je vais laisser tomber parce que je ne veux pas convertir Barcas de plata en un enfer, ni en un cauchemar. Pour moi, ce disque, ce n’ est pas ça. Ce disque, c’ est mon âme, et ce que je dis, c’ est que ceux qui ont joué avec mon âme se retrouvent face à leur conscience. Moi je suis très claire, blanche comme neige, et je dors bien la nuit. Barcas de plata fut la plus grande merveille que m’ a donnée la vie, parce que j’ ai beaucoup appris : ce que je dois faire et ce que je ne dois plus faire.
Tu n’ as pas non plus de droits d’ auteur ?
EA : - Non, très peu. Je mets à profit ce que la vie m’ a appris, et tout mettre dans le second disque, voilà ce que je fais. Le second, je le fais comme on fait une bonne soupe : je mets les ingrédients, je le cuisine et ensuite je le mange moi-même ! [elle rit]. Comme ça ! Et le second, bien sûr, je le ferai avec le même cœur que le premier.
As - tu déjà commencé ?
EA : - Le deuxième est en route, oui ! Nous sommes en train d’ étudier le problème économique. Pour certaines personnes, c’ est plus dur que pour d’ autres, mais je suis confiante.
Utilises - tu facebook professionnellement ?
EA : - Oui, j’ ai une page pour Barcas de plata : un profil pour le disque et un profil pour moi, personnel. J’ aime bien y passer un moment, je parle avec des gens que je ne vois pas et que j’ ai connus dans différents pays, ou bien avec des gens qui veulent me connaître. C’ est moi qui réponds parce que j’ aime être proche des gens. Facebook, pour moi c’ est merveilleux. Chaque fois que je publie quelque chose d’ un spectacle, d’ une radio ou d’ une télévision, c’ est très agréable de recevoir les commentaires des gens qui sont loin et qui ne peuvent pas avoir d’ autres contacts avec moi. Je me rends compte qu’ il y a beaucoup de gens qui me suivent et qui sont heureux de m’ écouter, et ça, ça me rend forte.
Les programmateurs aussi l’ utilisent ?
EA : - Oui, il y a beaucoup de programmateurs qui me donnent des contacts de festivals, qui m’ ont vue travailler et qui me donnent leur mail, leurs coordonnées, ou m’ ajoutent comme « ami ». Donc, je suis présente sur facebook.
Utilises - tu aussi Youtube ?
EA : - Mon frère parfois a publié des choses, mais en général ce sont les gens eux-mêmes qui ont mis des vidéos de nous. Mon frère a mis une Saeta que j’ ai chantée à Málaga, une Saeta qu’ il a enregistrée avec son portable. Il l’ a mise sur Youtube parce qu’ il la trouvait jolie, mais pour le reste, c’ est le public.
As -tu ta propre production ?
EA : - Je n’ ai pas monté d’ entreprise, mais je m’ occupe de moi. J’ ai eu des agents, mais ça n’ a pas marché parce qu’ il y a toujours des problèmes, et moi maintenant j’ ai un nom dans le flamenco, on me connaît. J’ ai juste une avocate qui se charge de tous les papiers. Je négocie moi-même, parce qu’ avec toute l’expérience que j’ ai maintenant, je peux m’ occuper de mon travail. Personne ne le fera plus pour moi. Ou bien il faudrait que ce soit vraiment quelqu’ un en qui j’ ai toute confiance, qui m’ aime beaucoup et qui soit vraiment honnête, très loyal. Et ça, aujourd’hui… c’ est très difficile.
Des institutions comme la Junta ou la Biennale font confiance à des artistes qui n’ ont pas de production ?
EA : - Non, c’ est beaucoup plus compliqué. Les gens qui s’ occupent de ça à la Agencia [para el Desarrollo del Flamenco] ou à la Biennale te connaissent en tant qu’ artiste. Tu peux leur plaire, mais si tu ne t’ es jamais présentée en solo dans un théâtre, et qu’ils n’ ont pas vu si tu vendais, ils ne te donneront jamais ta chance. Ils veulent du sûrs. Eux, aujourd’ hui, ils travaillent avec les artistes qui ont un nom. Pourtant, quelquefois, ils devraient prendre des risques…
Mais toi tu as un nom, ils te connaissent. Ils ne te donnent pas de dates ? Tu n’ es pas engagée dans les circuits comme “Flamenco viene del Sur” ?
EA : - Oui, “Flamenco viene del Sur”, je l’ ai fait l’année dernière, mais avec Mariana Cornejo qui était comme… comment dire…
La “caution” ?
EA : - Voilà ! [elle rit]. C’ est énorme, mais il s’ agit bien de ça. Maintenant elle devient “vieille”. C’ est ce que je lui dis : “tu vieillis Mariana”. Alors, celle qui doit assurer la relève pour les chants de Cádiz chez les femmes, c’ est moi ! C’ est mon tour. Il s’ agissait de ça, de ce relai qu’ elle me passait. Il s’ agissait d’ une très grande responsabilité. Dans “Flamenco viene del Sur”, c’ était très important pour moi. Sinon, j’ ai présenté en mon nom des projets pour la Biennale ou “Flamenco viene del Sur”. Mais moi, on ne m’ appelle pas, ils n’ en veulent pas. Peut-être que ce n’ est pas le moment. J’ essaye de penser comme ça, et je veux continuer à le penser. Je ne vais pas te dire qui je suis, parce que tu le sais, et il y a suffisamment d’ informations sur internet sur mes spectacles… Si ça vient, tant mieux, sinon il faut continuer à se battre. Il faut lutter parce que le flamenco traditionnel représente une minorité, et c’ est ce qui coûte le plus. Mais je ne vais pas jeter l’ éponge parce que c’ est ce qui m’ émeut le plus.
Parle - nous un peu de "Ida y vuelta", le spectacle de demain.
EA : - Je suis en train de faire des recherches, et de baigner dans la musique latine, avec Andrés qui est chilien et qui joue de la guitare flamenca, et moi qui suis gaditane. Nous présentons les chants traditionnels de ma terre, Soleá, Tientos, Tangos ou Alegrías de Cádiz, mais aussi les différents maestros du folklore latino-américain comme Atahualpa Yupanqui, Violeta Parra ou Víctor Jara, avec le poème de Pablo Neruda. C’ est une union. C’ est pour ça que ça s’ appelle " de Ida y vuelta”, parce que dans le flamenco les chants de Ida y Vuelta sont la Guajira, la Milonga… Andrés et moi sur scène, nous sommes l’ exemple de cette union des deux pays, lui pour le “flamenco chilien” et moi comme gaditane, chantant le folklore. Nous n’ avons pas arrangé les thèmes, nous les interprètons juste, parce que ce sont des thèmes si grands qu’ il ne fallait rien ajouter ; ça n’ aurait pas été beau. Ils étaient si importants qu’ il fallait les respecter tel quel.
Un poème, ou un vers qui t’ a marqué ?
EA : - “L’arbre que toi tu as oublié, se souvient toujours de toi »…
Merci Encarna.
EA : - Ouf !… C’ est la première interview dans laquelle je parle très clairement du disque…
Propos recueillis par Manuela Papino
Photos : Fabien Ferrer
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