Entretien avec Pierre Pradal

Mont-de-Marsan, le 13 juillet 2008

samedi 23 août 2008 par Manuela Papino

Pierre Pradal est guitariste et professeur de guitare flamenca chaque année, pour le Festival de Mont-de-Marsan

Flamencoweb : Qui es-tu ? Où es-tu né ?

Pierre Pradal : Je suis né à Toulouse, mes parents sont d’Almería. Ils étaient réfugiés espagnols, politiques. C’est grâce à Franco que je suis ici : pas mal…

FW : Famille de Flamenco ?

PP : Pas spécialement. Mais d’Almería tout au moins, une terre un peu flamenca, avec Tomatito.

FW : Comment as-tu commencé la guitare ?

PP : J’ai commencé assez rapidement à jouer du flamenco, avec les gitans d’Almería. J’ai appris le compás, à Almería, dans les « cuevas », dans un quartier qui s’appelle « la Chanca ». Il y a un bouquin de Juan Gautizo sur « la Chanca », sur les grottes des gitans d’Almería, c’est assez impressionnant. Et donc j’ai joué avec eux, j’ai appris le compás, à accompagner le chant, et là je suis sur Mont-de-Marsan depuis une douzaine d’années.

FW : Tu habites à Mont-de-Marsan ?

PP : Non, j’habite à Toulouse. Je suis venu à Mont-de-Marsan pour accompagner la danse avec Isabel Soler, et au bout de sept ou huit ans d’accompagnement, j’ai proposé des cours de guitare puisque ça n’existait pas, il n’y avait que des cours de danse.

FW : Donc tu as été à l’initiative des cours de guitare à Mont-de-Marsan ?

PP : Je n’ai pas la prétention de…enfin si j’ai presque envie d’avoir cette prétention. C’est moi qui ai initié la création des cours de guitare. Au début ils avaient refusé, et deux mois après ils m’ont appelé et m’ont dit qu’ ils acceptaient. L’année d’après, j’ ai suggéré des cours de cajón, et ils m’ont dit non. Mais cette année, ils programment des cours de cajón, c’est bien.

FW : Et donc la première fois qu’il y a eu des cours de guitare à Mont-de-Marsan, c’était il y a douze ans ?

PP : Oui, c’était pour l’accompagnement du chant. Je ne sais plus exactement, il ya douze ans, treize ans…

FW : Qui est venu donner le cours la première fois ?

PP : Les deux premières années, j’ avais tous les niveaux : débutants, intermédiaires et avancés.

FW : Tu étais tout seul ?

PP : Oui. J’avais commencé à dédoubler parce qu’il y avait beaucoup de stagiaires, et comme on ne m’avait proposé que deux heures, il a fallu que je dédouble les cours. J’ai mis deux heures en plus. Pour des raisons pédagogiques évidentes. Ensuite, ils ont fait venir des guitaristes espagnols. Actuellement, je ne m’ occupe que des débutants, depuis qatre ou cinq ans. C’est très intéressant : ce sont des gens qui jouent déjà de la guitare, mais qui découvrent le compás et les techniques de la main droite qui déterminent le son flamenco. Ça n’a rien à voir avec le classique. Ce travail, pédagogiquement, c’ est vraiment passionnant.

FW : En fait, tu fais découvrir le flamenco à un public de guitaristes ?

PP : C’est ça, ils sont techniquement prêts à jouer, mais ils ne connaissent pas le rythme, ni les harmonies. Le plus dur, c’est que ce sont des gens qui n’ont pas vraiment écouté de chant, et la difficulté c’est qu’ils doivent jouer « a compás », sans avoir le chant dans la tête. Et donc, souvent, ils ont du mal à comprendre, à sentir. Moi je leur dis d’aller écouter du chant, beaucoup de chant, surtout du chant. Pas trop de danse, du chant.

FW : Finalement, tu as une grosse responsabilité ?

PP : Oui, j’ai beaucoup d’élèves qui sont en niveau avancé cette année, et qui étaient débutants avec moi il y a quelques années. C’est bien de les avoir vus évoluer. Ils ne se sont pas découragés ; ça, c’est bien.

FW : Ce n’est pas un peu difficile pour toi de ne pas avoir un niveau un peu plus élevé ?

PP : Effectivement, j’ aimerais bien avoir un niveau un peu plus élevé, d’un point de vue pédagogique. Mais ce qui m’intéresse peut-être le plus, enfin autant, c’est le rapport humain avec eux. C’est le côté humain qui va un peu au-delà de la musique.

FW : Pourquoi ne te confie - t’ on plus que le niveau débutant ? C’est parce que c’est important de venir d’Espagne ?

PP : Voilà, c’est peut-être un peu politique. En fait je suis le seul français-espagnol Les professeurs sont tous des espagnols, espagnols-espagnols, moi je suis français-espagnol ; et c’est vrai que je suis le seul dans ce cas dans l’équipe, avec huit ou neufs autres enseignants qui sont espagnols. C’est peut-être la part française qui reste encore là…

FW : Quelles relations tu as avec les autres enseignants ?

PP : De très bons contacts, mais pas vraiment fréquents. J’aimerais avoir plus de contacts avec eux.

FW : Ils reconnaissent ton travail ?

PP : Oui, je pense qu’ils reconnaissent mon travail ; tout au moins, ils reconnaissent la difficulté d’ enseigner à des débutants. C’est plus agréable d’avoir des gens non débutants, mais ça se passe bien avec eux. Mais c’est tout de même un peu « clanique »…

FW : Ils viennent voir tes cours ?

PP : - Depuis qu’on a écrit sur les portes qu’il ne faut pas regarder les cours, (moi j’ ai arraché le papier dès le premier jour…) ; mais donc, il est écrit qu’ « il est interdit de regarder les cours » : les gens n’osent plus venir voir.

FW : Toi, tu aimes bien avoir de la visite ?

PP : Moi, je laisse la porte ouverte pendant que je donne le cours. Depuis quelques années, les débutants apprécient mon travail. Il y a des retours, et c’est vraiment bien pour moi, sur le plan pédagogique.

FW : Quelle est ta relation avec David « El Gamba », qui donne les cours de compás ?

PP : David, c’est important qu’il soit là ! C’est fondamental ! Tout le monde devrait apprendre les palmas avant de jouer de la guitare, et continuer pendant, en même temps. La sensation du compás ! Parce qu’il y a le compás, mais après le plus important c’est de faire swinguer la musique. Tu peux jouer « a compás » très rigidement… Mais tu prends un guitariste comme Dani de Morón : il swingue, et ça c’est génial. Lui, il est « mystique » : tu l’as vu dans le spectacle, quand il part ! Je me demande si le danseur n’avait pas besoin de plus d’appuis à un moment donné, ça tournait en volutes !

FW : C’est peut-être plus un soliste ?

PP : Il est très soliste, mais tout à fait capable d’accompagner la danse ! Mais là, il est vraiment parti…

FW : Comment vois – tu le flamenco en France, le public, les élèves ?

PP : Il y a déjà la langue, qui fait que tu as peut-être moins les pieds dans la réalité du flamenco. Le flamenco français est tout à fait respectable, avec ses moyens, sa culture, avec une civilisation peut-être un peu plus nordique… ; je ne sais pas comment dire, une culture moins fantaisiste, moins surréaliste. L’ambiance est parfois trop française.

FW : Tu sens un décalage ?

PP : Oui, il y a un décalage, un peu. Ils n’ont pas la culture du chant, et c’est un problème pour jouer de la guitare flamenca.

FW : Le chant représente une différence fondamentale entre la France et l’Espagne ?

PP : C’est au-delà du chant. La culture espagnole a été influencée par les arabes, et je crois que la culture française est de plus en plus attirée par les modèles nordiques. Et là, il n’y a pas de flamenco, donc il y a un problème. C’est donc un défi de retrouver ce côté un peu ibérique, arabe, pour les français. C’est difficile, surtout maintenant.

FW : On voit beaucoup d’aficionados en France, des gens qui étudient, qui voyagent en Espagne pour apprendre, qui sont connaisseurs, ; mais tu vois toujours une différence ?

PP : Quand on ne vit pas dans un pays, je crois qu’on peut passer à côté de la culture quotidienne indissociable de la musique traditionnelle. On peut faire un bon blues en étant à Bordeaux, mais ce n’est pas le blues de Chicago. On n’est pas dans la réalité dans laquelle se développe et se crée cette musique avec une configuration particulière ; ça semble difficile, c’est autre chose. Ça sera toujours autre chose, mais c’est respectable.

FW : Le flamenco en France manque de quoi ?

PP : Du bain de culture des civilisations juive, arabe, et espagnole. Les arabes sont montés jusqu’à Poitiers, mais on les a refoulés.

FW : Est-ce que le flamenco en France a quelque chose de plus ?

PP : Il a le mérite de faire quelque chose dans ce contexte.

FW : Comment expliques - tu le succès du Festival de Mont-de-Marsan ?

PP : - Les français sont sensibles à une tradition, comme la tauromachie, le rugby, la trilogie avec le flamenco. A Mont-de-Marsan, il y a vraiment des aficionados, peut-être plus festifs que « jondos », mais je pense qu’il y a aussi un public pour le « jondo » ici. Ce sont des gens à qui on a appris à écouter le flamenco, après tant d’années de Festival.
Sur vingt ans, on peut créer un engouement.

FW : Tu le notes chez tes élèves ?

PP : Je crois que les élèves sont de plus en plus sensibles à la difficulté et à la reconnaissance du travail. Je crois qu’ils sont de plus en plus dans l’humilité. Ils savent que c’est difficile et qu’ils doivent travailler. Et ça, c’est bien. En Espagne, c’est pareil.

FW : Et donc, ceux qui viennent une fois à Mont-de-Marsan, en général reviennent ?

PP : Beaucoup reviennent. En guitare, la plupart sont revenus. Ça correspond à une évolution et à un suivi.

FW : Les élèves se posent des questions au-delà des cours, ils ont une curiosité pour ce qui se passe en dehors ?

PP : Ça, c’est lié à l’individu, mais depuis qu’il est interdit de regarder les cours, la communication se fait de moins en moins entre les élèves. Dans les spectacles, ils sont sensibles à autre chose - le chant, la danse -, ils sont assez ouverts.
Cette année, je crois qu’il y a eu une initiative de « café – music », qui a peut - être compensé un peu le côté sclérosé de l’école : des élèves qui jouent et qui reçoivent une reconnaissance comme s’ils étaient en concert. Il y en a beaucoup qui ont osé : c’est très important, et ce n’est pas évident.

FW : Il n’y a pas de cours de chant à Mont-de-Marsan ?

PP : Non, et c’est peut-être cela qui fait la différence. Il y a beaucoup de guitaristes et de danseurs français, mais il n’y a pratiquement aucun français qui chante du flamenco. Si on imagine des cours de chant, c’est très difficile, parce que pour le chant il n’ y a pas de médiation La guitare, les chaussures, ce sont des médiations. Mais avec la voix, tu as une mise à nu, et sans la culture c’est très difficile. Et donc le chant est ce qui marque la différence.

FW : Les élèves français peuvent avoir l’opportunité d’accompagner le chant ?

PP : Avoir un chanteur qui se met à ta disposition, c’est très difficile. Ça peut être à l’occasion d’une rencontre, mais c’est trop épisodique. Moi, je fais venir des chanteurs parfois, des copains français qui chantent bien et qui

viennent chanter « una letra » pour les élèves, pour concrétiser la guitare. Mais c’est très difficile d’avoir des chanteurs sous la main pour travailler. Les chanteurs en France se comptent sur les doigts de la main, et ce sont surtout des chanteurs d’origine espagnole.

FW : Les guitaristes français doivent attendre des années pour accéder à un bon niveau et pouvoir travailler avec les chanteurs ?

PP : Il faut un minimum de technique, et écouter beaucoup de chant. Il y a même des élèves qui ont fait de la guitare par défaut, alors qu’ ils auraient aimé chanter.

FW : Comment travaille – t ‘on l’accompagnement du chant sans chanteur, avec des disques ?

PP : Oui, c’est un peu une solitude, mais ça permet d’avancer.

FW : Pourquoi reviens - tu enseigner tous les ans à Mont-de-Marsan ?

PP : Mon métier, c’est d’ enseigner la guitare. Quand on peut guider les gens, c’est très important. Ne pas transmettre ce que je sais serait une manière d’avoir un pouvoir sur les autres ; ça ne met plaît pas, je préfère partager.

FW : C’est un privilège de donner un cours à Mont-de-Marsan ?

PP : Tout à fait. Ça m’apporte la possibilité d’assister aux concerts, de rencontrer des gens, d’enrichir ma sensibilité pour jouer. C’est une chance, et je remercie les gens qui continuent à me donner cette possibilité.

FW : Qu’est ce que tu penses de l’espace de la Bodega, réservé, finalement, aux « flamencos français » ?

PP : On dirait que le prestige est réservé aux espagnols. On respecte les français pour ce qu’ils sont, peut-être que ça peut évoluer. Peut-être est - ce un positionnement juste des choses.

FW : Pourquoi les français mettent - ils autant de passion à apprendre le flamenco ?

PP : Ils y trouvent ce qu’ils n’ont pas, c’est-à-dire une rythmique, le sens du rythme passé dans la vie de tous les jours, et le sens de la fête, du rire. En décrétant la Croisade contre les Cathares, le Pape Innocent III a supprimé les échanges par voie de mer avec les pays d’Afrique du Nord. Plus de derbouka, les troubadours se sont retrouvés avec tambourins et clochettes, ça a été un tournant historique. Le flamenco, c’est tellement magique qu’ils apprécient ce qu’ils n’ont pas. Le rythme, l’harmonie et la mélodie.

FW : Que représente le flamenco dans ta vie ?

PP : Une manière de penser et de vivre, à la fois très concrète et très abstraite. Vivre avec la magie de la musique, la force unique du rythme, typiquement flamenca, mais aussi universelle, de par l’émotion.

FW : Vivre sans le flamenco ?

PP : Ce serait peut-être avec le jazz ou la bossa, la musique africaine, mais avec du rythme et des sons. Mais un grand merci au flamenco, pour avoir enrichi la dimension universelle de la musique.

Propos recueillis par Manuela Papino





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