Argentina : "Un viaje por el cante" / Sonia Miranda : "Casita el Panaero" / Rocío Márquez : "Claridad"

jeudi 25 octobre 2012 par Maguy Naïmi

"Un viaje por el cante" : Rosevil RSV 06000 - 2012

"Casita el Panaero" : Pasarela CDP 3/1157 - 2012

"Claridad" : Universal 0602537077786 - 2012

Cante flamenco : Une trilogie féminine

Nous avons eu le plaisir d’ écouter trois voix féminines jeunes et talentueuses, celles de Sonia Miranda , de Rocío Márquez et de Argentina. Trois albums différents résultant de la recherche d’ une voie à mi-chemin entre la tradition et l’ innovation pour les deux premières et pour la dernière, conçu comme un hommage aux grands interprètes du flamenco.

Sonia Miranda et sa "Casita el Panaero" présentent une série de styles proprement flamencos parfois traités à la manière de la copla ou de la chanson, comme pour le premier titre de l’ album, "Pecado" (Bulería), où la chanteuse glisse habilement - aidée dans son entreprise par la guitare de José Antonio Rodríguez - de Caetano Veloso à Juan Manuel Serrat, et sa très belle chanson "¡Ay amor !". Mais, et ce sera le cas pour un grand nombre de titres de l’ album, le flamenco sert surtout de base à une réélaboration. La voix est souvent traitée, comme dans le deuxième titre "Plaza de la Escandalera" (Tangos) soit en fond, soit en écho, formant avec la guitare de Antonio Luis López, volontairement au premier plan, une sorte de brouillard sonore.

La belle voix de Sonia Miranda se fait plus sonore dans la Serrana qui suit, accompagnée par Miguel Ángel Cortés. Mais, là encore, prévaut l’ impression d’ une citation de Serrana, car la voix y est volontairement diluée, et les facultés vocales de cette chanteuse reléguées à l’ arrière plan, comme flottant sur un matelas sonore, celui de la guitare. Dans "Isla de Alborán", on assiste à un "mano a mano" avec Miguel Ángel Cortés. Ces Alegrías sophistiquées, plutôt suggérées, jamais traitées en force, s’ achèvent néanmoins par une mélodie joliment détournée par la chanteuse. "Encaje de bolillo" (Mariana) s’ éloigne de la version traditionnelle, plus tendue... "Me sabe a gloria", les Bulerías en hommage a Fernando Terremoto (guitare : José Quevedo "Bolita"), nous ont semblées bien "décaféinées", interprétées avec une diction affectée comme dans la copla, bien que la poésie de certaines letras nous ait touché ("Luz en los balcones / se hace tarde el sol se pone... mi guitarra tiene triste los bordones.").

A partir de "Casita el Panaero", titre éponyme, la voix reprend la main sur l’ accompagnement comme dans le flamenco traditionnel (ce à quoi incite d’ ailleurs l’ accompagnement de José María Molero), et on aura plaisir à goûter la voix claire et sonore de Sonia Miranda, tout comme dans les titres qui suivent : la Siguiriya "Rincón postrero" (avec Paco Cortés) et les Cartageneras de Chacón ("La fabriquilla" - avec Francis Hernández), où l’ on goûtera un très bel arrangement sur les deux derniers cantes : la seconde Caragenera est traitée en rythme "abandolao", et sert de transition vers le Fandango de Pérez de Gúzman conclusif. Mais la voix reste devant, resplendissante, et ici, ô miracle, l’ équilibre est enfin trouvé ! On apprécie enfin pleinement la voix et l’ arrangement instrumental, mais aussi la poésie : "¡Ay de noche y día, / yo tengo una pena impertinente / que reina en mí de noche y de día / porque a mí nada me divierte / ni tengo más alegría / que el rato que vengo a verte.

Le livret s’ ouvre sur une belle photo d’ épis dorés, avec en sous- titre la phrase célèbre "je pense donc je suis" habilement détournée, et reproduit les letras.

Rocío Márquez, quant à elle, nous offre dans un écrin romantique de vieille carte postale son album "Claridad", en commençant par ce qu’ elle connaît le mieux, les chants de sa terre natale (Huelva). Sa Jotilla de Aroche (une première au disque) et ses Fandangos ("Infancia"), sur un bel arrangement d’ Alfredo Lagos, présent sur tout l’album (sauf sur la Taranta, où nous retrouvons avec plaisir l’ ancien accompagnateur de Rocío, Guillermo Guillén), sont un vrai régal, car on y retrouve la voix toujours élégante et subtile de Rocío, son vibrato qui semble si naturel, exécuté sur le souffle à la fin de chaque cante. Le texte illustre cet hommage à la terre de son enfance : "De Cortegana a Aracena, / caminando por la sierra, / siento como el viento corre. / Las puertecillas abiertas, / el calor de mis mayores / y el valor de la inocencia.". Les Tangos ("Las manillas del reloj") sont joliment interprétés, d’ une voix légère et ondulante.

Dans "Claridad", la voix lumineuse de Rocío évoque la "Tacita de plata" dans les Bulerías de La Perla ("¡Qué bien puesto estuvo el nombre ! / Perla que brillas todavía, / fuiste reina del soniquete / y del cante por Bulería.) et le Pregón, mais l’ interprétation nous a semblé trop sophistiquée, et manquer d’ intensité. Les Romance y Seguiriya ("Liberación"), avec des percussions sur la partie de Siguiriya, sont presque trop jolis, et manquent d’ épaisseur. L’ accompagnement à la guitare, trop envahissant, laisse peu de place aux silences dans un style où celui-ci est primordial. La suite Tango / Tanguillo / Guajira ("A mi no meterme"), sur lesquels intervient la flûte de Jorge Pardo, nous a semblé un peu artificielle. Le texte n’ aide pas le chant, et paraît entrer en force dans la musique. Quant à la Habanera ("Te diré"), elle ne présente pas un grand intérêt flamenco : il s’ agit simplement d’ une jolie chanson.

Le titre suivant, "Antiguamente eran dulces" (Abandolaos) est un hommage aux chants de Málaga (avec un détour mélodique par Lucena). Rocío nous emmène en promenade dans la ville, et évoque ses différents quartiers. Elle s’ y sent à l’ aise , car elle a la capacité vocale et la fluidité qui lui permettent de traiter ces chants en finesse. Elle les passe en revue avec talent, et on se trouve transporté dans les "Montes de Málaga", terre natale des Verdiales. On y retrouve une poésie teintée d’ humour : "Antiguamente eran dulces / todas las aguas del mar, / se bañó una malagueña / y se volvieron "salás"". Le climat change avec l’ intervention de Guillermo Guillén, qui nous ramène à un flamenco plus "resserré", plus dense. Rocío peut déployer tout son talent avec la seule guitare, dans la plus pure tradition. On déguste sans modération les mélismes et les sinuosités de la mélodie de la Taranta (style dans lequel Rocío excelle, et qui lui a rapporté, rappelons –le à nos lecteurs, le premier prix du festival de La Unión).

La Nana finale, accompagnée au piano par Rosa Torres-Pardo est intéressante. Elle se conclut sur un mot propice à la rêverie ("soñar"), qui efface le peu esthétique "Le lelé" entrecoupé de reprises de souffles trop sonores qui ne conviennent pas à ce style, et redonne à ces Nanas le climat apaisé et nostalgique dans lequel nous aimons nous bercer.

"Un viaje por el cante", conçu sur une idée originale de la chanteuse Argentina et de Luis Miguel Baeza, est un très bel hommage au flamenco. Argentina nous emmène en voyage à travers la géographie flamenca - un voyage dont on a du mal à revenir tant son parcours nous enchante, en pas moins de quinze cantes (et un minutage plus que généreux qui mérite d’ être souligné, surtout par les temps qui courent - 70 mn). Ce disque est accompagné, comme les deux précédents, d’ un livret bien appréciable pour tous ceux qui aiment, comme moi, s’ imprégner des textes chantés.

Mais l’ album est plus qu’ un recueil de "letras". Argentina nous invite à partager ses goûts en matière de chant, et elle nous offre une anthologie personnelle, faisant référence à chaque fois, à l’ intérieur des styles interprétés, soit au créateur ou à l’ interprète, soit à l’ origine géographique des cantes. Par exemple, pour le premier titre ("Barrio de la Triniá" - Abandolaos), elle détaille pour nous : "Fandangos de Lucena" pour les deux premiers, et "Jabera" pour le dernier.
Le choix des letras nous a paru judicieux (quoique coquin) : "A comerse una manzana / mi hermano entró en una huerta / y lo ha pillado el hortelano / comiéndose a la hortelana.".
La voix puissante d’ Argentina est d’ une justesse impressionnante, même dans les passages les plus difficiles à exécuter. Sa maîtrise absolue du compás, sa complicité avec les deux guitaristes José Quevedo "Bolita" et Eugenio Iglesias, (on passera du tempo normal des abandolaos à un tempo très enlevé sur la Jabera, suivi d’ un retour au tempo du début, le tout encadré par les percussions de José Carrasco et les palmas et jaleos de los Mellis, qui donnent une pêche d’enfer !!) font de ce premier titre une invitation au voyage qu’ on ne peut décliner. On a envie d’ aller plus avant.

Le titre suivant "Acordándome de Chano" (Garrotín & Cantes del Piyayo) est un hommage au chanteur de Cadix disparu il y peu. On trouve dans la partie Garrotín, une allusion à sa drôlerie légendaire : "Por la milenaria Cái / apareció Chano Lobato / con un compás que bailaban / primita mía, hasta los gatos". Argentina sait être sobre : des mélismes, oui, mais sans excès. Elle a choisi pour la deuxième partie les Tangos del Piyayo, que les chanteurs actuels ont malheureusement tendance à délaisser et qui sont ici un vrai régal. La voix se meut avec souplesse sur la guitare de José Quevedo "Bolita", et l’ hommage se termine enfin avec la voix de Chano telle une citation.

Sur la Malagueña de Baldomero Pacheco, la guitare de José Quevedo résonne, délicate et sonore, avec des accents de modernité. Argentina là aussi sait rester sobre. Sans démonstration de puissance vocale, elle reste au service d’ une mélodie et d’ une "letra" superbes : "Porque andando me desmayo / a las paredes me arrimo / yo me encuentro desvalía / por causa de un mal vasallo / y tú la culpa tenías. ». La Serrana qui suit ("La aurora") est plutôt traitée comme un "cante a palo seco" dans toute sa première partie, puisque la chanteuse n’ est accompagnée que par les percussions de José Carrasco, la guitare de Jesús Guerrero ne faisant son apparition que sur la Siguiriya de María Borrico. Argentina ne crie pas, elle tient en voix pleine et ne se brise pas.

Dans le titre suivant ("Estación Jabugo – Galaroza"), nous avons le plaisir d’ entendre Juan Carlos Romero, guitariste invité dont nous apprécions beaucoup le talent. Argentina, quant à elle, décline les coplas "por Fandango" sans faire dans la facilité, la voix toujours bien placée, juste, en rythme, même dans les passages les plus difficiles. Elle rend hommage successivement à Juan Rebollo, Juan María Blanco et El Gloria ("Un corazón dibujé / en la orilla de la playa / las olas me lo tapaban / y al alba yo lo busqué / y el corazón allí estaba. "). A la fin, sa voix se modifie légèrement, prenant les accents d’ Enrique Morente, autre façon de nous faire entrer dans son univers, et de lui rendre hommage. Tout comme Morente, Rafael Romero revit pour nous dans le titre suivant, "Viva Andújar". La Caña est une allusion évidente à la grande maîtrise de ce chanteur qui interprétait si bien "Alza y viva Ronda", qu’ Argentina transforme en "Arza y viva Andújar". Elle enchaîne sur le Polo que ce chanteur affectionnait : "Señores, el cante del Polo / es cante de pura cepa / y lo debe de cantar / solamente el que lo sepa.".

Suivent "Milonga Argentina" et surtout "Isla de León", Cantiñas dans lesquelles Argentina se montre brillante, sachant alterner force et fluidité, enchaînant sur le souffle copla et coletilla, et terminant sur une interprétation virtuose de la "Isla de León" qui exige un contrôle absolu tant des graves que des aigus : aucun problème, la cantaora se payant même le luxe de terminer sur une vocalise personnelle, et sur le souffle. Avec "Maleta de Levante" (Murciana et Taranta de Linares), le voyage s’ oriente vers l’ Est où les vers résonnent en beauté : "Que como la sal al guisao / me está haciendo más falta tu querer primo / como la ropa al que está en cueros / y como el agua a los sembrados / como a la mina el minero.". "Café de la Marina" évoque l’ ambiance des tablaos. Après les Tientos, Argentina nous détaille les Tangos "De Extremadura", puis "del Titi de Triana", avec la guitare de José Quevedo et les palmas et jaleos de Los Mellis, Torombo, et Esfera.

Avec "Los serenos de Triana" (Soleá de Triana y Bambera) Argentina n’ a pas non plus choisi la facilité : il faut non seulement avoir une bel ambitus vocal, mais également de la puissance pour s’ attaquer aux "Candelas del cielo" chères à Cobitos. Mais dans les Bamberas, l’ ambiance change, et il s’ agit plutôt d’ un "mano a mano" avec le guitariste Eugenio Iglesias. Les derniers titres n’ ont rien à envier en difficulté et maîtrise aux précédents : la chanteuse enchaîne une Petenera, celle de la Niña de los Peines, la plus difficile ("Una flor blanca en el pelo", avec José Quevedo à la guitare) ; des Bulerías ("La viajera" , accompagnées par les guitares de Diego et Pepe del Morao, les palmas de Diego Moreno et Esfera, et les jaleos de Baeza et Esfera) ; la Toná Grande suivie de la Cabal rendue célèbre par la version mémorable d’ El Sernita, avec José Quevedo sur la Cabal ; et une composition de José Quevedo, "Pasajeros en el tiempo" qui clôt ce voyage dans le temps, sur un bel arrangement de Joan Albert Amargós, interprété au piano par son auteur, à la guitare par José Quevedo "Bolita" et aux percussions par Paquito González, secondés par los Mellis (choeurs) et Cara Urta et Esfera (palmas).

Un voyage dans le temps comme dans l’ espace, qui est à la fois une vision personnelle (choix du répertoire, des "letras", des auteurs ou interprètes de référence), et un hommage respectueux à tous ceux qui ont fait du flamenco ce qu’ il est à ce jour : l’ une des plus passionnantes musiques traditionnelles du monde.

Maguy Naïmi

Galerie sonore

Sonia Miranda : "Casita el panaero" (Soleares) - guitare : José María Molero

Rocío Márquez : "Infancia" (Jotilla de Aroche y Fandangos) - guitare : Alfredo Lagos

Argentina : "Isla de León" (Cantiñas) - guitare : José quevedo "Bolita"


Casita el Panaero
Infancia
Isla de León




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