mercredi 23 novembre 2011 par Muriel Mairet
Salle Ravel, Levallois, 18 novembre 2011 (partenariat avec Flamenco en France)
Baile : JoaquÃn Grilo
Cante : Carmen Grilo et José Valencia
Guitare : Juan Requena
JoaquÃn Grilo, l’ enfant libre de Jerez
L’ ouverture du spectacle par les deux Siguiriyas successives de Carmen Grilo et de José Valencia annonçaient la perspective profonde et grave du spectacle. Le premier baile por Soleá de JoaquÃn Grilo poursuivit dans
cette veine, avec un zapateado renforcé par une prise de son directe sur les chaussures, ce qui malheureusement dessert souvent les artistes : le son perd sa périphérie, sa diversité de couleurs, ses subtilités d’ intensité.
La Farruca fut interprétée avec une grande originalité, tant pour le zapateado que pour le toque de Juan Requena, apportant une nouvelle approche de cette forme réputée immuable. En effet, les letras plus légères, le baile plus intime, libérèrent le palo d’ une chorégraphie habituellement travaillée en résistances et en temps très prononcés.
Les AlegrÃas furent introduites par une salida de zapateado invitant la guitare dans l’ histoire personnelle de JoaquÃn.
Le bailaor a orienté son inspiration sur un jeu d’ équilibres et de déséquilibres, suspendu à un fil invisible. Ses vueltas accompagnées d’ un port de bras très esthétique se fondaient dans ses chorégraphies avec une grande fluidité. JoaquÃn se sentait libre sur scène comme dans la vie, libre comme l’ air, comme les états d’ âme qui traversaient son corps. Il joua plusieurs personnages, s’ amusa avec ses compagnons de scène comme avec le public.
Son expressivité spontanée, ponctuée de pulsions enflammées, de mimes furtifs, nous rendit complices de ses humeurs malicieuses. La flà »te traversière, clin d’ Å“il à sa collaboration avec son ami Jorge Pardo, renforça la nature de son travail, fondée sur le partage de l’ émotion et la complicité : avec lui-même, avec sa compagnie et avec le public. Ce don de soi a atteint son climax lors du final en "pata por BulerÃa", qui fit exploser la salle d’ enthousiasme. JoaquÃn nous fit ainsi le cadeau d’ un voyage du tragique à l’ euphorie de la vie.
Muriel Mairet
Photo : Christian Bamale pour Flamenco en France
Théâtre Gérard Philipe, Champigny-sur-Marne, le 22 novembre 2001
"La Edad de oro"
Baile : Israel Galván
Cante : David Lagos
Guitare : Alfredo Lagos
Lumières : Ruben Camacho
Son : Pedro León
Grâce à l’ amie Sophie Herbin qui a eu la bonne idée de nous inviter et, bien entendu, à Véronique Lécullée et Danielle Bellini, directrices, l’ une de la salle, l’ autre du service culturel de la ville de Champigny, qui ont eu l’ audace de le programmer, nous avons pu revoir en France Israel Galván, valorisé par David Lagos, au cante, Alfredo Lagos, au toque, Ruben Camacho, aux lumières et Pedro León, à la sono, dans sa pièce intitulée La Edad de oro, autrement dit : L’ Âge d’or.
Nous avions découvert cette formule minimaliste, désencombrée de tout accessoire, balayant toute tentation ou ostentation scénographique, ce flamenco de chambre, en somme, au festival de la Union, en 2008, en fin de soirée, à la suite d’ une prestation mémorable de l’ immense chanteur Enrique Morente disparu en décembre dernier, un ami du bailaor qui figure à ses côtés, en vidéo, dans le spectacle "Arena".
Gérard Philipe. L’ acteur a été, on peut le dire, génial. Et unique. Des théâtres rappellent son nom dans tout l’ hexagone, à Saint-Denis (scène municipale datant de 1902, où nous vîmes, cela devait être en 1965, notre premier spectacle de flamenco), à Meaux, à Montpellier, à Frouard, à Orléans, à Sartrouville et, donc, à Champigny. Des Galván, on en a tout un jeu, toute une famille : la mère, Eugenia de los Reyes, artiste gitane de Séville ; José, le père, chanteur et danseur ; et même la sœur, Pastora, bailaora. Le jeune homme a réussi non seulement à se faire un prénom, on ne peut plus biblique (choisi par des parents témoins de Jéhovah) et à porter le patronyme aux quatre coins de la planète, mais il est aussi parvenu à imposer un style de danse surprenant à un milieu de puristes attachés aux traditions et aux codes bien établis.
En quatre ans, sa danse est devenue encore plus tranchante. Lisible de loin, efficace. Israel Galván a une manière qui n’ appartient qu’ à lui, nette et précise, précieuse et cassante, évidente et tarabiscotée, comique et décevante. Il a mis en cause le tabou de la danse flamenca masculine, à commencer par le décalogue de Vicente Escudero qui a défini dans les années cinquante les canons de la beauté de cet art. Grâce à lui, le flamenco transcende aussi la question même du genre, ce qui relève d’ une problématique très actuelle. Galván est mi-homme mi-femme, un peu comme dans le numéro de music-hall où le visage et le corps de l’ artiste est divisé en deux et où, tour à tour, celui-ci montre son profil masculin et féminin. Plus exactement, le danseur joue les deux rôles à la fois, dans le même mouvement. Et assume la part féminine qu’ il y a dans tout macho.
Pour cela, il prend la BulerÃa très au sérieux et ce palo pittoresque, spectaculaire, carnavalesque contamine ou dissout tous les autres, quel que soit le compás signifié par les frères Lagos.
Galván ne se moque pas du monde. Et encore moins du flamenco. Il est, il incarne, il assume son art. Sa révolution est d’ ordre esthétique, certes, mais il faut bien commencer par quelque chose. On perçoit d’ autant mieux ce changement en acte que ses accompagnateurs ne bronchent pas et continuent à jouer, imperturbablement, dans le style le plus traditionnel qui soit, celui de Jerez. Avec un talent qui, d’ ailleurs, s’ affirme de plus en plus – le chanteur, peu à peu, trouve la "jondura" appropriée ; le guitariste, à lui seul, assure la "pompe" et de brillantes falsetas, la soirée durant.
Chaleureusement rappelé par le public campinois, le danseur excentrique est revenu chanter a capella de sa voix haut perchée, tandis que ses compagnons de voyage échangeaient leurs rôles : le chanteur s’ est révélé bon guitariste et le musicien, gracieux bailaor…
Nicolas Villodre
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