Ana Morales : "Peculiar"

jeudi 23 juin 2022 par Chantal Maria Albertini

Création mondiale de la nouvelle œuvre d’Ana Morales à la Grande Halle de la Villette (Paris).

Compagnie Ana Morales : "Peculiar (Working Progress)" (création mondiale)

Paris, Grande Halle de La Villette — 16-18 juin 2022

Co-production : Établissement Public du Parc de la Grande Halle de La Villette / Agencia Andaluza Instituciones Culturales, Junta de Andalucía / Bienal de Flamenco de Sevilla / Théâtre de Nîmes (Scène conventionnée pour la danse).

Concept, création et chorégraphie : Ana Morales

Danse : Ana Morales, Antonio Molina "el Choro" et Julia Acosta

Chant : Tomás de Perrate

Guitare : Rycardo Moreno

Harpe : Ana Crisman

Espace sonore et interprétation : Miguel Marín

Vidéo : Raül Refree (musique off) et Ana Morales (danse)

Lumières : Cube.bz

Production déléguée : Daniela Lazary, Arte y Movimiento Producciones

"Un voyage aux possibilités infinies pour explorer le monde de la danse, de la musique, du flamenco…"

"Nous recherchons un espace propre, sans ornementation, particulier…"

Ces mots d’Ana Morales ne sont pas une simple déclaration d’intentions et, encore moins, un manifeste formaliste. Ils sont une affirmation, une revendication qui permettent d’entrer dans l’univers singulier, "particulier", de la danseuse.

Car ce spectacle est bien l’expression totalement libre d’une artiste "particulière", cheminant en dehors des sentiers battus, qui veut rompre avec tous les académismes, anciens ou récents, classiques ou modernes, à la recherche de l’ "être naturel". Elle y parvient parfaitement, grâce à une évidente personnalisation de sa danse, qui échappe à toute classification normative, à toute interprétation réductrice ou rassurante.

Ana Morales désire ouvrir la danse flamenca à tous les possibles, à partir du corps dans toute sa vérité, sans recherche de perfection obligée. Elle désire "un flamenco naturel, plus proche du contemporain que de cette perfection académique utopique qui efface l’essence de l’art inné…". Dans cet esprit, son utilisation de la vidéo-danse est loin de fonctionner comme un gadget plus ou moins à la mode, simplement illustratif. Au contraire, elle est un élément à part entière qui permet la réponse du corps à l’image, à travers sa propre danse — celle-ci se créant en temps réel. Dans "Peculiar", Ana Morales manifeste sa volonté d’adapter le vocabulaire chorégraphique à n’importe quel monde sonore, n’importe quelle musique ou voix, en passant de la musique électronique à des sons déformés, distordus, de la voix flamenca ancestrale à la chanson anglo-saxonne, style comédie musicale, avec une aisance qui peut être déconcertante — sans oublier le silence comme présence/absence.

C’est d’ailleurs dans l’obscurité et le silence que débute le spectacle ! Puis, peu à peu, apparaît Tomás de Perrate, qui commence à murmurer des mots ou des bribes de phrase pendant que les autres artistes entrent dans l’espace scénique en chuchotant… sur une musique électronique avec base rythmique.

De sa voix si personnelle, déchirante et profonde, Tomás de Perrate commence une longue saeta por martinete qui accompagne des formes dansées, des arrêts sur images évoquant les "pasos" de la Semaine Sainte, figures bouleversantes d’un rituel tragique, d’une esthétique singulière, "peculiar".

La suite du spectacle se déroule le plus souvent comme un rituel, avec des références à l’univers traditionnel de la culture andalouse, non sans en pratiquer des ruptures de tempo, de l’extrême lenteur à la frénésie, des audaces visuelles et sonores auxquels participent les différents protagonistes, en groupe ou séparément.

Sans entrer dans un descriptif détaillé de la pièce, on pourra cependant en détacher quelques moments particulièrement significatifs :

• Après la saeta initiale, magistralement chantée par Tomás de Perrate, une taranta suivie de tangos sur rythmes de tambours pour clore la première section.

• Le solo de danse libre d’El Choro, entre bulerías et tangos, qui ouvre la deuxième séquence.

• A retenir aussi, le solo de tambourin dansé par Julia Acosta, précédant un récitatif qui est une ode à la femme, aux femmes, en introduction aux sevillanas corraleras traditionnellement chantées par les femmes de Lebrija.

• La soleá dansée par Ana Morales, accompagnée non pas à la guitare mais à la harpe par Ana Crisman, est impressionnante et parfaitement juste.

• Cependant, l’un des moments les plus mémorables est sans aucun doute la siguiriya, dansée par Ana Morales de façon étourdissante : des tourbillons, des sauts, des jetées au sol suivis de glissades … et, de nouveau : tourbillons, sauts, jetées au sol, glissades… ; cette frénésie vertigineuse et tragique semble pouvoir durer indéfiniment, comme une offrande rituelle au flamenco, à l’Art et, bien sûr, au public.

Enfin, il faut tout particulièrement mentionner Tomás de Perrate, véritable magicien qui, par sa seule présence, insuffle une sorte d’incandescence à tout le spectacle. Qu’il chante les cantes les plus savants, qu’il récite un texte comme une psalmodie, quelquefois incompréhensible, sa voix exceptionnelle, archaïque et si moderne, semble pouvoir dépasser tous les mystères, déchiffrer les énigmes, communiquer avec un ailleurs — comme une pierre angulaire de "Peculiar", il en est en quelque sorte le chaman.

Merci à tous pour ce spectacle "en devenir", qui n’a pas fini de surprendre !

Chantal María Albertini

Photos : Alain Scherer / Arte y Movimiento Producciones

NB : programme musical du spectacle : saeta por martinete (a compás de siguiriya) / taranta (El Frutos de Linares) et tangos / bolero por bulería ("Pecado") / toná "Los fonemas", (de l’album "Tres golpes" de Tomás de Perrate) et siguiriya de Juanichi "el Manijero" / "When I Dream of You" (Tommy Page) / sevillanas de Lebrija / soleá de La Serneta / soleá instrumentale (harpe) / siguiriya (El Viejo de La Isla / Manuel Torres).





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