Récital de Juan Gómez "Chicuelo" : Institut du Monde Arabe, Paris, le 10 février 2017
Guitare et composition : Juan Gómez "Chicuelo"
Chant : Joaquín Gómez "el Duende"
Violon : Carlos Caro
Bandurria : Mario Mas
Percussions : Isaac Vigueras
Excellente idée de la part de l’Institut du Monde Arabe que celle d’avoir programmé en cet hiver maussade du flamenco pour nous réchauffer un tant soit peu en attendant des jours meilleurs – voire ceux des cerises. Il nous a été offert d’assister à la soirée inaugurale de la manifestation, dédiée à la guitare – à celle du maestro catalan Juan Gómez “Chicuelo” – et, par intermittence ou “por atras”, au chant – à celui, subtil, de Joaquín Gómez, dit, en toute modestie, “El Duende”.
La tête d’affiche de ce gala était soutenue par la rythmique efficace du percussionniste Isaac Vigueras, les accords et chapelets de notes quelque peu assourdies, plus aigrelettes et maigrelettes en fréquences que celles produites par la Conde fauve flambant neuf de notre briscard barbu, de la bandurria de Mario Mas et par les envolées lyriques et swingantes du violoniste cubain fixé à Barcelone Carlos Caro.
Au milieu du set, seul ou en solo – mais pas en soleá, comme dirait l’autre – Chicuelo se livre, totalement ou presque – le tocaor portant cravate a toujours de la tenue et aussi une certaine retenue – à une longue falseta déroulant une étonnante et impressionnante série d’accords, d’arpèges, de rasgueados jaillis, il en donne l’air, spontanément, c’est-à-dire de l’ici et maintenant et de jadis et là-bas, d’une connaissance de l’instrument acquise par l’accompagnement des grandes figures de son art – d’Enrique Morente à Carmen Linares, en passant par Mayte Martín, Chano Lobato, Rancapino, Miguel Poveda, Duquende et Israel Galván, notamment.
Sa dextérité et sa main gauche exceptionnelles contrebalancent sans aucun doute le prosaïsme compositionnel. Rien à dire de ses options en matière de répertoire ou de style qui font alterner les palos traditionnels – le la étant donné par le cantaor – en l’occurrence, ce soir là, bulerías, alegrías, quelques fandangos abandolaos (dont l’un de Lucena), une taranta et, mine de rien, une toná de trilla ; et des rythmes et harmonies venus d’ailleurs (de toutes les Amériques !) : velléité de colombiana, soniquete jazzy, version instrumentale de "Gracias a la vida" (1966), une plainte, en mode mineur, comme il se doit, de la regrettée chanteuse chilienne Violeta Parra.
Les moments, sinon de duende, du moins d’emballement et même de frénésie, étaient, nous a-t-il semblé, provoqués et poussés à l’acmé par le violon de Carlos Caro. Faut-il rappeler que ses ancêtres ont propagé la rumba à Barcelone, celle qu’on qualifie de catalane ? Le musicien, formé au classique et venu sur le tard au flamenco, a le goût de la citation, le béguin de la biguine, la science du son – du danzón et du mambo. Rien de maniéré chez lui, quelques citations pour la forme (les danses polovtsiennes de Borodine et la Carmen de Bizet), rien d’apprêté : la simplicité et l’efficacité d’un Ray Nance.
Au total, un concert tonique et vivifiant dans une salle pleine et réceptive qui a rappelé les artistes.
Nicolas Villodre
Photos : Nicolas Villodre
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