mercredi 5 mars 2008 par Nadia Messaoudi
Un festival, des lieux.
Le festival de flamenco de Jerez de la Frontera, qui se déroule cette année du 22 février au 8 mars, est le rendez-vous des aficionados du flamenco. Dans ce temple du flamenco que représente Jerez, se succèdent les grandes étoiles du flamenco au côté de jeunes révélations. Entièrement dédié à la danse flamenca, le festival de Jerez propose tous les soirs au Théâtre Municipal de Villamarta un échantillon de l’actualité « du baile » flamenco. Pour ouvrir le bal, le spectacle « Viva Jerez » a réuni sur scène les danseuses María del Mar Moreno, Mercedes Ruiz et le chanteur Fernando Terremoto. Un plateau cent pour cent « jerezano ».
En dehors du théâtre, le flamenco à Jerez se respire à chaque coin de rue. Il n’est pas rare d’entendre les « jerezanos » pousser la chansonnette au coin d’un comptoir de bar ou même au marché de poissons, provisoirement installé sur la place principale, pour cause de travaux.
Ce festival, dont c’est la douzième édition, a su savamment profiter de cette atmosphère flamenca. Mais là où Jerez est sans doute un festival pas comme les autres, c’est dans la multitude de lieux où se succèdent les spectacles. Car, en dehors de la programmation riche et éclectique de son théâtre principal, le festival propose aussi des cycles plus ouverts à d’autres tendances où le spectateur a le privilège de découvrir de futurs talents dans des lieux magiques.
Le chant et la guitare y ont leur place. Tout d’abord à la Bodega de los Apóstoles (la cave des Apôtres), où vieillit dans d’immenses fûts de chêne, le fameux vin de Xeres (ou Sherry), classé en AOC. Envoûté par les effluves de ce nectar, le spectateur y apprécie le chant des grands noms du flamenco que sont José Menese, Capullo de Jerez, Calitxo Sánchez ou Manuel Moneo, et le tout en dégustant le vin sacré.
Dans la salle de la « Compañía », l’ambiance est plus paisible. Cette ancienne église a été rénovée pour en faire une salle de spectacle. C’est là que se succèdent les danseurs Lolo Greco, Marco Flores, Rafaela Carrasco, ou Patricia Guerrero. De petite capacité, le lieu ne manque pas de charme, et il est surtout parfait pour y découvrir les promesses de demain ou des artistes dont la proposition artistique est plus intimiste.
Enfin, dans le Palais de Villavicencio, où règne le charme du Moyen-äge mêlé à l’architecture de l’ancienne mosquée qui le jouxte, le temps semble s’arrêter. Dans cette salle, seuls sont proposés des concerts en acoustique. Bref, le lieu idéal pour se laisser bercer par les voix des chanteurs Elu de Jerez, David Palomar ou Miguel Lavi.
Jerez, pour l’aficionado du flamenco c’est un programme artistique complet où la danse est la grande protagoniste. La preuve : les cours de danse proposés pendant le festival affichent tous complets. Les élèves (dans leur grande majorité des femmes) viennent des quatre coins de la planète pour suivre des cours de Bulerías, Soleares, ou Alegrías, avec les « maestros » Matilde Coral, Javier Latorre ou Rafaela Carrasco.
Grâce à ce savant mélange, le festival de Jerez de la Frontera est sans conteste un des plus grands festivals de flamenco qui a encore de belles années devant lui.
Les « Cafés Cantantes » vus par Andrés Marín (jeudi 28 février)
Fiche technique
Spectacle : " El alba del último día”. (L’aube du dernier jour)
Danse et direction artistique : Andrés Marín
Chant : José Valencia, Segundo Falcón
Guitare : Salvador Gutiérrez
Percussions : Antonio Coronel
Piano : Pablo Suárez
Musique : Andrés Marín, Salvador Gutiérrez
Scénario et mise en scène : Andrés Marín , Salud López
Théätre Villamarta, 21h (durée : 1h45)
Le festival de Flamenco de Jerez a commencé en grand pompe, le vendredi 22 février. A notre arrivée à Jerez, nous avons eu l’honneur d’assister à la dernière création du danseur et chorégraphe de Séville Andrés Marín, présentée au festival de flamenco de Nîmes 2007.
A 20h30, les aficionados du flamenco se pressent aux portes du théâtre municipal de Villamarta, haut lieu de la culture de Jerez de la Frontera.
À peine sortis des stages de danse que proposent le festival, le temps d’une douche et les élèves sont fin prêts à admirer le travail de leurs maîtres. Sur le parvis, la langue espagnole se fait rare pour se noyer dans un brouhaha d’anglais, de japonais ou de français.
Les bars qui jouxtent le théâtre font le plein et proposent des « montaítos » (petits sandwiches) et de la bière fraiche. C’est le moment idéal pour faire une pause dans le rythme effréné du festival, le temps de la discussion et des échanges de commentaires sur les spectacles de la veille. A 21 heures précises, les retardataires se précipitent pour rejoindre le théâtre.
Ce soir Andrés Marín présente « El Alba del último día » (l’aube du dernier jour. Un hommage à trois “Cafés Cantantes” (cafés de chants flamencos) qui ont marqué l’histoire du flamenco, au siècle dernier. Le Café Kursaal, celui de Chinitas et le Café Suizo, trois lieux mythiques qu’Andrés Marín a voulu mettre en scène.
Dans cette œuvre sombre, le danseur sévillan, habillé en noir, cheveux gominés, sur fond noir, s’est entouré des chanteurs Segundo Falcon et José Valencia qui interprètent un large éventail de chants flamencos (Siguiriya, Minera, Soleá de Triana, Malagueña, Romera, etc…). Deux chanteurs aux voix différentes mais qui ont une grande connaissance du chant profond.
Pas de fil argumentaire, ni de discours historique : ici Andrés Marín arrête le temps pour proposer une danse entre le flamenco classique et l’avant-gardisme.
Andrés est un danseur à la technique irréprochable et pour qui le compás (le rythme) n’a aucun secret. A partir de là, l’exercice consiste pour lui à décortiquer chaque mouvement pour l’ épurer et lui donner tout son sens profond. Aucune fioriture, ni gestes inutiles, seulement des mouvements secs et tendus mais toujours flamencos. Les avant-bras sont tournés vers l’extérieur, les doigts écartés, les épaules sont rentrées, la cambrure parfaite.
Le résultat est une silhouette élancée dont les lignes offrent au spectateur une esthétique nouvelle qui ne plaît pas à tous, mais ne laisse pas indifférent. Dans le zapateado, Andrés est plus qu’à l’aise, ses pas sont sûrs et pénètrent la scène du théâtre, et jusqu’au cœur du spectateur. À la percussion, Antonio Coronel, fait preuve d’une grande ingéniosité : palmas, battements sur une table en bois pour donner le rythme, une batterie et même une bassine d’eau pour accompagner la danse d’Andrés. Et au piano, Pablo Suárez est le gardien du temps qui nous transporte vers une époque où le piano avait sa place dans les « Cafés Cantantes » et un temps où régnait l’âge d’or du flamenco.
La danse féminine dans toute sa beauté (vendredi 29 février)
Fiche technique
Spectacle : “Mujeres” (Femmes)
Danse et chorégraphie : Merche Esmeralda, Belén Maya, Rocío Molina
Chant : Antonio Campos, Jesús Corbacho, Tamara Tañé
Guitares : José Luis Rodríguez, Paco Cruz, Manuel Cazás
Percussion : Sergio Martínez
Direction artistique : Mario Maya
Chorégraphie des Caracoles : Manuel Liñan
Lumières : Olga García
Théâtre Villamarta, 21h (durée : 1h45)
Le vendredi soir, place à la féminité. Trois grandes danseuses, pour un spectacle nommé « Mujeres » (femmes), ont provoqué les ovations du public du théâtre de Villamarta.
Merche Esmeralda, Rocío Molina et Belén Maya ont été dirigés par Mario Maya, le père de Belén, lui-même danseur et chorégraphe qu’on ne présente plus.
Le concept de « Mujeres » qui consiste à mettre en scène de talentueuses danseuses, a déjà quelques années. En effet, la même Merche Esmeralda (née en 1947) était entourée d’ Eva La Yerbabuena et de Sara Baras. Aujourd’hui en 2008, la jeune génération est représentée par Rocío Molina, qui est sans aucun doute une des grandes étoiles actuelles de la danse flamenca. Belén Maya, quant à elle, incarne la créativité et l’innovation. Et de son côté, Merche Esmeralda est la fière ambassadrice de l’école sévillane classique.
Pour Mario Maya, il s’agissait de répondre à une question à travers de ce spectacle : « Comment définir un artiste flamenco ? Par ses références classiques ou sa soif d’innovation ? Par la maturité de longues années d’expérience, ou par des choix risqués qu’ose la jeunesse ? »
Dans ce spectacle Mario Maya ne donne pas une réponse mais des pistes pour mieux comprendre. Ces trois danseuses correspondent à trois générations bien distinctes. Trois écoles différentes mais complémentaires.
Merche Esmeralda, la plus expérimentée des trois a relevé le défi de se retrouver confronter à deux jeunes danseuses. Ainsi elle apporte une pierre à
l’édifice de la danse flamenca. Pour interpréter sa Soleá, Merche a choisi la couleur blanche, qui met bien en valeur l’agilité de ses bras et la douceur de ses formes et cambrures. Merche est une danseuse classique mais qui a su s’adapter tout le long de sa carrière. Dans ses mouvements, on retrouve d’ailleurs quelques gestes que lui a empruntés la jeune Rocío.
Rocío, qui a à peine 23 ans est déjà une grande de la danse, interprète dans « Mujeres » une Siguiriya, toute vêtue de noir. Comme toujours Rocío éblouit par ses gestes gracieux. Dans cette danse où le public aime à se laisser envoûter, la jeune Rocío était parfois très pressée, trop pressée d’éblouir.
Quant à Belén, qui interprète un Tango en ouverture du spectacle, elle a su convaincre le public par sa créativité. Ses mouvements de bras son très bien coordonnés, la technique est parfaite, et son entrain emporte le public dans un élan d’applaudissement.
Le summum sera atteint quand les deux jeunes danseuses Belén et Rocío se retrouvent pour un mano a mano aux formes exquises.
Pour cette production rien de moins que trois chanteurs et trois guitares mais ce soir là, nos yeux étaient seulement rivés sur la danse de trois femmes. Trois artistes, trois générations, une belle leçon de flamenco.
La Yerbabuena revient aux sources (samedi 1er mars)
Fiche technique
Spectacle : “Santo y Seña” (mot de passe)
Danse, chorégraphie et direction artistique : Eva La Yerbabuena
Danseurs de la compagnie : Juan Carlos Cardoso, Eduardo Guerrero, Alejandro Rodríguez, Juan Manuel Zurano
Chant : José Valencia, Enrique Soto, Pepe de Pura, Jeromo Segura
Guitare, composition et direction musicale : Paco Jarana
Guitarre : Manuel de Luz
Percussions : Raúl Domínguez
Flûte et saxophone : Ignacio Vidaecha
Lumières : Raúl Perotti, Flori Ortiz
Théâtre Villamarta, 21h (durée : 1h35)
Après le spectacle de la veille présentée par Merche Esmeralda, Belén Maya et Rocío Molina, le festival prenait une autre tournure. Ce samedi soir, une autre grande danseuse allait éblouir l’assistance : Eva La Yerbabuena.
Dans ce sixième spectacle, depuis qu’elle a créé sa propre compagnie, Eva présente quelques unes de ses danses, qui lui ont donné la popularité et le prestige qu’elle possède aujourd’hui auprès du public.
Mais comme elle a, elle-même, tenu à le préciser, lors de la traditionnelle conférence de presse qui précède les spectacles : « Il ne s’agit pas d’un simple pot-pourri, mais une œuvre où je me suis appliquée dans chaque détail à donner le meilleur de moi-même. (…) Je n’ai pas de préférence dans les danses que j’interprète. Je danse tout avec toute mon âme ».
Et le résultat est plus que satisfaisant. Les robes sont précieuses. Les quatre chanteurs ont donné une superbe prestation, les lumières et le son aussi ont été soignées par cette chorégraphe d’exception. Et pourtant rien d’exceptionnel dans la mise en scène, seulement de la sobriété pour un retour aux sources et à la pureté du flamenco.
Pour ouvrir son « Mot de passe », Eva a choisi la Siguiriya qu’elle a nommée « De la Cava ». Toute vêtue de noir, elle fait montre d’une grande agilité dans les jambes, et le zapateado est contrôlé en rythme et jusqu’au dernier détail.
José Valencia, qui lui chante ce chant gitan, ne manque pas d’émouvoir la salle par la puissance de sa voix. Un grand moment de flamenco puro.
Pendant que la muse se change, c’est son ballet, entièrement masculin qui prend le relais pour danser une Farruca. Les mouvements sont découpés, et bien précis. Dans cette danse souvent interprétée par les hommes, c’est l’élégance et l’aérien qui l’emportent.
La Eva revient alors pour son fameux Mirabrás, une danse traditionnelle avec « mantón » (foulard sur les épaules), et la très andalouse « bata de cola ». Issu de son dernier spectacle « El Hilo de la Memoria » (Le fuseau de la mémoire), cette danse très difficile à interpréter demande rapidité des gestes, habileté, et grâce. Mais rien n’arrête la danseuse, elle effectue le Mirabrás avec un engouement qu’elle transmet au public sans difficulté.
Vient alors le meilleur pour la fin, l’exceptionnelle Soleá d’ Eva. Cette Soleá qui la transforme en « ensorceleuse ». Sa force expressive n’est comparable à aucun autre danseur. Entourée des quatre chanteurs, elle enchaîne les mouvements de bras et de hanches. Parfois orientale, mais toujours très flamenca, elle démontre qu’elle est toujours la grande Eva, La Yerbabuena. Dans la salle c’est l’ovation. Une autre grande nuit de danse flamenca vient d’illuminer Jerez de la Frontera.
La danse « gitana » de Manuela Carrasco (dimanche 2 mars)
Fiche technique
Spectacle : « Romalí » (traduction en caló, langue des gitans d’Espagne « de danse des gitans »)
Danse : Manuela Carrasco
Collaboration spéciale de la danseuse : Maha Akhtar
Chant : José Valencia, Enrique El Extremeño, Antonio Zuñiga, Zamara Amador, Pilar Carmona, Mai Fernández.
Guitares : Joaquín Amador, Ramón Amador, Román Vicenti
Percussion, cajón : José Carrasco
Musiciens Indiens : Rajeeb Charaborty, Pandit Ramesh Misra, Sanju Sanhai
Mise en scène : Javier Latorre
Théâtre Villamarta, 21h (durée : 1h50)
Manuela Carrasco est une gitane fière et belle. Il suffit, pour s’en rendre compte, de la voir entrer dans une salle pour être sous le charme. Grande, mystérieuse, brune aux yeux verts profonds, c’est une de ces rares danseuses qui provoquent l’émoi, la colère ou l’admiration. En Andalousie c’est une artiste vénérée des aficionados.
Manuela a aussi un caractère bien trempé et un orgueil à faire pâlir la plus capricieuse des stars d’Hollywood. Manuela n’apprécie pas que l’on compare sa dernière création « Romalí » à un spectacle de fusion avec de la danse indienne. « Moi, je ne fais jamais de la fusion mais du « flamenco puro » ». Ce spectacle qui a déjà tourné dans plusieurs villes d’ Europe, et jusqu’en Inde, est un voyage dans l’histoire des gitans, et un retour à l’Inde natale.
C’est une rencontre avec la danseuse américaine d’origine indienne Maha Akhtar qui a poussé Manuela à créer cette œuvre, où se mêle musique indienne traditionnelle et flamenco pur jus. Interrogée Manuela défend "la tolérance, l’amitié entre les peuples. Dans ce spectacle je voulais mêler la danse indienne et la danse gitane(…)".
"La danseuse indienne qui m’accompagne danse le khatak, une danse traditionnelle indienne qui ressemble beaucoup à notre Siguiriya".
Alors jusqu’ici tout va bien, mais c’est sur la scène du théâtre de Villamarta que les choses se compliquent. Tout d’abord parce que Manuela aime à entendre son « taconeo » quand elle danse. Mais dans la salle, il résonne trop et empêchent de profiter sereinement du spectacle.
En second lieu, parce que le voyage en Inde constitue seulement une première partie de vingt minutes de cette œuvre, dont la deuxième partie est constituée du traditionnel « cuadro flamenco ».
Dans la première partie, décors et costumes sont soignés, et les musiciens indiens assis au fond de la scène. Cependant les danses de Maha Akhtar, si elles sont gracieuses, ne sont pas des danses traditionnelles indiennes. Elle interprète plutôt une fusion entre flamenco et danse indienne pieds nus. Mais très vite elle revêt des chaussures à talon de flamenco, pour accompagner Manuela dans une Siguiriya. Le voyage en Inde s’arrête là.
Toujours dans cette première partie, Manuela donne la couleur dominante de sa prestation, dans l’ Alboreá et la Siguiriya : le zapateado.
Il convient de rappeler que Manuela Carrasco est, à elle seule, une école du zapateado. Elle a inspiré nombre de danseurs actuels. Sa force est dans la rapidité des mouvements de pieds et la puissance des talons. Et, bien sûr, sa grande dextérité et son sens inné du compás (rythme).
Dans la deuxième partie, Manuela va donc danser des Bulerías et des Alegrías, comme elle sait le faire : avec la force expressive gitane, très peu de « braceo » (jeux de bras), des regards intenses en direction du public, et de l’énergie communicative. Car malgré tout, Manuela transmet sa véhémence. Et dans la dernière danse, elle provoque les applaudissements des spectateurs. Ah, sacrée Manuela !
El Barullo
Le show flamenco gitano (mardi 4 mars)
Fiche technique
Spectacle : « Al natural » (Nature)
Danse : Farru, José Maya,El Barullo
Choregraphie : Farru, José Maya,El Barullo
Mise en scène : Farru, José Maya, El Barullo, Pino Sagliocco
Chant : Antonio Zuñiga, Simón de Málaga, Pedro El Granaíno, María Vizárraga, Él Rubio de Pruna
Guitares : Antonio Rey, Paco Iglesias
Percussions, cajón : Rafael Serrano, Antonio Moreno "El Pollito"
Théâtre Villamarta, 21h (durée : 2h)
Ce mardi soir au théâtre de Jerez de la Frontera, trois jeunes danseurs allaient faire basculer l’ambiance flamenco du festival en une soirée aux accents "pop star".
El Farru, frère de Farruquito et El Barrullo, le cousin de ce dernier, sont les petits fils du grand danseur Farruco. Accompagnés d’un troisième acolyte, originaire de Madrid, ils ont présenté leur dernière œuvre « Al Natural » dans laquelle ils prétendent montrer la pureté de la danse avec un brin de modernité. Qu’à cela ne tienne ! Vêtus de jeans et de vestes en cuir, les cheveux se balancent dans l’air et l’ambiance est à la démonstration de « zapateado ». Très branchés les trois jeunes gens se voient déjà comme des rock stars du flamenco.
Dans leur première chorégraphie à trois, qu’ils ont dénommé « La baluka », c’est la frime qui prime. Des pas saccadés, des sauts à la karaté kids, pour finalement peu de gestes traditionnels et beaucoup d’innovations, parfois risquées.
C’est seulement dans la Soleá por Bulería du jeune José Maya, qu’est abordé le flamenco « puro ». Aidée par sa silhouette élancée et ses longues jambes, José Maya, même si lui aussi innove quelques pas modernes, reste dans le traditionnel. Le zapataeado est déconcertant, le braceo est gracieux et la chorégraphie soignée. Mais le public ne semble pas réagir à la beauté des gestes.
Puis c’est au tour de Farru, celui qu’on appelle aussi le « negro » d’interpréter une Soleá, qu’il appellera « Esencia » (Essence). Moins raffiné que Maya, il a toutefois un zapateado impeccable. Dommage que pour cette danse expressive, il ait manqué de mouvements en arabesques ou de déplacements chorégraphiés. El Farru préfère marcher et cherche seulement à taper fort des pieds sur scène. Tellement, qu’il en retirera ses chaussures pour se lancer dans un « desplante » (série de coups forts au sol mais sans nuances) très gitan.
L’apogée du spectacle vient alors avec El Barullo, le beau gosse gitan, aux cheveux dorés. Des trois danseurs, c’est sans doute celui qui se rapproche le plus de la grâce de Farruquito, mais sans la fameuse « essence » que le chef de clan possède. Car très vite, les mouvements d’épaule, de hanches et de pieds de Barullo se transforment en un show à l’américaine. Provocateur, parfois hargneux dans sa danse, il exprime la fougue de la jeunesse. Le public adore et en redemande. Les filles sont debout et lancent « il est à moi ».
Ce show de deux heures s’est caractérisé par des problèmes de sons redondants et un écran de fumée, qui était sensée nous rappeler le mystérieux quartier de Santa Cruz, mais qui a plus gêné notre vision qu’autre chose. Enfin, les lumières faibles n’ont pas mis en valeur les pieds des danseurs qui se sont appliqués dans leurs « taconeo ».
Un peu « voyous » mais sans conteste bons danseurs, ces trois garçons évoluent dans le panorama du flamenco actuel, avec un style qui est leur est propre.
L’ apocalypse selon Galván (jeudi 6 mars)
Fiche technique
Spectacle : « El final de este estado de cosas » (La fin de cet état de choses)
Danse et chorégraphie : Israël Galván
Chant : Diego Carrasco, Fernando Terremoto, Juan José Amador
Guitare : Alfredo Lagos
Danse, palmas et compás : Bobote
Percussion : José Carrasco
Groupe Heavy Metal : Orthodox
Musique contemporaine : Proyecto Lorca
Direction artistique : Pedro G. Romero
Théâtre Villamarta, 21h (durée : 1h45)
L’apocalypse, est un thème que le danseur sévillan porte depuis de longues années au fond de lui. Cette œuvre aboutie est enfin présentée au public de Jerez, après avoir été présentée, dans un premier temps sur la scène du théâtre de Brest, lors du festival des « Antipodes », puis à Málaga (été 2007).
Le titre de l’œuvre est du à Eugenia de los Reyes, la mère d’Israël, et elle-même ex bailaora de flamenco. Une fois le titre trouvé, le danseur et chorégraphe décidait de mettre fin à ce long travail de recherche. Depuis les « Chaussures rouges » et « Arena », plane l’ombre de l’apocalypse sur les créations du danseur. L’apocalypse comme révélation : le texte biblique auquel de simples allusions déclenchent des images fortes en chacun de nous.
C’est dans cet univers que Galván voulait danser. Un monde apocalyptique où il imagine des chants de Noël qui provoquent la fuite. Des Siguiryas avec des tremblements de terre, la faim et la peste ; des Verdiales empoisonnés ; une guerre contre la Taranta et les tarentules ; et pour conclure, la mort sur une Bulería sans fin.
Dans « La fin de cet état de choses », se succèdent une série de scènes avec en accompagnement musical une variété de genres inédite.
Du heavy metal au cuadro flamenco en passant par un groupe de Verdiales (musique folklorique andalouse originaire de la province de Málaga), ou le vibraphone du groupe de musique contemporaine « Projet Lorca » : il ne manque plus qu’un DJ aux platines.
« Le danseur des solitudes » (1) ouvre cette création en dansant torse nu, les pieds dans un bac à sable et un masque sur le visage : un buto (danse contemporaine japonaise). Une chorégraphie qu’il a créée sur les conseils du danseur japonais Atushi Takeouchi.
Le rideau tombe pour laisser place à une vidéo où danse une jeune libanaise du nom de Yalda Lounes. Cette jeune femme, dont la danse ressemble à celle du sévillan, crie son amour de la vie, plus forte que la danse et plus encore que la mort, sur des sons réels de bombardements enregistrés en 2006 à Beyrout.
Dans la séquence suivante, place au cuadro flamenco où Diego Carrasco et Juan José Amador, interprètent des Vilancicos (chants flamencos de Noël) en doublant le tempo. Israël est en transe. Il court à reculons et se traîne au sol. Les bras tentent de s’élever au ciel, mais une force le retient.
Quand Terremoto chante, c’est le tremblement de terre. Placé sur une structure en bois, Israel tente de contrôler ses mouvements. La gestuelle, une fois de plus, est assurée, et la danse flamenca est bien la langue originelle de cette œuvre renversante.
Et quand c’est au tour de José Carrasco, accompagné des chanteurs Terremoto, Amador et Diego Carrasco, de jouer des percussions sur des cercueils en bois, on atteint le point culminant d’une création qui en dit long sur les peurs du genre humain.
La mise en scène est magistralement minutée, et elle donne ainsi un rythme fluide à ce spectacle très contemporain, de près de deux heures.
Israël, plus qu’un danseur, est un penseur de la danse qui voit des signes de fin du monde dans cette société en perte de repères.
(1) Titre du livre que le philosophe Georges Didi-Hubermann a dédié au danseur et chorégraphe. (Editions de Minuit.2006)
Miguel Poveda, Diego Carrasco, et Eva La Yerbabuena / Photo : Biennale de Flamenco, Séville, 2006
Miguel Poveda adoubé par Jerez (vendredi 7 mars)
Fiche technique
Spectacle : "Sin Frontera" (Sans frontière)
Chant : Miguel Poveda
Chanteurs invités : Luis El Zambo et Diego Carrasco
Danse : Andrés Peña
Guitares : Juan Gómez “Chicuelo” et Moraíto Chico
Palmas : Carlos Grilo, Luis Cantarote
Direction artistique : Pepa Gamboa
Théâtre Villamarta, 21h (durée : 1h45)
Tout bon chanteur de flamenco qui se respecte se doit de se rendre, une fois dans sa vie, chanter à Jerez de la Frontera, un des berceaux de l’art flamenco. Mais c’est parfois un véritable défi, surtout quand on s’appelle Poveda, qu’on est né à Barcelone et qu’on n’a pas de sang gitan dans la famille.
Mais comme il l’avait fait à Séville lors de la Biennale de flamenco, en 2006, Miguel Poveda a su se mettre le public des puristes de Jerez dans la poche. Car Poveda, en plus d’être un chanteur aux réelles capacités, est un homme intelligent et respectueux qui sait rendre à Jerez ce qui est à Jerez. Pour ce faire, le catalan a choisi d’inviter l’ un des meilleurs chanteurs du panorama actuel du flamenco, Luis El Zambo, et son ami et guitariste Moraíto.
Le danseur Andrés Peña assis aux côtés des palmeros Carlos Grilo et Luis Cantarote complétaient ce cuadro à 80 % « jerezano ». Quant à Miguel il était accompagné de son complice de longues années, le guitariste barcelonais Chicuelo.
Tous les ingrédients étaient réunis pour faire de cette « noche de cante », (nuit de chant) une grande « fiesta ». Réunis autour d’une table, le chanteur de Barcelone et celui de Jerez interprètent gaiement les Bulerías et les Tangos comme on les aime ici, en dégustant du vin doux. Une des Bulerías s’appelle d’ailleurs « Qué borrachera ! » (Quelle saoulerie !)
Et pour interpréter des chants plus andalous que gitans que sont les "cantes de Levante", la Malagueña, ou les "cantes abandolaos", Miguel Poveda, choisit de s’installer sur un coin de la scène pour offrir un récital intimiste accompagné seulement de Chicuelo.
Puis les deux cantaores se sont retrouvés, et, pendant près de deux heures, ils ont régalé le public d’une prestation généreuse en cante jondo comme en moments plus festifs. Entre les deux guitarristes Chicuelo et Moraíto, l’échange était savoureux et ils ont su transmettre leur complicité à l’assistance. Pour clôre la fête, chacun va danser sa "pataíta" (petits pas de danse improvisés).
Mais il faut bien mettre un terme à la fiesta, et ce même si le public jubile. En dernière séquence, les deux cantaores se retrouvent seuls sur scène. Le jour se lève, les bouteilles sont vides. Et ne restent plus que les vieux de la vieille au comptoir du bar pour chanter Tonás et Martinetes.
On croyait la fin venue… Mais il manquait à l’appel le gourou de Jerez, Diego Carrasco, qui, comme à Nîmes, surgit sur scène avec Poveda pour interpréter et danser ensemble leur « tube » « Alfileres de colores ». Olé !
Antonio El Pipa avec ses élèves / Photo : Nadia Messaoudi
Antonio El Pipa enseigne l’ amour du flamenco (7 mars)
« Etirez les bras avec élégance » : Antonio El Pipa, le « bailaor » gitan originaire Jerez de la Frontera, encourage ses élèves lors d’un stage de danse. Dans son local « Danzalucía » de la rue Ponce, dans le quartier de Santiago, le maestro enseigne les Alegrías à un groupe d’une vingtaine de personnes. La majorité de ces élèves sont étrangers, et sont venus spécialement pour suivre les cours de baile proposés pendant le festival de flamenco.
Accompagné par un guitariste et un chanteur qui marque le compás, Antonio El Pipa s’applique à transmettre son amour du flamenco à ces stagiaires qui viennent des quatre coins du monde.
Aujourd’hui le groupe d’élèves est majoritairement composé de femmes d’origine asiatique. Durant deux heures par jour pendant cinq jours, les élèves vont suer et apprendre la technique du Maestro Antonio.
La classe est intense : pas une minute de répit. Pieds, bras et poignets sont sollicités pour apprendre cette danse festive. Très concentrés, les stagiaires observent dans le moindre détail les mouvements du danseur, et écoutent attentivement ses indications. « Deux pas en arrière et vuelta » : les élèves s’exécutent.
Dans la deuxième file, un groupe de japonaises se regardent entre elles et sourient. Ces jeunes filles originaires de Tokyo sont danseuses de flamenco, et l’une d’elle, Kyoko, enseigne le flamenco dans une académie. Dans un anglais approximatif, elle confie : « Le niveau ici est beaucoup plus élevé et c’est parfois difficile de suivre les cours car nous ne parlons pas très bien l’espagnol. Mais c’est une grande chance et c’est intéressant d’apprendre d’un maestro comme Antonio El Pipa ».
Les asiatiques sont les grands protagonistes du festival de Jerez. Il n’est pas rare de voir courir dans les rues de la capitale du flamenco un groupe de japonaises pressées de se rendre au théâtre de Villamamarta. Des 900 élèves inscrits dans les cours de danse proposés durant le festival, les japonais représentent plus de 15% des stagiaires. Ils sont suivis par les allemands (10,7%), et les français arrivent en troisième position (10,4%). Enfin, viennent les américains (8,5%). Hormis les japonais, les élèves originaires de Taiwan et de Chine sont de ceux dont le chiffre augmente régulièrement chaque année.
Les cours de danse du festival de flamenco de Jerez constituent l’atout de cet événement, et lui donne un aspect international que d’autres festivals pourraient lui envier. Car en plus des spectacles de danse, de chant et de guitare, et des activités parallèles, comme les présentations de livres ou de disques, les cours de danse sont bien le troisième pilier du festival. Ces cours ouverts aux débutants comme aux professionnels proposent tous les types de « palos » (de genres). Et surtout la possibilité de suivre les cours avec des maîtres de la stature de Matilde Coral, Javier Latorre ou Belén Maya.
Cette année pour la première fois depuis sa création, le festival a fait le plein des cours de flamenco. Chaque année, de plus en plus d’aficionados font le déplacement pour apprendre le flamenco. Cet intérêt culturel est une manne économique pour le festival et les hôteliers et restaurateurs de Jerez.
« C’est une grande satisfaction pour moi de partager mon art »
Pour Antonio El Pipa, il ne fait pas de doute que cet intérêt des étrangers pour le flamenco est une reconnaissance. « Moi je donne des cours chaque année au festival de Jerez. J’aime voir que ces gens viennent de si loin pour apprendre mon art. Pour moi c’est une satisfaction de pouvoir le partager ».
Au fond de la salle, assise dans un coin, Corine, originaire de Los Angeles, reprend son souffle. « Moi je viens chaque année à Jerez pour prendre des cours avec Antonio. Je ne suis pas une professionnelle, mais seulement une aficionada. J’apprécie beaucoup la danse d’Antonio et surtout la manière dont il vit et ressent le flamenco ».
Car plus que la technique, ce que souhaite avant tout enseigner à ses élèves Antonio El Pipa, c’est la compréhension du flamenco. « Je ne me considère pas comme un maestro. Simplement, je veux leur dire que pour apprendre le flamenco il faut l’aimer, et le connaître : c’est un long travail. Il faut être patient et apprendre avec plusieurs danseurs ».
Nina, une étudiante belge, commente les leçons du maître. « Ce que je retiendrai des leçons d’Antonio, c’est surtout une manière de sentir le flamenco et de le vivre. C’est un danseur à la technique parfaite, et qui a un grand respect pour la tradition. Avec lui, pas la peine d’avoir un corps parfait. Dans sa famille, les femmes aux formes généreuses, comme les enfants, dansent. C’est une belle leçon qu’il nous enseigne ».
Samedi 8 mars au matin, les cours de flamenco arrivaient à leur terme. Avant de quitter le berceau du flamenco, élèves et professeurs ont assisté à une cérémonie de remise de diplômes, qui met officiellement fin au 12ème festival de Jerez de la Frontera.
Nadia Messaoudi
Photos : Festival de Jerez
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