mercredi 17 août 2011 par Nicolas Villodre
Comme chaque été, notre collaborateur Nicolas Villodre nous envoie quelques impressions de ses déambulations madrilènes...
La Casa Patas
La même semaine, deux événements d’ importance dans le monde du flamenco : la disparition du guitariste Moraíto et, moins tragique, les adieux au music-hall de Blanca del Rey, danseuse-vedette du tablao El Corral de la Morería dont nous avions parlé ici-même l’an dernier et où Myriam Godoy nous a invité prendre un verre pour voir le spectacle actuel – despedida officialisée lors d’ un dernier spectacle de la danseuse dans le cadre prestigieux du Festival del Cante de las Minas de la Unión.
Nous sommes retourné aussi à la Casa Patas pour voir l’ un des lieux les plus « typiques » de Madrid, et l’ un des tablaos les plus réputés, à juste titre. L’ immense salle à l’ entrée est uniquement vouée à l’ activité limonadière de l’ établissement – l’ artistique se situe backroom et débute plus tardivement.
Ici, l’ estrade est visible de tous côtés (la vue des pieds des danseurs étant réservée aux premiers rangs), sans aucun obstacle, et les musiciens et chanteurs bénéficient d’ une sonorisation. Week-end du 15 août, comportements et réservations groupales obligent (les bruyantes et encombrantes JMJ), la salle est pleine à craquer. Nos deux voisines, avec malice (picardía, plus exactement, mot qui n’ a rien à voir avec la région picarde), refont le plan de tables, avant l’ arrivée d’ un jeune couple de français, en intervertissant à leur profit les noms des réservation disposés par un étudiant américain employé par la maison le temps d’ un été.
Les danseurs qu’ il nous a été donné de voir, Raquel Villegas et Isaac de Los Reyes, sont fins et élégants mais nous ont paru un peu en - deçà de leurs possibilités, s’ économisant sans doute pour le deuxième show de la soirée. La bonne surprise est venue de la jeunesse et de la qualité technique (mais aussi expressive) de leurs accompagnateurs : le percussionniste (cajón) de service, Bandolero, la chanteuse blondie aux petites tresses rasta et à la voix voilée et nuancée, Naike Ponce, le guitariste rythmique (qui s’ autorise trop peu d’ échappées en solitaire, selon nous) efficace et classique, Antonio Sánchez (homonyme d’ un fameux luthier), le souffleur Diego Villegas (très convaincant à la flûte traversière et à l’ harmonica, un peu moins au saxophone soprano) ou la pianiste électrique (on parle de l’instrument, la jeune fille restant d’ un flegme tout britannique, le set durant), Ariadna Castellanos.
Ariadna vaut, à elle seule, le déplacement. C’ est un personnage attachant, en raison, justement, de son apparent… détachement. Elle effleure à peine le clavier, pose tranquillement ses notes, avec application et délicatesse. Elle est dans son monde. Ce qui ne l’ empêche pas de bien s’ entendre avec ses camarades, d’ être toujours disponible et juste, au bon endroit et au bon moment, question compás. Elle enchaîne des accords de jazz-rock sans détonner, fait preuve d’ une culture musicale impressionnante, se lance dans des choses vraiment abstraites, tout en conservant du lyrisme et un phrasé singulier – loin des effets de manches des suiveurs de Chick Corea, Stevie Wonder, Herbie Hancock et autres Keith Jarrett. Elle a un style vraiment personnel et cool. Que demande le peuple ?
Nicolas Villodre
Photos (sauf Isaac de los Reyes) : Martín Guerrero & Juan Pelegrín / Casa Patas
Compagnie Danzarte : Flamenco de chambre à Madrid
Samedi 13 août 2011
Le petit théâtre madrilène du Pradillo, officiellement reconnu en 2010 par l’ Association Culturelle de la Danse pour sa programmation en contemporain, a proposé un “autre regard” sur l’ art andalou à l’ occasion du festival estival Veranos de la Villa 2011.
Nous avons eu le plaisir d’ y découvrir deux œuvres nouvelles créées par de jeunes compagnies travaillant ou évoluant en Espagne, Danzarte et la formation du chorégraphe d’ origine brésilienne, Stefano Dormit - d’ après le critique de danse Roger Salas, la pièce de Guadalupe Torres valait aussi le déplacement. Qui plus est dans une ambiance chaleureuse – dans tous les sens du terme : une panne de climatisation, les premiers jours, poussa les organisateurs a offrir des éventails ornés de motifs folkloriques – tauromachiques (sans doute made in China) à des spectateurs compréhensifs qui en ont vu d’ autres, arrivés en assez grand nombre du côté du parc Berlín, et exigea des danseurs une dépense d’ énergie supplémentaire.
L’ accueil au Pradillo est de toute façon sympathique et le public, averti, cordial et branché, rappelant celui du théâtre de la Bastille à ses débuts ou celui de Vanves de nos jours, se regroupe autour du bar concédé à une jeune affranchie sûre de son fait et de son look, dessoiffant qui veut à coups de tercios de Mahou, de mojitos aux fruits et de Cuba libres (85e anniversaire de Fidel oblige) diffusant sur un iPod amplifié sa playlist personnelle à base de tunes de Radio Tarifa, Falsa Monea et Almazén 33.
La compagnie Danzarte, animée par Natalia Ferrándiz et Bruno Argenta, renforcée pour l’ occasion par les danseuses Rosa Zaragoza, Nella González et Silvia Rincón, a produit un excellent spectacle intitulé "Otros Perfiles" (D’autres profils), qui se présente sous la forme d’ un collage et qui suit, plus ou moins à la lettre, les compositions musicales de l’ ancêtre de Cecilia (= Albéniz), de Rafael Riqueni, de Sarasate, de Grieg et de León et Solán, sans oublier des textes poétiques de Caballero Bonald dits par Marina Claudio, diffusés (malheureusement, pour des raisons pratiques et / ou économiques) en playback.
Le show est plus que convaincant, parfaitement au point, bellement exécuté par des artistes talentueux. On est ici non pas dans un flamenco pur et dur, mais plutôt dans le domaine de la danse espagnole autrefois balisé par La Argentina et Vicente Escudero.
Les magnifiques costumes ont été dessinés par Eva Pedraza. Le soir de notre venue, Bruno Argenta nous a régalé de son efficace zapateado et d’ une série de contrepoints aux castagnettes – instrument qui se fait rare de nos jours, surtout chez les hommes, et dont le danseur de jota, Miguel Ángel Berna, est actuellement le plus grand virtuose.
Silvia et sa camarade, la brune piquante et pimpante au beau profil aquilin, ont produit de gracieuses routines empreintes de la majestueuse gestuelle bolera. Ce dans un style subtil frôlant le sublime.
Nicolas Villodre
Article également publié sur le site Danzine
Flamenco d’ outremer
Le spectacle Entre mares conçu et interprété par le Brésilien Stefano Domit au Pradillo, dans le cadre du festival Veranos de la Villa 2011, est un retour aux racines du flamenco dans lequel le jeune homme a baigné depuis l’ enfance – sa mère, l’ extrêmement élégante Gisele Domit, se produit elle-même sur scène, aux côtés de… la fiancée du fiston, Lisiane Sfair et de la danseuse confirmée, María Juncal – en même temps qu’ une tentative de fusion avec d’ autres sources d’ inspiration latines.
Lisiane Sfair et Stefano Domit
Rien de tel que la musique en direct. Ici, en l’occurrence, celle composée et jouée par l’ excellent guitariste Fernando de la Rua, qu’ accentue le percussionniste Iván Mellén, et que rehausse le chanteur castillan Jacob Quirós. Cela le fait, comme disaient les jeunes dans les années 2000. La danse n’ a qu’à bien se tenir, ce qui heureusement est le cas.
La structure du show est réduite au minimum syndical, puisque celui-ci a été découpé en sept parties, qui sont autant d’ ambiances musicales (ce que la note d’ intention appelle « émotions »). La première d’ entre elles, la plus sentimentale sans doute, se cristallise sur un instrumental en forme de bossa alanguie, parfaitement exécuté, du reste, par le guitariste pauliste sur une de ses deux six cordes de service.
María Juncal
Viennent ensuite les temps forts du flamenco le plus traditionnel – les Fandangos, Bulerías, Soleá, Tanguillos et autres Alegrías, destinés, entre autres, à valoriser la danse. Celle - ci est tantôt pur ornement (Gisele Domit), tantôt rythme absolu, amplifié comme il faut par Sergio Sarmiento à l’ aide d’un système HF camouflé sous le costume du danseur (cf. les séries de zapateados avec changements d’ axe amenés par l’ ouverture du genou), tantôt folie furieuse (deux solos échevelés de la petite mère Juncal)…
Photo : Nicolas Villodre
Deux ou trois détails à revoir et la chose sera bel et bien au point (le cantaor avait des anti-sèches collées sur du canson noir, ce qui ne se fait pas ; les costumes, sauf bien sûr la magnifique bata de cola de María Juncal, parfaitement dessinée, devraient être ajustés, bien mieux taillés ; soyons charitable et ne parlons même pas de la déco !). Le finale mériterait aussi d’ être plus enlevé ou surprenant.
On pouvait a priori craindre le pire : l’ emmiellement bossanovesque, l’ assoupissement des maracas, la superfluité du caisson péruvien – ce pays a probablement les meilleurs VRP dans le domaine des instruments de musique ou des sièges de cuisine –, mais rien de tel ! Les musiciens et chanteurs étaient au diapason avec les deux têtes d’ affiche. La salle était comble, emplie d’ amateurs de danse, de familiers, et d’ artistes. Un public qui a applaudi à tout rompre.
Nicolas Villodre
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