Márquez "el Zapatero" & Antonio Ruiz "el Carpintero" : letras

18 janvier 2014, Festival Flamenco de Nîmes

mardi 18 février 2014 par Maguy Naïmi

Textes, traductions et commentaires

En Afrique on a coutume de dire que quand un vieillard meurt c’est une bibliothèque qui brûle. Cette phrase nous semble particulièrement judicieuse, car elle nous rappelle à quel point sur certains continents (Afrique, Amérique Latine, entre autres) la transmission orale des textes est une véritable richesse littéraire...

Cette phrase pourrait s’ appliquer aux deux chanteurs que nous avons eu l’immense plaisir d’ écouter dans un récital des plus traditionnels, à l’ Institut Emmanuel d’ Alzon. Merci au Festival Flamenco de Nîmes de nous avoir permis de savourer le récital donné par Manuel, le cordonnier de Triana et par Antonio le charpentier de Morón, accompagnés par le jeune guitariste complice Dani de Morón. Afin que celles et ceux qui, parmi nos lecteurs, ne connaissent pas suffisamment l’espagnol puissent également apprécier le répertoire interprété par ces deux "mémoires vivantes" du flamenco, nous vous en livrons une traduction succincte, accompagnée de quelques réflexions.

On remarquera que le répertoire de la Soleá adopte la forme traditionnelle du Romance (octosyllabe, assonance aux vers pairs). La grande majorité des coplas sont écrites en narration subjective (présence obsédante du "je" directement exprimé ou sous-jacent), nous obligeant très souvent à nous identifier au personnage qui s’exprime. Tout est en plan serré sur l’être humain, voire même tourné vers son intériorité. Le décor est pratiquement inexistant, mises à part quelques indications : un balcon, une porte que l’on frappe violemment, un coin de rue… Une copla présente un paysage agreste, non dans une évocation romantique ou bucolique, mais parce qu’on y effectue une corvée de bois, et le buisson épineux du mûrier a une valeur métaphorique (ses épines piquent le cœur). Triana n’est pas évoquée de façon pittoresque, sauf lorsqu’on fait allusion au personnage maintenant disparu du Sereno. On chante ses processions (El Cachorro, La Esperanza), ses métiers et ses créations flamencas (La Soleá). Un autre trait commun à ces poèmes est la brièveté (tercets, quatrains) des compositions et leur style hyperbolique pour traduire des sentiments toujours exacerbés (amour, jalousie, cupidité, peur de mourir, d’être abandonné(e), oubli(é)). Qu’ils soient directs ou indirects , les portraits sont toujours moraux, rarement physiques : on condamnera certain trait de caractère ou une conduite immorale.

NB : les noms d’auteur figurant avant certaines letras ne renvoient pas aux textes, mais aux modèles mélodiques sur lesquels les deux cantaores les ont chantés lors du concert.

Les commentaires et les extraits traduits renvoient aux textes reproduits en caractères gras

I) LETRAS CHANTEES PAR ANTONIO RUIZ "EL CARPINTERO"

Dans les Tangos de la Sierra de Grazalema, une femme se plaint d’un mari jaloux, qui l’empêche de sortir s’asseoir même sur le seuil de sa porte. On trouve l’amour qu’on vous porte trop exigeant : "Que veux-tu de moi ? Même l’eau de mon propre corps, je dois te la mendier".

1) Tangos de la Sierra de Grazalema

" Era joven los he aprendido en casa de los Torres Amaya" (la famille de Joselero de Morón - NDR)

Las campanas de Carmona

Como buen sonido tienen

Casi tiene tu persona.
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Yo vengo vendiendo flores

Las tuyas son amarillas

Las mías de mil colores.
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Tú me tienes tan sujeta

Que no me dejas salir

Ni al poyete de la puerta.
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Qué quieres más de mí

Que hasta el agua de mi cuerpo

Te la tengo que pedir.

(Joselero chantait souvent cette dernière letra "por Soleá" - NDR)

2) Soleares de Alcalá

"Las aprendí de Juan Talega, que llegué a conocer"

Dans les Soleares d’Alcalá la solitude, l’impossibilité de s’adresser à l’autre, engendrent la souffrance : "A qui vais-je raconter les souffrances que j’endure ? Je les raconterai à la terre lorsqu’on ira m’y ensevelir". L’amour rend fou : "Je vais perdre la raison, car lorsque je parle avec toi, mon cœur me trahit". L’hyperbole est parfois exprimée par le diminutif : "Ici vit une gitane, qui est complètement folle de moi".

Joaquín el de la Paula et Agustín Talega

A quien le contaré yo

Las fatiguitas que estoy pasando

Se las voy a contar a la tierra

Cuando me estén enterrando.
_ _

Yo voy a perder la razón

Que cuando yo hablo contigo

Que a mí me engaña mi corazón.
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Ya miro yo quien vive aquí

Aquí vive una gitana

que está loquita por mí.

3) Siguiriyas

Dans la Siguiriya del Loco Mateo, on exprime des remords devant la souffrance de l’autre : "Je te retrouve toujours, pleurant dans tous les coins. Qu’on me prive de ma liberté si je te traite mal". Dans celle de Tío José de Paula, on prend l’auditeur à témoin : "(vois donc si) je suis malheureux, même lorsque je marche, les pas que je faisais en avant s’en retournaient en arrière." - cette éternelle répétition du supplice, nous rappelle les mythes antiques.

La Siguiriya de Tomás el Nitri évoque la porte qu’on frappe dans la rue, au petit matin : "Mes mains me font mal, à force de frapper. Je me suis perdu entre un songe et un autre, mère, au petit matin".

El Loco Mateo

Siempre por los rincones

Te encuentro llorando

Que libertad yo no tenga

Si te doy mal pago.
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Tío José de Paula

Qué desgracia es la mía

Que hasta en el andar

Que los pasos que daba yo palante

Me se iban patrás.

(Antonio utilise ici la forme ancienne, les gens de sa génération placent souvent les pronoms dans cet ordre, il faut lire "se me iban para atrás" - NDR)
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Tomás el Nitri

Las manos a mí me duelen

De tanto llamar

Y yo me he perdido entre un sueño y otro

Madre, por la madrugá.

4) Tonás

La première Toná évoque un dialogue antérieur, rapporté par le narrateur : "Tu dis que tu ne m’aimes pas, je n’en ai aucun chagrin, car moi, avec ton amour, je n’ai pas passé de contrat". (ce texte est souvent chanté por Soleá ou por Bulería - NDR)

Dices tú a mí que no me quieres

Pena yo no tenía ninguna

Porque yo con tu querer

No tengo hechas escrituras.
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(Toná "de cierre")

Y si no es verdad

Que Dios me mande un castigo

Si él me lo quiere mandar.

II) LETRAS CHANTEES PAR MÁRQUEZ "EL ZAPATERO"

Antonio Chacón, dans sa Malagueña, nous parle d’un amour qui l’obsède : "Je t’ai aimé, et je t’aime, jamais je ne pourrai le nier. Vois donc quel amour ce fut, puisqu’envers et contre tout, je me suis remis à t’aimer" ; alors que celle de El Mellizo évoque magnifiquement l’attente amoureuse, porteuse d’espoir : "Je passe toute la nuit assis sur mon balcon, et quand j’entends tes pas résonner, mon cœur palpite et je ne sais comment je peux me contenir".

Les "Serenos" ont disparu, remplacés par les interphones et les digicodes. Ils sont présents cependant dans les chants de Manuel Márquez "el Zapatero", d’abord dans le Fandango abandolao de Frasquito Yerbabuena : "Un Sereno s’était endormi sous la croix blanche de son quartier, et la croix criait :" Sereno, le jour se lève !"" ; puis dans les Soleares de Triana : "Les Serenos de Triana disent en parcourant les rues : "que celui qui a sommeil dorme, car moi je ne réveille personne !"".

1) Malagueña de Chacón

Que te quise y te quiero

Yo en mi vida negaré

Mira qué cariño fue

Que en contra del mundo entero

Vuelvo a quererte otra vez.

2) Malagueña del Mellizo

¡Ay ! en mi balcón

Toíta la noche llevo

Sentaíto en mi balcón

Y cuando siento tus pasos

A mí me palpita el corazón

Yo no sé cómo me aguanto.

3) Fandango abandolao de Frasquito Yerbabuena

Un sereno se dormía

Bajo la cruz blanca del barrio

Y la cruz le daba voces

Sereno que viene el día.

4) Soleares de Triana

Véritable mémoire vivante de Triana (maintenant un quartier de Séville), Manuel relie ces chants aux différents métiers de ce quartier situé sur les rives du Guadalquivir. Les potiers qui travaillaient aux fours et fabriquaient des briques et ceux qui transportaient le sable ("los areneros"). Il évoque ses trois sources principales, trois chanteurs : el Sordillo, Oliver de Triana et el Arenero

"Variaciones de cantar del Zurraque. Los cantos de los alfareros en los hornos. Hacían los ladrillos, el que no trabajaba en eso era arenero, acarreaba arena".

"Tres pilares : el Sordillo, Oliver de Triana y el Arenero"

La porte que l’on frappe refait son apparition : "Quand vous frappez chez moi, ne le faites pas avec le poing, faites-le avec la main ouverte". Une copla exprime le désespoir de l’homme diminué : "Sourd comme un pot, aveugle de naissance, ma mère aurait mieux fait de me mettre au monde mort" ; une autre, celle de Manolito de Triana, l’abandon des êtres faibles : "L’homme qui, devenu vieux, n’a pas de quoi manger, subit le même sort que le jeune, personne ne veut s’en charger". Le quartier de Triana est présent dans les coplas : "Triana a trois choses, avec lesquelles on ne peut rivaliser : le Cachorro, la Esperanza et la Soleá". Les rapports homme / femme sont parfois présentés de façon humoristique, rendant le machisme du message plus supportable : "Le sort m’a attribué une femme bien, et c’est une chance. Je dois la faire répertorier au Musée d’Histoire Naturelle". L’amour passion, lui aussi est évoqué avec humour : "J’ai pénétré dans la salle du tribunal et j’ai demandé au président, si le fait de t’aimer aussi fort constituait un délit passible de mort". La cupidité est dénoncée : "Cette femme mériterait de brûler vive, car elle a vendu sa mère qui était si bonne, par pur intérêt". Un homme se plaint de son destin : "Chaque fois que je me mets à penser que je dois mourir, je lève les yeux au ciel : "Mon Dieu pourquoi sui-je venu au monde ?"" Un autre se plaint d’être mal considéré chez lui : "J’ai vécu une déception, hier soir dans ma propre maison on m’ pris pour un étranger". La tristesse infinie se traduit par une métaphore : "Je ne suis plus ce que j’étais, ni celui que j’avais l’habitude d’être, je suis un tableau de tristesse suspendu au mur". On retrouve l’amour fou et le décor minimaliste de la rue : "Toi, devant la porte, moi, au coin de la rue. Un seul regard de toi me fait mal jusqu’aux os".

Merecía esta serrana

Que ardiera en vivas candelas

Por el interés del dinero

Vendió a su madre tan buena.
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Me estás haciendo pasar

Las verdes y las maduras

Las blancas y las colorás.
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Cada vez que considero

Que me tengo que morir

Tiro la vista pal cielo

Dios mío ¿ pa qué nací ?
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Yo he sufrido un desengaño

Anoche en mi misma casa

Me tomaron por extraño.
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Yo ya no soy el que era

Ni el que soliá ser

Soy un cuadro de tristeza

Pegaíto a la pared.

(ce texte est souvent chanté por Toná - NDR)
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Por coger una zarzamora

Yo m’ ha clavaíto una espina

Y hasta el corazón me llora.
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M ’ha tocao una mujer buena

Por una casualidad

La tengo que llevar a un museo

Que de historia natural.
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Entré en la sala del crimen

Y le pregunté al presidente

Si el querete mucho

Es delito de muerte.
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Esto sí que es cosa grande

Todo el mundo quiere a mi niña

Mi niña no quiere a nadie.
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Anda diciendo tu madre

Que tú vales más que yo.

Ni tú ni toda tu familia

Ni toda tu generación.
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Los serenos de Triana

Van diciendo por la calle

Que duerma el que tenga sueño

Que yo no despierto a nadie.
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Cuando llamen a mi puerta

No llamen con el puño

Llamen con la mano abierta.
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Sordo como una tapia

Y ciego de nacimiento

Valía más que mi madre

Me hubiera parido muerto.
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Tres cosas tiene Triana

Que no se pueden igualar

El Cachorro, la Esperanza

y un cante por Soleá.
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"Manolito de Triana" (annonce de Márquez "el Zapatero")

El hombre que llega a viejo

Y no tiene pa comer

Le pasa como al mozuelo

Nadie quiere cargar con él.
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Tú en la puerta

Y yo en la esquina

Con el mirar solamente

Los huesos me los lastima.

5) Soleares apolás

"Soleá grande… Soleá apolá…

Las cantaba Pepe el de la Matrona … las hago a mi manera…"

Dans les Soleares Apolás on évoque le destin, la malchance : "Le chariot de ma fortune a duré bien peu de temps, quand j’en avais le plus besoin, son essieu s’est cassé" ; ou le désespoir, face à la mort : "Qu’est-ce que ça peut bien me faire qu’il y ait tant de bons médecins, si je dois mourir ?". Une autre pourrait s’intituler "scène de crime à Triana" : "Je suis passé par Triana un jour, j’en tremble encore quand je m’en souviens. Il y a eu une rixe entre hommes, et par malheur du sang fut versé". Le paysage agreste est un lieu de travail (métaphorique) et non de loisir : "Je suis allé dans la montagne, chercher des bûches pour le feu, et comme je n’en ai pas trouvé, je suis redescendu dans la vallée". Certaines coplas présente avec humour les soirées arrosées : "Marie allume la lumière, je suis tellement saoul que je tutoie Dieu".

El carro de mi fortuna

Que poquito me duró

Cuando más falta me hacía

El eje se le rompió.
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Que cuidado se me da a mí

Que haya tan buenos doctores

Si me tengo que morir.
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Pasé por Triana un día

Qué miedo me da el acordarme

Hubo riña entre hombres

Y por desgracia hubo sangre.
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Zapatitos blancos

Ni son tuyos ni son míos

¿De quién serán los zapatos ?
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Me subí a alta montaña

Pa buscar leña pal fuego

Y como no la encontraba

Al valle bajé de nuevo.
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Pasé por Triana un día

Y ví a la Torre del Oro

¡Ay ! que campana no tenía.
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María enciende la luz

Que traigo una borrachera

Que a Dios le hablo de tú.
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Y aquí lo que convenía

Que tú te fueras a tu casa

Y yo me vaya para la mía.

6) Siguiriyas

"Siguiriyas de Triana... El cambio es muy antiguo."

Les Siguiriyas de Triana nous parlent d’amour, sous ses aspects les plus extrêmes : "Je rejette ma destinée, comme je rejette jusqu’à l’heure où je t’ai connu(e)" ; "Lorsque je mourrai, demande qu’on noue mes mains avec les tresses de tes cheveux" ; "Si l’amour que je te porte était d’argent, il n’y aurait personne au monde, autre que moi, plus riche que Dieu lui même".

Antonio Cagancho

Reniego yo de mi sino

Como reniego mare

Hasta la hora en que te he conocido.
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Manuel Cagancho

Pa cuando me muera yo

Te doy un encargo

Que con las trenzas de tu pelo

Me amarren las manos

Cette image était particulièrement appréciée par le poète Federico García Lorca qui la citait souvent, quand il voulait montrer la richesse de la poésie populaire. (NDR)
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Silverio Franconetti

El querer que yo te tengo

Que si de plata fuera

Otro más rico que Dios

En este mundo no hubiera.

7) Martinete

Ven acá tú mujer del mundo

Y convéncete a la razón

Que no hay en el mundo un hombre

Que sea tan fijo como el reloj.

8) Debla

Ay en el barrio de Triana

Ya no hay pluma ni tintero

Pá escribirle a mi madre

Que hace tres años que no la veo.

Maguy Naïmi

Photo du logo : Javier Fergó





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