mercredi 14 août 2013 par Nicolas Villodre
Le Café de Chinitas est le plus andalou des tablaos madrilènes, le plus malaguègne aussi. Créé en 1970 par la famille Verdasco qui gére, entre autres, le plus madrilène des restaurants castillans, La Bola, l’ établissement est situé à l’étage d’ un magnifique palais du 17e siècle du quartier huppé des Austrias, pas bien loin du bunker sénatorial et à une centaine de mètres de l’ opéra récemment remis à neuf.
Flash back (Málaga)
En 1960, le chanteur de coplas à voix de fausset et aux ornementations précieuses, Antonio Molina, originaire de la province de Málaga, rendait hommage, avec son alter ego Rafael Farina, au Café de Chinitas, lieu mythique ouvert en 1857, entre la calle Santa María et la plaza de la Constitución, en lieu et place d’ un... couvent d’ Augustines déchaussées, fermé en 1937 en raison de la Guerre Civile, dans un film au titre éponyme où, soit dit en passant, figurait l’ excellente bailaora Eulalia del Pino ainsi que le légendaire guitariste Niño Ricardo. Pour les uns, chinitas désignait les petites pierres recouvrant le sol du patio originel, pour les autres, Chinitas, avec un "c" majuscule, était tout simplement le nom de scène d’ un célèbre acteur de théâtre, Gabriel López, qui avait l’ habitude de s’ y produire. Il faut dire que le lieu n’ était pas, comme on le pense généralement, un café chantant dédié uniquement au flamenco, mais un caf’ conç et un café-théâtre plus généraliste.
N’ empêche qu’ au Café de Chinitas, lieu mal famé et temple de l’ art andalou chanté en 1931 par La Argentinita accompagnée au piano par Federico García Lorca lui-même, se sont produites certaines des plus grandes figures du flamenco : Dolores La Parralla, Juan Breva, Antonio Chacón, La Trini, El Canario, La Rubia, La Cuenca, Fernando el de Triana, El Petrolo, El Porrilla, El Pena padre, Anilla la de Ronda, Paca Aguilera, las Hermanas Navarro, Estrellita Castro, Lucrecia Torralba, Isabelita Ruiz, Luisa Albéniz, Diego el Perote, Manuel Torres, Pastora et Tomás Pavón, Cayetano Muriel, Manuel Vallejo, el Niño de la Huerta, El Carbonerillo, Manolo Caracol, Canalejas de Puerto Real, Cojo de Málaga, Pepe Palanca, Juan de la Loma, Pepe Marchena et Juanito Valderrama... Sans oublier les guitaristes Salvador Rodríguez et Juan Navas, et les danseuses La Macarrona, la Juana, la Mejorana, et La Rita qui s’ y livrèrent une véritable "battle" tout une nuit durant, au terme de laquelle la seconde mourut d’ épuisement, se sacrifiant à son art et finissant... pieds nus. On prétend même que Tomás El Nitri y fit ses débuts publics en 1870. Peu importe si Lorca commet un anachronisme en y situant le matador Paquiro, mort six ans avant l’ ouverture de ce qui deviendra la cathédrale flamenca de Málaga.
La Argentinita et Federico García Lorca
Le Café aujourd’hui (Madrid)
C’ est un lieu avant tout touristique, qui fait le plein même un lundi soir du mois d’ août. Il a été fréquenté et cautionné par la famille royale, Lady Di et Bill Clinton, notamment. Des artistes de renom s’ y sont montrés en spectacle : La Chunga, Carmen Linares, José Mercé, Victor Monge « Serranito » etc. L’ accueil y est provincial et simple, cordial, professionnel ; le service, idem : discret, sérieux, efficace. On ne vous force pas à dîner. Les tarifs sont plus raisonnables que ceux des théâtres et des festivals.
Au premier service, les places les mieux situées avaient été réservées par un groupe de collégiennes en goguette qui ont persisté à babiller, envoyer des Sms, correspondre au loin par WhatsApp, sans lever la tête à l’ arrivée des chanteurs et musiciens (Toni Maya, Ruben Quiros, Tío Canto). Curieusement, l’ audience la plus attentive était en majorité asiatique (les Japonais, bien sûr, aficionados de longue date, au moins depuis la tournée d’ Argentina en 1928 au pays du Soleil levant, mais aussi les Coréens et la nouvelle bourgeoisie chinoise). Après la deuxième jarra de sangria (paradoxalement au vin blanc, qui n’ est pas la couleur de l’ hémoglobine), ce public majoritaire commence à marquer le compás du pied, à lancer de sonores encouragements et à tout approuver, y compris le moins bon.
Les adolescentes se sont enfin intéressées au spectacle vivant, entièrement acoustique (ici, pas de triche possible à l’ aide des effets de la sono), à partir du moment où le bailaor barbu (Rafael Peral) a fait son entrée en scène et délivré un puissant zapateado, comme pour tester la solidité du plancher. Les téléphones portables sont alors devenus appareils de prise de vue, photo ou vidéo, destinés à prouver, le cas échéant, qu’ on était bien là.
Nous sommes partis après avoir apprécié les danses féminines de la toute jeune et tendre Pescaílla et, surtout, les gracieuses variations sur des Siguiyas et Alegrías de la belle bailaora Soledad.
El Café de Chinitas
Calle Torija, 7 / Madrid
+34 915 47 15 02
Nicolas Villodre
Galerie sonore
El Café de Chinitas (version 1) :
chant : La Argentinita / piano : Federico García Lorca
El Café de Chinitas (version 2)
guitares : Manuel Cano et Victor Monge "Serranito"
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