mardi 26 août 2014 par Nicolas Villodre
Comme chaque été, un nouveau chapitre du guide des tablaos (et autres établissements recommandables - clubs de jazz...) par notre ami Nicolas Villodre.
Echo latino
Le Café Central, lieu chaleureux s’il en est, se trouve sur l’une des plus belles places de Madrid, la Plaza del Ángel, bien nommée, là où se tenait jadis une boutique de verrier parmi les plus réputées d’Espagne, à deux pas de la place Santa Ana, l’un des hauts lieux historiques du flamenco madrilène. Le local vient de célébrer ses trente ans d’existence, et autant de temps consacré à une programmation musicale "live" des plus exigeantes – soit près de onze mille soirées en tout. Pour à peine plus que le prix d’un billet de cinéma – une quinzaine d’euros –, on peut y entendre du jazz, principalement, et ce le jour de son choix – chaque groupe jouant toute une semaine. Citons quelques noms d’artistes qui s’y sont produits : Tete Montoliu, Tal Farlow, Sam Rivers, Stephen Franckevich, Randy Weston, Chano Domínguez, Lee Konitz, Paolo Fresu... Le Central est actuellement le seul club espagnol à être mentionné par Down Beat dans son classement annuel des 100 lieux où l’on peut écouter du jazz à travers la planète.
Le club est ouvert à la fusion et accueille quantité d’artistes issus d’autres disciplines, du folk, du fado et, de ce qui nous intéresse ici, le flamenco. Sachant que le mélange du jazz avec le "non jazz" n’est pas si évident que cela. En raison sans doute de la notion d’improvisation, qui n’est pas comprise de la même façon par des artistes formés à des styles musicaux différents, dont le poids "routinier" est, peu ou prou, susceptible de contrarier ou de parasiter comme les idées volantes la spontanéité que requiert la suspension de l’ici et maintenant. Du fait même des langages convoqués, structurellement, formellement discrépants et dans lesquels modalité et tonalité ont du mal à cohabiter. Pour des questions, simplement, de communication, l’un n’écoutant pas l’autre et/ou ne pouvant par conséquent pas lui fournir le répons escompté...
Le soir de notre visite, l’affiche manuscrite avait pour titre : "Caramelo" Flamenco Latin Jazz. Le flamenco étant opposé au vieux ou nouveau mo(n)de latin, ce qu’avait du reste fait Stravinsky lors de son passage par Madrid en 1921 : "On note plusieurs affinités et ressemblances entre la musique espagnole, spécialement l’andalouse, et la musique de Russie, sans doute en raison de leur origine commune, orientale (...) Musicalement parlant, les Andalous ne sont pas latins et leurs rythmes ont un héritage oriental. Le rythme et la métrique sont différents, naturellement". Dans le cas qui nous occupe, le trio plutôt "latin jazz" (ce premier niveau d’hybridation étant lui-même empreint du "jazz rock" initié par Miles Davis et enrichi par des guitaristes tels que John McLaughlin ou Paco de Lucía et des pianistes comme Keith Jarrett ou Chick Corea), formé par le pianiste cool Javier Massó (alias "Caramelo"), le bassiste, chanteur, rappeur, slammer, animateur, cubain Alain Pérez et l’extrêmement efficace caissonniste-percussionniste Israel Suárez "Piraña", devait théoriquement s’entendre comme larrons en foire avec le cantaor Kiki Cortiñas et le jeune guitariste flamenco José del Tomate.
Nous avons assisté non pas à la fusion annoncée par le programme mais à une juxtaposition de moments musicaux ayant peu d’éléments en commun si ce n’est, tout de même, leur incontestable lyrisme. La chaleur des tropiques savamment distillée par le trio de musiciens chevronnés a alterné avec le souffle du cante gitan. Insuffisamment valorisé par la sono ou tout bêtement intimidé par l’enjeu – qui n’en était pas un, puisqu’il n’y avait rien à perdre, surtout pas la face, mais tout à gagner dans cette amicale rencontre –, le guitariste ne nous a pour l’instant pas prouvé qu’il tenait bel et bien de son père, le grand Tomatito. Kiki Cortiñas nous a, en revanche, plus atteint, y compris dans ses dissonances, dès qu’il a commencé à être chaud – et à avoir aussi la maîtrise du micro.
Nicolas Villodre
Photos : Nicolas Villodre
Museo del Baile Flamenco
Scènes sévillanes
Nous avons testé trois des tabaos les plus connus du quartier sévillan de Santa Cruz, où l’on peut voir quotidiennement et approcher de près, voire de très près, les artistes du flamenco en train de se faire : le Museo del Baile Flamenco, un caprice de star devenu, avec le temps, une véritable institution ; la Casa de la Memoria, qui se veut plus un centre culturel qu’une entreprise de spectacles ; et, enfin le tablao Los Gallos, le plus ancien de la ville.
Le Museo del baile flamenco, créé en 2006 par la danseuse-chorégraphe Cristina Hoyos, mondialement connue grâce à Antonio Gadés et Carlos Saura, occupe une magnifique maison du XVIIIe siècle qui comprend, comme il se doit, un patio ecijano. Il avait programmé, le soir de notre passage, un convaincant show case avec un jeune chanteur à la technique irréprochable (Miguel Picúo), un guitariste au son bien rond (Miguel Pérez), un bailaor bourré d’énergie (José Vidal "El Lebri") et une danseuse de belle allure, mince, nerveuse et sophistiquée (Cristina Gallego). Plus qu’une danseuse, une chorégraphe : son numéro d’éventail prolongé par un long foulard de soie est parfaitement réussi, même s’il n’est pas totalement inédit
(lire l’interview de Luisa Palicio, Jesús Corbacho et Pedro Sánchez – rubrique "Todo en español" : http://www.flamencoweb.fr/spip/spip.php?article336).
Casa de la Memoria - logo : idem
La Casa de la Memoria fondée il y a une douzaine d’années par Rosana de Aza et Olinto de la Obra, a investi une demeure du XVIe siècle construite autour du vide que représente le patio, calle Cuna n° 6, et a programmé nombre de figures actuelles : Pastora Galván, Rafael Campallo, Felipe Mato, Adela Campallo, Asunción Pérez "Choni", Óscar de los Reyes, Maribel Ramos, Juan Carlos Cardoso, Leonor Leal, Vicente Gelo, Ana Real, Jesús Corbacho, Jeromo Segura, Juan Campallo, Manuel de la Luz, Tino, Pedro Sánchez... La Casa de la Memoria nous a gratifié d’un spectacle de flamenco plus light, sobrement intitulé "Duende Flamenco". Avec une durée bien plus brève et un plateau réduit au strict minimum : un correct guitariste, un chanteur encore jeune et prometteur (Javier Rivera), un danseur minimaliste, fin et distingué (Juan Carlos Cardoso) et une excellente bailaora (la pulpeuse Marina Valiente).
Los Gallos
Créé en 1966 par Don José Luis Núñez de Prado, situé plaza Santa Cruz, Los Gallos a accueilli de prestigieux artistes tels que Merché Esmeralda, Cristina Hoyos, Antonio Mairena, La Paquera de Jerez, Manolo Marín, Farruco, Matilde Coral, Enrique El Cojo, Paco Taranto, Trini España, Ana Mari Bueno, Manuela Carrasco, Naranjito de Triana, Gabriela Ortega... Le tablao est un peu plus cher que ses deux concurrents directs car il présente une dizaine d’artistes (deux sur les douze annoncés manquaient cependant à l’appel le soir de notre venue), inclut une consommation dans le prix du billet et offre une longue soirée. L’espace y est réduit et, si l’on se dispense de la sono, on n’hésite pas à déclencher le ventilateur au cours du spectacle, la scène n’étant pas climatisée et la chaleur devenant étouffante pour les interprètes.
Franchement dit, ces derniers ne sont pas tous au top niveau, ce qui n’est pas plus grave que ça : d’une part, les seconds couteaux permettent aux pointures de briller ; de l’autre, les imperfections sont partie intégrante du flamenco, la dialectique pur/impur chère à Lorca jouant à plein dans ce champ artistique. Ici, une cantaora sans voix nous touchera autant, sinon plus, qu’un ténor d’opéra ou d’opérette, pour peu qu’elle ait de la personnalité. On est comblé de bonnes choses au cours des deux heures que dure le show : des interventions toujours justes d’un chanteur à la fois souriant et taciturne (Felix de Lola), des soli des deux guitaristes, l’un appliqué, l’autre aux échappées lyriques (Juan Campallo), de la variation sur un Tango de la danseuse junonesque (Laura González), des vifs zapateados du bailaor (Pepe de Morón) et de la serpentine obtenue au seul moyen du châle par sa belle consœur. Una maja vestida de bata de cola ( Ángeles Gabaldón).
Nicolas Villodre
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