vendredi 6 janvier 2017 par Nicolas Villodre
Au-delà de la Jota
L’art ne souffre pas la perfection. La perfection technique, s’entend. Sur le plan esthétique, quelques défauts, des temps morts ou faibles et quelques fautes de goût frôlant le maniérisme, pour ne pas dire le kitsch, écorniflent l’aspect léché de la production et, paradoxe aidant, humanisent fort heureusement le dernier film de Carlos Saura, Jota (2016), intitulé en français... Beyond Flamenco.
Certains ont rapidement classé l’opus dans la catégorie documentaire. Or, il nous semble qu’il s’agit plutôt du genre de la captation, d’un honnête enregistrement audiovisuel, entièrement tourné en studio, autoréférencé comme tel, avec les trois murs du cube noir théâtral représentés par des toiles de fond écraniques ou bien peintes, des projecteurs apparents au moment d’un festif final, en juerga ou en liesse populaire, une séquence d’habillage à vue et des miroirs déformants rappelant certains passages de son prototypique Carmen, produisant aussi des reflets à la manière des chimigrammes d’un Pierre Cordier.
Nous apprécions Sara Baras depuis longtemps et avons eu le plaisir de la voir évoluer depuis 2008 lors de ses rituelles prestations de fin d’année au Théâtre des Champs-Élysées. Nous avions découvert Miguel Ángel Berna, le champion et réformateur de la Jota, à Sceaux, en 2009, dans son époustouflant Flamenco se escribe con jota. Les deux réunis composent le morceau de bravoure du film de Saura qui, curieusement, ne le conclut pas, mais se trouve en son plein milieu. Cette danse, flamenca ou pas, peu nous chaut, exécutée et filmée avec une telle maestria, mérite à elle seule le déplacement.
Même affétée ou affectée, comme c’est le cas de l’inévitable solo d’homme déguisé en toréro, la danse est plutôt bien traitée par l’aficionado authentique qu’est le cinéaste. D’ailleurs les plus cabots des artistes sont dans ce film les musiciens. Certains jouent et se la jouent un peu beaucoup, comme ce violoncelliste emphatique et déclamatoire à la façon, si l’on peut dire, d’un Glenn Gould ou le violoniste expansif à la coiffure afro et au gilet paysan un peu anachroniques.
Le film passe en revue la variété de la jota, selon les régions, les styles, les instrumentations, les manières de chanter ou de danser et les influences réelles ou supposées - ce qui justifie certaines séquences hors sujet. Cette étude savante et profonde est par endroits entrecoupée de références plus personnelles, certaines ayant un écho universel, comme ces images en noir et blanc sur la Guerre Civile, à la fois lointaine et proche, d’autres n’ayant pas dépassé les frontières, comme cet hommage à Francisco Rabal grimé en Goya, peintre aragonais s’il en est, donc forcément adepte de Jota !
Comme le spectacle de Berna, le film de Saura contribue à la renommée et à la reconnaissance d’un art local qui a fini par prendre dans l’Espagne entière, grâce à la pratique populaire, au disque et au cinéma. Le coup de chapeau à Imperio Argentina se justifie pleinement, d’autant que les deux numéros extraits du long métrage Nobleza baturra (1935) de Florián Rey, l’un musical, l’autre de danse, sont mis en abyme et brechtiennement commentés sur le plan stylistique.
Nicolas Villodre
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